3ème édition de TREMPLIN RECHERCHE



Colloque - Palais du Luxembourg 12 février 2008
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OUVERTURE DE « TREMPLIN RECHERCHE,
CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

M'adressant à toutes et à tous sans distinction, autorisez moi à vous dire, dans le cadre de cette manifestation conviviale et amicale, « chers amis ».

Je vous souhaite la plus cordiale bienvenue, pour cette troisième édition de « Tremplin recherche », une initiative prise il y a quelques années par le Sénat, dont la volonté est de s'ouvrir vers l'extérieur. Mesdames Pécresse et Kosciusko-Morizet vous prient de bien vouloir les excuser. Elles ont dû accompagner le Président de la République en Guyane et regrettent de ne pas être avec vous.

Fidèle à sa vocation de chambre de réflexion, le Sénat a souhaité, il y a trois ans, jeter le plus de passerelles possibles avec le monde politique, le monde des entreprises, le monde de la culture et celui des chercheurs. C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de créer en 2005, avec mes collègues, « Tremplin entreprises ». Je remercierai en particulier Monsieur Philippe Adnot, Monsieur Emorine, Président de la Commission des affaires économiques du Sénat, Jacques Valade ainsi que Henri Revol, pour leur soutien constant dans cette entreprise.

Au départ en effet, nous n'étions pas assurés de succès. Il n'est pas néanmoins nécessaire de s'assurer d'un succès pour entreprendre, mais de faire preuve d'un peu d'audace.

Cette manifestation, menée en étroite collaboration avec le monde de la recherche et celui de l'entreprise, réunit au Sénat chercheurs, universitaires, investisseurs, entrepreneurs et politiques afin de réfléchir ensemble et de proposer des mesures concrètes et utiles susceptibles d'améliorer au quotidien la valorisation de la recherche.

Notre objectif est de bien maîtriser la matière sur laquelle nous sommes quotidiennement appelés à légiférer. Comme le recommandait Jules Ferry : « veillons à faire en sorte que la loi soit bien faite ».

C'est la raison pour laquelle le Sénat français est la seule institution démocratique qui envoie ses élus, toutes tendances confondues, en stage au sein d'entreprises industrielles, de services, touristiques, sur le terrain, pour se rendre compte de comment les choses se passent. Désormais, des stages sont également prévus au sein d'institutions judiciaires ou dans les armées.

Au départ, cette démarche n'était pas toujours bien comprise. Aujourd'hui, je me félicite que la plupart des Sénateurs aient accepté ces stages. Certains d'entre eux les renouvellent même parfois.

Cette journée est l'occasion de mettre en avant le thème de la recherche et de l'industrie au service de l'écologie et du développement durable.

En 2007, avec la mise en place du Grenelle de l'environnement, auquel le Sénat tout entier a été associé, la conservation de la planète a été élevée au rang de priorité nationale par le Président de la République. Le Sénat a adopté cette démarche en faisant aujourd'hui de l'écologie et du développement durable le fil rouge de « Tremplin recherche ». Cette thématique s'inscrit dans un travail d'envergure, entrepris avec la loi relative aux libertés des universités, adoptée en juillet 2007.

Néanmoins, des efforts sont encore à mener pour rapprocher universités et chercheurs. Si la démarche semble relativement bien comprise, elle reste difficile à mettre en application. Cette situation ne me surprend pas. En France en effet, tout le monde demande la réforme sauf pour soi-même. Par conséquent, il nous appartient de concilier ces exigences contradictoires.

Cette opération a pour objectif de permettre aux universités d'affirmer leur excellence scientifique. Cet objectif sera au coeur de différentes manifestations organisées par le Sénat, tout au long de cette année parlementaire. Nous avons souhaité une véritable continuité dans l'action du Sénat et ce, tout d'abord, à travers « les rendez-vous du Sénat économie », qui se sont déroulés en novembre 2007 et ont accueilli 3 000 personnes au Sénat. En juillet prochain, nous organiserons une nouvelle édition de « Tremplin entreprises », qui fêtera cette année, sur ce même thème de l'écologie, son dixième anniversaire.

En conviant aujourd'hui au Sénat, des représentants du monde de l'entreprise et de la recherche ainsi que les élus politiques, nous avons souhaité agir dans une inéluctable complémentarité, que je ne cesse de favoriser depuis mon accession à la présidence du Sénat.

En effet, c'est seulement ensemble que nous pouvons contribuer à prouver que le développement économique et la protection de l'environnement ne s'opposent pas. Notre action doit être collective, à l'heure où le développement durable est devenu une préoccupation majeure de la société française et où la valorisation de la recherche doit être une véritable priorité politique en Europe et ce, tout simplement parce qu'aujourd'hui, que cela plaise ou déplaise, notre pays est engagé dans un conflit, voire une guerre, de caractère économique, aux dimensions mondiales.

Tous les pays du monde, quels que soient leurs systèmes politiques ou administratifs, n'ont qu'une préoccupation : produire et écouler leur production. Pour ce faire, ils doivent conquérir des marchés, afin de donner du travail et des ressources à leur population.

Les armes ne sont plus comparables à celles utilisées par nos aînés pour conquérir la paix et la liberté. Il s'agit d'armes moins meurtrières mais, en conséquence, souvent douloureuses : turpitudes sociales, monétaires, etc.

Pour gagner cette guerre, il faut être en mesure de présenter, sur les marchés internationaux, les meilleurs produits aux meilleurs prix. C'est l'intelligence, c'est le génie d'être en première ligne.

Je vous incite donc à découvrir tout au long de la journée les 17 lauréats de « Tremplin recherche », qui ont été sélectionnés par le comité scientifique pour la qualité de leurs projets de recherche. Je voudrais très chaleureusement les en féliciter. Je tiens également à adresser mes chaleureux remerciements aux membres du comité scientifique pour leur disponibilité, leur professionnalisme et la qualité de leurs débats.

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, je vous souhaite à toutes et à tous une excellente journée et de fructueux débats sur un thème capital pour l'avenir de notre pays, c'est-à-dire pour l'avenir de chacun d'entre nous.

CONFÉRENCE INAUGURALE
CHARLES WESSNER, DIRECTEUR DES POLITIQUES D'INNOVATION
À LA NATIONAL ACADEMY OF SCIENCES À WASHINGTON

Les membres de l'Académie nationale des sciences, à laquelle j'appartiens, sont souvent entendus par le Congrès à l'issue de leurs recherches. Celles-ci doivent être les plus exactes possibles dans la mesure où il peut arriver que les parlementaires suivent nos recommandations.

a) Un niveau de vie menacé

Aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui estiment que tout va très bien, comme en attestent les conversations sur le Super Bowl, qui me donnent le sentiment d'être stupide.

Or, si notre niveau de vie est particulièrement élevé, cette situation est susceptible de changer très rapidement. Cette évolution a d'ailleurs déjà commencé.

Il suffit de visiter Pékin et Shanghai pour constater que les Chinois n'ont pas adopté les 35 heures. Lorsque je voyage en Asie, en tant qu'expert en innovation, ce sont les ministres qui demandent à me rencontrer. En Europe, je suis reçu par les responsables d'organismes technologiques. Aux Etats-Unis, il est difficile de trouver un interlocuteur.

Face à la croissance de la Chine, il va être très difficile d'accroître et de maintenir notre niveau de vie. C'est pourquoi, nous devons avant tout réaliser que nous avons un défi à relever. Alors que je discutais avec des parlementaires suédois, l'un d'eux a remarqué que les Suédois étaient disposés à faire le nécessaire pour relever les défis de la mondialisation, à condition que rien ne change dans leurs habitudes de vie.

Alors qu'il y a quelques années les Chinois ne représentaient que 6 % de la R&D mondiale, ils atteignent aujourd'hui près de 16 %, dépassant ainsi le Japon et le Royaume-Uni. Les Etats-Unis quant à eux, contrairement à une opinion répandue, souffrent d'un certain nombre de faiblesses structurelles.

Si nous voulons maintenir notre niveau de vie, il convient d'innover. Dans ce processus, les universités sont essentielles. C'est pourquoi, des changements institutionnels sont nécessaires.

b) Les réalisations de la France

Aux Etats-Unis, nous n'avons pas une bonne compréhension de ce qu'a réalisé la France. Il en est ainsi de ces industriels américains qui mettent en doute la capacité industrielle de la France, alors qu'ils viennent de voyager à bord d'un Airbus, puis d'un TGV fonctionnant à l'électricité nucléaire.

J'ai été particulièrement impressionné par la nouvelle réforme des universités. La rigidité du marché du travail constitue l'un des principaux problèmes auquel la France a jusqu'ici été confrontée. Du fait de ces rigidités, il est difficile pour les jeunes entreprises d'embaucher et de licencier des salariés. Dans les années 80, je n'aurais jamais pensé que ce sujet ferait encore l'objet de nos conversations vingt ans plus tard. Je suis heureux de constater que cette réforme contribue à rendre l'environnement des affaires plus propice à la croissance des PME.

Par ailleurs, si j'avais à choisir entre une politique proactive et une politique réglementaire, je privilégierais la seconde. Récemment, des parlementaires allemands avec lesquels je discutais de leur loi sur la faillite m'ont expliqué qu'ils avaient réduit le délai d'interdiction pour monter, suite à une faillite, une nouvelle entreprise, de douze à huit ans.

c) Points forts et faiblesses de Etats-Unis

Il y a de nombreuses années, un observateur français du nom d'Alexis de Tocqueville a analysé notre pays, notamment notre objectif de prospérité individuelle. Si nos procédures sont loin d'être parfaites, il a identifié un certain nombre d'éléments de réussite que je vous rappellerai.

Les Américains ont tout d'abord la culture de la résolution des problèmes, ce qui constitue chez nous une grande force. J'ai été d'ailleurs ravi d'observer le lancement des pôles de compétitivité en France.

Nous avons par ailleurs tendance à accorder facilement une seconde chance. J'ai moi-même soutenu financièrement des amis qui n'ont réussi à monter une entreprise prospère qu'au bout de la troisième tentative. Ne pas accorder une seconde chance à une entreprise serait comme de monter une équipe de football et lui demander de quitter le terrain au premier essai manqué.

Or je rappelle que parmi les grandes marques américaines, comme Intel ou Microsoft, la première a quasiment échoué en 1968 et la seconde a manqué de faire faillite dans les années 80. Les six sociétés qui ont refusé de participer au projet Google, lancé dans la Silicon Valley, parce qu'elles n'y croyaient pas, le regrettent aujourd'hui.

Les Etats-Unis font également face à de nombreux problèmes.

Notre système éducatif ne fonctionne pas correctement. De moins en moins d'étudiants se lancent dans une carrière scientifique. Les évènements du 11 septembre 2001 ont en outre conduit à une diminution des étudiants étrangers. Nous souffrons également d'un manque de soutien pour la commercialisation de notre filière scientifique.

La stratégie de Lisbonne présente l'avantage d'obliger les pays à se concentrer sur l'innovation. Néanmoins, seule la production est évaluée et non les efforts qui sont menés pour aboutir à cette innovation. Les Indiens, les Chinois et les Suédois en revanche ont eu l'idée de convertir ses investissements de recherche en connaissances, en produits et en processus susceptibles d'améliorer la vie de la société et d'augmenter les richesses.

d) La politique d'innovation Américaine

Aux Etats-Unis, notre politique d'innovation suscite de plus en plus d'inquiétudes.

En Europe, nombreux sont ceux qui croient que les Américains disposent d'une grande « machine d'innovation ». En réalité, ce modèle, qui existait dans les années 50 et 60, ne fonctionne plus depuis près de 30 ans, provoquant ainsi une inquiétude croissante parmi les doyens d'université.

Selon une étude réalisée par le Congrès des Académies des universités, nous pourrions très rapidement perdre notre position dominante en matière de sciences et de technologies.

L'année dernière, à travers une nouvelle loi votée en août, il a été décidé de doubler le budget de l'Institut des sciences, de l'ingénierie, des mathématiques et des recherches en technologies, afin de financer un certain nombre de nouveaux programmes. Néanmoins, les augmentations se sont finalement avérées marginales. Même au Ministère de la Défense, le budget a été réduit.

En outre, les financements ont été investis dans des projets tout à fait spécifiques. L'université d'Alabama par exemple a reçu des fonds pour un projet en nanotechnologies alors même qu'elle ne dispose pas de professeurs dans ce domaine. L'argent est également utilisé pour la guerre en Irak, pour combler les déficits ou pour financer un certain nombre de projets très coûteux dans le domaine de l'eau.

Heureusement, il semble que le Président Bush et le secteur privé américain aient compris l'enjeu du réchauffement climatique. Il est clair que nous n'allons pas résoudre ce problème en diminuant l'activité économique. Il convient en revanche d'innover. En Californie, le secteur privé est à la tête de cette recherche en technologies propres. La Silicon Valley joue également un rôle important. Les PME sont les premières aux Etats-Unis à avoir pris conscience de ce problème.

e) Le mythe de la rationalité du système américain

Souvent, en discutant avec des Ministres étrangers, je me rends compte qu'ils croient que nous disposons d'un Ministère de la Science, chargé d'élaborer notre stratégie en ce domaine, ce qui n'est pas le cas.

De même les Etats-Unis sont-ils souvent cités en exemple, notamment par le Président Bush, pour leurs qualités exceptionnelles en matière de compétitivité. En réalité, le secret de la réussite de la Silicon Valley est d'être parvenue à réunir des capitaux allemands, des directeurs britanniques et des ingénieurs français. Nous n'apportons quant à nous que le sable. Dans ce sable, se trouvent les qualités que j'ai évoquées précédemment (persévérance, résolution des problèmes, PME actives, partenariats, etc.). Un entrepreneur qui réussit dans la Silicon Valley est susceptible de gagner beaucoup d'argent.

Je citerai l'exemple d'un entrepreneur hongrois qui a vendu sa société pour 400 millions de dollars. Lorsqu'il l'a annoncé au téléphone à sa mère, celle-ci s'est inquiétée de savoir s'il trouverait un nouveau travail.

f) La vallée de la mort

Nous pouvons par conséquent nous demander comment, dans cette vallée de la mort, établir le pont nous permettant de passer d'une rive à l'autre. Je vous ai parlé de l'importance du capital risque. Or, aux Etats-Unis, ces marchés demeurent insuffisants. Il est très difficile en effet d'investir dans la société adéquate. Avec le recul, nous pourrions nous demander comment les six sociétés que j'ai évoquées précédemment ont pu douter de la réussite de Google. En réalité, elles ne disposaient pas, à l'époque, d'informations suffisantes pour aboutir à cette conclusion. Les détenteurs de capital risque pensaient simplement qu'il s'agirait d'un moteur de recherche supplémentaire.

D'une manière générale, les marchés du capital risque américains ne se concentrent pas suffisamment sur les premières étapes de la constitution d'une entreprise. Lorsque certains essaient d'imiter avec des fonds public l'activité du capital risque, cela pose de très grandes difficultés, dans la mesure où les hésitations peuvent nous faire perdre beaucoup d'argent. Aux Etats-Unis, seul 4 % du capital risque est investi dans les PME.

La recherche universitaire américaine est soutenue par différents organismes. Nous disposons du financement de DARPA ainsi que de celui d'autres programmes, comme le programme SBIR pour l'innovation, qui oblige les organismes à investir dans les PME.

Ce système existe depuis 25 ans. L'un des principaux problèmes auxquels sont confrontés nos collègues britanniques est que, tous les deux ans, leur gouvernement modifie complètement le système.

Tous les organismes américains ont l'obligation de disposer d'un budget pour la recherche externe. Ce programme se concentre donc véritablement sur le problème crucial de la vallée de la mort. Deux filtres ont été prévus. Il n'est pas nécessaire d'avoir une ligne de budget. Ce programme implique également un changement d'organisation dans les laboratoires et les universités. Sans pour autant obliger chaque professeur à devenir entrepreneur, il leur donne la possibilité de le devenir.

g) Questions auxquelles les programmes ne peuvent pas répondre

Comment une PME peut-elle savoir qu'elle est en train de réussir ? De quels moyens de mesure dispose-t-elle ?

Souvent, les chances de réussite d'une PME sont évaluées à l'aune des investissements qui lui sont consacrés. Le programme SBIR a donné lieu à une forte croissance des sociétés. Le financement SBIR a également encouragé le partenariat entre les PME et les universités. Ce programme permet de diffuser le capital intellectuel et d'établir des réseaux entre les universités. Il a incité un certain nombre de professeurs à fonder des sociétés, avant de revenir auprès des universités en tant que PDG expérimentés. Il s'agit d'une source d'inspiration pour les étudiants qui se rendent compte qu'il est possible de gagner de l'argent en travaillant sur les problèmes d'environnement et de santé.

Nous appelons « université du XXI ème siècle », cette université qui enseigne non seulement des théories mais également des compétences pratiques.

Aux Etats-Unis, nous sommes confrontés à de nombreux problèmes, liés aux déchets nucléaires, aux recherches sur les cellules souches, etc. L'Europe dispose d'universités, telles que Louvain, qui sont excellentes dans ce domaine. D'une manière générale, j'ai pu constater que les universités qui procédaient aux meilleurs recherches fondamentales étaient également celles qui arrivaient le mieux à vulgariser et à commercialiser leurs travaux.

h) Conclusion

Si des mesures ont été mises en place pour aider les chercheurs, ne pourrions-nous pas donner davantage de pouvoir et de moyens aux responsables d'universités ? L'introduction des fondations dans la nouvelle loi française sur l'université est à ce titre tout à fait prometteuse. Nous sommes à l'aube d'un changement de mentalités essentiel, consistant à inciter les sociétés et les individus à investir.

Il conviendrait également d'encourager davantage les partenariats entre les industries et les universités. Dans cette optique, vous pourriez sans doute réfléchir au programme SBIR. Un certain nombre de pays, comme la Finlande, la Suède, les Pays-Bas, la Russie, Taiwan, la Corée, le Japon et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni, l'ont déjà adopté.

Si le système américain a souffert d'un manque de financement, nous sommes aujourd'hui parvenus au bout du tunnel. D'ici neuf à dix mois, nous aurons certainement de nouvelles positions dans ce domaine. En tout état de cause, il est essentiel que nous coopérions pour que l'économie mondiale reflète nos valeurs.

OBSERVATION ÉCOLOGIQUE, ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET IMPACTS DE L'ÉCO-INNOVATION, EXPÉRIENCES ET DÉBATS

I. DE L'OBSERVATION ÉCOLOGIQUE À L'ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE

TABLE RONDE

Participaient à cette table ronde :

Christophe BLAVOT, Associé co-fondateur, Gérant, stratégies de développement, EIC

Pascal ULTRE-GUERARD, Responsable du programme d'observation de la Terre à la Direction des programmes du CNES

Gilles PENNEQUIN, Haut fonctionnaire Développement durable, de la DIACT

Les débats étaient animés par Jean-Paul EMORINE, Président de la Commission des affaires économiques du Sénat

Jean-Paul EMORINE

Tout en vous souhaitant la bienvenue, je tiens à vous indiquer combien il m'est agréable, en tant que Président de la Commission des affaires économiques de participer à ce colloque. J'ai plaisir à saluer mon collègue Philippe Adnot, qui interviendra par la suite.

Je me réjouis, en présidant cette table ronde, de participer à la troisième édition de « Tremplin recherche », organisée par Monsieur le Président du Sénat.

L'ambition de cette journée est de favoriser les échanges entre le monde la recherche et celui de l'entreprise.

Cette année, notre thème de réflexion est celui de l'écologie et du développement durable. En 2007, la préservation de la planète a été élevée au rang de priorité nationale par le Président de la République. Ceci devrait désormais guider l'ensemble des décideurs publics et privés, tant en ce qui concerne les gouvernements et les hommes politiques que les entreprises.

Chacun a en mémoire les chiffres accablants du rapport Stern, relatifs au coût du réchauffement climatique sur l'économie mondiale, si aucune mesure d'urgence n'est prise par les Etats. L'inaction coûterait en effet beaucoup plus cher.

La protection de l'environnement et la préservation de la planète sont désormais des concepts intégrés par les entreprises à chaque étape de leurs process industriels. Dans la sphère politique, les débats du Grenelle de l'environnement, lieu de négociation inédit et novateur, voulu par le Président de la République, doivent désormais déboucher sur des actions concrètes à mettre en oeuvre par l'ensemble des décideurs. Une partie d'entre elles se traduira sur le plan législatif dans les mois qui viennent. Le débat d'aujourd'hui peut nous éclairer sur les besoins des entreprises.

J'ai le sentiment en effet que, des idées à la mise en oeuvre pratique, il manque une boîte à outil du développement durable, avec de véritables instruments de veille et d'évaluation. La réponse se trouve-t-elle du côté de l'observation écologique ? Quels sont les outils qu'elle propose pour les entreprises et les acteurs publics en matière de développement économique ? Les concepts d'écologie industrielle, d'économie circulaire ou encore d'éco-conception sont désormais bien connus et s'inscrivent dans une démarche de développement durable.

