3ème édition de TREMPLIN RECHERCHE



Colloque - Palais du Luxembourg 12 février 2008

II. RÉSULTATS DES RECHERCHES CONDUITES
DANS QUELQUES PROJETS LAURÉATS

TABLE RONDE

Participaient à la table ronde :

Pascal BRAULT, Directeur de recherche au CNRS

Alain BERGEL, Directeur de recherche au CNRS

Jacques BODENNEC, Enseignant chercheur MCIJ

Abdelhak EL AMRANI, Maître de conférences (HDR)

Les débats étaient animés par Philippe ADNOT, Sénateur de l'Aube, Président, du Conseil général de l'Aube et Frank NIEDERCORN, journaliste, Les Echos

Philippe ADNOT

Je reconnais que nous avons parmi nous un Président de commission du Sénat, un universitaire et un ancien Ministre, qui a pour qualité de favoriser l'émergence des idées ainsi que le dialogue. Cette qualité s'est particulièrement ressentie dans le texte de réforme des universités.

Au cours de cette table ronde, quatre chercheurs nous expliqueront leur projet. Je rappelle que cette journée a pour objectif de réconcilier le monde de la recherche, le monde de l'entreprise ainsi que le monde de la finance, pour que tous puissent progresser en se concertant.

Nous avons sélectionné des projets de recherche se situant suffisamment en amont, afin d'éviter d'empiéter sur « Tremplin entreprises », opération qui fêtera au mois de juillet son dixième anniversaire et qui consiste à présenter des porteurs de projets d'entreprises en recherche de capitaux.

Frank NIEDERCORN

Je suis journaliste spécialisé dans l'innovation aux Echos . Les projets tout à fait passionnants qui vont vous être présentés ont la particularité de n'être encore qu'au stade du laboratoire. Ils ne demandent néanmoins qu'à en sortir. Pour ce faire, des compétences, des rencontres avec des industriels, éventuellement des investissements sont nécessaires.

Les piles à combustibles, qui sont au coeur du projet mené par Pascal Brault, permettent de fabriquer de l'électricité à partir des hydrogènes en ne produisant pratiquement que de l'eau comme déchet. Leur utilisation néanmoins n'a pas été généralisée, comme nous l'avions espéré il y a quelques années, suite aux théories de Jérémy Rifkin sur l'économie de l'hydrogène. Pascal Brault nous expliquera comment ses travaux pourront permettre d'améliorer les conditions de production de ces piles.

a) L'élaboration de piles à combustibles par procédés plasmas

Pascal BRAULT, Directeur de recherche au CNRS

Je suis chercheur dans un laboratoire d'université d'Orléans associé au CNRS et Directeur de recherche au CNRS. Il s'agit d'un des premiers mariages entre universités et établissements, conformément à ce qu'a souhaité le législateur.

Je vous présenterai un projet d'élaboration, par procédés plasmas, de piles à combustibles en couche mince.

L'objectif de ce projet consiste à diminuer les coûts de fabrication de ces piles extrêmement prometteuses comme source d'énergie électrique, qui pourraient contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Nous avons mené ce projet en partenariat avec deux laboratoires, à Montpellier et à Orléans, une collectivité locale, l'agglomération du Drouet, et une PME industrielle, MHS-équipement.

L'enjeu consiste à innover à la fois scientifiquement et techniquement sur la fabrication de ces piles.

(1) Objectifs scientifiques et technologiques

En ce qui concerne la fabrication et l'utilisation des piles à combustibles, il existe encore d'énormes verrous. Pour élaborer ces piles, il faut concevoir, construire et valider les réacteurs plasmas dédiés à la fabrication de ces coeurs de pile. Il convient également réaliser les coeurs de piles, avant de les intégrer dans un certain nombre d'objets.

Nous nous intéressons à des applications pouvant aller jusqu'à quelques centaines de watts, voire plus, en vue de l'intégration de ces piles à des dispositifs dits « portatifs », comme les téléphones portables, les ordinateurs, etc. Elles pourraient également avoir des utilisations domestiques.

(2) Le montage du projet

Mener un projet commun, dans lequel tous les partenaires sont à égalité et apprennent le langage de l'autre, s'est avéré être une démarche innovante, à la fois pour les chercheurs, la PME ou l'agglomération.

Ce projet a été soutenu par l'Europe et l'Etat. Nous avons également reçu les encouragements de la région Centre, de l'agglomération de Dreux, du Conseil général d'Eure-et-Loir ainsi que du groupe industriel. Nous avons obtenu un montant relativement élevé pour un travail de recherche de trois ans.

(3) Pourquoi Dreux ?

