Actes du colloque : Tremplin Recherche - 2ème édition



Palais du Luxembourg - 21 février 2006

Table ronde n°1 : « Passer de l'innovation à l'industrialisation :
défi énergétique et technologies propres »

Modérateur :

Jean-Baptiste DEMENTHON , Vice-Président Business Développement, Aaqius et Aaqius

Participants :

Jean-Claude FAYARD , Product Director, ExoClean

Pierre MACAUDIERE , Head of Engine and Transmission System, PSA

Guy PICHON , Performance and Aftertreatment Responsible, Renault VI Powertrain Division

Christophe GAS , Catalysis Director, Rhodia

Jean-François BERARD , Vice-Président Research, Inergy Automotive Systems

Jean-Pierre JOULIN , Président-directeur général, Céramiques Techniques et Industrielles

Daniel LE-BRETON , Directeur du département Transport & énergie, Total France

Ouverture de la table ronde :

Marion GUILLOU, Présidente-directrice générale, INRA

C'est un honneur pour moi d'intervenir après de si brillants esprits. Je suis Présidente de l'Institut National de la Recherche Agronomique. J'avoue que certaines phrases entendues ce matin ont stimulé ma réflexion quant à cette présentation sur l'émergence d'une Europe innovante. Pour ma part, dans le cadre du thème d'aujourd'hui, « le défi énergétique et les technologies propres », je me focaliserai spécifiquement sur l'aspect recherche à l'innovation. Toutes les sommités ici présentes évoqueront soit la recherche, soit l'innovation, soit l'industrialisation.

1. L'énergie propre : un enjeu crucial

Pourquoi une spécialiste de recherche agronomique ose-t-elle évoquer le sujet de l'innovation devant ce parterre prestigieux ? En réalité, via les biocarburants et la chimie verte, l'agronomie intègre le domaine de l'énergie et des technologies propres. Je souhaitais évoquer brièvement le contexte qui explique cette ingérence légitime des agronomes dans le domaine de l'énergie. De nombreux spécialistes ont pris conscience des problèmes engendrés par l'effet de serre. Ce phénomène climatique génère des coûts financiers, des risques politiques et humains. Plusieurs filières se sont donc interrogées sur des innovations possibles afin d'utiliser le carbone renouvelable plutôt que le carbone fossile. Ce dernier est mis en cause pour des raisons énergétiques, stratégiques et environnementales.

Qu'est-ce qu'une énergie propre ? Il est possible de définir le concept d'énergie propre tant à l'échelle locale qu'à l'échelle mondiale. Ce concept peut également se définir par le cycle de vie du produit, ou par la biodiversité. Pour ma part, mon analyse se fondera sur un point de vue combinant la durabilité globale du système de production, l'émission de gaz à effet de serre et les essais de substitution pour réduire l'utilisation du carbone fossile. Une telle substitution serait possible grâce au carbone renouvelable généré par la photosynthèse.

Vous êtes nombreux à être conscients des enjeux concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre. D'après les estimations du Groupement International d'Etude sur le Changement Climatique, les émissions de combustibles fossiles atteignent une masse de 6,4 gigatonnes, avec une incertitude de 0,4 gigatonne. Cette donnée inquiétante est liée à la déforestation croissante de la forêt tropicale. De surcroît, l'écosystème terrestre ne parvient à absorber annuellement que 1,6 gigatonne du carbone fossile utilisé. L'incertitude de 0,8 gigatonne s'explique par les importantes variations climatiques observées.

Pour revenir au sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, je me focaliserai sur la production d'énergie et de carburant. En effet, le pétrole représente un enjeu majeur, dans la mesure où il est difficilement substituable. Les énergies que j'évoquerai sont produites à partir de produits végétaux, le diester (oléagineux), l'éthanol ou les éthyltertiobutyléthers. La filière de la ligno-cellulose, que nous explorons actuellement devrait être sollicitée de manière intensive. Pourquoi ? La production de matière sèche présente des rendements considérables à l'hectare. Par ailleurs, les espoirs d'obtenir via la filière thermochimique ou via la filière enzymatique et biologique de l'éthanol nous ouvrent des voies extraordinaires. En France, l'IFP et le CEA travaillent très activement sur ces thèmes de recherche. L'INRA concentre ses efforts sur la filière biologique.