L'écologie industrielle cherche à minimiser les pertes de matières dans les modes de consommation et de production. Il s'agit d'optimiser l'utilisation des matières dans un produit. Je rappellerai deux chiffres que vous connaissez tous. Seulement 7 % des ressources utilisées pour obtenir un produit fini se retrouvent à 80 % dans ce même produit qui ne donne lieu qu'à un seul usage. Il est impératif de lutter contre cette gabegie incroyable, notamment lorsqu'il s'agit de ressources naturelles dont nous savons qu'elles ne sont pas infinies. Il s'agit aussi de maîtriser, voire de diminuer, le contenu carbone des énergies que nous utilisons, compte tenu de l'impact des gaz à effet de serre en matière de réchauffement climatique.

L'économie circulaire cherche de plus à réaliser le bouclage des cycles de matières, à travers l'utilisation des co-produits, des sous-produits, voire des déchets d'une industrie par une autre. Les concepts de parc éco-industriel, de politique intégrée de développement, l'intégration des services répondent à ces enjeux. Nous aurons à en débattre.

Le concept d'économie de fonctionnalité, développé par Dominique Bourg, qui substitue la vente de l'usage d'un bien à la vente du bien lui-même, me paraît très intéressant. Nos échanges porteront également sur l'éco-conception des produits. La prise en compte de l'environnement et de sa préservation doit se faire dès la conception d'un produit puis à chaque étape de son cycle de vie. Chacun s'accorde à reconnaître que les entreprises ont intégré l'impératif de préservation de l'environnement mais qu'il subsiste des obstacles pour décliner ce concept dans la pratique.

Pour encourager les PME à s'engager dans ce processus, il convient de développer à leur égard les outils de conseil, les guides ainsi que la diffusion de bonnes pratiques. Notre responsabilité politique consiste aussi à identifier les obstacles de toute nature, juridiques, réglementaires ou encore fiscaux qui freinent la prise en compte de la préservation de l'environnement par les entreprises.

Je vous présenterai enfin les trois participants à notre table ronde. Monsieur Christophe Blavot a fondé Ecologie Industrielle Conseil, qui a pour mission la mise en application des projets d'écologie industrielle et territoriale. Il pourra nous éclairer, à partir d'exemples concrets, sur les obstacles rencontrés. Madame Pascal Ultré-Guérard, Docteur en géophysique et responsable du programme d'observation de la terre au CNES, nous expliquera la nécessité d'une observation écologique.

Enfin, Monsieur Gilles Pennequin, qui est depuis 2004 haut fonctionnaire développement durable de la Direction interministérielle à l'aménagement du territoire, nous apportera son témoignage sur les nouvelles pratiques de l'économie du territoire, de l'urbanisme, de l'habitat et de l'économie.

En conclusion, je voudrais insister sur la synergie à mettre en oeuvre entre recherche et développement durable ainsi que sur la nécessité d'un saut technologique et, partant, d'un effort accru en matière de recherche. Qu'il s'agisse de recherche fondamentale ou de recherche et développement, cet effort est essentiel pour répondre de façon satisfaisante aux défis du développement durable. Il ne s'agit pas de préconiser moins de croissance mais de modifier en profondeur le contenu de notre croissance économique. Il faut préserver notre environnement et nos ressources naturelles, tout en répondant aux légitimes aspirations de la population mondiale en matière de développement.

Aujourd'hui, dans notre Commission, nous avons une compétence en matière d'environnement et d'économie. Ce sont deux compétences auxquelles nous sommes très attachés tant il nous apparaît indispensable de lier développement économique et environnement.

Une déclaration a été effectuée pour demander une modification de la composition des commissions. Pour notre part, nous souhaitons pouvoir continuer à travailler à la fois sur les questions économiques et environnementales.

a) La nécessité d'une observation écologique

Pascal ULTRE-GUERARD

Au sein du CNES, je suis en charge du programme « observation de la terre », que nous qualifions également de « développement durable », objectif dans lequel nous nous insérons très clairement aujourd'hui.

Il y a quelques années en effet, le domaine spatial était principalement abordé sous l'angle des technologies. Cette approche n'était pas en soi négative, la technologie étant susceptible de générer de l'innovation, elle-même capable d'engendrer du développement économique.

Aujourd'hui néanmoins, nous souhaitons la compléter par une approche davantage tournée vers les utilisateurs. Etant donné leur coût, lorsque nous mettons des satellites en orbite, il est particulièrement important de définir leur utilisation, en faisant en sorte que celle-ci soit la plus profitable possible, que ce soit pour les chercheurs, pour les citoyens ou pour le monde de la défense.

Si nous estimons contribuer au développement durable, c'est parce que sans observation, il n'est possible ni d'entreprendre de recherches ni d'élaborer des modèles, des projections, des scénarios et des prévisions. Pour nous projeter dans un développement durable, il est en effet nécessaire de disposer d'une solide connaissance du système terre ainsi que de notre environnement.

L'observation spatiale a un caractère global. En cela, elle vient très souvent en complément des observations in situ . Cet état des lieux de l'environnement peut être utilisé dans des modèles afin d'établir des scénarios nous permettant de nous projeter dans le futur.

Parmi les grands défis que nous aurons à relever dans les années à venir figure le thème du changement global. Nous travaillons largement sur ce sujet avec la communauté scientifique pour essayer de comprendre quels sont les observables dont elle a besoin pour mieux contraindre ses modèles et ses prévisions.

Nous nous sommes également tournés vers le développement de services visant à favoriser une gestion raisonnée des ressources de la planète. Par exemple, nous nous sommes associés au programme Global monitoring for environment and security , (GMES), qui a pour objectif de fournir des services tant aux citoyens qu'aux politiques. Cet outil présente l'avantage de réunir tout un ensemble d'acteurs, des personnes chargées de mener les observations à ceux qui établissent les modèles, en passant par les fournisseurs de services à valeur ajoutée. Nous espérons en effet que ce programme conduise au développement économique du secteur aval.

Ce programme permet par ailleurs de structurer la communauté des utilisateurs au niveau européen, ce qui représente pour nous un avantage considérable. L'utilisateur final constitue en effet en quelque sorte notre « Arlésienne ». Qui est-il ? Que veut-il ? Comment recueillir ses besoins et les satisfaire ? Autant de questions que nous nous posons régulièrement.

Dans le secteur spatial, nous avons également coutume de nous référer à « la vallée de la mort ». Si elles développent des missions innovantes, en très étroites relations avec la communauté scientifique, les agences de R&D, comme le CNES, la NASA ou l'ESA, ont du mal à trouver les relais leur permettant d'assurer la continuité de leurs observations. Pour les utilisateurs en effet, cette continuité est essentielle dans la mesure où, à défaut, ils ne sont pas mesure de mettre en place un secteur aval.

Or ce n'est pas aux agences de R&D qu'il incombe de fournir des systèmes récurrents. De même, une petite PME ne peut-elle pas assurer l'ensemble de la chaîne du développement durable, dans ses composantes observation, modélisation et services. C'est pourquoi, une coordination est nécessaire.

Tels sont les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, tant au CNES que dans d'autres secteurs.

b) L'écologie industrielle et l'économie circulaire

Christophe BLAVOT

Issu du secteur privé, je représente le monde des petites entreprises qui pensent qu'il existe de nouvelles voies à explorer, pour le bénéfice de notre société. Par conséquent, je vous prie d'excuser par avance le caractère parfois un peu radical de mes propos, qui sont ceux d'un entrepreneur davantage tourné vers l'action que vers la réflexion, bien que les deux ne soient pas nécessairement incompatibles.

Il convient tout d'abord de ne pas confondre l'écologie industrielle avec l'industrie écologique. Pour nous, le terme « écologie » renvoie avant à l'ensemble du corpus scientifique développé pour observer les animaux, les plantes, les populations leur évolution, etc., tandis que l'adjectif « industrielle » se réfère à l'ensemble des activités anthropiques, dans le sens du terme « industrieux », utilisé en ancien français.

Cette vision est portée par un article emblématique, écrit en 1989 dans le Scientific American par le Vice-Président de General Motors qui, pour permettre aux pays développés de maintenir un certain niveau de vie, a eu l'idée de s'inspirer de la nature, non pas pour l'imiter servilement sinon pour tirer profit de ses vertus, celles-ci ayant traversé plusieurs milliards d'années.

Au niveau opérationnel, cette idée consistera à prendre en compte l'ensemble des activités sous l'angle des flux de matière et d'énergie. Dans notre pratique quotidienne, cela se traduit par l'identification des matières et des énergies échangées sur un territoire donné, notamment en France où la notion de territoire a une connotation particulière. Nous partons de cette observation pour revenir aux basiques de l'économie, c'est-à-dire l'échange de biens, de services, et de matières. Ce faisant, nous produisons une approche susceptible de compléter la conception monétaire et financière.

Cette approche permet à chacun d'observer le monde différemment. Il ne s'agit plus seulement de compter des dollars ou des euros mais également des matières et des énergies.

Concrètement, cela signifie que nous pouvons nous appuyer sur des réalités quantifiées. Dans le domaine de l'agriculture par exemple, une tonne de coton se rapporte à la même réalité, que ce soit en Afrique ou aux Etats-Unis, ce qui n'est pas le cas dès lors que nous convertissons cette matière en dollars ou en Francs CFA.

Cette approche par les flux de matières et les stocks d'énergie présente également des avantages en termes d'image puisqu'elle peut être partagée soit, entre des secteurs relativement distincts, comme les secteurs du transport et de l'agriculture, soit entre des personnes ayant différentes responsabilités. Ce langage parle en effet aussi bien aux PDG d'entreprises qu'aux ouvriers.

Par ailleurs, à travers cette approche, tant l'amont que l'aval d'une activité sont intégrés. Dans le domaine de l'industrie par exemple, nous ne prenons en compte que l'usine. Or l'usine utilise des matières premières qui, une fois transformées et mises sur le marché, sont utilisées d'une certaine façon.

Prenons l'exemple de ce que nous appelons « l'industrie du virtuel ». Lorsque nous procédons à une analyse de flux de matières, nous nous apercevons que cette dématérialisation cache en réalité le recours à de très nombreux matériels, produisant dans certains cas des « effets rebonds ».

Nous pouvons constater de tels effets par exemple lorsque la construction d'une autoroute, dont l'objectif était de décharger les autres voies, revient à augmenter le trafic automobile global. C'est ce type de considérations que l'écologie industrielle peut nous aider à encadrer, en substituant au système de pensée analytique un système de pensée systémique.

Au niveau opérationnel, cette approche aide les entreprises à mieux comprendre leur environnement, afin d'en tirer davantage parti.

Elle favorise les coopérations entre les entreprises, qui procèdent à des mutualisations ou à des échanges de matières.

Pour les décideurs territoriaux, elle leur apporte une vision plus intégrée du fonctionnement de leur territoire. Dans notre pratique quotidienne en effet, nous nous apercevons que les élus connaissent mal l'industrie voire, parfois, ne cherchent pas à la connaître. Avoir cette connaissance est pourtant de plus en plus importante alors qu'une coopération s'installe entre les industriels et l'agriculture, au travers des énergies renouvelables.

A titre d'exemple, à l'article 12 de ses lois, Genève a intégré un chapitre sur l'écologie industrielle. Tout acteur du territoire, qu'il soit public ou privé, doit envisager son action sous l'angle de l'écologie industrielle. Nous trouvons des exemples similaires aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et dans les pays du Nord, représentés par la figure emblématique d'Aalborg au Danemark.

Quelques expériences démarrent en France. La première a été conduite à Grande-Synthe, près de Dunkerque. Actuellement, nous menons des opérations d'une part, au sud de Lyon, dans la vallée de la Chimie, d'autre part dans des territoires de montagne. Dans ce cadre, l'écologie industrielle n'est pas utilisée seulement pour surmonter des obstacles existants mais également pour réunir différents acteurs autour d'un projet innovant.

Jean-Paul EMORINE

Je précise qu'au niveau de la Commission économique, nous nous intéressons à l'industrie. Or il s'agit de la Commission la plus importante puisque, sur les 331 Sénateurs qui composent le Sénat, elle en comprend 78. Au sein de cette Commission, nous traitons de questions diverses allant du Code minier à l'agriculture, l'énergie et même les opérations spatiales.

c) Comment inciter nos entreprises à prendre le chemin de l'écologie ?

Gilles PENNEQUIN

J'expliquerai pourquoi la question écologique a vocation à être au coeur de notre société et, partant, pourquoi les entreprises doivent impérativement s'en préoccuper

Le Sénateur Emorine a évoqué les enjeux liés au réchauffement climatique ainsi qu'à la question énergétique. J'expliciterai ces deux points pour que nous puissions mesurer l'écart qui existe entre l'objectif que nous souhaitons atteindre et la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

(1) Contexte actuel

Selon le rapport du groupement intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), la planète devrait se réchauffer de deux à six degrés en un siècle, ce qui risque d'impacter très fortement nos paysages.

A cette véritable « claque thermique », vient s'ajouter une contrainte énergétique majeure et ce, pour deux raisons.

Premièrement, le monde est organisé autour des énergies fossiles. L'économie de flux dans laquelle nous vivons en effet a été rendue possible grâce à l'énergie abondante et bon marché dont nous bénéficions.

Or, sur le pétrole et le gaz, nous nous approchons aujourd'hui du pic de production. Dans un contexte de chute de la production, la croissance de la demande entraîne nécessairement une hausse des prix. Cette hausse pourra également résulter des taxes que nous devrons certainement appliquer sur les énergies fossiles, pour éviter le réchauffement climatique.

Que ce soit par le biais du marché ou de la contrainte écologique, l'énergie de demain sera inévitablement coûteuse. Je rappelle en effet qu'en vertu de la loi française du 13 juillet 2005, nous devons réduire par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050 par rapport à ce qu'elles étaient en 1990, soit une réduction de -75 %. A l'échelle mondiale, cet objectif a été fixé à -50 % d'ici 2050 alors que le trend actuel s'établit à +30 %.

(2) La nécessaire anticipation des défis futurs

Il convient par conséquent que nos entreprises anticipent au maximum tant les contraintes climatiques que ces obligations énergétiques. A défaut, leur vulnérabilité sera accrue. Inversement, plus nous anticiperons, par des projets innovants, plus nous pourrons prendre des parts de marché dans l'économie du futur, qui sera une économie peu carbonée.

Par ailleurs, cette contrainte s'inscrit dans un délai excessivement court puisque, selon les spécialistes, nous devrions avoir changé de modèle d'ici 30 à 40 ans. Or nous sommes confrontés à des inerties phénoménales. A titre d'exemple, lorsqu'elles effectuent des aménagements du territoire (bâtiments, infrastructures de transport, etc.), les collectivités territoriales doivent anticiper l'évolution de l'environnement climatique et énergétique auquel ces ouvrages seront à terme confrontés.

Comme j'ai été amené à le faire remarquer, le pont de Millau ne sera pas encore payé que notre économie ne reposera plus majoritairement sur les énergies fossiles et que la température de cette région aura augmenté d'un certain nombre de degrés. Dès lors, nous pouvons nous demander d'une part, quelle sera l'utilité de ce pont et d'autre part, si ces matériaux résisteront au réchauffement climatique.

Nous sommes face à un défi majeur dont le Président de la République a fait un axe prioritaire de la politique gouvernementale.

Il convient par ailleurs de prendre en compte le droit au développement de l'ensemble des pays de la planète. Comparé à d'autres pays, la part de la France dans les émissions de gaz à effet de serre reste très modeste. D'ici 2025, les Chinois et les Indiens représenteront 60 % de la population contre 6 % pour l'Europe et 4 % pour les Etats-Unis. Or ces pays en voie de développement disposent d'un droit au développement. Dès lors, concilier développement économique et écologie constitue l'enjeu majeur de ce début de siècle. A défaut, nous risquons d'aboutir à un niveau de réchauffement climatique insupportable pour l'humanité, auquel seront associés des problèmes d'eau, d'alimentation, de migrations climatiques, etc.

Pour relever ce défi, au niveau européen, nous avons adopté la stratégie de Lisbonne-Göteborg, qui vise à faire de l'Union européenne la puissance la plus compétitive du monde, à partir d'un modèle économique de développement durable.

Pour l'instant, nous observons une certaine distorsion entre ces deux objectifs. Actuellement en effet, nous vivons dans un contexte de globalisation économique, où règne le moins-disant fiscal, social et environnemental, l'objectif de chaque pays étant de réussir à vendre ses produits aux prix les moins chers.

Dans ce contexte, dès que des contraintes apparaissent, nous courrons le risque qu'une partie des entreprises refuse jouer le jeu, pour cause de perte de compétitivité.

Je pense notamment aux contraintes carbone. En France en effet, nous disposons actuellement d'un marché de droits d'émissions de gaz à effet de serre. Or, lorsqu'elles sont trop fortes, ces contraintes peuvent pousser les entreprises à se délocaliser. Face à ce risque de délocalisation, nous devons procéder à un ajustement fin consistant à imposer des contraintes aux entreprises, tout en leur expliquant l'intérêt pour elles de renoncer au plus tôt à notre modèle actuel, qui n'est pas pérenne et sans négliger leurs propres contraintes de court terme. Pour ce faire, la puissance publique essaie de leur donner des signaux, via des normes, des taxes, des incitations financières, etc.

(3) Marges de manoeuvre

Nous disposons tout de même de marges de manoeuvre assez importantes. Nous venons d'évoquer la question de l'écologie industrielle, dont le principe est le suivant. Les déchets des uns peuvent être les matières premières des autres. Il peut s'agir d'une piste extrêmement intéressante qu'il convient d'optimiser au niveau du territoire.

Nous avons également parlé d'économie circulaire, que nous appelons aussi « économie de la fonctionnalité ». Ce concept consiste à développer les marchés économiques locaux, l'idée étant, dans un contexte de hausse de l'énergie, de raccourcir les circuits économiques, en produisant localement. Le meilleur exemple en est le secteur alimentaire. Très rapidement en effet, nous serons incités à acheter des produits locaux de saison dont le coût carbone sera largement moins élevé que celui des produits provenant de l'autre bout de la planète.

Par ailleurs, conformément aux propositions du Grenelle de l'environnement, la grande distribution prépare actuellement des étiquettes carbone, qui seront utilisables d'ici à 2020.

Dès cette année néanmoins, une grande chaîne a prévu d'instaurer une étiquette carbone. Chaque ticket de caisse comprendra un petit supplément carbone indiquant le coût en gaz à effet de serre de l'ensemble des produits achetés. Ce coût intègrera l'énergie dépensée non seulement par la grande surface pour acheminer et stocker les marchandises mais également par le consommateur au moment de l'achat et de la consommation de la denrée (transport en voiture pour se rendre au supermarché, préparation des aliments, etc.).

A mon sens, ces étiquettes modifieront considérablement la perception que nous avons des produits que nous achetons. J'estime qu'il ne faudra pas dix ans pour que la notion de « traçabilité carbone » se généralise et que les consommateurs intègrent ce coût au même titre que le coût financier. Demain en effet, nous sélectionnerons les produits en fonction des contraintes carbone, ce qui aura nécessairement un impact sur l'organisation économique des entreprises, en les incitant à utiliser moins d'énergie carbonée dans la fabrication, le transport et la commercialisation de leurs produits.

(4) Les aménagements du territoire

Faces à ces questions de climat et d'énergie, les territoires ne sont pas égaux. Certains vont subir le réchauffement climatique de plein fouet. Je pense notamment aux territoires de montagne dont toute l'économie, fondée sur le ski, sera à revoir dans un délai relativement rapide, en raison de la diminution actuelle de l'enneigement.

Il incombe à la DIACT d'éclairer les acteurs locaux sur cette inéluctable transition économique du territoire. Nous devons également insister sur la nécessité de partager le fardeau. A défaut, nous risquons de voir montrer du doigt les territoires n'ayant pas réussi à atteindre rapidement leurs objectifs, nuisant ainsi à la cohésion territoriale.

A titre d'exemple, je citerai le cas de la Belgique qui voit ses deux principales communautés se déchirer pour des raisons tant fiscales que linguistiques. Nous pourrions imaginer que le même type de divisions se produise sur des questions écologiques.

Pour éviter ces difficultés, nous devons d'une part, accompagner les territoires dans l'évaluation de leur vulnérabilité et d'autre part, mettre en place toutes les actions leur permettant d'y remédier.

Parmi ces actions, les territoires pourraient commencer à identifier les problèmes posés par le changement climatique. A ce titre, je vous recommande la lecture d'une étude de la Confédération européenne des syndicats, intitulée « Emplois et changements climatiques », qui a déterminé les secteurs qui tireront avantage du changement climatique et ceux qui en seront affectés.

Une fois cette distinction effectuée, notre démarche consiste d'une part, à aider les secteurs « perdants », par le biais de la formation, à conduire leur transition économique et d'autre part, à accompagner les secteurs « gagnants » afin d'accélérer leur développement économique.