Suite aux problèmes rencontrés par la population locale, en raison de délocalisations d'entreprises très importantes, notre projet a bénéficié d'un plan de redynamisation. A cette occasion, l'agglomération de Dreux a également créé un outil de développement, qu'elle a appelé MIT Dreux Innovation, à travers lequel nous pouvons échanger sur ce projet pilote.

(4) Enjeux stratégiques

L'attractivité économique constitue le premier des enjeux, puisqu'il s'agit de résoudre des problèmes de production d'énergie propre. Ce projet nous a permis de recruter des personnels compétents et, partant, de donner des débouchés à des doctorants.

Il constitue également un vecteur de compétitivité économique. Si la recherche est conduite au sein de laboratoires, ses produits ont vocation à en sortir, l'idée étant de les appliquer au niveau des territoires au moyen de partenariats innovants.

Enfin, nous obtiendrions une très grande victoire si nous pouvions parvenir à notre objectif final, qui consiste à créer 200 emplois à l'occasion grâce à l'implantation dans l'agglomération d'une unité de fabrication.

(5) Etat d'avancement du projet

Nous avons réussi à fabriquer ces piles et à mesurer leurs performances. Elles se situent pour l'instant au niveau du standard international actuel, mais dans des dimensions extrêmement réduites. Elles fournissent de 100 à 400 miniwatts par centimètre carré, ce qui signifie que, pour un élément de pile de 10 centimètres sur 10 centimètres, nous obtenons quelques 40 watts de courant.

Depuis son lancement, en amont, par des travaux de recherche fondamentale, deux brevets ont été déposés. Un troisième est en cours.

Nous souhaitons aboutir à un prototype industriel qui réunisse les compétences des deux laboratoires en un lieu. Nous espérons que ce prototype conduise à la fabrication de machines de production, qui nécessitent à leur tour d'employer de jeunes chercheurs.

Je remercie tous ceux qui nous ont soutenus : nos collègues, nos tutelles, ainsi que nos partenaires habituels.

Frank NIEDERCORN

D'après ce que vous nous avez indiqué, vous demandez une aide de 44 000 euros pour fabriquer le prototype. Plus précisément, quelles seraient les fonctions et les principales caractéristiques de ce prototype ? Quel calendrier vous permettrait-il d'aller plus loin ?

Pascal BRAULT

Actuellement, nous nous situons encore dans la phase de construction de ce prototype. La phase de montage doit démarrer au début du mois de mars à Dreux. Le prototype aura pour fonction de fabriquer les piles à combustibles. Actuellement, une partie du coeur de pile est conçue à Montpellier. Il s'agit de l'électrolyte, c'est-à-dire la partie isolante. A Orléans, nous fabriquons les électrodes.

La pile à combustible s'apparente à une pile de lampe de poche. Elle est composée de deux bornes, les électrodes, entre lesquelles se trouve un liquide visqueux, l'électrolyte. Nous avons réussi à miniaturiser et à solidifier ce type de pile.

Grâce au prototype, les piles à combustibles pourront être fabriquées à l'aide d'une seule technologie intégrée, celle-ci ayant fait ses preuves dans le monde de la microélectronique.

Pour affiner et achever ce travail, nous souhaiterions pouvoir bénéficier de l'équivalent de deux ans de salaire d'un post-doc expérimenté. Un post-doc est un étudiant qui, ayant fini sa thèse, cherche à confirmer ses compétences au sein d'un laboratoire ou d'une entreprise.

b) Pile à combustible microbienne : transformer les déchets en électricité

Alain BERGEL

Je voudrais remercier le comité qui a sélectionné notre projet.

Dans le domaine des piles à combustibles, nous devons encore faire face à deux verrous technologiques importants. Pour que ces piles fonctionnent en effet, il convient de faire en sorte que l'hydrogène et l'oxygène réagissent très rapidement et respectivement sur l'une et l'autre des électrodes et, partant, trouver les catalyseurs adéquats. Généralement en platine, parfois en cobalt ces derniers sont relativement coûteux. Ils exigent en outre des combustibles particulièrement purs.

(1) Découverte de la pile à combustible microbienne

La pile microbienne a été trouvée quelque peu par hasard par des chercheurs du Massachusetts, qui, dans le cadre de leurs travaux de recherche fondamentale, ont été amenés à poser une électrode au dessus d'un récipient d'eau de mer.

Au bout de quelques semaines, ils se sont rendu compte que l'électricité passait entre les deux électrodes. Tout leur génie a consisté à démontrer que le flux d'électricité était rendu possible par la présence de micro-organismes posés sur l'anode. Ces derniers en effet étaient capables d'arracher de la matière organique à des déchets contenus dans les sédiments et de les faire passer dans l'électrode. En d'autres termes, il s'est avéré que ces micro-organismes réalisaient la catalyse que nous cherchions à produire à l'aide de métaux très coûteux, tels que le platine.