2. Les énergies d'origine végétale : des énergies propres

S'intéresser aux biocarburants est lié à l'intérêt énergétique global et aux faibles quantités de gaz carbonique rejetées par ces substances. Vous constatez sur ce graphique la quantité de CO² émis en grammes par kilomètre en fonction des sources d'énergies considérées. Les énergies les plus économes sont l'électricité et l'hydrogène produits grâce aux centrales nucléaires. Des limitations techniques rendent difficiles le développement de ces énergies. En troisième position émergent les esters méthyliques d'huile végétale que nous développons actuellement.

Je vous présente désormais un graphique quelque peu complexe. Il montre l'échelle de coût de la tonne de gaz carbonique évité (c'est-à-dire non émis) en fonction des systèmes de production d'énergie utilisés. Le scénario de référence repose sur l'utilisation d'énergies fossiles, représentée par le petit cercle à droite du graphique. La grande ellipse centrale correspond à la biomasse conventionnelle, les points et les pointillés symbolisant les incertitudes liées à la consommation d'engrais et à l'émission de N²O. En vert clair, vous distinguez l'éthanol issu du blé ; enfin vous trouvez à gauche du graphique l'éthanol issu de la betterave. Le graphique envisage divers scénarii de valorisation des coproduits. Plus ces derniers sont valorisés, plus la courbe s'accentue vers la gauche du graphique. Les points marron représentent le scénario diester. Enfin, le symbole le plus intéressant est l'ovale situé en haut du graphique correspondant à la biomasse avancée. Celle-ci regroupe les produits ligno-cellulosiques sur lesquels nous travaillons collectivement, tant sur les processus biologiques permettant leur fractionnement et leur fermentation, que sur la sécurisation de l'approvisionnement énergétique.

Les perspectives de production s'avèrent très intéressantes : 15 tonnes de matière sèche par hectare, alors que la production de matière sèche atteint 3,3 tonnes par hectare pour le colza.

3. Deux pistes de recherche pour l'INRA

Qu'est-ce que ces données supposent en matière de recherche et de contribution à l'innovation pour un organisme tel que l'INRA ? La première exigence est d'inverser la démarche : au lieu de partir du produit agricole, nous nous focalisons sur le produit final qui peut être valorisé. Pour aboutir à l'équilibre économique de ces filières, il est impératif de valoriser les biocarburants et les coproduits. En guise d'exemple de développement de ces coproduits, je souhaiterais évoquer les tensioactifs biodégradables, mis au point à partir de tourteaux de colza transformés et fonctionnalisés.

En résumé, deux pistes de recherche s'offrent à nous. D'une part, nous travaillons sur la biotechnologie verte, qui regroupe toutes les recherches sur les plantes. Comment la plante produit-elle sa lignine ? Comment intervenir sur les mécanismes de la photosynthèse ? Le programme Génoplante, associant des instituts de recherche, des semenciers et des chimistes s'intéressent particulièrement à cette problématique. D'autre part, nous travaillons en termes d'innovation. Comment faire pour obtenir des systèmes de production de blés et de céréales à faibles intrants ? Comment limiter les émissions de N²O ? Comment obtenir une meilleure productivité des grandes cultures ? Dans cette optique, nous avons développé la biotechnologie blanche, axée sur les fermentations et sur les enzymes. Comment travailler sur des procédés simultanés de saccharification et de fermentation ? Comment optimiser l'industrialisation de ces processus ?

