Première édition de "Tremplin Recherche"



Palais du luxembourg - 8 février 2005

OUVERTURE

A. OUVERTURE DE « TREMPLIN RECHERCHE »
PAR CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Mesdames,

Mesdemoiselles,

Messieurs,

Avant d'ouvrir notre séance, je vous demanderai de bien vouloir observer une minute de silence à l'égard de l'un des vôtres, mon ami Hubert Curien. Vosgien, c'était un homme de conviction, un homme de recherche, qui a beaucoup fait pour notre pays. Nous étions très amis depuis l'enfance. Avec son frère Gilles, nous pleurons Hubert Curien.

Je vous souhaite à toutes et à tous la plus cordiale bienvenue au Sénat pour la première édition de « Tremplin Recherche ».

Un paradoxe nous interpelle. Il résulte d'un décalage entre d'une part des chercheurs français brillants qui s'exportent dans le monde entier et d'autre part une recherche française mal en point et qui donne l'impression d'avoir perdu tout repère.

Depuis plus de dix-huit mois, la recherche a occupé le devant de la scène politique et médiatique. L'absence de véritable priorité en matière de recherche, la lourdeur des tâches administratives pour les chercheurs, le saupoudrage des budgets et la complexité des structures amplifient les mouvements d'insatisfaction. Nous avons tous le sentiment d'un énorme gâchis.

Que s'est-il passé ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi notre recherche, qui faisait notre fierté d'antan, est-elle aujourd'hui à la dérive ? Parce que nous avons oublié l'essentiel : anticiper et s'adapter.

Anticiper, c'est avoir le courage politique de définir des priorités à long-terme que la nation s'engage à respecter même si le quotidien budgétaire nous incite à les remettre en cause. Mais nous savons que chez nous le slogan pernicieux du maintien des avantages acquis n'incite pas à se remettre en cause. Malgré des réussites indéniables que le monde entier nous envie en matière aéronautique, ferroviaire et automobile, nous n'avons pas su mettre en place une politique de recherche cohérente, structurée et volontariste.

S'adapter, c'est être en mesure de faire face au nouvel espace économique et financier mondial, à l'accélération des moyens de transport, à l'explosion des nouvelles technologies et à l'indispensable prise en compte des facteurs sociaux.

Malgré de multiples mises en garde, nous sommes demeurés trop longtemps aveugles, sourds et muets. Notre environnement se transformait sous nos yeux et nous sommes restés immobiles. Réflexes d'un pays trop gâté peut-être, alors même que d'aucuns estiment qu'il porte en lui les stigmates d'un certain repli.

Face à un tel constat, que d'aucuns qualifieraient d'alarmistes alors qu'il n'est que réaliste, doit-on chercher le ou les responsables ? Non. Mais le temps de l'inaction est terminé. Il n'y a de déclin

que si nous acceptons aujourd'hui de baisser les bras et de poursuivre une politique de gestion modeste alors que notre recherche exige l'ambition.

Le gouvernement l'a compris. Depuis trois ans, notre pays a été réformé comme il ne l'avait jamais été depuis plus de cinquante ans. Pour certains, ces réformes sont nettement insuffisantes pour gagner le combat de la compétitivité dans un environnement globalisé. Pour d'autres, elles sont excessives, car elles remettent en cause l'ensemble des droits acquis, dans un pays habitué aux sempiternels combats idéologiques qui conspirent à son immobilité.

Il est grand temps d'y mettre fin. Notre avenir en dépend. Une France sans véritable politique de recherche de niveau européen et mondial serait vite reléguée aux oubliettes du futur.

Le monde de la recherche a organisé l'automne dernier des états généraux de la recherche, et le Gouvernement achève la préparation du projet de loi d'orientation et de programmation de la recherche.

Le Sénat sera pour sa part au rendez-vous de cette volonté. J'ai souhaité inscrire notre Haute Assemblée, avec l'ensemble de mes collègues sénateurs et en particulier Jacques Valade, Président de la Commission des Affaires culturelles, dans cette action en faveur de la politique de recherche. Les sénateurs seront très vigilants lors de l'examen de ce projet de loi dans les semaines à venir. Rien en effet ne serait pire que d'apporter de mauvaises réponses à de vraies questions. Au-delà de sa mission législative, le Sénat se doit de contribuer à faire évoluer les mentalités. En effet, on ne gouverne pas un pays avec des intentions et des formules.