Nous faisons par ailleurs en sorte de favoriser les transports en mode doux (voie d'eau, ports, chemins de fer, etc.).

Enfin, il convient de revoir l'organisation même de nos villes et de nos territoires. En termes de consommation d'énergie et d'espace ainsi que de nuisances par exemple, l'installation d'une grande surface en périphérie de ville est dix fois plus coûteuse que le commerce de proximité ou la livraison à domicile. Progressivement, nous nous dirigeons vers une reconcentration urbaine. Ce renouvellement urbain consiste à mettre les zones d'activités au plus près des zones d'habitat et, à défaut, à les relier par des modes de transport doux.

Tels sont les grands enjeux des politiques d'aménagement du territoire, couplées avec les grands enjeux de développement économique. Pour ce faire, nous disposons de relativement peu de temps. Tous nos actes doivent par conséquent être concentrés sur cet objectif, qui constitue une formidable opportunité tant en matière d'aménagement du territoire qu'en termes de développement économique. Tous les marchés de demain en effet devront nécessairement se positionner sur ces questions. Plus nous aurons anticipé ces problèmes, plus nous aurons notre place dans l'économie à l'avenir.

Jean-Paul EMORINE

Pour éviter toute forme de catastrophisme, je rappelle que nous avons la chance d'habiter dans un pays dont la faible densité de population, aux alentours de 100 habitants au kilomètre carré, qui est longtemps apparue comme un handicap, semble désormais constituer une chance, par rapport aux autres pays de l'Union européenne, dont la densité dépasse les 200 habitants au kilomètre carré.

Le Parlement sera prochainement saisi d'une loi de modernisation de l'économie qui tentera de concilier approche économique dynamique et impératifs environnementaux. Nous devons également voter la grande loi issue du Grenelle de l'environnement, qui intégrera les problématiques de transport et d'urbanisme.

d) Echanges avec la salle

De la salle

Je suis administrateur indépendant de société. J'anime également une structure du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables.

Comment, selon vous, inciter les entreprises à s'orienter vers l'écologie ? Du point de vue du vocabulaire en effet, les entreprises connaissent davantage la responsabilité sociale et environnementale que la notion d'écologie. Or le paradigme qui s'impose actuellement est celui de développement durable, dans lequel les salariés sont pris en compte.

Concernant les entreprises, je témoignerai de trois faits différents.

La semaine dernière, le MEDEF a pris explicitement position en faveur du développement durable, en proposant que « l'offre France » soit centrée sur cette notion.

Par ailleurs, depuis le début de l'année dernière, il existe un club développement durable, créé par les « professionnels du chiffre » (experts-comptables, commissaires aux comptes), pour aider leurs entreprises clientes à maîtriser correctement les concepts liées à ces thématiques.

Enfin, au sein de l'Institut français des administrateurs, qui a vocation à former les conseils d'administration, je travaille actuellement à créer un club développement durable, dont la tâche sera de croiser la connaissance des technologies permettant de produire sans émettre de carbone avec les nouveaux modèles économiques et business plans émergents.

Je vous en donnerai un exemple. Actuellement, la société Solar Direct finance l'installation complète de panneaux photovoltaïques chez des entreprises et des particuliers. Ce service clé en main permet de profiter d'un bâti existant pour développer une énergie durable.

Christian BLAVOT

Il serait intéressant que ces « professions du chiffre » nous aident à compter la matière. Peut-être cela permettrait-il à de nouvelles approches d'émerger, dans la ligne du programme Eurostat qui, de plus en plus, incite les pays à évaluer leurs flux de matières, en plus de leurs flux monétaires.

Concernant les déclarations du MEDEF, il est de bon ton, en ce moment, d'être en faveur du développement durable. Reste à savoir comment nous définissons cette notion.

L'une des approches, d'origine anglo-saxonne, consiste à s'appuyer sur des systèmes de notation, à partir de grilles préétablies remplies par les entreprises. Il conviendrait peut-être d'encourager les entreprises à proposer elles-mêmes les règles du jeu, tout en gardant à l'esprit l'intérêt général.

Gilles PENNEQUIN

Il me semble essentiel de changer la manière dont nous fonctionnons.

A l'échelle nationale, le Président de la République vient de confier pour mission à Monsieur Stiglitz de trouver un autre indicateur que le PIB, qui présente l'inconvénient de ne prendre en compte que les flux positifs. Ainsi, en cas de catastrophe écologique, le PIB est-il susceptible d'augmenter, en raison des travaux mis en oeuvre pour réparer les dégâts liés à la catastrophe. C'est ce qu'il s'est produit en Louisiane après l'ouragan Katrina. D'autres indicateurs existent déjà, comme l'IDH (Indicateur de développement humain) ou le BIB (Bonheur intérieur brut).

D'autres personnes travaillent sur les indicateurs boursiers de développement durable.

J'insisterai quand à moi sur ce que nous appelons « l'analyse en coût global ». Dans le domaine de l'habitat par exemple, nous calculons systématiquement le coût d'investissement et non le coût de fonctionnement. Or, sur les 60 ans de durée de vie moyenne d'une maison, l'investissement ne représente que 17 % du coût contre 83 % pour le fonctionnement. En augmentant le premier à 20 %, nous pourrions diviser par deux ou par trois la facture énergétique du bâtiment. Cet exemple du bâti peut tout à fait s'appliquer à un grand nombre de secteurs économiques.

Il nous incombe de vous aider à mettre en place cette comptabilité verte qui internalise l'ensemble des coûts.

De la salle

Ingénieur diplômé en biotechnologies, j'ai aujourd'hui 77 ans. Je remercierai le Président du Sénat dans la mesure où, lorsque j'ai commencé mes activités professionnelles, il y a un demi-siècle, le discours ambiant était tout à fait différent, d'autant que je suis comme lui un émigré de la Troisième et de la Quatrième République.

Nous aurions pu citer le professeur et ingénieur agronome René Dumont, qui en 1937 tenait déjà ce discours.

Je regrette par ailleurs que le Conseil économique et social n'ait pas été invité. Ma première remarque porte sur des questions de vocabulaire et de calendrier. En écoutant les différents intervenants, j'ai été frappé par l'absence d'un certain nombre de termes.

Nous évoquons la planète. Or la planète n'est absolument pas en danger. Lorsque l'humanité aura disparu, notre planète continuera à exister. Il aurait été préférable de nous référer à la fragilité de l'atmosphère et de l'humanité.

Dès lors que nous envisageons ces notions, nous nous apercevons que sommes confrontés à un problème de calendrier. Si vos propos sur le développement durable sont admirables pour des vieillards de 77 ans émigrés de la troisième République, je rappelle que l'australopithèque et le crocodile ont respectivement quatre et 200 millions d'années. Or nous ne sommes pas plus idiots qu'un crocodile ou un australopithèque. C'est pourquoi je suis stupéfait d'entendre Monsieur le Haut fonctionnaire faire de la prospective pour 2020. Notre calendrier existe depuis 2 000 ans. Nous devrions au moins essayer de rivaliser avec les concepteurs de ce calendrier. Dans ce cadre, le court terme s'établit à 2 000 ans et le moyen terme à 10 000 ans.

Jean-Paul EMORINE

Les évolutions de notre planète se sont précipitées il y a cinquante ou soixante ans.

Pascal ULTRE-GUERARD

J'ai quant à moi une formation en géophysique interne. Il est clair qu'à l'échelle des temps géologiques, les récentes évolutions ne constituent que des épiphénomènes. Si nous nous référons à des échelles beaucoup plus courtes, allant de la génération à plusieurs milliers d'années, c'est justement pour placer l'homme et les espèces au coeur de la discussion.

S'il est clair que la planète en elle-même n'est pas en danger, l'existence de l'homme ainsi que de certaines espèces peut éventuellement être menacée, notamment dans certaines régions plus critiques que d'autres. Certaines personnes pourront peut-être même tirer profit de l'évolution du climat. Néanmoins, il est important que nous nous situions du point de vue de l'homme et de l'équilibre global de la planète.

L'homme a pris conscience, notamment avec le trou de la couche d'ozone, des répercussions planétaires que pouvait avoir son comportement local. Il en est de même lorsque nous regardons les images satellitaires des régions polaires, qui sont relativement inquiétantes pour les espèces qui y vivent. Par conséquent, si des adaptations auront nécessairement lieu, il est de notre devoir de réfléchir à notre rôle dans le système.

Gilles PENNEQUIN

Je précise qu'il existe un Haut fonctionnaire dans chaque Ministère. Nous nous réunissons régulièrement pour traiter de questions de stratégie. Si je reconnais que le titre peut sembler un peu pompeux, j'espère qu'il n'est pas creux.

Pour ma part, je m'intéresse à l'humanité d'aujourd'hui et de demain. Les générations futures en effet sont au coeur du développement durable. Or tous les outils dont nous disposons sont largement court-termistes. Il en est ainsi des indicateurs boursiers. Pourtant, selon la formule amérindienne, « nous empruntons la terre à nos enfants ». Nous avons l'obligation de leur laisser une planète suffisamment propre pour qu'ils aient une perspective d'humanité. Je vous renvoie à l'ensemble des rapports existants qui montrent que, si nous n'y prenons pas garde, nous risquons de créer des conditions climatiques telles pour une partie de l'humanité, que nous aurons peu de chances de traverser le siècle sans conflits.

Pierre MATARASSO

En tant que Directeur scientifique adjoint du département environnement et développement durable du CNRS, j'apporterai quelques précisions sur l'activité des organismes de recherche.

Au CNRS, nous nous soucions du défi planétaire depuis 1974, lorsque Michel Chaval annonçait le programme interdisciplinaire de recherche sur l'énergie solaire, qui est devenu par la suite un programme sur l'énergie des matériaux.

Dans ce cadre, les questions d'analyse de flux de matières font déjà l'objet de nombreux travaux scientifiques (analyse de cycles de vie, métabolismes urbains, etc.). Par ailleurs, pendant près de dix ans, un laboratoire mixte entre le CNRS et l'ADEME a mené une étude intitulée « modèle d'économie physique et de prospective » qui avait précisément pour but de traiter de ces questions de circulation. Malheureusement, il n'a pas été poursuivi. Néanmoins, d'une manière générale, dans les programmes autour de l'énergie, ce point a continué d'être étudié, notamment au niveau européen et mondial.

Depuis plus récemment, au sein du Département environnement et développement durable, nous nous focalisons sur la question de l'engineering écologique, c'est-à-dire l'association de l'artificiel et du naturel, largement liée, de par la contrainte de l'adaptation, à la thématique de l'aménagement territorial. Des travaux sont menés dans ce sens, autour de grands équipements, notamment des Ecotrons.

Enfin, l'ANR vient de lancer un programme très important sur le thème du facteur 4 dans le domaine de la ville et de l'urbain. L'ensemble des organismes de recherche se coordonnent, en mobilisant conjointement les collectivités territoriales, les citoyens, les chercheurs en sciences économiques et sociales, mais aussi les technologues systémistes, qui vont nous aider à définir le niveau de production et de consommation d'énergie, afin de concevoir des plans climat au niveau des collectivités territoriales. Ces questions méthodologiques sont fondamentales. Il serait calamiteux que les plans climat soient effectués de manière distincte dans les différentes villes.

Sophie HUBERT, ISEC, Gaz de France

En tant que jeune femme, je m'interroge sur l'avenir de nos enfants, qui sont les générations de demain.

Précédemment, vous évoquiez les étiquettes carbones. Je souhaiterais quant à moi savoir quelles mesures vous comptez mettre en place à l'égard des grandes entreprises routières. Ce ne sont pas les citoyens en effet qui consomment et dégradent le plus la planète.

Par ailleurs, je souscris à l'idée selon laquelle notre planète en elle-même ne serait pas véritablement en danger. Il y a quelques milliards d'années en effet, le Groenland n'était pas une plaque de glace sinon un continent comme les autres. Par conséquent, la fonte des glaces constitue davantage un problème humanitaire. Qu'avons-nous prévu pour accueillir gérer ces migrations climatiques qui affecteront avant tout nos enfants ?

Gilles PENNEQUIN

Concernant les transports, je vous renvoie aux travaux du Grenelle de l'environnement, au cours desquels l'offre multimodale a été abordée à de nombreuses reprises.

En termes d'émissions, l'utilisation par un particulier de son véhicule pour acheter quelques yaourts au supermarché suppose un coût carbone supérieur que les livraisons effectuées par des camions remplis de marchandises.

S'agissant de l'offre modale, nous envisageons la possibilité de regrouper les activités économiques autour des grandes voies d'eau. Notre organisation actuelle en flux tendu pose en effet problème, les marchandises passant plus de temps sur la route que dans les entrepôts.

Enfin, il sera sans doute souhaitable de favoriser les marchés régionaux, peut-être à l'échelle européenne. Telles sont les perspectives sur lesquelles nous travaillons. Il s'agit à mon sens de magnifiques sujets de recherche.

Jean-Paul EMORINE

Nous espérons que le Grenelle de l'environnement prenne en compte l'ensemble de ces aspects.

De la salle

Je souhaiterais m'exprimer en tant que représentante du tiers-monde. Concentrés sur leur « nombril » en effet, les pays développés ont oublié ces régions du Sud. Il n'est que de citer l'exemple du Nigeria, où le pétrole est exploité à ciel ouvert, en polluant les populations environnantes, qui n'en sont pas pour autant les bénéficiaires.

Plutôt que d'exploiter leurs matières premières, aidez ces populations à rester chez eux en les accompagnant, dans le sens du développement durable, auquel, elles aussi, ont droit.

Que comptez-vous entreprendre, au niveau du Sénat, dans le cadre de la Commission de la coopération ?

Jean-Paul EMORINE

La Commission des affaires économiques s'intéresse à ce sujet. Récemment, nous nous sommes rendus en Chine, en Inde et au Brésil. Cette réflexion sur les pays en voie de développement a par ailleurs été intégrée, il y a quelques années, au sein de l'OMC. Une prise en compte globale de ces préoccupations reste néanmoins nécessaire.

Christophe BLAVOT

Si je reconnais que les entreprises peuvent parfois donner cette impression, un certain nombre d'acteurs, dont des Africains eux-mêmes, s'intéressent au développement durable. J'ai quant à moi eu l'occasion, ces dernières années, d'effectuer des missions en Afrique.

Certaines grandes entreprises travaillent sur ce continent avec pour objectif de favoriser le développement territorial, afin d'éviter non seulement l'exode rural mais également les migrations vers d'autres pays, comme l'Europe. Des enjeux existent actuellement entre la Chine, l'Afrique, l'Europe et les Etats-Unis. L'écologie industrielle peut y répondre, au même titre que l'Etat.

II. LES IMPACTS DE L'ÉCO-INNOVATION

TABLE RONDE

Participaient aux à la table ronde :

Marc FLORETTE, Directeur de la Recherche, Gaz de France

Laurent GILBERT, Directeur Recherche Avancée, Sciences de la Matière, L'Oréal

Jean-Michel GIRES, Directeur développement durable et environnement, Total

Grégory LANNOU, Coordinateur Ecologie industrielle, CEIA

François MOISAN, Directeur Exécutif Stratégie et Recherche, ADEME

Jean-Charles POMEROL, Président de l'université Pierre et Marie Curie

Les débats étaient animés par Philippe ADNOT, Sénateur de l'Aube, Président du Conseil général de l'Aube

Philippe ADNOT

Je ne présenterai qu'une partie de mes différentes facettes, en tant que Président du Conseil général de l'Aube et Vice-Président du conseil d'administration de l'Université de technologie de Troyes, la première à avoir eu une chaire d'écologie industrielle. A ce titre, j'ai eu l'occasion de créer un club d'écologie industrielle, à travers lequel sont associées les chambres de commerce, les métiers de l'agriculture, les industriels, l'université et l'administration, pour instaurer un système « gagnant-gagnant ». Grâce à la présence, parmi nous, de l'une des personnes chargées de mettre ce processus en oeuvre, nous allons pouvoir en faire la démonstration concrète.

a) L'université Pierre et Marie Curie

Jean-Charles POMEROL

J'ai moi-même participé au conseil scientifique de l'Université de technologie de Troyes, qui constitue une brillante réussite.

Héritière de la Faculté des Sciences de Paris, l'Université Pierre et Marie Curie a néanmoins un historique plus ancien.

Nous avons par ailleurs démontré notre engagement dans le domaine dont il est question ce matin, avec la reconstitution d'un pôle « terre vivante et environnement » ainsi que la création d'une nouvelle UFR « Terre, Environnement et Biodiversité ».

Nous disposons, tant au sein du pôle que de l'UFR d'une trentaine de laboratoires. Nombre d'entre eux travaillent sur le changement climatique, notamment les laboratoires de l'UPMC.

Nous sommes également très engagés dans les recherches en Arctique, le grand projet européen Damoclès étant coordonné par l'UPMC. Ce projet, dont vous avez certainement entendu parler, prouve la probable disparition prochaine, du moins en été, de la banquise Arctique.

Nous travaillons par ailleurs sur des disciplines qui n'ont pas encore été mentionnées, notamment l'observation. Compte tenu des polémiques sur le réchauffement climatique, il est essentiel, du point de vue scientifique, d'être capable de maintenir des observations de valeur. Avec l'INSU, qui est un département du CNRS, nous gérons un certain nombre de laboratoires qui jouent un rôle fondamental dans la compréhension des changements climatiques, en distinguant les variations liées aux phénomènes anthropiques des modifications naturelles du climat.

La présente table ronde ayant pour thème l'éco-innovation, nous pouvons nous interroger sur les apports de nos recherches dans le domaine de l'innovation. Grâce à l'incubateur Agoranov, avec lequel nous travaillons en collaboration, nous avons aidé à la création d'un certain nombre d'entreprises, notamment des sociétés qui aident les entreprises privées et les assurances à anticiper les évènements climatiques.

Au-delà de ce premier axe de développement, il nous paraît également essentiel d'encourager la création d'entreprises dans le domaine de la chimie verte. Au préalable néanmoins, nous pouvons nous interroger sur la manière dont la valeur d'un procédé chimique est évaluée.

La question de l'eau nous intéresse également. Dans ce domaine, il convient de soutenir toutes les initiatives visant à économiser et à recycler l'eau, à mieux connaître l'état des nappes phréatiques et à prévenir la pollution. Précédemment en effet, l'un des intervenants a utilisé la formule « nous empruntons la terre à nos descendants ».

Or, dans certains cas, le problème de la pollution de l'eau peut s'avérer catastrophique. Certaines nappes phréatiques sont totalement épuisées tandis que d'autres sont polluées pour des dizaines d'années. Nous devons donc absolument nous donner les moyens de favoriser l'innovation, notamment au sein des sociétés qui pratiquent la dépollution.

Nous privilégions enfin toutes les mesures liées aux énergies renouvelables. En tant qu'affectataires de Jussieu, nous avons la chance de connaître actuellement un processus visant à mettre fin à la pollution du site. Nous profitons de cette occasion pour nous engager dans une rénovation respectueuse de l'environnement, notamment en installant des systèmes photovoltaïques.

b) Problématiques énergétiques de Total

Jean-Michel GIRES

Le groupe Total, au sein duquel je suis en charge des problématiques de développement durable et d'environnement, se situe au coeur des processus visant à réconcilier environnemental et sociétal, que ce soit dans le domaine industriel, commercial, ou énergétique.

Il ne s'agit pas néanmoins d'un sujet que nous venons de découvrir. Nombre de démarches ont en effet déjà été engagées dans ce sens. La hausse du prix de l'énergie ainsi que les problématiques de gaz à effet de serre nous conduisent cependant aujourd'hui à nous pencher à nouveau sur ces questions avec beaucoup plus d'acuité, afin de trouver de nouvelles solutions, nous permettant d'aller plus loin. Nous souhaitons réduire à la fois :

· les émissions générées par nos activités et celles de nos clients ;

· la consommation d'intrants, c'est-à-dire de matières premières ;

· la consommation de ressources issues des écosystèmes liés à un certain nombre de nos développements pétroliers.

Ces objectifs nous incitent à rendre un certain nombre de nos procédés, notamment dans le domaine de l'efficacité énergétique, beaucoup plus innovants. Nous sommes également conduits à réfléchir à des solutions qui, à terme, pourraient s'avérer encore plus radicales. Il en est ainsi du pilote de démonstration que nous lançons actuellement à Lacq, dans le sud-ouest de la France. Il s'agit d'une opération de captage et de stockage du gaz carbonique issu de la vapeur de chaudière, afin de le purifier et de le comprimer avant de le réinjecter dans le sous-sol.

Il serait néanmoins réducteur de limiter notre recherche de solutions au domaine industriel. Nous devons en effet répondre aux attentes relativement fortes de nos clients pour les aider à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre, notamment grâce à des carburants dont la composition améliorée permet une utilisation plus réduite.