L'intérêt de tous ces travaux est de produire des filières durables, dans la mesure où la déforestation devient inutile et de proposer des productions de carburants propres. Ces résultats sont obtenus en travaillant sur la sécurisation des approvisionnements et sur la valorisation de la plante entière. Nous sommes convaincus que nous aboutirons à des filières durables et rentables. C'est une belle piste de développement d'avenir pour l'énergie, pour l'environnement et pour l'agriculture. Qu'en est-il du passage de l'innovation à l'industrialisation ? De nombreux spécialistes ici présents s'avèrent plus renseignés que moi pour évoquer cet aspect fondamental. Je vous remercie de votre attention.

Débat

Jean-Baptiste DEMENTHON

Je souhaiterais remercier le Sénat pour l'organisation de cette deuxième édition du colloque « Tremplin Recherche ». C'est un grand honneur pour moi d'intervenir après de si éminents orateurs et d'animer une table ronde s'articulant autour du thème suivant : passer de l'innovation à l'industrialisation, défi énergétique et technologies propres. Pour conduire ce débat, je suis entouré d'intervenants prestigieux de l'industrie automobile et pétrolière, et d'inventeurs.

Assurer le transfert d'une innovation réussie vers l'industrialisation est un parcours semé d'embûches. Cette démarche s'avère complexe et doit répondre à un timing très précis. Une idée possède son existence propre, qu'elle jaillisse de l'esprit d'un inventeur ou qu'elle résulte d'un processus créatif plus structuré dans le cadre d'un laboratoire. Pour réussir ce passage ardu, il est nécessaire de faire coïncider l'émergence de cette idée avec un certain nombre de cycles inhérents à la vie de l'industrie : le cycle du marché (renouvellement des besoins), le cycle financier (attente raisonnable d'un retour sur l'investissement) et le cycle du développement technologique, incluant la notion de temps nécessaire au développement du produit créé.

Le mécanisme global s'avère donc extrêmement périlleux. Il est possible de le résumer ainsi : toute innovation possède un avenir incertain. Existe-t-il une approche ou une méthodologie à suivre pour favoriser l'émergence de cette innovation ? Le domaine que nous allons étudier aujourd'hui est le domaine des énergies propres, et en particulier des transports propres. Comment trouver dans les années à venir les technologies qui nous permettront de relever le défi de l'environnement ?

En matière de pollution dans les transports, nous sommes confrontés à deux types de pollution distincts : la pollution globale (rejet de gaz à effet de serre) et la pollution locale (rejet de produits toxiques). A l'heure actuelle, le moteur à essence génère un niveau d'émission tout à fait acceptable en termes de pollution locale. Le constat s'avère moins réjouissant en ce qui concerne la production de gaz toxiques. Quant au moteur diesel, les résultats sont meilleurs dans la catégorie « émission de gaz à effet de serre », mais moins bons dans le domaine de la pollution locale. En l'occurrence, les propriétés manifestées par ces deux carburants sont complémentaires.

La première stratégie pour fabriquer des véhicules propres consiste à conserver les propriétés respectives des deux types de carburant. Il est ainsi possible d'utiliser le moteur à essence tout en réduisant le rejet de gaz à effet de serre. A contrario , une solution alternative consiste à produire des moteurs diesel, dont l'émission de polluants locaux serait fortement réduite. Il me semble cependant nécessaire de réfléchir à de nouvelles technologies, qui permettront de progresser dans la voie du transport propre. L'ensemble de ces axes de réflexions sont des champs privilégiés pour l'investigation industrielle, pour l'incitation politique, pour la Recherche et Développement et pour l'investissement. La création de valeur est en effet tout à fait envisageable.

La table ronde d'aujourd'hui se concentre sur le « green diesel ». Comment parvenir à ce que le diesel génère moins de pollution locale tout en conservant ses propriétés en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre ? Afin de préciser mon propos, je me tourne vers Daniel Le-Breton, Directeur du département Transport & Énergie chez Total. J'aimerais que vous nous parliez des normes qui s'imposent en matière de réduction de la pollution automobile.