Le Sénat le sait, et c'est pourquoi, fidèle à sa vocation de chambre de réflexion, il a souhaité jeter le plus de passerelles possibles entre le monde politique, le monde des entreprises et celui des chercheurs. Il est de la plus haute importance que les femmes et les hommes politiques, les chefs d'entreprise et les chercheurs se parlent, s'écoutent et se comprennent. Ce dialogue est fondamental. Il doit être quotidien, banalisé, et doit nous permettre d'anticiper les évolutions d'un monde incertain et de mettre en place une politique de recherche à la hauteur de notre pays. Pour cela, ce ne sont pas tant les lois qu'il faut changer, mais les esprits qui font les lois.

C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de créer Tremplin Recherche avec mes collègues sénateurs. Cette manifestation menée en étroite collaboration avec le monde de la recherche et celui de l'entreprise réunit aujourd'hui au Sénat chercheurs, universitaires, investisseurs, entrepreneurs et politiques afin de réfléchir ensemble et de proposer des mesures concrètes et utiles susceptibles d'améliorer la valorisation de la recherche, véritable priorité politique en France.

Par ailleurs, le Sénat mettra en place un Comité de suivi pour vérifier que la loi de programmation sera bien exécutée.

Je vous remercie de votre aimable écoute, et je vous souhaite une excellente journée et de fructueux débats sur un thème capital pour l'avenir de notre pays.

B. ALLOCUTION
DE FRANÇOIS D'AUBERT, MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA RECHERCHE

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président des Affaires culturelles,

Monsieur le Président Philippe Adnot,

Monsieur le Directeur Général de l'Institut Pasteur,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, d'avoir pris l'initiative de consacrer une journée de plus à la recherche dans le calendrier si chargé du Sénat. Après l'accueil l'automne dernier de la Fête de la Science, le Sénat démontre une fois de plus son grand intérêt pour la recherche et la science, son souci aussi d'être un lieu de rencontre et de dialogue entre le grand public et tous les acteurs de la recherche.

Cette démarche est légitime est salutaire. Nous avons besoin plus de dialogue entre les communautés de la recherche mais aussi avec nos concitoyens, pour réconcilier les Français avec leur recherche et surtout avec le progrès des sciences. La France doit tenir encore davantage son rang dans un environnement toujours plus dur et compétitif, où sont comparés en permanence les systèmes de recherche, de soutien à l'innovation, les laboratoires, les grandes institutions, les universités, les grands organismes de recherche, les chercheurs et les enseignants-chercheurs.

Nous sommes impliqués dans une bataille impitoyable, notamment depuis quelques années avec la mondialisation. Aujourd'hui plus que jamais, chacun est évalué dans le cadre de procédures, de standards internationaux qui parfois se traduisent par des classements mondiaux, des rankings d'universités ou d'organismes de recherche.

Un jour viendra sans doute où une université française jouera le rôle de l'Université de Shangaï, qui a eu l'idée de classer différentes universités du monde afin que les étudiants chinois souhaitant se rendre à l'étranger puissent savoir à quoi s'en tenir quant à l'efficacité et la qualité de la recherche menée. Ces indicateurs de performance montrent la dureté de la compétition scientifique et technologique dans le monde.

Je voudrais également remercier tous les organisateurs de « Tremplin Recherche », en particulier le Président Philippe Adnot, pour qui la recherche et le développement technologique sont des valeurs importantes.

Cette journée prend un relief particulier cette année, où la recherche et le développement sont placés au coeur de la politique du Gouvernement et où une loi d'orientation et de programmation sur la recherche et l'innovation s'apprête à être votée.

La recherche doit être au coeur de la préoccupation des pouvoirs publics et de tous les grands acteurs de notre pays. Elle doit tenir une place plus importante dans les décisions budgétaires de l'Etat mais également dans la stratégie des entreprises. L'une des caractéristiques de notre système de recherche est le niveau d'investissement trop faible des entreprises dans la recherche. Pour atteindre les 3 % de PIB fixés par les critères de Lisbonne et de Barcelone, nous avons encore un long chemin à parcourir, non seulement pour la recherche publique en termes de mobilisations des moyens, mais surtout en termes d'investissement de toutes les entreprises. Certaines entreprises ont

parfois tendance à préférer une financiarisation à court terme plutôt qu'un investissement à long terme dans la recherche et donc dans l'innovation.

Le Président de la République a annoncé que l'Etat allait consacrer six milliards d'euros supplémentaires pour la recherche ces trois prochaines années. Il s'agit je crois d'un signe très important, qui permettra de développer à la fois les moyens de la recherche et l'impact de la recherche sur l'ensemble de l'économie et de la société.