Dans ce sens, nous sommes également amenés à explorer les énergies renouvelables. Ainsi, Total détient-il une position intéressante dans le domaine de l'énergie solaire photovoltaïque, dans lequel nous avons connu des réductions de coûts spectaculaires au cours des trente dernières années qui nous permettent d'espérer une intégration croissante des capteurs photovoltaïques dans le bâti.

Par ailleurs, nous réfléchissons aux possibilités que nous offrent les biocarburants de deuxième génération, qui présentent l'intérêt de ne plus entrer en conflit avec les marchés alimentaires. Reste encore à déterminer la manière dont ils fonctionneront (ressources, procédés de transformation, etc.)

En ce qui concerne les pays du sud, évoqués précédemment, des schémas d'accès à l'énergie sont à l'étude, afin d'aider les populations qui auraient des difficultés financières ou géographiques à disposer d'électricité. Pour ce faire, nous envisageons de faire appel non seulement à l'énergie solaire photovoltaïque mais également à d'autres solutions, comme la biomasse. Enfin, il convient de réfléchir à la manière d'assurer la maintenance des équipements, pendant une période donnée.

c) Actions de l'ADEME

François MOISAN

L'ADEME est une agence publique, qui dépend de deux ministères, le Ministère de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durables d'une part, et le Ministre de la recherche d'autre part. Parmi ses activités, l'ADEME a une mission de recherche, consistant à animer, orienter et financer des programmes de recherche relatifs à l'environnement, conduits par des entreprises et des organismes publics.

(1) Actions que nous menons en termes d'éco-conception

L'éco-conception consiste à concevoir un produit en prenant en compte l'ensemble des impacts qu'il est susceptible d'avoir sur l'environnement, dans une logique « du berceau à la tombe », c'est-à-dire de l'extraction des matières premières au recyclage des déchets.

En 2001, nous avons lancé un premier appel à propositions, pour connaître les entreprises désireuses de s'engager dans ce processus. A cette époque, ce sont des fabricants de matériel industriel qui se sont engagés.

En 2004, après avoir recommencé l'opération, nous avons obtenu des réponses de la part d'entreprises fabricant des produits grands publics, notamment des PME : un fabricant de matériel pour la montagne, qui a réalisé une chaussure éco-conçue, un fabricant d'aspirateurs, un fabricant de chaussettes, etc. Néanmoins, nous ne nous sommes pas tant intéressés aux objets en question qu'aux méthodes élaborées par les entreprises pour éco-concevoir ces produits.

Début 2008, nous avons lancé un nouvel appel à propositions, à travers lequel nous visons deux grands secteurs : d'une part, la puissance publique, qui est un prescripteur important de produits et d'autre part, la grande consommation, qui s'est engagée au Grenelle de l'environnement à produire des « étiquettes carbones ».

(2) La question des échéances

Au travers de la problématique du changement climatique, nous sommes face à des échéances de moyens et de long terme, que nous ne retrouvons pas dans d'autres secteurs de la recherche. Ainsi, le facteur 4 découle-t-il non seulement d'une appréciation des scientifiques mais également d'une décision politique.

Des objectifs de plus court terme ont néanmoins été établis. Il en est ainsi de l'objectif européen dit « trois fois vingt » consistant d'ici 2020, pour l'ensemble des Etats membres :

· à réduire de 20 % leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 ;

· à améliorer de 20 % l'efficacité énergétique ;

· à disposer de 20 % d'énergies renouvelables dans la production d'énergie.

Pour répondre à cet objectif, nous devrons mettre en oeuvre des solutions tant technologiques qu'organisationnelles et ce, de manière urgente, entre les organismes publics et les entreprises.

(3) Priorité sur les secteurs du transport et du bâtiment

Lors du Grenelle de l'environnement, les parties prenantes sont parvenues à un consensus sur la nécessité de concentrer leurs efforts en priorité sur les secteurs du transport et du bâtiment.

Dans le domaine du bâtiment, nous disposons d'ores et déjà de technologies nous permettant de construire des bâtiments dits « à énergie positive », soit des bâtiments dont l'isolation et l'utilisation d'énergies renouvelables est telle qu'ils produisent plus d'énergie qu'ils n'en consomment. Pour l'instant néanmoins, la profession du bâtiment ne dispose pas d'un niveau de formation suffisant pour s'approprier l'ensemble de ces technologies. Dans ce domaine, au-delà de la recherche, le principal défi réside dans notre capacité à produire des démonstrateurs de bâtiments à énergie positive, entraînant des baisses de coût rapides. Il convient également de mettre en place un programme de formation.

En 2012, les consommations d'énergie des bâtiments neufs devront être divisées par deux. Il ne s'agit néanmoins que d'un premier pas. Deux tiers des bâtiments qui existeront en 2050 en effet, sont d'ores et déjà construits. Il convient donc également d'adapter ces technologies à l'ancien.

Dans le secteur des transports, la situation est radicalement différente dans la mesure où, du point de vue technologique, il n'existe pas encore d'alternative au véhicule individuel. Nous ne disposons que de différentes options, comme les biocarburants, le véhicule électrique, le véhicule hybride, l'hydrogène, etc.

L'ADEME a travaillé avec l'ensemble des constructeurs automobiles ainsi que différentes parties intéressées comme Total ou l'IFP pour essayer de déterminer une vision commune en vue de l'échéance 2050. Au terme de huit mois de réflexion, nous avons identifié quatre visions qui nous ont semblé suffisamment importantes pour conjuguer nos efforts. L'une d'entre elles est fondée sur l'hydrogène et les piles à combustibles, une autre sur le véhicule électrique. Nous pourrions en effet envisager de construire un véhicule beaucoup plus léger et, partant, beaucoup moins consommateur d'énergie.

Enfin, nous avons retenu l'option d'un petit véhicule urbain à autonomie limitée, qui pourrait être électrifié. Contrairement au Japon, où ces véhicules représentent déjà 32 % des ventes, aucun constructeur européen ne s'est encore lancé dans l'aventure. Cette réflexion nous a néanmoins permis d'aboutir à la conclusion que l'innovation résidait avant tout dans la notion de service, ce véhicule ayant vocation à être associé à des services, afin de créer de la valeur ajoutée.

Face à cette urgence, nous devons conjuguer nos forces, afin de favoriser les visions communes, la démonstration ainsi que la continuité entre la recherche publique, la recherche industrielle et le marché.

d) Actions menées par Gaz de France

Marc FLORETTE

Gaz de France estime avoir des devoirs vis-à-vis de ses 11 millions de clients.

En matière de mix énergétique, Gaz de France s'est résolument engagée dans le domaine de l'éolien puisque nous disposons actuellement du premier parc installé en France. Nous sommes également actifs dans le secteur de la géothermie. Ce mix énergétique ne doit pas se limiter à la production. Il doit également être mis en place au niveau du client final.

Je distinguerai donc entre les actions que nous menons sur notre propre outil industriel et celles que nous engageons auprès de nos clients.

(1) Actions vis-à-vis de nos outils industriels

S'agissant de nos outils industriels, nous tentons d'améliorer notre gestion du gaz naturel liquéfié et ce, à travers deux voies. Premièrement, le froid produit par les terminaux méthaniers est utilisé à Fos par Air Liquide dans ses procédés de fabrication de divers gaz industriels. Ce faisant, nous respectons l'idée, propre à l'écologie industrielle, selon laquelle les déchets des uns peuvent être les matières premières des autres.

Par ailleurs, alors qu'ils étaient traditionnellement motorisés au fuel, les navires méthaniers que nous affrétons utilisent désormais le gaz naturel transporté, ce qui permet non seulement d'améliorer le rendement de 25 % mais également de diminuer de 40 % les émissions de CO 2 .

Il y a quelques semaines, nous avons signé avec Vattenfall un accord de coopération sur un pilote de fabrication d'électricité par oxycombustion, pour expérimenter la capture et l'injection de CO 2 dans un champ nous appartenant. Ce procédé, qui demande beaucoup de travaux de recherche, coûte encore très cher.

(2) Actions vis-à-vis de nos clients

S'agissant de nos clients, je citerai l'exemple d'un accord que nous avons passé avec Arcelor, à Dunkerque, pour construire une centrale à cycle combiné, permettant de brûler à la fois les gaz sidérurgiques et du gaz naturel. Il s'agit d'une véritable innovation. Etant donné les tailles considérées en effet, nous avons pris des risques.

Vis-à-vis de nos clients domestiques, nous avons pour objectif final d'arriver à construire un bâtiment dont le bilan net de consommation serait nul. Je rappelle que je suis membre fondateur de la Fondation du bâtiment à énergie positive.

En attendant l'aboutissement de ces recherches, des solutions ont déjà été mises en oeuvre, à travers notamment un démonstrateur qui a été exposé au salon Interclima. Il s'agit d'une maison en bois qui, bien qu'étant évolutive, répond dès à présent au label BBC (50 kilowattheures par mètre carré et par an), grâce auquel la RT 2015 devrait être avancée en 2012.

Ce type d'évolutions se fonde sur la notion d'éco-confort, que nous essayons de développer.

e) La politique de développement durable de L'Oréal

Laurent GILBERT

Dans le cadre de ses recherches en développement durable, la politique de L'Oréal consiste à développer une innovation soutenable, basée sur :

· l'éco et la socio-conception des produits ;

· une lisibilité d'un certain nombre de concepts (produits naturels, commerce équitable) ;

· un partage avec les différentes parties prenantes de notre activité.

Lorsque nous éco-concevons un produit cosmétique, nous devons nous assurer que nous évaluons l'ensemble des matières premières qu'il contient sur tous les aspects du développement durable.

Pour ce faire, nous avons développé un référentiel de qualification, basé sur cinq axes :

· la protection de la santé des personnes ;

· la protection de l'environnement ;

· la protection de la biodiversité ;

· la mis en place d'échanges commerciaux équitables ;

· la prise en compte des impacts sociaux et sociétaux de l'activité.

Ce référentiel présente par ailleurs l'intérêt de porter sur tout le cycle de vie du produit, de l'extraction des matières primaires à la fin de vie du produit, en intégrant nos fournisseurs à l'évaluation. Il convient en effet que ces derniers s'approprient ce référentiel de qualification et soient capables de progresser avec nous sur l'ensemble de ces axes.

Par ailleurs, depuis de nombreuses années, tant en interne, au niveau de notre recherche, qu'en partenariat avec nos fournisseurs, nous avons travaillé au développement de la chimie verte. Nous avons ainsi découvert un nouvel actif anti-âge, le proxylane, dont nous nous sommes assurés qu'il s'agissait d'une matière première renouvelable, conçue à partir d'un procédé économe en énergie et en atome. Dans ce but, nous avons utilisé un certain nombre d'indicateurs d'éco-conception, développés par l'université hollandaise de Delft. Enfin, nous garantissons la biodégradabilité de ce produit.

f) Les démarches d'écologie industrielle menées par le CEIA

Grégory LANNOU

J'aborderai le sujet du développement durable sous un angle plus opérationnel, en évoquant la mise en oeuvre sur le terrain d'une démarche d'écologie industrielle.

A travers l'institut Charles Delaunay, affilié au CNRS et de sa chaire d'écologie industrielle, l'Université de technologie de Troyes dispose d'outils de développement durable non seulement dans le domaine de la recherche mais également sur le plan opérationnel. Elle forme également des étudiants dans le cadre d'un Master d'écologie industrielle et d'éco-conception.

(1) Création du CEIA

Pour mettre en oeuvre les démarches d'écologie industrielle sur un territoire, en l'occurrence le département de l'Aube, nous avons créé une association, le Club d'écologie industrielle de l'Aube. Ce club a pour objectif de faire du développement durable et de l'écologie industrielle une clé de la performance du territoire et ce, en transformant ce qui pourrait apparaître en premier lieu comme une contrainte en un avantage concurrentiel.

Cet avantage peut être obtenu, d'une part, par une substitution de flux et, d'autre part, grâce à des mutualisations, non seulement d'approvisionnements, de traitements de déchets, d'utilité, etc., mais également de crèches d'entreprises, de services collectifs, de plans de déplacement, etc. L'idée est de transférer les résultats du laboratoire de recherche de l'université de technologie de Troyes vers les entreprises et les territoires.

Dans ce sens, l'association est divisée en quatre collèges :

· le collège des entreprises ;

· le collège des activités/institutions ;

· le collège des établissements de recherche et de formation ;

· le collège des représentations professionnelles.

Nous essayons donc d'adopter une démarche pragmatique et transversale qui implique l'ensemble des acteurs du territoire.

Depuis sa création en 2003, la véritable clé de la réussite de ce club réside dans le dialogue entre les parties prenantes du territoire. Si les acteurs d'un territoire (décideurs, chefs d'entreprises, établissements de formation, etc.) n'échangent pas d'informations, que ce soit sur leurs flux, leurs activités, leurs perspectives et leur stratégie, la démarche d'écologie industrielle est vouée à l'échec.

Malgré sa taille modeste (300 000 habitants), le département de l'Aube a la chance d'être composé d'acteurs qui se connaissent bien entre eux. Il s'agit pour nous d'un véritable levier d'action. Nous travaillons avec les chambres de commerce, de métier, d'agriculture, les représentations professionnelles, les autres établissements de formation (école de commerce, lycées agricoles, l'Institut universitaire des métiers du patrimoine, etc.).

En 2007, nous nous sommes portés candidats à un projet de l'Agence Nationale de la recherche, piloté par l'association Orée et intitulé COMET.

De 2008 à 2011, il sera mis en oeuvre sur sept territoires d'expérimentation français, dont trois dans l'Aube.

Cette démarche ambitieuse vise soit à faire des déchets des uns la matière première des autres, soit à mutualiser les ressources.

(2) Deux exemples d'écologie industrielle dans le département de l'Aube

Le premier exemple porte sur deux entreprises du département de l'Aube :

· la sucrerie Cristal Union, située dans le nord du département, qui fabrique du sucre à partir de betterave ;

· l'entreprise de travaux publics Appia Champagne, qui appartient au groupe Eiffage.

Lorsque l'entreprise Cristal Union les reçoit, les betteraves sont plus ou moins terreuses. Une fois lavées, la terre et le sable contenus dans l'eau sont décantés, avant de devenir un déchet. Depuis les années 60, ce déchet était épandu. Néanmoins, le rayon d'épandage était plus restreint que le rayon d'approvisionnement. Outre la saturation des sols, le sable engendrait une graminée, susceptible de gêner l'agriculture. Ce sable était par conséquent enfoui, en centre de classe III, pour un coût d'une vingtaine d'euros la tonne, pour près de 6 000 à 12 000 tonnes par an. Il s'agit donc d'un coût non seulement environnemental et mais également économique.

Appia Champagne quant à elle exploitait des carrières de sable vierge dans le cadre de son activité de travaux publics. La connaissance de ces flux nous a permis de mettre en relations les deux entreprises qui depuis 2004 ont signé une convention leur permettant d'échanger ces matières sableuses. Cet échange permet non seulement d'allonger la durée de vie des carrières et d'éviter l'enfouissement mais également de mutualiser les transports.

Ce type de solution pragmatique devient possible, dès lors que les différents acteurs d'un territoire dialoguent entre eux. Mettre en relation ces acteurs est l'idée fondatrice du Club d'écologie industrielle de l'Aube.

Deuxièmement, pour résoudre les problèmes de traitement des effluents graisseux issus de l'unité de fabrication d'andouillettes de l'entreprise AT France, il a été envisagé avec la DRIRE, d'une part, de procéder à un prétraitement des eaux et d'autre part, d'utiliser ce gras dans une chaudière, dimensionnée à cet effet, afin de fournir de la vapeur dans le cadre de process industriels. Ce bouclage en interne a permis de remplacer 30 % des gaz par ce nouveau combustible.

Enfin, il a été décidé d'utiliser l'excédent de vapeur non seulement pour chauffer les bâtiments mais également pour désinfecter les canalisations. Une blanchisserie a également été créée.

g) Echanges avec la salle

Claude ALBAGLI

En mai, le réseau international francophone que je préside, implanté dans 35 pays, organisera un colloque intitulé «  Comment rendre le développement plus durable ? ». La participation du Sénat y sera assurée au travers de la présence du Sénateur Jean-François Legrand.

Ce matin, nous avons évoqué les notions de bonheur et de PIB. La notion de bonheur a été établie par Jean-Baptiste Say, qui avait proposé de le mesurer au travers de la quantité de consommation réalisée par chaque individu. Dès lors, la publication annuelle par la Banque Mondiale du PNB par habitant constituait-elle une sorte de hit parade du bonheur planétaire. Or nous remarquons que depuis quatre ans elle ne donne plus qu'un ordre alphabétique. Peut-être ne croit-elle plus au bonheur.

Tant au sein des entreprises que des administrations, il devient de plus en plus difficile de mesurer le problème du transport par rapport à la norme écologique. Dans ce cadre, nous pourrions nous demander si la mondialisation, qui jusqu'à présent était apparu comme le début d'une nouvelle ère, ne constituerait pas plutôt le dernier acte d'une économie fondée il y a trois siècles. De plus en plus en effet, les entreprises risquent d'être confrontées à des problèmes d'organisation ainsi que de hausse considérable du prix des transports, si bien que la proximité finira par être valorisée. En d'autres termes, l'économie écologique signifie-t-elle la fin de la mondialisation ?

Anissa LARDJANE, chercheur

Le représentant de L'Oréal a parlé de référentiels de qualification. En tant que femme, je souhaiterais savoir pourquoi vous ne développez pas plus les produits biologiques, qui constituent une garantie de développement durable.

Estelle FORGET, étudiante en développement durable, Paris Dauphine

Je m'interroge sur l'enfouissement du CO 2 , dont Messieurs Gires et Florette ont fait la promotion. Je souhaiterais avoir l'avis de l'ADEME sur cette question.

Laurent GILBERT

Récemment, L'Oréal a procédé à des acquisitions dans le domaine du naturel et du biologique, afin de développer ce type de produits pour le maximum de consommateurs. Si, aujourd'hui, les surfaces cultivées ne permettent pas d'atteindre le niveau que vous appelez de vos voeux, nous nous sommes résolument engagés dans cette voie, en acquérant une marque comme Sanoflore, basée sur les principes de l'agriculture biologique.

Jean-Charles POMEROL

La question des transports et de la mondialisation est intéressante. Certains produits font déjà l'objet de coûts de transport tellement dissuasifs que la production locale a fini par s'imposer (sables, ciment, granulats, etc.). Nous avons pourtant affaire à des grands groupes mondiaux, le ciment notamment étant aux mains d'un quasi-oligopole. Dans ce cas, la mondialisation concerne davantage les procédés et les savoir-faire que la production qui, elle, peut être locale. Néanmoins, un producteur local peut être menacé par un producteur ayant une vision mondiale, à condition que ce dernier fasse preuve de procédés plus efficaces et plus propres.

François MOISAN

Le transport aérien est le seul dont le carburant n'est pas taxé, ce qui explique que ses prix n'aient pas encore d'impact sur les échanges. Si l'instauration de telles taxes peut conduire à une « vérité des prix », celle-ci néanmoins ne mettra pas fin à la globalisation. Elle conduira simplement à une rationalisation économique des échanges.

Par ailleurs, à ce stade, l'ADEME considère le captage et stockage du CO 2 comme une option de recherche. Il y a quatre ans, nous avons mis en place un club CO 2 , rassemblant tous les acteurs français (entreprises, laboratoires, etc.) travaillant sur cette filière. Nous estimons qu'il convient de prendre cette possibilité en considération, dans le cadre de nos échéances, pour 2050, de diviser par quatre les émissions de CO 2 dans les pays développés.

Pour autant, nous ne sommes pas encore en mesure de décider la généralisation de ce procédé. Néanmoins, lorsque nous constatons que chaque semaine plus d'une centrale électrique ou au charbon est construite en Chine ou en Inde, nous pouvons envisager, à l'avenir, de recourir à cette option, pour limiter les émissions. Une fois fiabilisée, il ne s'agira néanmoins que d'une solution transitoire.

Si nous avons déjà mené beaucoup d'études sur les technologies de captage et de stockage, nous ne disposons encore que de peu de références. C'est pourquoi il est essentiel de mettre en place des démonstrateurs, comme celui de Total. Des expériences sous aquifères seront également nécessaires, la Chine et l'Inde ne disposant pas d'un grand nombre de puits de pétroles ou de gaz.

Par conséquent, il convient de continuer nos recherches. Ainsi, d'ici une dizaine d'années, nous saurons si cette solution peut constituer une réponse à nos besoins. En aucun cas en revanche, nous ne devons nous reposer uniquement sur cette option. Pour limiter les gaz à effet de serre, l'efficacité énergétique reste la solution privilégiée.

Monsieur NDINGA-OBA, ISEC

Originaire du Congo-Brazzaville, où le groupe Total est le premier producteur de pétrole, je souhaiterais savoir comment vous vous y prenez pour allier exploration pétrolière et défi écologique. Par ailleurs, l'échéance d'épuisement des matériaux fossiles, fixée en 2020, prend-elle en compte les découvertes pétrolières qui ont lieu actuellement partout dans le monde ?