Dans le même temps, au sein du laboratoire de génie chimique à Toulouse du CNRS en collaboration avec le centre de Saclay du CEA, nous étudiions la corrosion d'aciers inoxydables en mer.

Nous nous sommes aperçus qu'en favorisant les phénomènes de corrosion induits par les micro-organismes, nous arrivions à catalyser une réaction sur la cathode.

Ces deux recherches, alors menées de manière totalement indépendantes, ont abouti en 2002. A cette date, nous avons déposé un brevet, tandis que les équipes du Massachusetts ont réalisé des publications pionnières dans Nature and Science .

Dans les deux cas, les recherches ont abouti à une véritable avancée scientifique : la découverte que des micro-organismes sont capables d'adhérer à des surfaces conductrices et de brancher leur métabolisme sur cette surface solide.

(2) Ce nouveau domaine de recherche se transformera-t-il en rupture technologique ?

Depuis 2002, les équipes américaines ont répondu par l'affirmative, en soulignant le caractère peu coûteux de ce développement naturel de catalyseurs sur des électrodes.

Ces micro-organismes en effet sont capables d'utiliser de la matière carbonée, des sédiments, des effluents, etc. soit un combustible très bon marché. Par ailleurs, il s'agit d'un processus « gagnant-gagnant », la pose d'une telle pile sur une station d'épuration d'effluents ayant pour effet d'activer le process de traitement des effluents.

D'autres ont eu l'idée d'utiliser des déchets agricoles, permettant ainsi de créer une filière d'énergie, alternative aux biocarburants de deuxième génération.

(3) Rêve de chercheur ou émergence d'une nouvelle technologie ?

La réponse à cette question dépendra des puissances produites. Pour calculer les puissances maximales, certains chercheurs ont eu l'idée de placer des micro-organismes sur les électrodes, de manière très resserrée. Ce faisant, ils ont obtenu 2 watts par mètre carré.

Nous avons mené des expérimentations au sein de notre laboratoire, et nous avons obtenu 5 watts par mètre carré. Nous avons donc réussi à dépasser les puissances limites théoriques. Dans ce domaine, des recherches fondamentales restent à mener.

A titre de comparaison, je rappelle que la puissance de l'énergie photovoltaïque s'élève à100 watts par mètre carré. Il s'agit néanmoins d'une technologie mature. Avec les piles à combustible microbiennes, qui constituent une technologie dont le concept est né il y a cinq ans, nous arrivons déjà à 5 watts. Nous disposons donc d'une marge de progression prometteuse.

Si nous avons pu obtenir cette puissance, c'est grâce aux recherches des équipes américaines, qui, en 2005, se sont aperçues que des micro-organismes fabriquaient des nano-fils électriques.

(4) Etat d'avancement du projet

En 2002, nous avons déposé un brevet. Nous avons mis près de cinq ans pour trouver un financement nous permettant de continuer le projet. En décembre 2004, nous avons eu la chance de gagner un appel d'offres européen New and Emerging Science and Technology . Nous étions le premier programme coordonné par la France que cet appel d'offres finançait, à hauteur d'1,9 million d'euros.

Nous avons par ailleurs bénéficié, en 2005, des programmes blancs. Par conséquent, je vous transmettrai le message suivant. Ne créons pas de vallée de la mort sur la recherche fondamentale. Au sein des laboratoires, nous avons besoin de ces financements récurrents pour développer de nouvelles idées.

Depuis 2005, nous avons, d'une part, déposé deux nouveaux brevets et, d'autre part, effectué une dizaine de publications. A cette époque, 29 brevets avaient déjà été déposés sur cette thématique, dont plus de 60 % aux Etats-Unis et en Corée.

(5) Applications

Les applications de ces piles concernent des domaines très variés : sédiments marins, effluents aqueux (stations d'épuration), robots hominisés, etc.

Au-delà du soutien financier, nous souhaiterions voir la création d'un forum de discussion avec les divers partenaires industriels pour savoir, en fonction de leurs compétences, quelles seraient pour eux les applications les plus prometteuses.

Etant donné son caractère pluridisciplinaire, cette recherche est menée en collaboration entre des microbiologistes, des experts en matériaux, nos collègues du centre de Saclay (CEA) ainsi que du CNR ISMAR à Gênes.

Frank NIEDERCORN

A quelle date envisagez-vous les premières applications concrètes de cette technologie ?

Alain BERGEL

Les premières applications concrètes seront mises en oeuvre en 2008. Il suffit pour cela de trouver des niches de marché où une faible puissance est suffisante, par exemple, pour alimenter des capteurs marins. Dans ce domaine en effet, où changer des piles coûte très cher, les piles à combustible microbiennes sont l'outil idéal, dans la mesure où, grâce aux sédiments marins, elles pourront fonctionner, même à une faible puissance, pendant des années.