Il ne faut en aucune façon considérer le texte apparu sur certains écrans comme étant définitif. Il s'agit pour ainsi dire d'un brouillon ; nous discutons actuellement avec des représentants de la communauté scientifique afin de déterminer le meilleur moyen de mettre en place un système permettant réellement de dégager des priorités en matière de recherche par des moyens budgétaires qui soient interrompus. La recherche a aujourd'hui besoin de stabilité financière et budgétaire.

Au sein de cette loi, chaque domaine de recherche aura sa place, et tout particulièrement la recherche académique, qui représente aujourd'hui plus de 50 % de notre recherche publique. Nous oeuvrons pour que la recherche fondamentale et la recherche académique aient les moyens nécessaires pour rayonner, faire avancer la connaissance, et servir de base pour des applications, pour une valorisation. Dans le projet de loi que nous préparons, nos souhaitons donner à la recherche fondamentale une place plus visible, plus performante, en nous inspirant des meilleures pratiques des pays étrangers, des standards internationaux, pour donner un nouvel élan à la recherche française, qu'elle se fasse dans les laboratoires universitaires ou dans les laboratoires des grands organismes. Il est absolument nécessaire que l'Université retrouve un rôle majeur dans l'organisation de la recherche en France, qu'il s'agisse de recherche fondamentale ou d'application. Ces deux piliers doivent être aussi solides l'un que l'autre et sortir renforcés du vote de cette loi à la fin du premier semestre 2005.

L'éclatement, la dispersion et les cloisonnements ont montré leurs limites. Nous voulons aujourd'hui une recherche plus unie entre les grands organismes et les universités, mais aussi, lorsque cela est possible, entre le public et le privé, entre les scientifiques et les citoyens.

Nous souhaitons également plus de transparence dans l'attribution des moyens financiers et dans l'évaluation, une sélection des meilleurs chercheurs et des meilleurs projets impartiale, une véritable stratégie nationale élaborée dans la concertation, à l'écoute des citoyens. Tel est notre projet pour la recherche.

Cette ambition n'est pas incompatible avec le renforcement d'une recherche plus immédiatement en phase avec les attentes économiques et sociales, qu'elles soient conduites par le public ou par le privé. Ce type de recherche mérite lui aussi toute notre attention. Pasteur est le meilleur exemple de ce lien existant entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Ses travaux conduits pour améliorer la fabrication de la bière ont contribué à des découvertes essentielles pour l'humanité. Les applications que nous pouvons attendre en matière de santé, de transport, de mise à disposition d'information, sont gigantesques et représentent un formidable outil de développement pour notre pays. Il me semble donc tout à fait essentiel que l'ensemble de la communauté scientifique soit convaincu des liens mutuellement féconds existant entre toutes les formes de recherche.

En ce qui concerne plus spécifiquement la recherche appliquée, l'innovation et la valorisation, un réel effort a été accompli depuis la fin des années 90, avec entre autres la loi sur l'innovation, les

CPI, les incubateurs ou les fonds d'amorçage. Ainsi, depuis leur création, les seize fonds d'amorçage gérés par la Caisse des Dépôts et Consignations ont participé au lancement de 165 entreprises, dont une cinquantaine dans les sciences de la vie. Il est intéressant de noter que 50 % des entreprises concernées sont passées par un incubateur public, que 50 % d'entre elles sont issues de la recherche publique et que les organismes publics de recherche abondent le capital des fonds d'amorçage à hauteur de 34 millions d'euros, ce qui témoigne de leur implication en matière de valorisation de la recherche.

Autre résultat encourageant, le concours d'aide à la création d'entreprises innovantes a conduit depuis son origine à la création de 682 entreprises, les 1 400 lauréats des six premières éditions ayant reçu près de 150 millions d'euros.

Enfin, le bilan 2004 des projets incubés par les 29 incubateurs labellisés par le Ministère indique qu'au moins 650 entreprises ont bénéficié de ce dispositif ; elles comptent en moyenne cinq emplois chacune.

Ce sont là de bons résultats, mais nous sommes conscients des progrès encore à accomplir. En matière de dépôts de brevets, la France accuse un retard important par rapport à ses concurrents, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. L'Allemagne dépose deux fois plus de brevets européens par habitant que la France, et nos indices sont en régression constante dans ce domaine. Nous pesons désormais moins de 7 % des brevets européens déposés.

Déposer un brevet ne suffit pas : encore faut-il savoir le valoriser. Pour inciter les chercheurs des établissements publics de recherche à déposer des brevets mais aussi à les valoriser, le Gouvernement a, dans le cadre du plan innovation, mis en place une prime au brevet. Elle s'élève à 3 000 euros et est accordée à un ou plusieurs chercheurs d'un établissement public à l'origine du dépôt d'un brevet. Pour limiter les effets d'aubaine, 80 % de la prime ne sont versés qu'une fois le brevet valorisé. J'espère que nous mesurerons rapidement les effets positifs de ce dispositif.