De la salle

D'où proviendront les sources de bois utilisées pour construire la maison que Monsieur Florette a évoquée ? A quelle échelle comptez-vous développer ce prototype ?

Philippe TRAMOY

Nous savons que les biotechnologies industrielles apportent des solutions à l'écologie industrielle, notamment dans la bioproduction de principes actifs.

Qu'en est-il du développement et de l'utilisation de la bioproduction au sein de L'Oréal, pour la production de principes actifs ?

Par ailleurs, en Europe, certaines sociétés développent des biotechnologies industrielles pour capter le CO 2 à partir de microorganismes. Qu'en est-il du développement de ces biotechnologies au sein de Total et de Gaz de France ?

Marc FLORETTE

Le bois de la maison que nous avons présenté à Interclima et qui sera exposée à la Foire de Paris, au mois de mai, provient d'une forêt autrichienne administrée et gérée de façon durable. Néanmoins, ce bois pourrait également venir de France.

Par ailleurs, je rappelle que nous ne vendons pas de maisons. Nous avons mené cette opération en collaboration avec des architectes ainsi que les magazines Vivre et La maison Ecologique , l'idée étant de présenter des possibilités, susceptibles d'être répliquées. En outre, le démonstrateur que nous avons exposé a vocation à évoluer. Nous espérons ainsi passer de 50 à 30 kilowattheures. Nous souhaitons également utiliser des panneaux photovoltaïques, des isolations renforcées, etc. Il s'agit donc davantage d'une sorte de laboratoire de démonstration, susceptible de déboucher sur des réalisations concrètes.

Laurent GILBERT

Nous investissons dans les technologies de bioproduction, depuis de très nombreuses années, notamment pour produire le plancton thermal.

Depuis quelques années, nous avons amplifié notre recherche tant en interne que dans le cadre de projets soutenus au niveau français, européen, ou en partenariat avec un certain nombre de nos fournisseurs, dans le domaine de la biotransformation pour la production d'actifs et d'intermédiaires.

Jean-Michel GIRES

Au Congo, alors qu'un déclin quasiment irrémédiable était annoncé il y a encore quelques années, nous estimons aujourd'hui possible de continuer à développer la production de pétrole, grâce aux découvertes que nous avons récemment effectuées en off-shore profond.

Pour concilier cette exploration avec les défis écologiques, il convient d'être particulièrement rigoureux en termes de lieux d'implantation, d'atteintes possibles à la biodiversité, de maîtrise des émissions, etc.

J'ignore à quel problème en particulier votre question fait référence. Le Congo-Brazzaville est confronté à d'autres problématiques écologiques comme la déforestation, qui relèvent moins de la responsabilité des compagnies pétrolières.

Pour répondre à votre seconde question, l'exemple du Congo montre qu'il est possible d'augmenter, dans une certaine proportion, les productions de pétrole.

Nous n'envisageons pas de rencontrer de contrainte, tel le fameux « peak oil », régulièrement débattu de gauche et de droite, avant 2020-2025. Nous rencontrerons certainement des difficultés, au-delà de ces échéances, davantage liées à nos capacités de production qu'aux ressources disponibles. Ces problématiques doivent nous inciter à travailler vigoureusement à la recherche d'alternatives au pétrole, ne serait-ce que pour faire face aux besoins qui ne vont pas manquer de se développer dans les pays émergents.

Par ailleurs, le stockage du gaz carbonique par les plantes mérite d'être encouragé. J'imagine que vous vous référiez à des recherches originales, basées sur les algues ou les micro-organismes. Pour l'instant néanmoins, il s'agit de recherches très en amont. A notre connaissance en effet, il n'existe pas de procédés industriels ou de business models dans ce domaine.

En liaison avec l'IFP, nous avons l'attention d'organiser, sur ce sujet, un colloque qui se déroulera probablement à Pau, aux alentours des mois de mai et de juin de cette année. Cet évènement nous permettra de faire le point et, peut-être, d'engager d'autres initiatives pour encourager les recherches les plus prometteuses dans ce domaine.

Jean-Marie BASSET

En tant que Directeur de recherche au CNRS ainsi que d'un laboratoire de catalyse à Lyon, membre de l'Académie des sciences et de l'académie des technologies, je voudrais témoigner au nom des chercheurs.

Nous avons le sentiment en effet que les chercheurs sont les « laissés pour compte » de ce débat, qui laisse avant tout la parole aux lobbys. S'ils pouvaient s'exprimer, les chercheurs souligneraient l'accroissement de la recherche en Inde et en Chine. Ils feraient valoir qu'en France, si les moyens de la recherche augmentent, la carrière du chercheur reste sous-évaluée, ce qui explique que nous soyons confrontés à des difficultés considérables pour motiver et recruter les jeunes.

Nous ne communiquons pas suffisamment sur ce que les défis auxquels nous faisons face actuellement peuvent leur apporter en termes de possibilités d'emploi. Quant à moi, je constate que dix fois plus de Chinois que de Français demandent à entrer dans mon laboratoire.

Nous sommes par ailleurs confrontés à un problème de lobbys. Les intervenants qui viennent de s'exprimer en effet défendent leurs lobbys respectifs, qu'il s'agisse du gaz, du pétrole ou de « l'administration ».

L'année dernière, lors d'un Congrès que j'ai organisé sous le titre : « De l'or noir à l'or vert », de grandes sociétés chimiques mondiales, comme Exxon, remarquaient que, quoi que nous fassions, les émissions de CO 2 allaient doubler d'ici vingt à trente ans. En Chine en effet, une usine d'électricité à base de charbon est construite toutes les semaines. Face à ce problème, Exxon a considéré que si, en Chine, une unité sur deux de charbon était remplacée par une unité de nucléaire, nous pourrions éventuellement stabiliser aux environs de 2040-2050 la quantité de CO 2 dans l'atmosphère. La France, qui a un rôle considérable dans le domaine du nucléaire, joue-t-elle suffisamment cette carte ? Le nucléaire en effet me paraît une solution évidente aux problèmes de l'énergie dans le monde.

Philippe ADNOT

Je répondrai à la première partie de votre intervention. Il se trouve que c'est moi qui aie conçu la maquette de cette manifestation, que j'ai présentée au Président du Sénat pour qu'il la reprenne à son compte. Ce faisant, j'ai veillé à mettre en dialogue le monde de la recherche avec le monde de l'entreprise et de la finance. Par conséquent, je ne peux pas laisser dire que cette manifestation a pour objectif de permettre aux lobbys de s'exprimer.

En revanche, il serait absurde d'organiser ce type d'évènement sans inviter le monde de l'entreprise. Par ailleurs, je ne suis pas certain que le Président de Pierre et Marie Curie soit le représentant d'un quelconque lobby.

Enfin, je rappelle que 17 projets de recherche sont exposés dans le hall toute la journée. De plus, nous avons encore tout l'après-midi pour travailler.

Marc FLORETTE

Nous fréquentons quant à nous largement les scientifiques. A titre d'exemple, nous avons des partenariats avec le CORIAC et le laboratoire spécialisé en combustion, du CNRS à Rouen. Par ailleurs, dans le cadre du pôle de compétitivité TENERRDIS en Rhône-Alpes, nous travaillons avec le CEA sur les énergies renouvelables.

Au conseil scientifique de Gaz de France, sont représentés un certain nombre de chercheurs, comme Jean Salençon, qui est le Vice-Président de l'Académie des Sciences ou Hervé Le Treut, qui est l'un des plus grands climatologues français et internationaux. Ces chercheurs nous interpellent sur un certain nombre de sujets. Néanmoins, en tant qu'entreprise, nous devons aussi prendre en considération notre compte de résultat.

François MOISAN

Pour moi, la notion de lobby n'est pas a priori négative. Il rejoint le terme « parties intéressées », utilisé par les Américains. Il est à mon sens inéluctable que les personnes qui s'expriment soient porteuses des intérêts des organismes qu'elles représentent. Nous pourrions ainsi parler de lobby, en ce qui concerne tel ou tel laboratoire ou institution.

A l'ADEME, en termes de recherche, nous travaillons tant avec les laboratoires publics qu'avec les entreprises, qui reçoivent respectivement un tiers et deux tiers de nos budgets, l'objectif étant d'instaurer un dialogue entre ces deux acteurs.

Vous avez évoqué les chercheurs, dont un certain nombre des problèmes sont liés à leurs salaires. Des réformes structurelles sont en cours dans ce sens.

En revanche, je ne souscris pas à l'idée selon laquelle les émissions de CO 2 devraient inéluctablement doubler. Les scientifiques du GIEC ont en effet démontré que l'écart de température de la fin du siècle (de +2° à +6°) repose pour moitié sur l'incertitude des modèles climatiques, l'autre moitié étant due aux trajectoires d'émissions futures. Je refuse l'idée selon laquelle tout serait déjà écrit. Si l'augmentation est inéluctable, faisons en sorte qu'elle soit la plus faible possible.

Philippe ADNOT

Je souhaiterais que Grégory Lannou nous présente le logiciel que le CEIA met actuellement en oeuvre.

Grégory LANNOU

L'écologie industrielle suppose que, dans le cadre d'accords de confidentialité, les partenaires industriels placent dans un lieu sécurisé les informations concernant leurs flux.

Grâce aux travaux de recherche que nous avons menés dans le cadre d'une thèse réalisée au sein de mon laboratoire, nous avons créé un logiciel permettant de capitaliser les données sur les flux entrants et sortants des entreprises, afin de faire les connexions, soit en mutualisation, soit en substitution, dont nous avons besoin pour mettre en oeuvre les démarches sur le territoire.

Le logiciel ne remplace pas l'expert. Une fois l'ensemble des possibilités de synergie détectées par le logiciel, il convient d'analyser leur faisabilité, en termes d'économie, pour l'entreprise, de limitation des impacts sur l'environnement, de création ou de consolidation d'emploi, etc. C'est de cette manière que nous arrivons à mettre en place des synergies sur un territoire ainsi qu'à pérenniser des activités.

TÉMOIGNAGES ET EXPÉRIENCES VÉCUES

I. OUVERTURE
JACQUES VALADE, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES CULTURELLESDU SÉNAT

Je voudrais tout d'abord exprimer au Président de « Tremplin recherche » toutes mes félicitations et lui dire combien cette initiative qu'il a prise il y a maintenant quelques années est devenue un évènement auquel nous avons plaisir de nous retrouver chaque année.

Cette journée constitue une parenthèse dans nos difficultés territoriales. En tant que Président de la Commission des affaires culturelles du Sénat, j'évoquerai l'évolution de notre environnement en matière de recherche ainsi que de notre environnement public.

La prise de conscience à la fois des faiblesses structurelles de notre système de recherche et des défis auxquels notre pays est confronté a conduit les pouvoirs publics à engager des réformes de fond. Le Président de la République en avait fait l'un de ses thèmes de campagnes.

Le Sénat pour sa part y a pris toute sa place. Le fait que la plupart des textes aient été présentés en premier lieu au Sénat est tout à fait significatif de la considération dans laquelle les pouvoirs publics nous tiennent.

Avec le Pacte pour la recherche et la loi de programme du 18 avril 2006, une véritable mutation a été engagée. L'organisation du système de recherche et d'innovation, les modalités de financement et de fonctionnement ainsi que les modes d'évaluation ont fait l'objet d'une réflexion. Nous assistons actuellement à une évolution que nous souhaitions depuis longtemps et à laquelle nous avons contribuée.

Le regroupement des acteurs de la recherche dans de nouvelles structures de coopération va dans le sens souhaité. La création des pôles de compétitivité a permis la mise en réseaux d'entreprises privés de toutes tailles ainsi que d'organismes de recherche publique et d'enseignement supérieur, autant de regroupement et réseaux indispensables à la mobilisation de notre potentiel d'innovation.

Plus de 70 pôles ont été ainsi labellisés, sur l'ensemble du territoire. Ils permettent aux acteurs publics et privés de se rencontrer et de mieux coopérer même si des efforts doivent encore être réalisés pour y impliquer davantage les universités.

En tant que Sénateur du département de la Gironde et acteur de la région Aquitaine, j'ai été à la fois frappé, impressionné et quelque peu ému par cette capacité qu'ont eu les hommes et les femmes, en tant qu'acteurs du monde économique et de la recherche, de travailler ensemble pendant des mois pour aboutir à une définition de programme de recherche, tel que prévu dans la loi sur les pôles.

Les PRES offrent désormais aux établissements un nouvel outil de mutualisation de leurs activités et de leurs moyens.

Les Réseaux Thématiques de Recherche Avancée (RTRA), qui ont été inventés au Sénat, connaissent un démarrage prometteur, même si ce concept reste encore à encadrer par rapport aux PRES.

Enfin, les Instituts Carnot et les fondations de recherche apportent leur pierre à l'édifice. J'insisterai sur l'importance des fondations de recherche.

La France a pris du retard par rapport à ce concept de fondation qui, aux Etats-Unis, est largement développé. Il permet, grâce à des financements, quelquefois spontanés, d'améliorer les conditions dans lesquelles la recherche se développe.

Ces créations vont dans le sens d'un nouvel élan que nous souhaitons donner à la recherche sur l'ensemble du territoire.

En matière de pilotage de la recherche, d'importants progrès ont été réalisés. Le Haut Conseil pour les Sciences et les Technologies commence à intervenir. Il doit trouver sa place au sein du système.

Ce Haut Conseil mérite que nous réfléchissions à sa composition, à sa structure et à son rôle.

Il a été placé, par la volonté du Président de la République précédent, auprès du Président de la République. C'est à lui qu'il incombe de donner les grandes orientations de la recherche française tant au niveau fondamental qu'au niveau de l'application.

Personnellement, je souhaite que le Président de la République actuel s'exprime à ce sujet.

L'Agence Nationale pour la Recherche permet de développer la recherche par projet. A l'instar de nos partenaires étrangers, cette agence favorise la mise en relation des chercheurs des universités et des grands établissements avec des entreprises, grandes ou moyennes. Nous savons qu'il existe des interrogations et des amertumes de la part des grands organismes de recherche, qu'il s'agisse du CNRS, de l'INRA ou de l'Inserm. Il faut que chacun trouve sa place. Il est évident que personne ne doit travailler par substitution. Il convient de redéfinir la mission de chacun.

Cette Agence a donc pour mission de favoriser la relation des chercheurs d'universités et des grands établissements avec les entreprises. Nous devons éviter que les PME et PMI, qui doivent bénéficier de cet effort national, soient mises dans des conditions, notamment administratives, trop contraignantes qui les empêcheraient de présenter des projets et de bénéficier des moyens correspondants.

Les Sciences et technologies de l'information et de la communication (TIC) et l'énergie sont les domaines où la collaboration avec les entreprises est la plus forte. D'une manière générale, la recherche partenariale représente 22 % de l'ensemble des projets soutenus par l'ANR. Il est vrai néanmoins que ces partenariats sont très variables selon les thématiques, les entreprises n'ayant été parties prenantes que de 6 % des programmes dits « blancs ».

La volonté du législateur, de même que celle du politique, était de ne pas encadrer trop sévèrement les thèmes de recherche et de laisser une partie non négligeable des crédits de recherche à la disposition de ceux qui étaient capables d'imaginer et de mettre en valeur des thèmes, en coopération avec l'entreprise.

Je rappelle qu'il s'agit essentiellement de la recherche fondamentale. Il convient par conséquent qu'au-delà du CNRS et de l'Inserm, nous donnions envie d'avoir accès à ces possibilités.

Enfin, la réforme tend à renforcer l'évaluation globale de la recherche, qui a constitué dans le passé un point faible dans notre pays. L'Agence d'évaluation pour la recherche et l'enseignement supérieur constitue une avancée déterminante. Ses premiers travaux sont encourageants. Bien entendu, elle devra veiller à ce que ses évaluations soient suivies d'effets.

Il s'agit de caler le soutien de l'Etat à la recherche, qu'elle soit publique ou privée, sur l'évaluation des résultats obtenus, ce qui passe naturellement par l'évaluation de la pertinence des projets formulés mais aussi des équipes qui présentent ces projets.

S'il s'agit d'une véritable révolution, celle-ci ne signifie pas que les autres organismes (CNRS, INRA, etc.) ne disposaient pas d'évaluation interne. Il est néanmoins fondamental qu'une organisation telle que l'AERES puisse intervenir au niveau national.

Enfin, notre pays souffre d'une faiblesse. L'enseignement supérieur n'occupe pas la place qui devrait être la sienne. Un enseignement supérieur de qualité ne devient intrinsèque que s'il s'appuie sur une recherche parallèle.

Or nous vivons en France un dilemme, à savoir que l'université française a le devoir d'accepter tous ceux qui souhaitent y entrer tandis que les grandes écoles ont la capacité de les sélectionner.

Ce système, qui est excellent dès lors que l'on veut dégager des élites, devient réducteur si nous nous contentons de donner à l'Université la charge d'enseigner à tous ceux qui ont obtenu le baccalauréat. Il est évident en effet que les potentialités seront moindres, ce qui ne va pas dans le sens que nous pouvons souhaiter.

Une solution se dégage actuellement. A ce titre, j'apprécie les efforts des responsables d'école qui offrent la possibilité d'échanger leurs étudiants avec ceux des universités, de manière à ce que les moyens à notre disposition soient utilisés au mieux.

Il y a deux ans, à l'occasion de l'édition 2006 de Tremplin recherche, je formais le voeu que la dynamique engagée permette de renforcer l'efficacité de la gouvernance et l'autonomie de nos universités qui en ont tellement besoin. Aujourd'hui, cette étape est en voie d'être franchie.

Avec la loi du 10 août 2007, nous avons été convoqués à une session extraordinaire pendant laquelle nous avons été amenés à envisager le nouveau dispositif relatif à la gouvernance des universités. Dans un délai de cinq ans, les universités bénéficieront de compétences élargies en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines. Leur conseil d'administration sera désormais resserré, avec seulement vingt à trente membres alors qu'actuellement il compte de 40 à 60 membres. Ce nouveau conseil d'administration est plus ouvert aux personnalités extérieures. Parmi elles, le Sénat a souhaité que figure au moins un chef ou cadre dirigeant d'entreprise ainsi qu'un autre acteur du monde économique et social.

Nous avons souhaité ainsi assurer la participation des chefs d'entreprise à la vie des universités, compte tenu des enjeux à la fois en termes d'ouverture sur l'extérieur, de politique de recherche, d'insertion professionnelle, et partant, garantir l'évolution de l'offre de formation initiale et continue de l'université. C'est pourquoi j'incite les représentants des entreprises à se saisir de cette opportunité pour accompagner et encourager l'évolution des universités françaises.

Enfin, je vous rappelle que fin 2007, le Parlement a autorisé le gouvernement à ratifier l'accord de Londres sur les brevets européens. Il s'agit d'un sujet compliqué qui pourra faire l'objet de discussions ultérieures entre nous.

Toutes ces réformes nouvelles sont de nature à nous redonner confiance dans l'avenir de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. Elles tendent aussi à renforcer l'attractivité de notre territoire et à ouvrir de nouvelles perspectives aux jeunes chercheurs français et étrangers.

La pleine réussite de ces réformes d'ampleur nécessite la mobilisation de tous les acteurs. Les pouvoirs publics ont pris pour leur part une forte responsabilité en assortissant les réformes de structure d'un financement public renforcé. Au total, le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche connaîtra une hausse inédite de ses moyens, d'1,8 million d'euros, soit une augmentation de 7,8 %.

Une forte augmentation du crédit « impôt-recherche » a été acceptée, notamment par le Ministère des Finances, et des engagements d'un niveau exceptionnel ont été pris pour les cinq années à venir, avec au moins 1 milliard d'euros de plus par an. Les structures ont évolué. Les moyens sont mis à leur disposition. Les acteurs également. Cette mobilisation sur le plan territorial, avec notamment l'établissement de plans de développement régionaux, a été tellement exceptionnelle que nous nous devions de l'accompagner. J'espère que les participants à cette table ronde nous apporteront des éléments de satisfaction pour le passé et d'espoir pour l'avenir.

II. RÉSULTATS DES RECHERCHES CONDUITES
DANS QUELQUES PROJETS LAURÉATS

TABLE RONDE

Participaient à la table ronde :

Pascal BRAULT, Directeur de recherche au CNRS

Alain BERGEL, Directeur de recherche au CNRS

Jacques BODENNEC, Enseignant chercheur MCIJ

Abdelhak EL AMRANI, Maître de conférences (HDR)

Les débats étaient animés par Philippe ADNOT, Sénateur de l'Aube, Président, du Conseil général de l'Aube et Frank NIEDERCORN, journaliste, Les Echos

Philippe ADNOT

Je reconnais que nous avons parmi nous un Président de commission du Sénat, un universitaire et un ancien Ministre, qui a pour qualité de favoriser l'émergence des idées ainsi que le dialogue. Cette qualité s'est particulièrement ressentie dans le texte de réforme des universités.