Daniel LE-BRETON, Directeur du département Transport & Énergie, Total

Je me concentrerai sur l'esprit de la loi et des normes à respecter, sans rentrer dans les détails. Ces normes existent depuis 35 ans. A l'heure actuelle, nous sommes parvenus à réduire ces émissions originelles de 80 à 99 %, selon le polluant concerné. Tout au long de ces années, le législateur a pris soin de ne pas écarter le diesel, qui a trouvé une place dans les normes, grâce à des niveaux d'émissions différenciés. Cette démarche a permis le développement de la technologie « common rail », extrêmement performante d'un point de vue énergétique. Les Américains ont choisi une politique différente : les normes imposés aux véhicules diesel sont calquées sur les normes des véhicules à essence. Cette disposition interdit pratiquement la mise sur le marché de véhicules diesel.

Le législateur européen cherche quant à lui à rapprocher les deux niveaux de normes considérés. Nous n'y sommes pas encore, mais l'espoir existe de remplir cet objectif d'ici cinq à dix ans. La dernière norme entrée en vigueur est connue sous l'appellation « Euro 5 ». Le législateur a hésité entre plusieurs optiques. L'un des scénarii envisagés invoquait la nécessité de réduire les émissions d'oxydes d'azote et de particules polluantes contenus dans les carburants. Nous savons désormais que la réduction de l'émission de particules est technologiquement possible. Reconnaissant la difficulté réelle des constructeurs en matière de réduction de la pollution de type NO, le législateur a opté en priorité pour une limitation des rejets de particules. La prochaine étape en termes de dépollution interviendra peut-être vers 2014.

J'insiste sur le fait que ces progrès technologiques en matière de dépollution ne sont pas le fruit d'initiatives japonaises ou même américaines, mais européennes.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Nous constatons que le couple constructeur automobile-pétrolier a mené un effort conjoint en ce qui concerne la réduction des émissions polluantes des carburants. Comment résumeriez-vous les efforts menés par l'industrie pétrolière ?

Daniel LEBRETON

Une fois encore, les progrès ont été initiés par le législateur, bien que l'échelle de temps fût différente. En effet, ces évolutions sont plus récentes, dans la mesure où la production de carburants répond aux innovations technologiques. Ainsi, l'arrivée des pots catalytiques a permis l'élimination du plomb dans les carburants. La dépollution était privilégiée par rapport au rendement du carburant.

Au cours des années 90, le législateur a entrepris de se montrer plus directif, afin d'adapter l'évolution des carburants à l'évolution technologique. Ce mouvement a été impulsé conjointement entre les deux industries, sous l'égide de la Commission européenne. Le résultat de ces réflexions fut la directive sur les carburants publiée en 1998. Celle-ci instituait les évolutions nécessaires de la production jusqu'en 2009. La prochaine révision, programmée cette année, amendera probablement quelques caractéristiques prévues des carburants dans cette directive.

L'évolution la plus structurante initiée par le législateur a été décidée en fonction de l'industrie automobile. Nous avions en effet besoin de moteurs limitant les rejets de dioxyde d'azote, particulièrement sensible au soufre. Cette technologie nous contraignait donc à éliminer le soufre des carburants. C'est ce qui a été fait. Pour une fois, les carburants ont précédé la technologie automobile. En effet, la mise au point de cette technologie s'est avérée complexe. Elle est d'ailleurs encore en cours.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Des efforts considérables sont donc entrepris en matière de dépollution. Pierre Macaudière, vous êtes responsable du Département Emissions de Carburants et Dépollution chez PSA. Qu'en est-il des initiatives des constructeurs automobiles en la matière ?