Au-delà de ces dispositions incitatives franco-françaises, il est indéniable qu'une harmonisation européenne des procédures représente également un enjeu essentiel. L'objectif est de réduire les coûts et les risques des brevets de façon à rester compétitifs face à nos grands concurrents que sont les Etats-Unis et le Japon.

La création d'une entreprise technologique est une autre façon de valoriser les résultats de la recherche. Jusqu'à la fin des années 90, la création d'une entreprise technologique ne représentait qu'une très faible proportion des actions de valorisation, les pouvoirs publics se limitant souvent à inciter les établissements publics de recherche à faire du transfert de technologie par concession de licence. En 1999, la loi a donné la possibilité à des chercheurs du secteur public de participer à la création d'entreprises technologiques issues des résultats de leur recherche. Ce faisant, l'Etat a non seulement favorisé la création d'entreprises, mais il a aussi contribué à rapprocher deux mondes qui ne se connaissaient pas suffisamment. Le bilan que l'on peut en faire après cinq années est bon. Ainsi, plus de 450 chercheurs ont bénéficié des dispositions de la loi sur l'innovation et la recherche. Mais c'est tout autant le changement culturel que l'on commence à percevoir qui constitue sans doute le résultat le plus appréciable.

Nous avons toutefois noté quelques freins à la totale efficacité du dispositif. Ces freins seront levés dans le cadre de la prochaine loi d'orientation et de programmation sur la recherche, notamment en ce qui concerne le taux de participation maximum que les chercheurs peuvent détenir au capital de la société créée, qui pourrait passer de 15 à 30 %.

Les start-up parviennent pour leur part rarement à dépasser le stade critique de la vingtaine de millions d'euros de chiffre d'affaires. Dans ce domaine, nous ne souffrons pas la comparaison avec les Etats-Unis, ses Google et ses Cisco. Les 25 plus grandes entreprises françaises existaient déjà en 1960 alors que 19 des 25 plus grandes entreprises américaines sont nées depuis.

Après un an de mise en oeuvre, le dispositif en faveur des jeunes entreprises innovantes a conduit à des résultats encourageants. 791 JEI s'étaient déclarées au 30 novembre 2004, représentant plus de 4 000 salariés, pour la plupart fortement qualifiés. D'ores et déjà, plus de 1 000 entreprises ont fait appel à ce dispositif pour un montant d'exonération dépassant les 35 millions d'euros.

D'autres voies d'amélioration sont envisageables. Je ne doute pas notamment que les questions de maturité technologique des projets ainsi que les difficultés d'accès au capital ou au marché des grands comptes soient évoquées lors des tables rondes de notre journée. Il y a là aussi des progrès notables à accomplir.

Il convient aussi de favoriser la mutualisation et la professionnalisation des structures de valorisation des établissements publics de recherche, des universités et des organismes. Nous avons en particulier décidé de rendre systématique le mandataire unique lorsque les équipes dépendant de plusieurs établissements sont impliquées dans un même projet de transfert.

Nous souhaitons également inciter les regroupements de structures de valorisation, en particulier dans les Pôles de Recherche et d'Enseignement Supérieur que la loi devrait mettre en place. Il convient enfin de donner à ces structures tous les moyens de fonctionner correctement quelle que soit leur forme juridique.

Pour terminer, je voudrais insister sur l'importance d'une recherche technologique conduite en partenariat entre un laboratoire publique et une entreprise. Elle est encore trop peu développée en France ; elle est pourtant tout à fait propice à la diffusion d'innovations technologiques. C'est pourquoi nous soutiendrons le développement d'un réseau de structures publiques de recherche qui placent la recherche technologique au centre de leurs préoccupations. Nous nous inspirons des modèles qui ont fait leur preuve dans d'autres pays d'Europe comme l'Allemagne ou les Pays-Bas. Ces instituts, que nous baptiserons Carnot, ne seront bien entendu pas créés ex nihilo , mais s'appuieront sur l'existant en le rendant plus performant et plus visible. Là encore, il s'agira d'une démarche expérimentale et volontariste reposant sur la volonté effective des acteurs.

Toutes ces actions participent d'un même objectif : rendre notre potentiel public de recherche plus visible et plus accessible, et lui donner toutes ses chances dans la compétition internationale, ce qui contribuera à faire de la France l'un des pays les plus attractifs pour faire de la recherche et pour innover en Europe et dans le monde, que l'on soit étudiant, chercheur, investisseur ou entreprise. Ceci constitue un objectif que tous les acteurs du système français de recherche et d'innovation, publics et privés, devraient avoir à coeur de partager.