Au cours de cette table ronde, quatre chercheurs nous expliqueront leur projet. Je rappelle que cette journée a pour objectif de réconcilier le monde de la recherche, le monde de l'entreprise ainsi que le monde de la finance, pour que tous puissent progresser en se concertant.

Nous avons sélectionné des projets de recherche se situant suffisamment en amont, afin d'éviter d'empiéter sur « Tremplin entreprises », opération qui fêtera au mois de juillet son dixième anniversaire et qui consiste à présenter des porteurs de projets d'entreprises en recherche de capitaux.

Frank NIEDERCORN

Je suis journaliste spécialisé dans l'innovation aux Echos . Les projets tout à fait passionnants qui vont vous être présentés ont la particularité de n'être encore qu'au stade du laboratoire. Ils ne demandent néanmoins qu'à en sortir. Pour ce faire, des compétences, des rencontres avec des industriels, éventuellement des investissements sont nécessaires.

Les piles à combustibles, qui sont au coeur du projet mené par Pascal Brault, permettent de fabriquer de l'électricité à partir des hydrogènes en ne produisant pratiquement que de l'eau comme déchet. Leur utilisation néanmoins n'a pas été généralisée, comme nous l'avions espéré il y a quelques années, suite aux théories de Jérémy Rifkin sur l'économie de l'hydrogène. Pascal Brault nous expliquera comment ses travaux pourront permettre d'améliorer les conditions de production de ces piles.

a) L'élaboration de piles à combustibles par procédés plasmas

Pascal BRAULT, Directeur de recherche au CNRS

Je suis chercheur dans un laboratoire d'université d'Orléans associé au CNRS et Directeur de recherche au CNRS. Il s'agit d'un des premiers mariages entre universités et établissements, conformément à ce qu'a souhaité le législateur.

Je vous présenterai un projet d'élaboration, par procédés plasmas, de piles à combustibles en couche mince.

L'objectif de ce projet consiste à diminuer les coûts de fabrication de ces piles extrêmement prometteuses comme source d'énergie électrique, qui pourraient contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Nous avons mené ce projet en partenariat avec deux laboratoires, à Montpellier et à Orléans, une collectivité locale, l'agglomération du Drouet, et une PME industrielle, MHS-équipement.

L'enjeu consiste à innover à la fois scientifiquement et techniquement sur la fabrication de ces piles.

(1) Objectifs scientifiques et technologiques

En ce qui concerne la fabrication et l'utilisation des piles à combustibles, il existe encore d'énormes verrous. Pour élaborer ces piles, il faut concevoir, construire et valider les réacteurs plasmas dédiés à la fabrication de ces coeurs de pile. Il convient également réaliser les coeurs de piles, avant de les intégrer dans un certain nombre d'objets.

Nous nous intéressons à des applications pouvant aller jusqu'à quelques centaines de watts, voire plus, en vue de l'intégration de ces piles à des dispositifs dits « portatifs », comme les téléphones portables, les ordinateurs, etc. Elles pourraient également avoir des utilisations domestiques.

(2) Le montage du projet

Mener un projet commun, dans lequel tous les partenaires sont à égalité et apprennent le langage de l'autre, s'est avéré être une démarche innovante, à la fois pour les chercheurs, la PME ou l'agglomération.

Ce projet a été soutenu par l'Europe et l'Etat. Nous avons également reçu les encouragements de la région Centre, de l'agglomération de Dreux, du Conseil général d'Eure-et-Loir ainsi que du groupe industriel. Nous avons obtenu un montant relativement élevé pour un travail de recherche de trois ans.

(3) Pourquoi Dreux ?

Suite aux problèmes rencontrés par la population locale, en raison de délocalisations d'entreprises très importantes, notre projet a bénéficié d'un plan de redynamisation. A cette occasion, l'agglomération de Dreux a également créé un outil de développement, qu'elle a appelé MIT Dreux Innovation, à travers lequel nous pouvons échanger sur ce projet pilote.

(4) Enjeux stratégiques

L'attractivité économique constitue le premier des enjeux, puisqu'il s'agit de résoudre des problèmes de production d'énergie propre. Ce projet nous a permis de recruter des personnels compétents et, partant, de donner des débouchés à des doctorants.

Il constitue également un vecteur de compétitivité économique. Si la recherche est conduite au sein de laboratoires, ses produits ont vocation à en sortir, l'idée étant de les appliquer au niveau des territoires au moyen de partenariats innovants.

Enfin, nous obtiendrions une très grande victoire si nous pouvions parvenir à notre objectif final, qui consiste à créer 200 emplois à l'occasion grâce à l'implantation dans l'agglomération d'une unité de fabrication.

(5) Etat d'avancement du projet

Nous avons réussi à fabriquer ces piles et à mesurer leurs performances. Elles se situent pour l'instant au niveau du standard international actuel, mais dans des dimensions extrêmement réduites. Elles fournissent de 100 à 400 miniwatts par centimètre carré, ce qui signifie que, pour un élément de pile de 10 centimètres sur 10 centimètres, nous obtenons quelques 40 watts de courant.

Depuis son lancement, en amont, par des travaux de recherche fondamentale, deux brevets ont été déposés. Un troisième est en cours.

Nous souhaitons aboutir à un prototype industriel qui réunisse les compétences des deux laboratoires en un lieu. Nous espérons que ce prototype conduise à la fabrication de machines de production, qui nécessitent à leur tour d'employer de jeunes chercheurs.

Je remercie tous ceux qui nous ont soutenus : nos collègues, nos tutelles, ainsi que nos partenaires habituels.

Frank NIEDERCORN

D'après ce que vous nous avez indiqué, vous demandez une aide de 44 000 euros pour fabriquer le prototype. Plus précisément, quelles seraient les fonctions et les principales caractéristiques de ce prototype ? Quel calendrier vous permettrait-il d'aller plus loin ?

Pascal BRAULT

Actuellement, nous nous situons encore dans la phase de construction de ce prototype. La phase de montage doit démarrer au début du mois de mars à Dreux. Le prototype aura pour fonction de fabriquer les piles à combustibles. Actuellement, une partie du coeur de pile est conçue à Montpellier. Il s'agit de l'électrolyte, c'est-à-dire la partie isolante. A Orléans, nous fabriquons les électrodes.

La pile à combustible s'apparente à une pile de lampe de poche. Elle est composée de deux bornes, les électrodes, entre lesquelles se trouve un liquide visqueux, l'électrolyte. Nous avons réussi à miniaturiser et à solidifier ce type de pile.

Grâce au prototype, les piles à combustibles pourront être fabriquées à l'aide d'une seule technologie intégrée, celle-ci ayant fait ses preuves dans le monde de la microélectronique.

Pour affiner et achever ce travail, nous souhaiterions pouvoir bénéficier de l'équivalent de deux ans de salaire d'un post-doc expérimenté. Un post-doc est un étudiant qui, ayant fini sa thèse, cherche à confirmer ses compétences au sein d'un laboratoire ou d'une entreprise.

b) Pile à combustible microbienne : transformer les déchets en électricité

Alain BERGEL

Je voudrais remercier le comité qui a sélectionné notre projet.

Dans le domaine des piles à combustibles, nous devons encore faire face à deux verrous technologiques importants. Pour que ces piles fonctionnent en effet, il convient de faire en sorte que l'hydrogène et l'oxygène réagissent très rapidement et respectivement sur l'une et l'autre des électrodes et, partant, trouver les catalyseurs adéquats. Généralement en platine, parfois en cobalt ces derniers sont relativement coûteux. Ils exigent en outre des combustibles particulièrement purs.

(1) Découverte de la pile à combustible microbienne

La pile microbienne a été trouvée quelque peu par hasard par des chercheurs du Massachusetts, qui, dans le cadre de leurs travaux de recherche fondamentale, ont été amenés à poser une électrode au dessus d'un récipient d'eau de mer.

Au bout de quelques semaines, ils se sont rendu compte que l'électricité passait entre les deux électrodes. Tout leur génie a consisté à démontrer que le flux d'électricité était rendu possible par la présence de micro-organismes posés sur l'anode. Ces derniers en effet étaient capables d'arracher de la matière organique à des déchets contenus dans les sédiments et de les faire passer dans l'électrode. En d'autres termes, il s'est avéré que ces micro-organismes réalisaient la catalyse que nous cherchions à produire à l'aide de métaux très coûteux, tels que le platine.

Dans le même temps, au sein du laboratoire de génie chimique à Toulouse du CNRS en collaboration avec le centre de Saclay du CEA, nous étudiions la corrosion d'aciers inoxydables en mer.

Nous nous sommes aperçus qu'en favorisant les phénomènes de corrosion induits par les micro-organismes, nous arrivions à catalyser une réaction sur la cathode.

Ces deux recherches, alors menées de manière totalement indépendantes, ont abouti en 2002. A cette date, nous avons déposé un brevet, tandis que les équipes du Massachusetts ont réalisé des publications pionnières dans Nature and Science .

Dans les deux cas, les recherches ont abouti à une véritable avancée scientifique : la découverte que des micro-organismes sont capables d'adhérer à des surfaces conductrices et de brancher leur métabolisme sur cette surface solide.

(2) Ce nouveau domaine de recherche se transformera-t-il en rupture technologique ?

Depuis 2002, les équipes américaines ont répondu par l'affirmative, en soulignant le caractère peu coûteux de ce développement naturel de catalyseurs sur des électrodes.

Ces micro-organismes en effet sont capables d'utiliser de la matière carbonée, des sédiments, des effluents, etc. soit un combustible très bon marché. Par ailleurs, il s'agit d'un processus « gagnant-gagnant », la pose d'une telle pile sur une station d'épuration d'effluents ayant pour effet d'activer le process de traitement des effluents.

D'autres ont eu l'idée d'utiliser des déchets agricoles, permettant ainsi de créer une filière d'énergie, alternative aux biocarburants de deuxième génération.

(3) Rêve de chercheur ou émergence d'une nouvelle technologie ?

La réponse à cette question dépendra des puissances produites. Pour calculer les puissances maximales, certains chercheurs ont eu l'idée de placer des micro-organismes sur les électrodes, de manière très resserrée. Ce faisant, ils ont obtenu 2 watts par mètre carré.

Nous avons mené des expérimentations au sein de notre laboratoire, et nous avons obtenu 5 watts par mètre carré. Nous avons donc réussi à dépasser les puissances limites théoriques. Dans ce domaine, des recherches fondamentales restent à mener.

A titre de comparaison, je rappelle que la puissance de l'énergie photovoltaïque s'élève à100 watts par mètre carré. Il s'agit néanmoins d'une technologie mature. Avec les piles à combustible microbiennes, qui constituent une technologie dont le concept est né il y a cinq ans, nous arrivons déjà à 5 watts. Nous disposons donc d'une marge de progression prometteuse.

Si nous avons pu obtenir cette puissance, c'est grâce aux recherches des équipes américaines, qui, en 2005, se sont aperçues que des micro-organismes fabriquaient des nano-fils électriques.

(4) Etat d'avancement du projet

En 2002, nous avons déposé un brevet. Nous avons mis près de cinq ans pour trouver un financement nous permettant de continuer le projet. En décembre 2004, nous avons eu la chance de gagner un appel d'offres européen New and Emerging Science and Technology . Nous étions le premier programme coordonné par la France que cet appel d'offres finançait, à hauteur d'1,9 million d'euros.

Nous avons par ailleurs bénéficié, en 2005, des programmes blancs. Par conséquent, je vous transmettrai le message suivant. Ne créons pas de vallée de la mort sur la recherche fondamentale. Au sein des laboratoires, nous avons besoin de ces financements récurrents pour développer de nouvelles idées.

Depuis 2005, nous avons, d'une part, déposé deux nouveaux brevets et, d'autre part, effectué une dizaine de publications. A cette époque, 29 brevets avaient déjà été déposés sur cette thématique, dont plus de 60 % aux Etats-Unis et en Corée.

(5) Applications

Les applications de ces piles concernent des domaines très variés : sédiments marins, effluents aqueux (stations d'épuration), robots hominisés, etc.

Au-delà du soutien financier, nous souhaiterions voir la création d'un forum de discussion avec les divers partenaires industriels pour savoir, en fonction de leurs compétences, quelles seraient pour eux les applications les plus prometteuses.

Etant donné son caractère pluridisciplinaire, cette recherche est menée en collaboration entre des microbiologistes, des experts en matériaux, nos collègues du centre de Saclay (CEA) ainsi que du CNR ISMAR à Gênes.

Frank NIEDERCORN

A quelle date envisagez-vous les premières applications concrètes de cette technologie ?

Alain BERGEL

Les premières applications concrètes seront mises en oeuvre en 2008. Il suffit pour cela de trouver des niches de marché où une faible puissance est suffisante, par exemple, pour alimenter des capteurs marins. Dans ce domaine en effet, où changer des piles coûte très cher, les piles à combustible microbiennes sont l'outil idéal, dans la mesure où, grâce aux sédiments marins, elles pourront fonctionner, même à une faible puissance, pendant des années.

Pour concurrencer les biocarburants de deuxième génération en revanche, nous devrons encore attendre vingt à trente ans.

C'est pour cette raison que nous appelons de nos voeux un forum de discussions avec les industriels.

S'agissant des capteurs marins, nous avons commencé à discuter avec l'IFREMER. Nous pourrions également intervenir dans le traitement d'effluents très ciblés.

En Australie par exemple, il existe une pile qui traite des effluents de brasserie.

c) Utilisation de la phytoremédiation comme solution à la pollution environnementale

Abdelhak EL AMRANI

Nos travaux de recherche ayant été menés en équipe, nous souhaitions qu'au moins deux personnes puissent vous les présenter.

Je céderai donc la parole à Christophe Biteau, qui travaille sur ce projet dans le cadre d'un CDD de dix mois. J'insiste sur cet aspect pour vous montrer la précarité des personnes qui travaillent sur ce type de projet, en dépit de leur importance et de leurs répercussions.

(1) Equipe et thématique de recherche

Christophe BITEAU

Avant de vous présenter notre équipe et sa thématique de recherche, je voudrais vous remercier pour la mise en avant de notre projet au sein de cette assemblée.

Notre équipe comprend trois personnes : Abdelhak El Amrani, Francisco Cabello Hurtado, maître de conférences, et moi-même, technicien.

Nous travaillons sur les effets des polyamines exogènes sur l'activation de la tolérance aux xénobiotiques chez les plantes supérieures. Cette équipe s'inscrit dans le centre armoricain de recherche en environnement au sein de l'unité mixte de recherche UMR-CNRS 6553 de l'université de Rennes 1. Cette UMR est composée d'une majorité d'enseignants-chercheurs. Elle est riche de très nombreuses publications scientifiques et se distingue par une participation dans des programmes de recherche nationaux, européens et internationaux.

Les premières recherches ont été initiées par l'ancienne équipe « expression génétique et adaptation » sur une thématique générale de réponse des organismes aux contraintes environnementales.

Il s'agissait d'étudier chez les plantes des mécanismes génétiques impliqués dans la tolérance aux polluants. Les premiers résultats ont fait l'objet d'un dépôt de biotechnologies environnementales liées au problème de la pollution des sols. Dans ce domaine, deux types d'approches de remédiation coexistent :

· une méthode fondée sur l'extraction des sols pollués, qui s'avère coûteuse et perturbatrice pour le milieu ;

· une méthode plus respectueuse de l'environnement la phytoremédiation.

Cette méthode assure une fonction épuratoire des polluants organiques et chimiques sur de grandes surfaces et à un coût bien moindre. Il s'agit d'une technologie émergente dont les retombées financières se chiffrent en centaines de millions de dollars, avec un marché potentiel de plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Avant de laisser le soin à Abdelhak El Amrani, porteur du projet, de vous présenter l'invention plus en détail, j'ajoute que celle-ci se fonde sur l'amélioration des capacités naturelles phytoremédiatrices des plantes et non sur la transgenèse, modification d'organismes génétiques.

(2) La phytoremédiation comme solution à la pollution environnementale

Abdelhak EL AMRANI

Comme Christophe Biteau vient de vous l'expliquer, il existe deux types de brevets :

· un brevet basé sur la transgenèse, procédé rejeté par l'opinion publique européenne ;

· un brevet fondé sur l'amélioration de la capacité de bioaccumulation et de biodégradation des xénobiotiques.

Pour mener nos travaux, nous avons utilisé deux modèles :

· l'Arabidopsis Thaliana, plante dont le génome est complètement séquencé et annoté, autour de laquelle s'est constitué un consortium international pour comprendre le développement chez les plantes supérieures ;

· l'atrazine, herbicide utilisée depuis une quinzaine d'années, dont nous connaissons l'impact sur l'environnement et la santé humaine.

Par hasard, nous nous sommes rendu compte que l'addition de molécules simples et biodégradables telles que le sucre soluble était capable d'apporter des protections extrêmement significatives et permettait aux plantes de dégrader davantage les polluants.

En utilisant des approches génomiques, avec l'aide de la plateforme Transcriptomique d'Evry, nous avons confirmé cette découverte, dont les répercussions en biotechnologie environnementale, notamment dans le domaine de la phytoremédiation, sont extrêmement fortes.

Trois brevets ont été déposés : deux français et un américain.

Simples et biodégradable, ces molécules améliorent de façon extraordinaire la capacité des plantes à absorber et dégrader les polluants. Elles améliorent donc la phytoremédiation sans passer par des procédés de transgenèse.

Récemment, nous avons démontré que les polyamines, molécules présentes dans tous les systèmes vivants, étaient capables de stimuler de manière assez spectaculaire le développement des plantes. Nous avons comparé des plantes ayant poussé en présence d'atrazine, en présence de sucre biodégradable et en présence de putrescine.

Nous nous sommes rendu compte que ces polyamines activaient de manière importante la rhizogenèse et le développement des primordiums racinaires.

Ce faisant, nous activons la surface en contact avec les polluants et, partant, leur pente d'absorption.

Cette découverte nous permet de penser que les plantes sont susceptibles de se développer sur des sols fortement pollués, dont elles absorbent un large spectre de polluants.

Il convient donc de mettre en avant la stratégie de phytoremédiation, déjà largement utilisée aux Etats-Unis où le marché est en progression exponentielle.

Plusieurs contacts ont été établis avec des entreprises françaises, américaines et canadiennes. Actuellement, nous travaillons avec une coopérative d'élevage sur la problématique de la libération des nitrates dans l'environnement, qui constitue un problème majeur en France, notamment en Bretagne. Ce problème est partagé par tous les pays dont l'activité agricole est importante.

Les opérations de transfert ont été principalement gérées par Bretagne Valorisation, en collaboration avec le centre de biotechnologie de Bretagne Rennes Atalante. Le soutien financier a été assuré par Rennes Métropole.

(3) Nos perspectives

Nous souhaitons continuer à rechercher des mécanismes de détoxification en utilisant des approches de génomie. Ensuite, nous valoriserons ces brevets. Notre projet ayant été identifié à ses débuts comme appartenant à la recherche fondamentale, nous avons rencontré, au moment de sa valorisation et commercialisation, un certain nombre de contraintes, liées notamment au caractère discontinu des financements tant publics que privés. Pour ce type de projet, qui se situe véritablement au coeur de la vallée de la mort, il est difficile d'obtenir des soutiens, pour engager des CDD et des CDI.

Frank NIEDERCORN

Il semble que vous soyez en mesure de chiffrer votre marché potentiel en Europe. Votre affirmation selon laquelle vous rencontriez des difficultés auprès des industriels m'a étonné dans la mesure où nous disposons, en France notamment, de grandes entreprises industrielles dans les domaines du traitement des eaux, de l'environnement, etc.

Abdelhak EL AMRANI

Les Américains se sont rendu compte plus rapidement que nous des répercussions sévères que la pollution environnementale avait sur la santé publique. Ces impacts ont été décrits dans plusieurs articles publiés il y a quelques années déjà.

Plutôt que de continuer à investir dans les dépenses de santé, ils ont choisi d'améliorer leurs conditions environnementales. Pour ce faire, ils ont réduit le taux de traitement, à partir duquel un industriel est mis dans l'obligation de traiter la pollution de son environnement. En Europe en revanche, ce niveau reste relativement élevé. Des évolutions sont néanmoins en cours. Une fois calé sur le niveau américain, le marché européen deviendra extrêmement intéressant.

Frank NIEDERCORN

Il s'agit donc avant tout d'un problème de réglementation.

Abdelhak EL AMRANI

Les personnes avec lesquelles nous sommes entrés en contact appartiennent à des entreprises qui souhaitent se positionner sur le marché de la phytoremédiation en attendant que la situation évolue. Pour l'instant néanmoins, ce positionnement n'est pas aussi crucial qu'aux Etats-Unis.

Outre les deux brevets que nous avons déposés en France, la cellule Bretagne Valorisation nous a incités à déposer un brevet aux Etats-Unis.