Pierre MACAUDIERE, Responsable du Département Emissions de Carburants et Dépollution, PSA

Je vous soumets quelques données chiffrées : un moteur diesel génère une consommation moindre de 25 % à performance égale par rapport à un moteur à essence. En 1998, la mise sur le marché des technologies à rampe commune a engendré un véritable saut technologique dans le secteur des moteurs diesel. L'impact de cette évolution a été considérable : la consommation de carburant baissait de 20 %, et l'émission de polluants locaux était réduite de 50 %. De surcroît, le confort de conduite était amélioré, alors que l'émission de bruit du moteur diesel diminuait.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Intéressons-nous maintenant à ces fumées noires et à ces particules de charbon émises par les véhicules à moteur diesel. Ces rejets posent un grave problème de santé publique. PSA a été l'initiateur d'une révolution technologique : le filtre à particules. Il me semble intéressant d'en connaître l'histoire.

Pierre MACAUDIERE

Cette innovation est née d'une volonté stratégique de l'entreprise. Constatant qu'en dépit des progrès réalisés en 1998, le moteur diesel n'atteignait pas le niveau de propreté du moteur à essence, la Direction de PSA a décidé de concilier diesel et environnement. En même temps que se développait le moteur HDI, les chercheurs de PSA travaillaient sur un moyen efficace de réduire l'émission de particules. Cette ambition ne répondait à aucune contrainte normative. Nous étions en effet soumis au régime « Euro 3 ».

Les premiers résultats observés sur la Peugeot 607 indiquaient que l'émission de particules se limitait à 5 milligrammes par kilomètre. A titre de comparaison, la norme « Euro 4 » impose depuis 2005 un taux de rejet de particules inférieur à 25 milligrammes par kilomètre. Nous respectons déjà les normes « Euro 5 » qui entreront en vigueur en 2010 ! Désormais, plus de 1,5 million de véhicules de PSA circulent sur les routes équipés de cette technologie.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Pouvez-vous évoquer le fonctionnement de ce système ? Tout le problème réside dans la régénération du filtre à particules tous les mille kilomètres...

Pierre MACAUDIERE

En effet. Toute la difficulté repose sur la fiabilité du filtre exposé à des températures extrêmement élevées pendant environ 200 000 kilomètres, la durée de vie du véhicule. Pour éviter d'étouffer le moteur par l'accumulation de suies, il convient de régénérer le filtre. Le paradoxe est qu'un moteur diesel fonctionne à 250 degrés, mais que les suies ne peuvent être brûlées qu'à partir de 600 degrés. C'est là qu'intervient l'innovation : la première solution a consisté à réduire la température de combustion des suies via un additif catalytique. La deuxième solution repose sur le fameux « common rail » qui permet de contrôler l'accumulation des suies. Ces méthodes s'opèrent en toute transparence vis-à-vis du conducteur.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Nous commençons à entrevoir les principaux éléments qui favorisent le succès d'une innovation. Quels sont les événements clé qui ont jalonné la réussite industrielle d'un grand groupe comme le vôtre ?

Pierre MACAUDIERE

Le principal paramètre repose sur la volonté stratégique de l'entreprise. Cette volonté peut répondre à des nécessités économiques ou d'image. Elle peut également être liée à des contraintes normatives. En tout état de cause, il faut être capable de mobiliser des moyens considérables, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros. Enfin, il est nécessaire de solliciter les compétences requises : physiciens, chimistes, équipementiers...Le maître-mot est la confiance.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Nous avons insisté sur la notion de plate-forme. Christophe Gas, vous êtes Directeur catalyse chez Rhodia. Votre société a développé un additif fondamental du filtre à particules. Comment l'idée de cet additif a-t-elle germé ?

Christophe GAS, Directeur catalyse, Rhodia

Plusieurs étapes président à ce type d'innovation. La première étape a été une innovation chimique : la mise en suspension dans un fluide de nanoparticules de cérium. Cette première innovation date des années 80. Nous sommes rentrés dans une phase de gestation du projet. Nous sentions les potentialités d'une telle invention, mais nous n'avions pas structuré le projet. Celui-ci est venu à maturité en 1990, autour de l'additif pour les filtres à particules. L'étape suivante a consisté à finaliser le produit, à l'industrialiser et à le lancer commercialement. La dernière phase a été la phase de décollage, grâce à l'intérêt éprouvé en 1998 par un grand constructeur pour notre produit. En deux ans, la phase de lancement du produit a abouti à un grand succès avec la mise sur le marché des premiers véhicules PSA équipés du filtre à particules en 2000.