Je vous remercie.

C. ALLOCUTION
DE JACQUES VALADE, SÉNATEUR, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président,

Je remercie François d'Aubert des informations qu'il nous a apportées. Je le remercie tout particulièrement de veiller à ce que le Sénat étudie cette loi de programmation sur la recherche en priorité. Je le remercie également d'avoir donner quelques informations complémentaires sur le financement supplémentaire envisagé. Si j'ai bien compris, il s'agit d'un milliard cette année, auquel viendra s'adjoindre un second milliard l'année prochaine et un troisième dans deux ans. Nous avons donc un plus deux plus trois milliards d'euros, soit six milliards au total sur trois ans.

Je n'aurai pas la cruauté de demander comment ces milliards, à commencer par le premier, seront financés. Il appartient au Ministre de la Recherche et au Gouvernement de nous fournir quelques informations à ce sujet.

François D'AUBERT

Un tiers de ces crédits est du crédit budgétaire BCA; un second tiers viendra des process de privatisation et sera affecté à l'Agence Nationale de la Recherche ; un troisième tiers proviendra des transferts et portera sur la recherche en entreprise sous forme d'effet de levier, essentiellement par la voie de déductions fiscales.

La véritable programmation se fera en 2009 - 2010 : il s'agira en effet d'une loi sur 5 ans.

Jacques VALADE

Avant de laisser Philippe Kourilsky s'exprimer, je voudrais vous dire combien, en tant que scientifique mais aussi en tant que sénateur, je suis effaré du fossé considérable existant entre le monde de la recherche et le monde politique. Tout ce qui contribuera à un rapprochement de ces deux mondes qui par nature s'opposent sera bienvenu. Je tiens à remercier à mon tour mon collègue et ami Philippe Adnot, sénateur de l'Aube, qui a soutenu le Président dans sa volonté d'organiser une manifestation de ce type dans le but de rapprocher et de faire converser ses acteurs essentiels du développement démocratique et économique de notre pays.

Je salue Philippe Kourilsky qui, par sa compétence, sa disponibilité et son rayonnement national et international constitue un acteur essentiel de la recherche française. En tant que Directeur Général de l'Institut Pasteur, il est l'une des figures de la vie scientifique française. Philippe Kourilsky est également Professeur au Collège de France qui, pour nous autres scientifiques, demeure une référence incontestable. Peut-être le monde politique n'attache-t-il pas suffisamment d'importance aux membres de cette institution.

D. CONFÉRENCE INAUGURALE
DU PROFESSEUR PHILIPPE KOURILSKY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT PASTEUR

Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Mesdames et Messieurs les Directeurs,

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Nous discutons aujourd'hui d'un problème essentiel : celui de l'innovation, dont dépend la croissance et la diminution de l'endettement de notre pays. Il n'y a pas de croissance sans innovation, et pas d'innovation sans recherche. Je voudrais saisir cette occasion pour exprimer mon admiration au Président du Sénat et au sénateur Adnot pour avoir organisé courageusement cette journée qui me paraît tout à fait importante.

Mon premier message sera de rappeler qu'il est essentiel de soutenir la recherche, y compris la recherche située la plus amont. La raison pour laquelle il faut soutenir cette recherche, c'est qu'elle constitue l'une des sources premières de l'innovation, mais aussi l'un des conservatoires du temps long. Dans une démocratie dont les enjeux sont raccourcis, il est important de réfléchir à l'existence de ces réservoirs qui conservent la mémoire des projets et anticipent l'avenir. La recherche académique et les universités font partie de ces réservoirs essentiels qu'il faut impérativement préserver.

Cela a été dit, le milieu de la recherche et le milieu universitaire sont aujourd'hui en déshérence. Pendant trop longtemps, notre pays n'a pas suffisamment reconnu l'importance de ces activités. Si notre sphère académique est en pleine souffrance, c'est qu'elle souffre de discours qui trop longtemps ont été contradictoires. Si l'innovation est si importante et la recherche si nécessaire à l'innovation, comment se fait-il que les milieux académiques aient été si mal considérés ? Est-il réellement normal que l'on recrute encore à bac + 15 des chercheurs ou des universitaires de très haut niveau à 2 000 euros par mois ? Comment se fait-il que le monde politique soit si peu conscient et si peu instruit des affaires de la recherche ? Pourquoi n'existe-t-il pas de consensus au sein de l'appareil public pour estimer que la recherche, y compris la plus fondamentale, n'est pas une dépense mais un investissement ? Pourquoi notre pays a-t-il si longtemps rogné sur les dépenses de recherche au lieu de les augmenter comme le font beaucoup de pays comme par exemple le Japon ?