Pour concurrencer les biocarburants de deuxième génération en revanche, nous devrons encore attendre vingt à trente ans.

C'est pour cette raison que nous appelons de nos voeux un forum de discussions avec les industriels.

S'agissant des capteurs marins, nous avons commencé à discuter avec l'IFREMER. Nous pourrions également intervenir dans le traitement d'effluents très ciblés.

En Australie par exemple, il existe une pile qui traite des effluents de brasserie.

c) Utilisation de la phytoremédiation comme solution à la pollution environnementale

Abdelhak EL AMRANI

Nos travaux de recherche ayant été menés en équipe, nous souhaitions qu'au moins deux personnes puissent vous les présenter.

Je céderai donc la parole à Christophe Biteau, qui travaille sur ce projet dans le cadre d'un CDD de dix mois. J'insiste sur cet aspect pour vous montrer la précarité des personnes qui travaillent sur ce type de projet, en dépit de leur importance et de leurs répercussions.

(1) Equipe et thématique de recherche

Christophe BITEAU

Avant de vous présenter notre équipe et sa thématique de recherche, je voudrais vous remercier pour la mise en avant de notre projet au sein de cette assemblée.

Notre équipe comprend trois personnes : Abdelhak El Amrani, Francisco Cabello Hurtado, maître de conférences, et moi-même, technicien.

Nous travaillons sur les effets des polyamines exogènes sur l'activation de la tolérance aux xénobiotiques chez les plantes supérieures. Cette équipe s'inscrit dans le centre armoricain de recherche en environnement au sein de l'unité mixte de recherche UMR-CNRS 6553 de l'université de Rennes 1. Cette UMR est composée d'une majorité d'enseignants-chercheurs. Elle est riche de très nombreuses publications scientifiques et se distingue par une participation dans des programmes de recherche nationaux, européens et internationaux.

Les premières recherches ont été initiées par l'ancienne équipe « expression génétique et adaptation » sur une thématique générale de réponse des organismes aux contraintes environnementales.

Il s'agissait d'étudier chez les plantes des mécanismes génétiques impliqués dans la tolérance aux polluants. Les premiers résultats ont fait l'objet d'un dépôt de biotechnologies environnementales liées au problème de la pollution des sols. Dans ce domaine, deux types d'approches de remédiation coexistent :

· une méthode fondée sur l'extraction des sols pollués, qui s'avère coûteuse et perturbatrice pour le milieu ;

· une méthode plus respectueuse de l'environnement la phytoremédiation.

Cette méthode assure une fonction épuratoire des polluants organiques et chimiques sur de grandes surfaces et à un coût bien moindre. Il s'agit d'une technologie émergente dont les retombées financières se chiffrent en centaines de millions de dollars, avec un marché potentiel de plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Avant de laisser le soin à Abdelhak El Amrani, porteur du projet, de vous présenter l'invention plus en détail, j'ajoute que celle-ci se fonde sur l'amélioration des capacités naturelles phytoremédiatrices des plantes et non sur la transgenèse, modification d'organismes génétiques.

(2) La phytoremédiation comme solution à la pollution environnementale

Abdelhak EL AMRANI

Comme Christophe Biteau vient de vous l'expliquer, il existe deux types de brevets :

· un brevet basé sur la transgenèse, procédé rejeté par l'opinion publique européenne ;

· un brevet fondé sur l'amélioration de la capacité de bioaccumulation et de biodégradation des xénobiotiques.

Pour mener nos travaux, nous avons utilisé deux modèles :

· l'Arabidopsis Thaliana, plante dont le génome est complètement séquencé et annoté, autour de laquelle s'est constitué un consortium international pour comprendre le développement chez les plantes supérieures ;

· l'atrazine, herbicide utilisée depuis une quinzaine d'années, dont nous connaissons l'impact sur l'environnement et la santé humaine.

Par hasard, nous nous sommes rendu compte que l'addition de molécules simples et biodégradables telles que le sucre soluble était capable d'apporter des protections extrêmement significatives et permettait aux plantes de dégrader davantage les polluants.

En utilisant des approches génomiques, avec l'aide de la plateforme Transcriptomique d'Evry, nous avons confirmé cette découverte, dont les répercussions en biotechnologie environnementale, notamment dans le domaine de la phytoremédiation, sont extrêmement fortes.

Trois brevets ont été déposés : deux français et un américain.

Simples et biodégradable, ces molécules améliorent de façon extraordinaire la capacité des plantes à absorber et dégrader les polluants. Elles améliorent donc la phytoremédiation sans passer par des procédés de transgenèse.