Nous sommes désormais entrés dans une phase d'accélération de l'innovation. Nous abordons en effet la troisième génération de ces produits, dont les performances ont été sensiblement améliorées.

Jean-Baptiste DEMENTHON

La persévérance et la mise en commun de technologies complémentaires sont donc nécessaires. Rhodia est désormais un partenaire privilégié de PSA.

Christophe GAS

Effectivement, mais nos partenariats ne se limitent pas à PSA. Nous sommes en effet obligés de conclure des partenariats avec des constructeurs tels que Ford pour répondre à leurs contraintes technologiques (moteur ou plate-forme).

Jean-Baptiste DEMENTHON

L'ensemble des constructeurs vont-ils désormais suivre la démarche de PSA. Comment peuvent-ils réussir à s'adapter ?

Pierre MACAUDIERE

La décision du législateur d'inclure les progrès technologiques générés par le filtre à particules dans les contraintes normatives « Euro 5 » a été un facteur déclenchant. Les constructeurs européens seront obligés de fabriquer des véhicules respectant les normes entrant en vigueur en 2010. A cette échéance, 90 à 100 % des véhicules particuliers européens seront équipés de la technologie du filtre à particules. L'Asie et l'Amérique seront également bientôt concernées par cette évolution technologique.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Je me tourne vers Jean-François Bérard, Vice-Président Recherche et Développement chez Inergy, entreprise spécialisée dans la plasturgie. Pourriez-vous nous décrire votre activité ?

Jean-François BERARD, Vice-Président R & D, Inergy

Inergy est une Société à la fois jeune et ancienne. Elle a été créée en 2000, à l'initiative d'un groupe chimique belge, Solvay, et d'un groupe plasturgique français, Plastic Omnium. Inergy est le numéro un mondial des systèmes à carburant en plastique (20 % de parts de marché). Une voiture sur cinq est équipée de nos produits. Nous possédons de surcroît 100 % du marché PSA et 100 % du marché Renault.

Nous avons travaillé en collaboration avec les spécialistes de Rhodia pour réaliser le stockage et le dosage de l'additif à mélanger au gasoil pour obtenir le filtre à particules. Nous nous situons en retrait des problématiques de pots catalytiques. Néanmoins, pour optimiser la durée de vie du produit, le système de dosage et l'intégration de la technologie dans le véhicule sont primordiaux.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Pourquoi ce nouveau marché est-il intéressant pour Inergy, leader mondial du fioul-tank ?

Jean-François BERARD

De nombreuses parties sont intéressées par le développement de cette technologie. Cette dimension de l'innovation est primordiale. Cette synergie représente une force, via une plate-forme qui favorise notre crédibilité sur le marché. Inergy doit démontrer son expertise quotidiennement, car la compétition est âpre. Nous cherchons de surcroît à générer du chiffre d'affaires supplémentaire et à créer de nouvelles zones d'activité. Nous conserverons ainsi de la valeur dans l'Entreprise et nous éviterons une banalisation des fonctions.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Comment ces innovations dans le secteur automobile vont-elles s'étendre à d'autres applications, tels que les poids-lourds ? Jean-Claude Fayard a apporté une nouvelle innovation technologique destinée aux poids-lourds, ExoClean. Je lui cède la parole.

Jean-Claude FAYARD

J'ai eu la chance de rentrer à la raffinerie de Paizat, entité appartenant à l'Etat à l'origine de la société Elf. J'y suis entré pour participer au démarrage d'une toute nouvelle unité, Steam Tracking . J'ai fait partie des équipes d'Elf dès la création de cette entreprise en 1968. J'ai très vite pris conscience de la nécessité d'améliorer mes connaissances scientifiques. Grâce aux cours du soir, j'ai obtenu un BTS et des diplômes d'ingénieur. Alors jeune société, Elf a eu l'audace de s'investir dans des domaines tels que la Formule 1. Nous avons développé des carburants de compétition. Nous avons étudié la question de la pollution atmosphérique. J'ai terminé ma carrière dans cette entreprise au poste de Vice-président du centre de recherche de Solaize.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Quelles sont les quatre vertus de base d'un inventeur ? Quelles sont les quatre lacunes majeures d'un inventeur lorsqu'il s'agit de diffuser son innovation ?