En réalité, ces problèmes ne sont ni de droite ni de gauche. Pour créer l'Institut Pasteur de Montevideo, dont la première pierre a été posée il y a deux mois, le Parlement uruguayen, droite et gauche confondues, a voté à l'unanimité la loi fondatrice actant sa fondation.

Je crois qu'il faut prendre la mesure de l'incompréhension, voire de la désespérance d'une sphère académique trop longtemps sous-valorisée, à qui il manque les moyens autant que la considération. Certes, elle n'est pas à l'abri de la critique, mais elle est en attente de reconnaissance pour le rôle qu'elle aspire à jouer au service de la nation.

Je voudrais vous délivrer un deuxième message tout aussi évident que le premier. Il faut certes soutenir la recherche, et en particulier la recherche amont ; pour cela, il faut suffisamment d'argent public. Nous sommes tous conscients que l'argent des entreprises et l'argent privé doit abonder le système de recherche, mais il n'est pas réaliste que la recherche, et notamment la recherche fondamentale, sera largement financée par des capitaux privés.

La recherche dite fondamentale n'entre pas nécessairement en opposition avec les applications ou avec la valorisation. En me promenant récemment dans l'Institut Pasteur, j'ai eu le bonheur de me trouver face à un écriteau sur lequel figurait cette magnifique sentence : « Ce n'est pas parce qu'une recherche est inutile qu'elle est fondamentale ». A l'inverse, la recherche cognitive peut certainement être liée à la question de l'utilité, mais ne peut par définition pas être totalement liée aux lois du marché.

Il en résulte une véritable philosophie de l'innovation. La valorisation de la recherche contribue pour 40 % au budget total de l'Institut Pasteur. Cela signifie que chaque salarié de notre établissement rapporte aujourd'hui plus de 25 000 euros par an de valorisation à l'institution. Je voudrais citer ici Jacques Monod : « Nous ne faisons pas de la recherche pour gagner de l'argent : nous gagnons de l'argent pour faire de la recherche ». Il est remarquable que, de manière contre intuitive, les brevets qui à l'Institut Pasteur sont aujourd'hui les plus rémunérateurs ne sont pas des brevets d'application mais sont des brevets qui touchent à des découvertes situées très en amont et sont susceptibles de nombreuses déclinaisons.

La valorisation m'apparaît tout autant comme une philosophie de la recherche liée à une utilité de la connaissance et à un mécanisme économique destiné à générer des ressources pour la collectivité sous la forme de la création de richesse et d'emplois. Que les individus en tirent profit me semble normal. Mais le profit financier ne constitue pas pour autant la motivation principale des chercheurs. La générosité est un moteur au moins aussi puissant. Si nos collègues demandent à juste titre des conditions de vie décente, ils m'apparaissent aujourd'hui au moins aussi motivés par le souci de servir, d'être utile à la santé des hommes, le bien national et le développement durable que par le strict appât du gain.

Il existe dans l'innovation une dimension éthique implicite. Lorsque nous cherchons à innover, nous pensons la plupart du temps innover en mieux. La dimension éthique n'appartient pas aux seuls innovateurs et aux seuls chercheurs. Elle doit être partagée, et le corps social doit être associé par le dialogue aux problématiques scientifiques. Il nous faut organiser un partage des connaissances mais aussi un partage des projets. C'est ce qui a manqué dans l'exemple aujourd'hui emblématique des organismes génétiquement modifiés.

Je voudrais souligner le fait que la valorisation demande des compétences nombreuses et diversifiées. Ces compétences n'existent pas toujours à niveau suffisant dans la sphère publique. Elles peuvent parfois nous faire céder aux sirènes de la centralisation et nous laisser croire que des systèmes totalement centralisés peuvent gérer de façon optimale des problématiques de valorisation. Je suis d'un avis radicalement opposé. Je suis pour ma part attaché aux vertus des politiques de sites, quel que soit le nom de ces sites dans la future loi d'orientation. La valorisation de la recherche, l'innovation, gagnent énormément grâce aux relations de proximité, aux relations personnelles, aux conseils que les chercheurs peuvent recevoir localement. C'est pourquoi je suis partisan de dispositifs non pas centralisés et plus tard déconcentrés, mais véritablement décentralisés dans une optique bottom up plutôt que top down .

L'expérience que nous avons acquise à l'Institut Pasteur nous instruit sur un autre aspect qui me semble très important: les jeunes chercheurs sont souvent demandeurs d'une formation managériale qui peut leur être dispensée de diverses manières. Au sein de l'Institut Pasteur, nous prodiguons cet enseignement essentiellement à la carte. Ces formations en milieu académique me paraissent extrêmement utiles pour accroître le taux de réussite des transferts innovants et améliorer la valorisation de la recherche.