Récemment, nous avons démontré que les polyamines, molécules présentes dans tous les systèmes vivants, étaient capables de stimuler de manière assez spectaculaire le développement des plantes. Nous avons comparé des plantes ayant poussé en présence d'atrazine, en présence de sucre biodégradable et en présence de putrescine.

Nous nous sommes rendu compte que ces polyamines activaient de manière importante la rhizogenèse et le développement des primordiums racinaires.

Ce faisant, nous activons la surface en contact avec les polluants et, partant, leur pente d'absorption.

Cette découverte nous permet de penser que les plantes sont susceptibles de se développer sur des sols fortement pollués, dont elles absorbent un large spectre de polluants.

Il convient donc de mettre en avant la stratégie de phytoremédiation, déjà largement utilisée aux Etats-Unis où le marché est en progression exponentielle.

Plusieurs contacts ont été établis avec des entreprises françaises, américaines et canadiennes. Actuellement, nous travaillons avec une coopérative d'élevage sur la problématique de la libération des nitrates dans l'environnement, qui constitue un problème majeur en France, notamment en Bretagne. Ce problème est partagé par tous les pays dont l'activité agricole est importante.

Les opérations de transfert ont été principalement gérées par Bretagne Valorisation, en collaboration avec le centre de biotechnologie de Bretagne Rennes Atalante. Le soutien financier a été assuré par Rennes Métropole.

(3) Nos perspectives

Nous souhaitons continuer à rechercher des mécanismes de détoxification en utilisant des approches de génomie. Ensuite, nous valoriserons ces brevets. Notre projet ayant été identifié à ses débuts comme appartenant à la recherche fondamentale, nous avons rencontré, au moment de sa valorisation et commercialisation, un certain nombre de contraintes, liées notamment au caractère discontinu des financements tant publics que privés. Pour ce type de projet, qui se situe véritablement au coeur de la vallée de la mort, il est difficile d'obtenir des soutiens, pour engager des CDD et des CDI.

Frank NIEDERCORN

Il semble que vous soyez en mesure de chiffrer votre marché potentiel en Europe. Votre affirmation selon laquelle vous rencontriez des difficultés auprès des industriels m'a étonné dans la mesure où nous disposons, en France notamment, de grandes entreprises industrielles dans les domaines du traitement des eaux, de l'environnement, etc.

Abdelhak EL AMRANI

Les Américains se sont rendu compte plus rapidement que nous des répercussions sévères que la pollution environnementale avait sur la santé publique. Ces impacts ont été décrits dans plusieurs articles publiés il y a quelques années déjà.

Plutôt que de continuer à investir dans les dépenses de santé, ils ont choisi d'améliorer leurs conditions environnementales. Pour ce faire, ils ont réduit le taux de traitement, à partir duquel un industriel est mis dans l'obligation de traiter la pollution de son environnement. En Europe en revanche, ce niveau reste relativement élevé. Des évolutions sont néanmoins en cours. Une fois calé sur le niveau américain, le marché européen deviendra extrêmement intéressant.

Frank NIEDERCORN

Il s'agit donc avant tout d'un problème de réglementation.

Abdelhak EL AMRANI

Les personnes avec lesquelles nous sommes entrés en contact appartiennent à des entreprises qui souhaitent se positionner sur le marché de la phytoremédiation en attendant que la situation évolue. Pour l'instant néanmoins, ce positionnement n'est pas aussi crucial qu'aux Etats-Unis.

Outre les deux brevets que nous avons déposés en France, la cellule Bretagne Valorisation nous a incités à déposer un brevet aux Etats-Unis.

Philippe ADNOT

Dès lors, pourquoi n'avez-vous pas déjà développé votre affaire aux Etats-Unis ?

Abdelhak EL AMRANI

Après avoir réalisé ma thèse et m'être marié à Bordeaux, j'ai effectué un premier post-doc en Ecosse, un deuxième en Allemagne, un troisième en Angleterre. Aujourd'hui, je souhaite rester auprès de ma famille, qui vit en France. Dans le cas contraire, je serais parti aux Etats-Unis.

Malheureusement, c'est ce qu'ont été amenés à faire nombre de mes amis chercheurs. Je déplore en effet que nous laissions partir aux Etats-Unis ces personnes formées dans des centres de recherche français extraordinaires.

d) Lutte biologique contre les légionelles

Jacques BODENNEC

Nos recherches ont porté sur un procédé de lutte biologique contre les légionelles. Pour ce faire, nous avons utilisé un protozoaire, c'est-à-dire une amibe libre, baptisée Willaertia .

Ces recherches ont été menées au sein de notre laboratoire, hébergé par l'Université Claude Bernard Lyon-1, avec le soutien de la cellule de valorisation du PRES Lyon Sciences Transfert.

(1) Qu'est-ce que la légionelle ?