Jean-Claude FAYARD

Je pense que l'inventeur doit posséder un esprit curieux, la volonté de trouver des solutions aux problèmes posés et les moyens nécessaires à l'expérimentation de son invention. De surcroît, il est impératif de développer son invention au moment adéquat. En l'absence d'un de ces éléments, vous ne parviendrez jamais au succès. Au cours de ma longue carrière, j'ai rencontré certains échecs parce que l'innovation proposée s'avérait trop précoce.

En ce qui concerne le développement d'ExoClean, nous avons fait preuve de modestie : nous avons recensé les produits disponibles sur le marché. A partir de là, nous avons relevé les lacunes et les dysfonctionnements manifestes. Notre rôle a consisté à trouver des solutions. Il est donc impératif d'accumuler de l'expérience.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Parmi ces innovations récentes, il y avait le filtre. En tant que Président-directeur général de la société CTI, spécialisée dans la céramique, vous avez estimé, Jean-Pierre Joulin, que votre entreprise disposait du savoir-faire suffisant pour développer un produit compétitif. C'est un exemple concret du rôle que peuvent jouer les PME en matière d'innovation...

Jean-Pierre JOULIN, Président-directeur général de la société CTI

CTI (Céramiques et Techniques Industrielles) est une société que j'ai créée en 1990. En effet, l'enrichissement de l'uranium dans les centrales nucléaires (80 % de l'énergie produite en France) nécessite l'usage de filtres en céramique. Ces composants devaient durer jusqu'en 2002. Or nous sommes aujourd'hui en 2006, ce qui prouve la solidité de ces céramiques.

Puisque nous étions capables de produire des céramiques permettant de séparer les isotopes de l'uranium, j'ai nourri l'ambition de fabriquer des filtres dans d'autres domaines. Nous sommes devenus leader mondial, alors que nos moyens étaient originellement dérisoires. Lorsqu'en 1999 PSA a cherché à développer le filtre à particules, ils se sont aperçus qu'un tel matériel n'existait pas en France. Ils se sont tournés vers le Japon. Nous avons vivement regretté cet état de fait. C'est pourquoi nous nous sommes lancés dans cette aventure.

La vertu essentielle d'une PME repose sur sa volonté de réussir en équipe, de rester à l'écoute du marché et de se remettre en cause. Nous pâtissons également de certains handicaps : notre taille engendre un déficit de crédibilité et de reconnaissance. La condescendance est une réalité. De surcroît, nous manquons de moyens financiers et de soutiens humains pour industrialiser une innovation à grande échelle. Enfin, il nous arrive d'être véritablement dépouillé de nos idées et de nos inventions.

Jean-Baptiste DEMENTHON

En guise de conclusion, je me tourne à présent vers Guy Pichon, responsable des performances et de la dépollution au sein du Groupe Volvo Trucks. Vous vous intéressez à ce système complet intégré de filtre à particules.

Guy PICHON, Responsable des Performances et de la Dépollution, Groupe Volvo Trucks

Dans le secteur des poids-lourds, nous suivons les mêmes tendances que dans le secteur automobile au niveau des normes de dépollution. Les progrès constatés sont donc similaires : la diminution des rejets de polluants locaux atteint 85 à 90 %. Nous avons donc le même challenge à relever que les constructeurs automobiles, d'autant plus que cette ambition reflète la volonté de nos clients. C'est pourquoi l'utilisation de la technologie ExoClean conforte notre volonté de progresser dans cette voie.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Nous ne nous étendrons pas aujourd'hui sur l'autre enjeu majeur concernant les moteurs diesel : la réduction des émissions des oxydes d'azote. Il s'agit d'un enjeu futur. Nous pouvons conclure de cette table ronde qu'en matière d'innovation il est nécessaire de prendre les risques adéquats au bon moment et de mûrir l'ensemble des réflexions entreprises au sein d'une plate-forme. Les innovations intègrent des systèmes complexes qu'il faut accompagner financièrement et humainement.