Le milieu des chercheurs est aujourd'hui très ouvert aux transferts, à la valorisation, à l'innovation. Il l'est sans doute plus qu'il ne l'a jamais été. Mais il a ses contraintes, sa sociologie propres. Il faut en tenir compte si nous voulons pleinement réussir.

Pour terminer, je voudrais plaider la cause des jeunes. Ceux qui entrent et mûrissent dans les métiers de la recherche et de l'innovation sont notre avenir collectif, notre richesse. Nous devons à tout prix libérer leur énergie et leur créativité. Ces jeunes doivent pourvoir s'exprimer aussi bien en France qu'ils le font en Amérique ou désormais en Asie.

Ceci requiert de leurs aînés une attention particulière, et même une véritable générosité, à la fois dans les transferts de savoir et d'expérience que dans l'attention portée à leurs conditions de travail et de rémunération. Celles-ci doivent être améliorées en priorité, avant celles des plus anciens, et avant que l'on ne se préoccupe du maintien des avantages acquis. Telle est à mon sens l'une des conditions absolument essentielles à notre avenir, avenir que nous devons regarder avec le plus grand optimisme, car nous avons toutes les ressources pour réussir.

Je vous remercie.

E. INTRODUCTION
DE MAÎTRE FRÉDÉRIC MASCRE, AVOCAT, CABINET MASCRÉ HEGUY ASSOCIÉS

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Mesdames et Messieurs les chercheurs,

Mesdames et Messieurs,

C'est avec une émotion toute particulière que je prends la parole aujourd'hui en ces lieux afin d'évoquer devant vous le sujet de la valorisation de la recherche dans le cadre de cette première édition de « Tremplin Recherche ».

J'ai en effet l'honneur et plaisir d'animer depuis trois années une commission sur la valorisation de la recherche au sein de l'Association Française des Investisseurs en Capital, qui regroupe en France plus de 200 professionnels du capital investissement. Nous considérons en effet que les travaux de recherche ne peuvent être financés exclusivement par des fonds publics, et que les acteurs du capital-investissement, en particulier du capital risque, ont un rôle à jouer dans la valorisation des travaux de recherche.

Au cours de ces trois années, pour mieux cerner les attentes de financement, nous avons rencontré des chercheurs au sein de laboratoires publics et privés, des enseignants-chercheurs, des universitaires, des chargés de valorisation, des industriels, des financiers, des porteurs de projet qui nous ont tous réservé un accueil enthousiaste.

A l'occasion de ces rencontres fructueuses qui ont révélé talent et gisements de valeur, j'ai pu constater cependant un manque d'information et de communication entre ces différents acteurs de la chaîne de l'innovation. C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues, nous avons souhaité l'organisation d'une grande manifestation fédératrice sur la valorisation de la recherche, qui soit un lieu d'échange et de synergie capable de dynamiser les énergies et les talents. J'ai le plaisir de constater que c'est désormais chose faite avec « Tremplin Recherche ».

A cet égard, je tiens à remercier tout particulièrement le Président de la Haute Assemblée d'avoir permis à cette manifestation de voir le jour en ces lieux. Je tiens également à remercier à nouveau le sénateur Adnot qui a soutenu et dynamisé ce projet dès son origine. Je tiens enfin à tous vous remercier de votre présence nombreuse qui atteste de votre intérêt pour cette première édition de « Tremplin Recherche ».

Les six tables rondes à venir porteront sur les thèmes suivants :

· « Détection, prospection, veille stratégique économique, inventaire », débat animé par Pierre Tambourin, Directeur Général du Génopole d'Evry ;

· « Protection, brevets et publication : stratégie et méthodes », débat animé par Chantal Parpex, Président du Directoire de CDC Entreprises Innovation ;

· « Les projets transférables », débat animé par Bernard Daugeras, General Partner au sein d'Auriga Partners ;

· « Valorisation de la recherche : un cadre juridique et financier adapté ? », débat animé par Pascal Lagarde, Directeur Général de CSC Entreprises-FP Gestion ;

· « Quelle valorisation économique pour la recherche et pour les entreprises », débat animé par Guy Crespy, Directeur délégué à la valorisation au CEA ;

· « La dimension nationale et européenne de l'aide à la recherche », débat que j'aurai le plaisir d'animer.

Je vous souhaite une excellente journée et vous remercie de votre attention.