La légionelle représente un groupe composé d'un peu moins de cinquante espèces, la majorité d'entre elles n'étant pas pathogènes.

Lorsque nous parlons de légionellose, nous nous référons en réalité à l'espèce legionella pneumophila , responsable en France de 98 % des cas de légionellose, encore appelée « maladie du légionnaire ».

La légionellose est un problème de santé publique puisque nous nous situons au dessus des 1 000 cas de patients déclarés atteints par cette maladie chaque année.

Par ailleurs, les légionelles ont certainement un impact économique conséquent, qui reste néanmoins relativement méconnu, très peu d'études exhaustives ayant été effectuées sur le sujet.

A titre d'exemple, je poserai une simple question.

Combien coûterait la fermeture d'une tranche nucléaire, suite à des problèmes de légionelle, émise par les tours aérofrigérantes de ces centrales ? Combien coûterait ensuite leur remise en service ?

La mise en place de plans de surveillance et de prévention, rendue obligatoire dans certaines industries a également un impact économique certain. Ces plans de prévention, qui impliquent l'utilisation massive d'agents biocides et biochimiques (plusieurs milliers de tonnes par an) peuvent aussi avoir des répercussions négatives et méconnues sur l'environnement.

De même, nous pouvons citer l'investissement des industries dans des installations énergétivores, pour traiter les légionelles par des approches physiques comme l'utilisation de chocs thermiques dans les installations hydriques.

Je qualifierai pour ma part les approches actuelles pour essayer de contrôler la prolifération de la bactérie pathogène de « plan A », c'est-à-dire un plan relativement empirique, visant à « assommer à coup de massue » cette bactérie qui pourrait s'avérer dangereuse.

Ne pourrions-nous pas imaginer un « plan B » qui permettrait au système économique de continuer à produire de la valeur ajoutée tout en préservant au maximum l'environnement ?

Il faut savoir que les légionelles ne sont pas les uniques coupables du problème de la légionellose dans la mesure où la prolifération de la bactérie dans le milieu dépend de nombreux autres facteurs, notamment des facteurs microbiologiques.

Parmi ces facteurs microbiologiques, je citerai le problème des amibes libres, qui a été relativement bien caractérisé ces vingt dernières années.

Il s'agit d'espèces unicellulaires, qui non seulement servent de vecteur à la bactérie pathogène mais favorisent également la résistance de l'espèce legionella pneumophila à l'ensemble des traitements physico-chimiques utilisés pour prévenir la prolifération de la bactérie. Ces amibes libres constituent également le terrain favorable à la sélection des mécanismes de virulence à la bactérie.

Si, jusqu'à présent, seules quelques espèces d'amibes ont été étudiées, l'ensemble des études sur le sujet a montré que chaque espèce d'amibe a la faculté de servir de vecteur à la prolifération de la bactérie.

Nos travaux ont consisté à isoler deux souches d'une autre espèce, baptisée Willaertia Magna, qui n'avait pas ou très peu été étudiées jusqu'à aujourd'hui. Ces deux souches ont, que nous avons déposées à l'American Tissue Culture Collection (ATCC), ont démontré des propriétés très originales dans la mesure où les Willaertia Maki présentent une résistance face à la bactérie pathogène.

Nous avons également pu démontrer la capacité de ces souches à inhiber la croissance de la bactérie pathogène, contrairement aux autres genres amibiens qui au contraire favorisent la prolifération.

Nous avons découvert une autre propriété tout à fait originale, qui n'avait jamais été rapportée jusqu'à présent. Non seulement Willaertia Maki résiste à la bactérie pathogène et inhibe sa croissance mais elle est en plus capable de phagocyter et de détruire les autres agents amibiens servant de vecteurs à la bactérie pathogène.

Frank NIEDERCORN

Si j'ai bien compris, ces propriétés ont été validées en laboratoire. Il vous reste à trouver la possibilité de travailler avec des industriels pour valider ces concepts à l'échelle d'un pilote.

Jacques BODENNEC

Nous avons mis au point en laboratoire un procédé qui pourrait éventuellement être utilisé dans le cadre d'une approche de lutte biologique.

Nous recherchons un partenaire industriel de façon à vérifier à un niveau industriel ou semi-industriel la faisabilité du concept développé en laboratoire.

De la salle

Recherchez-vous des partenaires au niveau français, européen ou mondial ?

Jacques BODENNEC

Si en tant que fonctionnaire et citoyen français, ma préférence va naturellement aux entreprises françaises, je suis également un Européen convaincu. Je n'ai donc aucune restriction de nationalité.

Frank NIEDERCORN

Quelles seraient les sommes en jeu pour passer à un stade de validation du concept ?