Question d'un participant

Je m'appelle Daniel Dupré, Directeur d'un laboratoire de catalyse de l'Université de Poitiers et du CNRS. Je suis donc confronté à des problèmes de recherche en amont. Nous avons évoqué le filtre à particules. En la matière, nous avons constaté une ouverture vers le DeNOx. Qu'en est-il des moteurs nouvelle génération HCI ? Avez-vous un objectif précis d'industrialisation et de commercialisation de ces motorisations ?

Guy PICHON

Pour remplir les objectifs induits par la norme « Euro 4 », nous disposons d'une alternative : soit nous dépolluons à la source les oxydes d'azote puis nous traitons en « silencieux » les particules, soit nous réduisons à la source l'émission de particules, puis nous nous préoccupons ensuite des oxydes d'azote. Cette dernière technologie a été choisie par le Groupe Volvo. Son principal avantage est économique, puisque la consommation de carburant est moindre (5 %). Par ailleurs, cette technologie améliore le rendement et la puissance du moteur. Elle est considérée comme pérenne, ce qui signifie qu'elle s'appliquera dans le cadre de l'application des futures normes. En guise de réponse à votre question, je vous confirme que nous utiliserons la technique du DeNOx. Nous injecterons de l'urée en amont du silencieux, qui permettra de réduire de façon significative (80 à 90 %) l'émission d'oxydes d'azote. Une fois cette technologie mise au point, le problème du rejet de polluants locaux sera quasiment résolu. Quant à l'émission de CO², l'apport des biocarburants représente une solution d'avenir.

Un intervenant

Bien que la technologie du moteur HCI soit à l'étude, elle n'est pas encore au point. En tout état de cause, nous devrons avoir recours au post-traitement.

Un intervenant

Les constructeurs allemands ont initié la distribution d' Adblue en Europe, motivés par une incitation fiscale. Nous avons nous-mêmes commencé cette distribution, bien que nous la limitions aux poids-lourds dans 400 stations en Europe.

Question d'un participant

Ma question s'adresse à Monsieur Macaudière. Si nous rapprochons le premier diagramme comparant les performances des moteurs à essence et diesel, nous nous apercevons que le problème de la réduction des rejets polluants générés par le diesel est résolu. Cette démarche semble nécessiter des coûts raisonnables. Pourquoi attendre 2009 pour imposer ces normes déjà atteintes aujourd'hui ?

Pierre MACAUDIERE

Les véhicules devront être équipés de filtres à particules pour remplir la norme fixée à l'horizon 2010 d'un taux de particules inférieur à 5 milligrammes par kilomètre. Des efforts restent à accomplir pour équiper certains types de motorisation. Je signale par ailleurs que l'entrée en vigueur de ces normes génère des coûts considérables et impose aux constructeurs de définir des choix stratégiques. C'est pourquoi ce système progressif a été mis en place.

Quant aux problématiques concernant l'urée, elles présentent une dimension technique supplémentaire : il faudra trouver de la place pour installer un réservoir d'urée de 25 à 30 litres. De surcroît, ce réservoir d'urée s'épuisera au bout de 25 000 kilomètres. Des réapprovisionnements réguliers s'avèreront nécessaires. Les contraintes sont donc considérables. C'est pourquoi le système DeNOx n'est pas encore disponible en Europe : le coût n'est pas acceptable.

Jean-Baptiste DEMENTHON

Je vous propose de clore cette table ronde. J'en remercie vivement les participants.

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