F. INTERVENTION
DE DOMINIQUE LEGLU, DIRECTRICE DE LA RÉDACTION DE SCIENCES ET AVENIR

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Mesdames et Messieurs les chercheurs,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de prendre ici la parole. Comme observatrice du milieu scientifique, je voudrais dire que j'ai eu la chance d'accompagner Hubert Curien à de nombreuses reprises, notamment lors de visites en Corée et au Japon.

Je mentionnerai simplement cette visite à de très grandes entreprises japonaises comme Sony, Mitsubishi ou Matsushita. Une question récurrente était alors posée de manière récurrente à Hubert Curien : quel est le secret de la créativité française ? A la suite de sa disparition, la presse a évoqué le père de la fusée Ariane. Cela a rappelé en creux ce qui fût l'une des grandes priorités de la France il y a quelques décennies : le spatial. Hubert Curien a été le premier Président de l'Agence Spatiale Européenne. Comme le faisait remarquer Philippe Kourilsky la recherche et l'innovation nécessitent du temps. Nous célébrons la réussite de Titan ; ce projet a duré sept ans.

Hubert Curien a également été Président du Conseil du CERN, un grand laboratoire de physique des particules qui a placé la France à l'avant-garde dans ce domaine. Par ailleurs, en deux mandats, il a fait croître les dépenses de recherche et développement, les faisant passer de 1,97 % du PIB en 1981 à 2,42 % du PIB en 1992. Cela n'est pas anodin. Les Etats-Unis consacreront cette année 132 milliards de dollars à la recherche développement, soit une hausse de 4,3 % par rapport à 2004, le budget de l'année 2004 ayant déjà augmenté de 7,1 % par rapport à celui de 2003. Les secteurs bénéficiaires sont ceux de la défense, de la santé, de la recherche fondamentale et universitaire.

Il me semble important de rappeler qu'une mutation profonde est intervenue au début des années 80 ; nous avons vu se modifier à cette époque les questions de propriété intellectuelle. En 1988, une souris transgénique offrant des possibilités nouvelles d'étude du cancer a fait la une des grands journaux. Cette souris a donné du fil à retordre à notre office européen des brevets : nous avons refusé dans un premier temps de la breveter. Elle l'a finalement été. Les brevets se sont développés dans de très nombreux secteurs, et pas seulement dans le domaine des biotechnologies. Même les algorithmes mathématiques font aujourd'hui l'objet de dépôts de brevets.

Cette évolution pose la question de la science publique, au sens où elle peut être partagée par tous. Nous avons tendance à opposer en permanence recherche fondamentale et recherche appliquée. Or je crois que d'une certaine façon cette dichotomie n'a plus beaucoup de sens. On peut être extrêmement proche de la recherche fondamentale et dans le même temps très proche du marché.

Dans mon journal, nous citons des exemples très concrets, comme Hervé Moreau qui dirige un laboratoire de recherche en biologie cellulaire à Banyuls-sur-Mer et qui se préoccupe d'algues marines. Ce scientifique, qui se consacre à une recherche parfaitement fondamentale, a néanmoins été approché par le géant européen de la chimie BASF, qui était très intéressé par le génome de l' osteococcus tauri , dont une dizaine de ses gènes sont impliqués dans le métabolisme des lipides. Le laboratoire a d'ailleurs obtenu 150 000 euros de BASF. Il s'agit là d'une belle histoire ; je suppose que cette journée est d'une certaine façon conçue pour nous en raconter d'autres. Ici, le

marché tire l'innovation et contribuera peut-être à tirer la recherche à venir par des investissements futurs.

Pour finir, je voudrais attirer votre attention sur le problème des conflits d'intérêt. L'Institut National Américain de la Santé, le fameux NIH, vient d'interdire à des chercheurs toute collaboration rémunérée avec des firmes pharmaceutiques ou de biotechnologies ainsi qu'avec tout groupement professionnel afin d'éviter les conflits d'intérêt. Selon le Directeur de cet institut, ces nouvelles règles ont pour but de préserver le rôle historique du NIH en tant que première source d'information scientifique et médicale objective dans le pays. En tant que journaliste, je suis très sensible à cette problématique.

Il convient de déterminer dans quelle mesure une pression financière pourrait à un certain moment altérer la créativité. Cela revient à savoir à partir de quel point l'imagination est bridée.

Je suis une ex-chercheuse devenue journaliste ; avec une équipe d'universitaires, nous avons l'intention de mettre sur pied une fondation Curien de façon à travailler sur ces questions difficiles et à encourager financièrement les meilleurs cerveaux à rester en Europe. Hubert Curien avait été informé de ce projet ; il nous appartient désormais d'être à la hauteur de son héritage.

Je vous remercie.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page