Philippe ADNOT

Dès lors, pourquoi n'avez-vous pas déjà développé votre affaire aux Etats-Unis ?

Abdelhak EL AMRANI

Après avoir réalisé ma thèse et m'être marié à Bordeaux, j'ai effectué un premier post-doc en Ecosse, un deuxième en Allemagne, un troisième en Angleterre. Aujourd'hui, je souhaite rester auprès de ma famille, qui vit en France. Dans le cas contraire, je serais parti aux Etats-Unis.

Malheureusement, c'est ce qu'ont été amenés à faire nombre de mes amis chercheurs. Je déplore en effet que nous laissions partir aux Etats-Unis ces personnes formées dans des centres de recherche français extraordinaires.

d) Lutte biologique contre les légionelles

Jacques BODENNEC

Nos recherches ont porté sur un procédé de lutte biologique contre les légionelles. Pour ce faire, nous avons utilisé un protozoaire, c'est-à-dire une amibe libre, baptisée Willaertia .

Ces recherches ont été menées au sein de notre laboratoire, hébergé par l'Université Claude Bernard Lyon-1, avec le soutien de la cellule de valorisation du PRES Lyon Sciences Transfert.

(1) Qu'est-ce que la légionelle ?

La légionelle représente un groupe composé d'un peu moins de cinquante espèces, la majorité d'entre elles n'étant pas pathogènes.

Lorsque nous parlons de légionellose, nous nous référons en réalité à l'espèce legionella pneumophila , responsable en France de 98 % des cas de légionellose, encore appelée « maladie du légionnaire ».

La légionellose est un problème de santé publique puisque nous nous situons au dessus des 1 000 cas de patients déclarés atteints par cette maladie chaque année.

Par ailleurs, les légionelles ont certainement un impact économique conséquent, qui reste néanmoins relativement méconnu, très peu d'études exhaustives ayant été effectuées sur le sujet.

A titre d'exemple, je poserai une simple question.

Combien coûterait la fermeture d'une tranche nucléaire, suite à des problèmes de légionelle, émise par les tours aérofrigérantes de ces centrales ? Combien coûterait ensuite leur remise en service ?

La mise en place de plans de surveillance et de prévention, rendue obligatoire dans certaines industries a également un impact économique certain. Ces plans de prévention, qui impliquent l'utilisation massive d'agents biocides et biochimiques (plusieurs milliers de tonnes par an) peuvent aussi avoir des répercussions négatives et méconnues sur l'environnement.

De même, nous pouvons citer l'investissement des industries dans des installations énergétivores, pour traiter les légionelles par des approches physiques comme l'utilisation de chocs thermiques dans les installations hydriques.

Je qualifierai pour ma part les approches actuelles pour essayer de contrôler la prolifération de la bactérie pathogène de « plan A », c'est-à-dire un plan relativement empirique, visant à « assommer à coup de massue » cette bactérie qui pourrait s'avérer dangereuse.

Ne pourrions-nous pas imaginer un « plan B » qui permettrait au système économique de continuer à produire de la valeur ajoutée tout en préservant au maximum l'environnement ?

Il faut savoir que les légionelles ne sont pas les uniques coupables du problème de la légionellose dans la mesure où la prolifération de la bactérie dans le milieu dépend de nombreux autres facteurs, notamment des facteurs microbiologiques.

Parmi ces facteurs microbiologiques, je citerai le problème des amibes libres, qui a été relativement bien caractérisé ces vingt dernières années.

Il s'agit d'espèces unicellulaires, qui non seulement servent de vecteur à la bactérie pathogène mais favorisent également la résistance de l'espèce legionella pneumophila à l'ensemble des traitements physico-chimiques utilisés pour prévenir la prolifération de la bactérie. Ces amibes libres constituent également le terrain favorable à la sélection des mécanismes de virulence à la bactérie.

Si, jusqu'à présent, seules quelques espèces d'amibes ont été étudiées, l'ensemble des études sur le sujet a montré que chaque espèce d'amibe a la faculté de servir de vecteur à la prolifération de la bactérie.

Nos travaux ont consisté à isoler deux souches d'une autre espèce, baptisée Willaertia Magna, qui n'avait pas ou très peu été étudiées jusqu'à aujourd'hui. Ces deux souches ont, que nous avons déposées à l'American Tissue Culture Collection (ATCC), ont démontré des propriétés très originales dans la mesure où les Willaertia Maki présentent une résistance face à la bactérie pathogène.

Nous avons également pu démontrer la capacité de ces souches à inhiber la croissance de la bactérie pathogène, contrairement aux autres genres amibiens qui au contraire favorisent la prolifération.

Nous avons découvert une autre propriété tout à fait originale, qui n'avait jamais été rapportée jusqu'à présent. Non seulement Willaertia Maki résiste à la bactérie pathogène et inhibe sa croissance mais elle est en plus capable de phagocyter et de détruire les autres agents amibiens servant de vecteurs à la bactérie pathogène.

Frank NIEDERCORN

Si j'ai bien compris, ces propriétés ont été validées en laboratoire. Il vous reste à trouver la possibilité de travailler avec des industriels pour valider ces concepts à l'échelle d'un pilote.

Jacques BODENNEC

Nous avons mis au point en laboratoire un procédé qui pourrait éventuellement être utilisé dans le cadre d'une approche de lutte biologique.

Nous recherchons un partenaire industriel de façon à vérifier à un niveau industriel ou semi-industriel la faisabilité du concept développé en laboratoire.

De la salle

Recherchez-vous des partenaires au niveau français, européen ou mondial ?

Jacques BODENNEC

Si en tant que fonctionnaire et citoyen français, ma préférence va naturellement aux entreprises françaises, je suis également un Européen convaincu. Je n'ai donc aucune restriction de nationalité.

Frank NIEDERCORN

Quelles seraient les sommes en jeu pour passer à un stade de validation du concept ?

Jacques BODENNEC

J'ai estimé la phase de validation du concept à 40 000 euros, qui représentent globalement les charges de personnels nécessaires pour engager les techniciens permettant de réaliser cette expérience.

Outre cette somme, il convient qu'un industriel accepte de mettre à notre disposition des pilotes afin de réaliser des essais dans un environnement adéquat. S'agissant de bactéries pathogènes en effet, nous ne pouvons pas envisager d'effectuer ces essais dans un garage ou dans une cave.

e) Echanges avec la salle

De la salle

Ma question s'adresse à Monsieur El Amrani. Les plantes absorbent-elles ou transforment-elles les toxiques ?

Abdelhak EL AMRANI

Il s'agit d'une question récurrente qui consiste à se demander si, lorsqu'elles absorbent un polluant, les plantes le stockent ou le dégradent.

Il existe des molécules, comme l'atrazine, qui ont un groupement chlore. Une fois ce groupement clivé, le reste de la molécule est complètement transformé en eau et en CO 2 , avant de passer dans le métabolisme général.

Les métaux lourds en revanche sont des molécules non métabolisables, qui seront stockés dans un certain nombre de compartiments de la plante. Dans ce cas, la stratégie de phytoremédiation consiste, après un certain temps de culture, à traiter les plantes qui auront agi à la manière d'un filtre vis-à-vis des polluants.

Il existe néanmoins d'autres stratégies. La plante peut par exemple convertir ce type de molécules en des molécules non toxiques. Il en est ainsi du chrome dont la toxicité vis-à-vis de l'homme disparaît après conversion.

La stratégie de remédiation dépendra de la nature de la molécule polluante. Des études publiées par la revue Nature , puis ayant donné lieu à un article dans Le Monde , ont par exemple montré que certaines plantes étaient capables de stocker de l'arsenic. D'autres peuvent absorber et stocker des éléments de radioactivité.

Par conséquent, la phytoremédiation permet de gérer beaucoup plus facilement les problèmes de pollution que d'autres stratégies, plus lourdes et coûteuses, comme l'excavation, méthode utilisée par Metaleurop, consistant à traiter directement les sols, ce qui revient à les stériliser complètement.

De la salle

De quelles plantes s'agit-il exactement ? Quelles méthodes de destruction de la plante préconisez-vous et à quel moment ?

Abdelhak EL AMRANI

Lorsque le polluant est biodégradable, nous nous contentons de laisser pousser la plante qui le métabolisera naturellement. Pour le traitement des polluants non métabolisables, les plantes sont incinérées. Ces procédés sont actuellement largement utilisés aux Etats-Unis par des entreprises qui en vivent.

De la salle

Un type de plantes spécifique doit-il être utilisé ?

Abdelhak EL AMRANI

Pour procéder à une dépollution, il convient d'utiliser des plantes à croissance explosive. Pour nos travaux, nous nous sommes servis d'une plante de laboratoire, dont nous connaissons parfaitement le génome. Il s'agit d'une plante de petite taille, dont le cycle de développement est très rapide. Sur le terrain, la stratégie est complètement différente, les professionnels ayant recours à des arbres de peuplier, dont la croissance est extraordinaire par rapport aux autres espèces.

De la salle

Cette méthode ne risque-t-elle pas de créer une autre sorte de pollution ? Je pense notamment à l'odeur de la putrescine.

Abdelhak EL AMRANI

Les polyamines que nous utilisons le sont à des doses extrêmement faibles, ce qui explique que les répercussions en termes d'odeur soient nulles. En revanche, nous pourrions nous interroger sur l'évolution de ces molécules, une fois libérées dans l'environnement.

A cette question, je répondrai que les polyamines sont des molécules que nous retrouvons sur l'ensemble des êtres vivants, des bactéries aux systèmes les plus complexes. Par ailleurs, étant donné leur caractère métabolisable, leur durée de vie est, malgré leur effet stimulateur, relativement courte.

Eric PAPON, Directeur d'un Institut Carnot

Je m'interroge sur la stratégie de valorisation des recherches. Il me semblerait intéressant de procéder à une remise à plat de l'ensemble des outils de valorisation existants ainsi que des stratégies qui permettent une évolution intelligente de toutes les recherches menées dans ces laboratoires.

Frank NIEDERCORN

Messieurs, êtes-vous satisfaits de l'existence des outils de valorisation que vous avez à votre disposition ?

Philippe ADNOT

J'ai moi-même effectué un rapport sur la valorisation de la recherche que les quatre universités de Bordeaux m'ont invité à présenter. Je crois savoir qu'elles ont un projet de regroupement de leurs outils de valorisation, dont la responsable est extraordinairement dynamique.

Dans ce domaine, il me paraît essentiel de rester très pragmatique et de donner la priorité à l'efficacité. Il ne s'agit pas d'enfermer les acteurs de la recherche dans un carcan administratif ou de définir des périmètres tracés d'avance, mais au contraire chercher à s'adapter aux situations.

Dans le cadre de mon rapport sur la valorisation, j'ai visité l'hôpital Hadassah en Israël. J'ai découvert que, tout en étant dans le même bâtiment, l'université de Jérusalem et l'Hôpital disposaient de deux instruments de valorisation et ce, dans un souci d'efficacité. Si un certain nombre de fonctions méritent d'être mutualisées, d'autres éléments originaux doivent être valorisés d'une manière particulière.

Personnellement, je suis convaincu qu'il n'existe pas de réponse définitive sur ce sujet. Selon moi, les universités de Bordeaux sont sur la bonne voie.

Frank NIEDERCORN

Dans vos laboratoires respectifs, quel appui avez-vous obtenu de la part de vos structures de valorisation ?

Jacques BODENNEC

J'évoquerai la cellule de valorisation Lyon Science Transfert. Jusqu'à récemment, il existait dans la région lyonnaise plusieurs cellules de valorisation. Elles ont été regroupées en une seule cellule, dirigée par Marc Le Gal.

Marc LEGAL

La partie contractuelle, c'est-à-dire la recherche partenariale, est encore répartie entre les différents établissements. Nous n'avons mutualisé que la partie amont de la valorisation. Auparavant en effet, une même personne traitait, dans chaque établissement, les matériaux, les semi-conducteurs, etc.

En regroupant ces cellules, nous avons créé des pôles de compétences, permettant ainsi d'offrir un service accru aux chercheurs.

Frank NIEDERCORN

Si j'ai bien compris, une fois la partie contractuelle du travail effectuée, les chercheurs s'adressent à une structure plus commune aux différents types de travaux menés en amont, de manière à faciliter la valorisation.

Marc LEGAL

L'idée de ce regroupement était d'aboutir à des pôles de compétences, au sein desquels un certain nombre de fonctions (gestion de la propriété industrielle, question de la vielle technologique, etc.) seraient mutualisées. Pour les créations d'entreprise ou les contrats de recherche partenariale, nous passons le relais à l'incubateur ou aux structures présentes au sein des établissements.

De la salle

Je souhaiterais vous interroger sur la question de la déforestation mondiale, en particulier de la forêt amazonienne, de l'Afrique du Nord, etc. Avez-vous des projets pour protéger ces forêts qui sont le poumon du monde ?

Frank NIEDERCORN

Si votre question est intéressante, elle est quelque peu éloignée des sujets qui viennent d'être abordés.

Philippe ADNOT

Ce matin, alors que nous évoquions la construction de maisons en bois écologiques, une personne nous a demandé d'où provenait ce bois.

Il convient d'avoir à l'esprit que la forêt n'est un recycleur de carbone extrêmement efficace que lorsqu'elle est jeune et en mouvement. Un vieil arbre en effet ne participe plus à la protection de la nature. Dans sa phase d'autodestruction, il devient au contraire polluant. Il est par conséquent essentiel que la forêt vive, qu'elle évolue et se remplace.

En France, la surface occupée par la forêt a augmenté considérablement, avec des arbres renouvelés dont les capacités à servir l'environnement sont bien supérieures à des forêts dont l'état serait figé.

Je poserai quant à moi une question à Jacques Bodennec. Lyon 1 a développé une fondation tout à fait originale, dont je me suis inspiré dans la loi sur l'autonomie des universités, pour créer le deuxième type de fondation partenariale.

Cette fondation ne peut-elle pas vous aider à réunir la somme que vous demandez, dont le montant n'est pas très élevé ?

Jacques BODENNEC

Nous nous adresserons certainement des demandes de financement à cette fondation toute récente, qui a été instaurée il y a quelques mois.

En ce qui concerne le soutien que nous apportent les filiales de valorisation, nous recevons une aide pour tous les aspects administratifs de la recherche de partenaires industriels. Les chercheurs, en effet, ne sont pas uniquement préoccupés par des questions de moyens.

Ainsi, si nous avons fait une demande financière dans le cadre d'un appel à projet au niveau de Lyon Science Transfert, aujourd'hui, nous recherchons également un partenaire de façon à pouvoir procéder aux essais en conditions industrielles.

Philippe ADNOT

C'est tout l'intérêt de « Tremplin recherche » que d'éveiller la curiosité des personnes susceptibles de vous aider.

J'espère que les présentations que vous avez effectuées aujourd'hui vous donneront cette possibilité.

De la salle

Je préciserai que le réseau Curie des chargés de valorisation, de même que les grands organismes, ont mis en place un site, dans lequel vous retrouverez toutes les technologies déposées par les grands organismes et les universités. L'adresse est la suivante : www.f2t.fr.

LE FINANCEMENT DE LA PREUVE DU CONCEPT : UNE SOLUTION POUR AMÉLIORER LA RÉALISATION DE PROJETS INNOVANTS EN MATIÈRE DE RECHERCHE ?

I. LES PISTES FRANÇAISES ET EUROPÉENNES POUR AMÉLIORER LE FINANCEMENT DE LA PREUVE DU CONCEPT

TABLE RONDE

Françoise FABRE, Directeur adjoint de la valorisation au CEA

Laurent KOTT, Directeur général d'INRIA Transfert (STIC) ; Président de CapInTech

Jacqueline LECOURTIER, Directeur général, ANR

Cécile THARAUD, Président du Directoire, Inserm-Transfert

Les débats étaient animés par Philippe ADNOT, Sénateur de l'Aube, Président du Conseil général de l'Aube .

Philippe ADNOT

Dans le cadre de mon rapport sur la valorisation de la recherche dans les 84 universités française, j'ai été amené à me rendre au Canada, en Israël et en Finlande, afin d'effectuer des comparaisons. Au Canada, j'ai souvent entendu parler des problématiques liées à la vallée de la mort, que nous a exposées ce matin Charles Wessner.

Au terme de ce travail, je me suis rendu compte que le chiffre d'affaires global de la valorisation dépendait du flux qui réussissait à être valorisé.

La semaine dernière par exemple, Axel Khan, Président de Paris V, m'expliquait que 85 % des projets de recherche n'étaient pas présentés aux instances de valorisation.

J'ai alors compris que de notre capacité à créer les conditions permettant à la recherche d'aller au bout de sa démonstration, par le financement de la maturation de recherche, c'est-à-dire le financement de la preuve du concept, allait dépendre l'importance du flux susceptible d'être, un jour, valorisé.

Si tous les projets de recherche n'ont pas vocation à aboutir, en faisant progresser le flux de 10 % à 20 %, nous améliorerons la capacité novatrice de nos entreprises et, partant, notre capacité à gagner des parts de marché et à créer de l'emploi.

Chacun des intervenants pourra nous faire part de son expérience personnelle, au sein de sa propre institution.

La Commission des Finances m'a chargé d'un rapport, que je produirai dans quelques mois, sur cette problématique du financement de la preuve du concept. Pour ce faire, je me suis une fois encore livré à une analyse comparative internationale, en collaboration avec des amis anglais, qui s'avèrent extrêmement performants et organisés sur ce sujet.

a) Les projets « émergence et maturation »

Jacqueline LECOURTIER

Lorsque l'ANR a été créée, parallèlement aux appels à projet, aujourd'hui bien connus du monde des chercheurs, nous avons tenté une expérience dans le domaine des biotechnologies et de la santé d'un appel à projets baptisé « émergence et maturation ».

Cet appel invite les chercheurs à présenter des projets sur le modèle de ceux qui nous ont été présentés lors de la table ronde précédente, c'est-à-dire des recherches abouties en termes de résultats et de publications, pour lesquels toute une phase d'expérimentation reste à mener, pour rassembler les éléments qui permettront de convaincre les industriels.

Nous avons offert de financer un certain nombre de ces projets, qui doivent être présentés à la fois par une équipe de recherche et une équipe de valorisation.

Entre 2005 et 2007, chaque année, plus de 100 projets nous ont été proposées. Nous en avons retenu chaque fois une trentaine. Les financements se sont élevés à 4 millions d'euros en 2005, 5 millions d'euros en 2006 et 6 millions d'euros en 2007.

Aujourd'hui, les trente premiers projets de l'appel 2005 arrivent à terme. Ils ont donné lieu à la création de sept entreprises.

Il me semble par conséquent que le modèle a fait ses preuves. Au niveau de la sélection, nous attendons des chercheurs qu'ils croient au caractère porteur de leurs résultats. Il convient donc d'insister sur la nécessité de développer la motivation et surtout la formation des chercheurs. Nous procédons également à une sélection via les cellules de transfert.

Pour 2008, nous avons décidé de doubler l'effort en divisant l'appel à projet « émergence » en deux parties : les biotechnologies d'une part, et les technologies de la santé, d'autre part, deux domaines dans lesquels une très forte demande existe.

Actuellement, nous nous interrogeons sur la possibilité d'élargir cette démarche à d'autres secteurs.

Nous avons déjà financé des projets dans le domaine des nanotechnologies. Ces projets ont émergé uniquement via la communauté des chercheurs dans la mesure où nous avions annoncé que nous étions prêts à financer des preuves du concept.

Devrions-nous mettre en place, dans ce secteur, un dispositif équivalent à l'appel à projets « émergence », qui a fait ses preuve en termes d'efficacité, en impliquant à la fois des chercheurs et des cellules de valorisation ? Personnellement, j'y suis particulièrement favorable.

A travers le programme P-nano, nous nous sommes également vu proposer des projets dans le domaine des logiciels embarqués.

Pour 2009, nous nous poserons la question d'ouvrir « émergence » à d'autres types de projets.

En parallèle, l'ANR a aidé les structures de valorisation, qui se sont regroupées. Nous avons repris l'action lancée par le Ministère de la Recherche pour financer ces structures. Là encore, nous avons obtenu des résultats satisfaisants. 600 projets ont été examinés ou financés par ces structures à partir des 4 millions d'euros que nous leur avons dédiés tous les ans.

Aujourd'hui, au moins 200 de ces projets ont porté leurs fruits. Dès lors, les efforts de mutualisation soulignés dans la table ronde précédente nous paraissent porteurs.

Telles sont les deux voies sur lesquelles nous allons continuer à travailler.

b) L'expérience de valorisation au CEA

Françoise FABRE

Je remercie Philippe Adnot de nous permettre d'aborder ce problème, auquel nous sommes confrontés au sein des centres de recherche.

En tant que Directeur adjoint de la valorisation au CEA et Président de l'incubateur d'Ile-de-France, Incuballiance, je vous ferai part de mon expérience de valorisation.