Jacques BODENNEC

J'ai estimé la phase de validation du concept à 40 000 euros, qui représentent globalement les charges de personnels nécessaires pour engager les techniciens permettant de réaliser cette expérience.

Outre cette somme, il convient qu'un industriel accepte de mettre à notre disposition des pilotes afin de réaliser des essais dans un environnement adéquat. S'agissant de bactéries pathogènes en effet, nous ne pouvons pas envisager d'effectuer ces essais dans un garage ou dans une cave.

e) Echanges avec la salle

De la salle

Ma question s'adresse à Monsieur El Amrani. Les plantes absorbent-elles ou transforment-elles les toxiques ?

Abdelhak EL AMRANI

Il s'agit d'une question récurrente qui consiste à se demander si, lorsqu'elles absorbent un polluant, les plantes le stockent ou le dégradent.

Il existe des molécules, comme l'atrazine, qui ont un groupement chlore. Une fois ce groupement clivé, le reste de la molécule est complètement transformé en eau et en CO 2 , avant de passer dans le métabolisme général.

Les métaux lourds en revanche sont des molécules non métabolisables, qui seront stockés dans un certain nombre de compartiments de la plante. Dans ce cas, la stratégie de phytoremédiation consiste, après un certain temps de culture, à traiter les plantes qui auront agi à la manière d'un filtre vis-à-vis des polluants.

Il existe néanmoins d'autres stratégies. La plante peut par exemple convertir ce type de molécules en des molécules non toxiques. Il en est ainsi du chrome dont la toxicité vis-à-vis de l'homme disparaît après conversion.

La stratégie de remédiation dépendra de la nature de la molécule polluante. Des études publiées par la revue Nature , puis ayant donné lieu à un article dans Le Monde , ont par exemple montré que certaines plantes étaient capables de stocker de l'arsenic. D'autres peuvent absorber et stocker des éléments de radioactivité.

Par conséquent, la phytoremédiation permet de gérer beaucoup plus facilement les problèmes de pollution que d'autres stratégies, plus lourdes et coûteuses, comme l'excavation, méthode utilisée par Metaleurop, consistant à traiter directement les sols, ce qui revient à les stériliser complètement.

De la salle

De quelles plantes s'agit-il exactement ? Quelles méthodes de destruction de la plante préconisez-vous et à quel moment ?

Abdelhak EL AMRANI

Lorsque le polluant est biodégradable, nous nous contentons de laisser pousser la plante qui le métabolisera naturellement. Pour le traitement des polluants non métabolisables, les plantes sont incinérées. Ces procédés sont actuellement largement utilisés aux Etats-Unis par des entreprises qui en vivent.

De la salle

Un type de plantes spécifique doit-il être utilisé ?

Abdelhak EL AMRANI

Pour procéder à une dépollution, il convient d'utiliser des plantes à croissance explosive. Pour nos travaux, nous nous sommes servis d'une plante de laboratoire, dont nous connaissons parfaitement le génome. Il s'agit d'une plante de petite taille, dont le cycle de développement est très rapide. Sur le terrain, la stratégie est complètement différente, les professionnels ayant recours à des arbres de peuplier, dont la croissance est extraordinaire par rapport aux autres espèces.

De la salle

Cette méthode ne risque-t-elle pas de créer une autre sorte de pollution ? Je pense notamment à l'odeur de la putrescine.

Abdelhak EL AMRANI

Les polyamines que nous utilisons le sont à des doses extrêmement faibles, ce qui explique que les répercussions en termes d'odeur soient nulles. En revanche, nous pourrions nous interroger sur l'évolution de ces molécules, une fois libérées dans l'environnement.

A cette question, je répondrai que les polyamines sont des molécules que nous retrouvons sur l'ensemble des êtres vivants, des bactéries aux systèmes les plus complexes. Par ailleurs, étant donné leur caractère métabolisable, leur durée de vie est, malgré leur effet stimulateur, relativement courte.

Eric PAPON, Directeur d'un Institut Carnot

Je m'interroge sur la stratégie de valorisation des recherches. Il me semblerait intéressant de procéder à une remise à plat de l'ensemble des outils de valorisation existants ainsi que des stratégies qui permettent une évolution intelligente de toutes les recherches menées dans ces laboratoires.

Frank NIEDERCORN

Messieurs, êtes-vous satisfaits de l'existence des outils de valorisation que vous avez à votre disposition ?

Philippe ADNOT

J'ai moi-même effectué un rapport sur la valorisation de la recherche que les quatre universités de Bordeaux m'ont invité à présenter. Je crois savoir qu'elles ont un projet de regroupement de leurs outils de valorisation, dont la responsable est extraordinairement dynamique.

Dans ce domaine, il me paraît essentiel de rester très pragmatique et de donner la priorité à l'efficacité. Il ne s'agit pas d'enfermer les acteurs de la recherche dans un carcan administratif ou de définir des périmètres tracés d'avance, mais au contraire chercher à s'adapter aux situations.

Dans le cadre de mon rapport sur la valorisation, j'ai visité l'hôpital Hadassah en Israël. J'ai découvert que, tout en étant dans le même bâtiment, l'université de Jérusalem et l'Hôpital disposaient de deux instruments de valorisation et ce, dans un souci d'efficacité. Si un certain nombre de fonctions méritent d'être mutualisées, d'autres éléments originaux doivent être valorisés d'une manière particulière.

Personnellement, je suis convaincu qu'il n'existe pas de réponse définitive sur ce sujet. Selon moi, les universités de Bordeaux sont sur la bonne voie.

Frank NIEDERCORN

Dans vos laboratoires respectifs, quel appui avez-vous obtenu de la part de vos structures de valorisation ?

Jacques BODENNEC

J'évoquerai la cellule de valorisation Lyon Science Transfert. Jusqu'à récemment, il existait dans la région lyonnaise plusieurs cellules de valorisation. Elles ont été regroupées en une seule cellule, dirigée par Marc Le Gal.

Marc LEGAL

La partie contractuelle, c'est-à-dire la recherche partenariale, est encore répartie entre les différents établissements. Nous n'avons mutualisé que la partie amont de la valorisation. Auparavant en effet, une même personne traitait, dans chaque établissement, les matériaux, les semi-conducteurs, etc.

En regroupant ces cellules, nous avons créé des pôles de compétences, permettant ainsi d'offrir un service accru aux chercheurs.

Frank NIEDERCORN

Si j'ai bien compris, une fois la partie contractuelle du travail effectuée, les chercheurs s'adressent à une structure plus commune aux différents types de travaux menés en amont, de manière à faciliter la valorisation.

Marc LEGAL

L'idée de ce regroupement était d'aboutir à des pôles de compétences, au sein desquels un certain nombre de fonctions (gestion de la propriété industrielle, question de la vielle technologique, etc.) seraient mutualisées. Pour les créations d'entreprise ou les contrats de recherche partenariale, nous passons le relais à l'incubateur ou aux structures présentes au sein des établissements.

De la salle

Je souhaiterais vous interroger sur la question de la déforestation mondiale, en particulier de la forêt amazonienne, de l'Afrique du Nord, etc. Avez-vous des projets pour protéger ces forêts qui sont le poumon du monde ?

Frank NIEDERCORN

Si votre question est intéressante, elle est quelque peu éloignée des sujets qui viennent d'être abordés.

Philippe ADNOT

Ce matin, alors que nous évoquions la construction de maisons en bois écologiques, une personne nous a demandé d'où provenait ce bois.

Il convient d'avoir à l'esprit que la forêt n'est un recycleur de carbone extrêmement efficace que lorsqu'elle est jeune et en mouvement. Un vieil arbre en effet ne participe plus à la protection de la nature. Dans sa phase d'autodestruction, il devient au contraire polluant. Il est par conséquent essentiel que la forêt vive, qu'elle évolue et se remplace.

En France, la surface occupée par la forêt a augmenté considérablement, avec des arbres renouvelés dont les capacités à servir l'environnement sont bien supérieures à des forêts dont l'état serait figé.

Je poserai quant à moi une question à Jacques Bodennec. Lyon 1 a développé une fondation tout à fait originale, dont je me suis inspiré dans la loi sur l'autonomie des universités, pour créer le deuxième type de fondation partenariale.

Cette fondation ne peut-elle pas vous aider à réunir la somme que vous demandez, dont le montant n'est pas très élevé ?

Jacques BODENNEC

Nous nous adresserons certainement des demandes de financement à cette fondation toute récente, qui a été instaurée il y a quelques mois.

En ce qui concerne le soutien que nous apportent les filiales de valorisation, nous recevons une aide pour tous les aspects administratifs de la recherche de partenaires industriels. Les chercheurs, en effet, ne sont pas uniquement préoccupés par des questions de moyens.

Ainsi, si nous avons fait une demande financière dans le cadre d'un appel à projet au niveau de Lyon Science Transfert, aujourd'hui, nous recherchons également un partenaire de façon à pouvoir procéder aux essais en conditions industrielles.

Philippe ADNOT

C'est tout l'intérêt de « Tremplin recherche » que d'éveiller la curiosité des personnes susceptibles de vous aider.

J'espère que les présentations que vous avez effectuées aujourd'hui vous donneront cette possibilité.

De la salle

Je préciserai que le réseau Curie des chargés de valorisation, de même que les grands organismes, ont mis en place un site, dans lequel vous retrouverez toutes les technologies déposées par les grands organismes et les universités. L'adresse est la suivante : www.f2t.fr.

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