Dès l'origine, nous avons eu la vocation et la mission de valoriser les travaux de recherche, dans le domaine de l'énergie, de la santé et des technologies de l'information. Récemment, nous avons fêté la création de notre centième start-up technologique.

Malgré ce succès, nous sommes confrontés à l'échec des projets de création de start-up trop prématurés.

Nous avons lancé plusieurs initiatives pour améliorer cette situation. Nous venons de généraliser l'obligation pour les porteurs de projet de création d'entreprises d'études de marketing avant de postuler à une incubation. Très souvent en effet, les chercheurs sont porteurs d'un projet scientifique et technique mais manquent complètement d'une vision du marché. Ils ignorent quels sont leurs concurrents, quelle est la demande, etc.

Dans le domaine de la santé, qui est toujours plus difficile à valoriser, nous venons de mettre en place un programme spécifique « techno-santé », qui se situe un peu en amont des projets « émergence » de l'ANR, afin d'examiner la possibilité de créer une entreprise dans le domaine de la santé. Ce programme mobilise des moyens importants, notamment sur le plan humain.

Actuellement, le dispositif le plus important s'intitule « Solution d'émergence à projets innovants » (SEMPRIN). Ce dispositif est soutenu par notre filiale CEA-VALO, qui permet la maturation technico-économique des projets en finançant l'acquisition de compétences de type business manager.

Dès le départ du projet de création d'entreprises en effet, nous voulons pouvoir compter sur des compétences tant scientifiques que commerciales, avant de nous lancer dans la maturation. Le dispositif SEMPRIN permet de financer les moyens humains susceptibles d'accompagner le porteur scientifique sur les aspects commerciaux et marketing de son entreprise.

En conclusion, j'évoquerai brièvement l'opération de maturation que j'anime dans le cadre du RTRA Digiteo, dans le domaine des systèmes complexes, qui regroupe Polytechniques, Supelec, l'INRIA, le CNRS, Paris XI et le CEA.

Grâce à l'initiative de l'ANR, dédiée à la mutualisation et à la maturation des projets, nous avons réussi à faire aboutir un certain nombre de projets, basés sur trois composantes : un coaching marketing, un coaching propriété intellectuelle et un coaching plus technique de fabrication d'un démonstrateur. S'il est prématuré d'annoncer le succès de ces initiatives, cette division en trois composantes leur a permis d'être plus facilement présentées aux industriels.

En d'autres termes, la preuve du concept doit prendre en compte non seulement les aspects techniques du projet mais également sa validité économique.

c) Inserm-Transfert

Cécile THARAUD

Depuis le début de l'année 2006, qui a correspondu à une phase de réorganisation de la structure, je dirige Inserm-Transfert, filiale privée, en charge de l'ensemble des aspects de transfert de technologie pour le compte de l'Inserm.

(1) Problèmes financiers rencontrés pour soutenir la phase de maturation des projets

Il m'est très vite apparu que la maturation était l'un des problèmes cruciaux en sciences de la vie, dans une institution publique telle que l'Inserm. Je souscris tout à fait aux propos de Françoise Fabre, si ce n'est qu'à l'Inserm nous n'avons même pas les moyens, à défaut de financements suffisants, d'obtenir une preuve du concept technique.

Si la cellule de valorisation sélectionne les projets en fonction des aspects marketing et des demandes industrielles, la recherche correspondante est peu valorisée. Elle n'est pas prise en compte dans les évaluations du chercheur. Dès lors, nous n'obtenons pas les budgets nécessaires à la valorisation technique ainsi qu'à la maturation.

Cette phase de maturation est essentielle non seulement pour que le produit de recherche intéresse un industriel mais également pour gérer les aspects liés à la propriété intellectuelle.

Régulièrement en effet, j'entends les investisseurs en capital risque affirmer que les chercheurs déposent, selon les jours et les personnes qui s'expriment, soit trop tôt, soit trop tard leurs brevets. Selon moi, telle n'est pas la question. La date à laquelle il convient de déposer un brevet en effet est éminemment variable selon la voie de valorisation choisie et les marchés visés.

Une fois le brevet déposé en revanche, il faut se dépêcher de renforcer l'invention de manière à avoir un projet tangible entre les mains. Dans le domaine public, notamment en sciences de la vie, non seulement la culture d'ingénieur n'est pas très répandue mais, en outre, les chercheurs travaillent sur de très longues durées. Par conséquent, si les chercheurs ont compris qu'il était essentiel de déposer un brevet, au bout de 36 mois, ils finissent souvent, à défaut de maturation, par abandonner.

En ce qui me concerne, je resterai humble, en ne demandant que de modestes sommes me permettant de procéder à des manipulations techniques pour déposer des brevets solides sur des projets intéressants pour le marché.

(2) Situation des institutions équivalentes dans les autres pays

Le Medical Research Consultants, équivalent anglais de l'Inserm, dont le budget, les thématiques et le positionnement en amont en matière de recherche sont comparables, vient d'engager 4,5 millions de livres sur trois ans, pour soutenir la maturation.

De même le Karolinska Institutet, dont les proportions sont moindres, dépense-t-il 2 millions d'euros dans ce sens.

Enfin, 2 % du budget de recherche de l'Institut flamand de biotechnologies, qui compte entre 800 et 1 000 personnes, sont exclusivement dédiés à la preuve du concept.

Toutes ces institutions se sont mises à financer de manière importante la preuve du concept le jour où une licence a commencé à leur rapporter de l'argent.

Reste néanmoins à amorcer cette boule de neige.

La deuxième solution, très répandue aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, est liée à la création de fondations.

Aux Etats-Unis par exemple, toutes les grandes institutions de recherche reçoivent, en plus du budget de l'institution, des soutiens financier de la part de généreux donateurs qui se dédient, entre autres, à de la création d'entreprises. Il est en effet encore plus difficile d'obtenir des financements lorsque la preuve du concept a pour unique objectif d'aboutir à une licence industrielle. La création d'entreprise permet au moins de rencontrer un certain nombre d'interlocuteurs. Dans ce domaine, j'ai encore l'espoir de voir le milieu des business angels français s'intéresser aux sciences de la vie.

En outre, de plus en plus de fonds de capital risque acceptent de consacrer une petite enveloppe aux projets qui leurs paraissent les plus prometteurs, avant même que la société ne soit créée.

Mes inquiétudes portent davantage sur la partie la plus importante de la recherche, celle qui conduit à l'acquisition de licences industrielles, surtout en sciences de la vie, dont les développements sont très lourds.

Dans ce cadre, l'appel d'offres « émergence et maturation » constitue un outil remarquable et efficace. Au niveau de l'Inserm, sur 11 projets que nous avions gagnés en 2005, 8 ont trouvé une voie de valorisation.

Les projets 2007 ont quant à eux déjà trouvé des voies d'exploitation industrielle. Cet outil ne finance néanmoins qu'un tiers des inventions qui nous paraissent clairement valoir la peine d'être aidées. La deuxième limite de cet instrument réside dans les délais propres à ce type d'appel d'offres.

Par conséquent, au-delà du financement de l'ANR, il conviendrait que la cellule valorisation puisse disposer d'une enveloppe qu'elle pourrait utiliser en fonction de ses besoins ainsi que de ses propres échéances, de façon très fluide.

d) L'action d'INRIA-Transfert

Laurent KOTT

Je suis Directeur général d'INRIA-Transfert, société privée de l'INRIA, l'un des établissements publics à caractère scientifique et technologique consacrés aux Sciences et technologies de l'information et de la communication. Il s'agit également la première filiale d'un établissement public à avoir été créée sous ce nom.

Contrairement à Inserm-Transfert, la création d'entreprise est au coeur de nos activités. Notre métier consiste à accompagner les créateurs d'entreprises à développer des technologies innovantes, inscrites dans le périmètre de l'INRIA mais pas nécessairement issues de cet établissement.

Par ailleurs, je suis Président d'une association appelée CapInTech, qui regroupe des acteurs de l'ensemble de la chaîne, depuis les organismes de recherche ou leurs filiales jusqu'à de grandes institutions financières comme la Caisse des Dépôts ou Axa, en passant par les investisseurs en capital risque, les entrepreneurs, France Angel, etc.

Il y a quelques années, nous avions mis en place un groupe de travail chargé de réfléchir à la notion de preuve du concept technologique. A l'époque, l'ANR n'existait pas encore. Nous nous étions alors intéressés à OSEO Innovation, établissement chargé d'une cinquantaine d'aides au transfert par an sur toute la France.

Une évaluation relativement rapide et assez conservatrice avait démontré qu'il y avait peut-être de la place pour 250 à 500 projets, ce qui ne représente pas des montants pharamineux. Comme nous avons pu le constater précédemment en effet, les porteurs de projet sont généralement demandeurs de financements, à hauteur de 40 000 à 50 000 euros par an.

Par ailleurs, la valorisation ne suit pas nécessairement une « trajectoire balistique ». Il s'agit d'un sujet beaucoup plus complexe, aucune ligne droite ne permettant d'aboutir à tel ou tel objectif. S'il est essentiel que les chercheurs soient motivés et fassent preuve d'un minimum de compréhension des mécanismes du marché, dès lors que la proposition est suffisamment innovante, le marché n'est pas aussi central que nous pouvons l'imaginer.

Dans certains cas, il n'existe même pas encore de marché. Par conséquent, la démarche doit consister non seulement à essayer de cerner le potentiel d'un projet et, par principe de précaution, à déposer des brevets, à les valider, etc., mais également, en tâtonnant, à faire progresser le système.

Comme le soulignait Philippe Adnot à la fin de la table ronde précédente, nous avons tendance, en France, à privilégier les solutions uniques. Or, en fonction des projets, les objectifs peuvent varier considérablement.

Il convient par conséquent que tous les acteurs concernés (les cellules de valorisation, les incubateurs, les agences, etc.) s'inscrivent dans une courbe d'apprentissage. La maturation ne peut s'avérer satisfaisante en termes de résultats qu'après une certaine expérience de cet exercice. Outre les financements, notre pays manque surtout de personnes formées à la valorisation de la recherche. Il ne suffit pas en effet d'avoir passé trente ans dans une entreprise pour savoir faire de la valorisation. S'il est essentiel que les chercheurs se forment au marketing. L'inverse est également une nécessité.

A travers la notion de « niche », Alain Bergel a parfaitement posé le problème. Découvrir ces niches constitue un travail long et complexe qui peut impliquer de demander de l'aide. En tout état de cause, il n'est pas possible de donner de réponse ou de solution unique. Si, de loin, la vallée de la mort peut ressembler à un grand fossé, en nous rapprochant nous constatons qu'elle est en réalité constituée de multiples petits fossés qui ne cessent d'apparaître à chaque fois que nous créons un nouvel outil. Face à ces problèmes, il convient d'investir pour former des individus compétents susceptibles d'accompagner les équipes de recherche.

e) Echanges avec la salle

Charles WESSNER

Je souscris aux propos de Monsieur Kott. Je formulerai deux observations. Tout d'abord, il convient de rappeler que déposer un brevet ne revient pas à créer une entreprise. Je partage l'idée selon laquelle une personne n'ayant jamais travaillé dans une entreprise et un chercheur n'ayant jamais essayé de monter une entreprise ne constituent pas la meilleure équipe. Lorsqu'ils commencent à monter leurs entreprises, les meilleurs chercheurs de Stanford prennent le titre de chief technical officer (CIO).

Deuxièmement, il est essentiel de disposer de mécanismes multiples. La chaîne de valorisation reste confuse. Les modèles sont loin d'être linéaires. Par conséquent, si j'encourage les chercheurs à croire en leur idée, ils doivent également savoir quand il convient d'en changer.

A l'attention des politiques enfin, j'ajouterai que nous ne disposerons jamais d'assez d'argent. C'est pourquoi il est nécessaire de s'appuyer sur d'autres ressources. Pour ce faire, il serait intéressant d'instaurer une taxe sur la commercialisation des recherches. Il s'agit d'une idée « qui peut rapporter gros ».

Jacqueline LECOURTIER

Je souscris tout à fait à l'idée d'une évolution de notre modèle, l'organisation de notre recherche étant en cours de réflexion. Il convient par ailleurs de souligner les différences qui existent entre les EPIC, les EPST et les universités.

Ainsi, lorsque je travaillais à l'IFP, qui est un EPIC, la situation était-elle la même qu'au CEA. La valorisation faisait partie intégrante de la démarche de l'organisme, qui y consacrait une partie de son budget. Je reconnais néanmoins que ces financements ne sont jamais suffisants, la valorisation étant très coûteuse. La valorisation ne s'arrête pas en effet au dépôt du brevet. Il convient de réaliser des essais à l'échelle pilote ou dans des conditions proches de la réalité. Les études de marché en effet demandent d'aller sur le terrain.

Les universités et les EPST quant à eux ne disposent même pas de budget initial. Or la réflexion actuelle sur le système de recherche ne donne pas une place suffisante à la valorisation des résultats.

En ce qui concerne l'INRIA, l'établissement que Monsieur Kott vient de nous présenter suit un modèle différent puisqu'il dispose d'une structure dédiée.

Philippe ADNOT

Tous les projets de recherche n'ont pas besoin d'obtenir une preuve du concept. Ce n'est qu'en prélevant sur l'ensemble que nous arriverons à dégager les moyens pour financer ceux qui le méritent.

Jacqueline Lecourtier, vous dirigez l'ANR. Quels sont vos liens avec la Communauté européenne ? Comment s'articulent vos moyens respectifs ?

Jacqueline LECOURTIER

Nos rapports sont simples. Comme je le dis souvent, il n'est pas possible de participer aux championnats d'Europe avant d'avoir participé aux championnats de France.

L'ANR a pour mission de préparer les athlètes français, avant de les envoyer à Bruxelles. Aujourd'hui, il n'existe pas de liens structurels entre l'ANR et Bruxelles.

Philippe ADNOT

Des fonds privés vous ont-ils déjà proposé de vous aider dans le financement de la preuve du concept ?

Cécile THARAUD

La Société Générale a formulé de telles propositions à Inserm-Transfert.

Philippe ADNOT

Je n'ai pas posé cette question au hasard. La semaine dernière en effet, j'ai eu un entretien avec un responsable de la Société Générale, ayant mis en place avec vous un fonds de 20 millions d'euros pour financer la preuve du concept.

Cécile THARAUD

Plus précisément, Inserm-Transfert a créé un fonds de pré-amorçage, à cheval entre la preuve du concept et le premier tour de capital risque. Ce fonds se positionne donc relativement en amont, ce qui ne signifie pas pour autant que ces entreprises n'aient pas besoin d'une modeste aide à la maturation.

Ce fonds de 4 millions d'euros, dont les trois partenaires sont Sofinnova, Natixis et la CDC, permettra de créer des entreprises, non seulement avec des amorceurs régionaux mais surtout avec le fonds de la Genopole, en région parisienne. Récemment, nous avons également collaboré avec CEA valorisation.

Le fonds Société Générale, qui est dédié à un domaine thérapeutique précis, le cardio-vasculaire, intervient certes très en amont mais investit plus tard. Détenu par des financiers, ce fonds doit en effet leur apporter un retour sur investissement.

Néanmoins, lorsqu'elle a créé ce fonds, la Société Générale a reconnu qu'il manquait une étape. Elle a donc accompagné le lancement de son fonds d'amorçage de la création d'une fondation, abritée par la Fondation pour la recherche médicale. Si ces moyens ne s'élèvent pour l'instant qu'à 200 000 euros, elle a tout de même permis d'aider quelques projets, l'idée étant, à partir de ce concept, de créer un effet boule de neige.

Laurent KOTT

L'INRIA quant à elle ne reçoit pas de fonds privés. Lorsque nous avons créé l'INRIA-Transfert il y a dix ans, nous pensions que la création d'un fonds de capital risque consacré à l'amorçage allait résoudre le problème.

Comme l'a souligné Cécile THARAUD néanmoins, un fonds poursuit avant tout des objectifs financiers, ce qui explique que, alors que nous pensions avoir comblé le fossé, nous en avons vu apparaître de nouveaux.

Pour une entreprise en effet, les 100 000 premiers euros sont un sujet extrêmement important. Les business angels quant à eux hésitent généralement à investir dans des projets trop techniques ou trop innovants.

Nous sommes tous confrontés à ce problème. Il suffit de voir l'exemple de la Société Générale qui, en créant un fonds et une fondation, a pris le soin de séparer la partie sur laquelle elle compte obtenir un retour sur investissement chiffré et la partie à fond perdu.

Pour l'INRIA, nous pourrions envisager de créer des fondations. Si nous devons augmenter le flux de projet proposés à la valorisation, je rappelle qu'il s'agit d'une activité extrêmement consommatrice dont nous ne savons pas encore mesurer les rendements, mais qu'il convient de défiscaliser.

En ce qui concerne la maturation, je répète qu'au-delà de l'accroissement des investissements, nous devons également pouvoir compter sur des personnes formées et compétentes.

Par ailleurs, l'ANR n'attend pas de retour sur investissement de ses appels à projet « émergence ». Il s'agit donc d'une autre logique qu'il convient d'accepter.

Je citerai à ce titre un ministère situé à l'est de Paris, qui croit que la valorisation de la recherche rapporte de l'argent alors que nulle part elle n'est rentable. Les personnes qui ont ce sentiment se trompent d'objectif.

Si nous valorisons la recherche c'est parce qu'il s'agit de l'une des missions des établissements qui sont nécessaires pour le pays et non pas pour obtenir une source de financement.

Philippe ADNOT

Il convient de ne pas confondre maturation et valorisation. Pour la seconde, les retours sur investissement sont possibles.

Antoine DUBEDOUT

Le CEA dispose-t-il d'information sur l'évolution des 100 start-up mentionnées précédemment par Madame Fabre ?

Françoise FABRE

Plus de 80 % de ces start-up continuent leur activité. Certaines d'entre elles sont cotées au NASDAQ. Elles travaillent essentiellement dans le domaine des nanotechnologies et des biotechnologies.

Philippe TRAMOY

Quels sont vos budgets annuels respectifs pour procéder à la valorisation ?

Par ailleurs, sachez qu'il existe une génération de trentenaires dotés d'une triple formation à la fois scientifique, commerciale et financière.

Cécile THARAUD

Le budget de l'Inserm s'élève à près de 600 millions d'euros. Celui d'Inserm-Transfert se chiffre à 7 millions d'euros, sachant qu'un tiers de l'activité de l'Inserm-Transfert concerne la gestion des programmes cadres européens.

Laurent KOTT

Je répète qu'INRIA-Transfert ne s'intéresse qu'à la création d'entreprises, l'activité de transfert étant conduite au sein de l'établissement.

Le budget de l'INRIA dépasse 160 millions d'euros. La partie consacrée au transfert proprement dit concerne une vingtaine de personnes, soit environ 4 à 5 millions d'euros.

Le budget de l'INRIA-Transfert quant à lui atteint 500 000 euros, pour l'ensemble de ses activités. En termes de maturation proprement dite, une demi-douzaine d'opérations par an sont financées par l'aide au transfert d'OSEO innovation, sous forme d'avances remboursables faite aux laboratoires, que nous avons toujours remboursées.

Jacqueline LECOURTIER

Nous disposons de 4,5 millions d'euros pour les structures mutualisées de valorisation. Cette année, nous avons lancé deux appels à projets « émergence », soit un budget minimum de 8 millions d'euros.

Philippe ADNOT

Ce chiffre comprend-il tant la mutualisation que la maturation ?

Jacqueline LECOURTIER

L'appel à projet « émergence » ne concerne que la maturation.

Philippe ADNOT

Quel est le pourcentage affecté au financement de la maturation ?

Jacqueline LECOURTIER

La réponse à votre question dépend largement de l'état d'avancement des projets. Globalement, nous pouvons estimer que 30 % du financement est affecté à la maturation.

Philippe ADNOT

Ces appels à projet s'adressent surtout aux universités.

Jacqueline LECOURTIER

Ils s'adressent en effet aux universités regroupées en 14 centres.

Françoise FABRE

Il m'est difficile de vous donner un montant pour toute la chaîne de valorisation (marketing, brevets, contrats, création d'entreprise), qui représente au CEA environ une centaine de personnes, réparties dans plusieurs unités. Nous disposons également d'un portefeuille de 2 000 brevets. L'entretien de ces brevets constitue l'activité qui nous coûte le plus cher.

Philippe ADNOT

Quelle part de votre budget consacrez-vous à la maturation ?

Françoise FABRE

Il est très difficile de délimiter la maturation par rapport aux autres activités. Pour vous donner un ordre d'idée, je pourrais me référer à l'équipe de marketing, qui comprend une douzaine de personnes. Une partie des ingénieurs brevets sont également concernés. En revanche, ce sont les unités elles-mêmes qui paient la partie technique.

Jacqueline LECOURTIER

Dans les EPIC, nous rencontrons une situation légèrement différente. Tous les projets susceptibles d'être valorisés intègrent la phase de maturation. Celle-ci n'entre donc pas dans le budget de la valorisation.

Charles WESSNER

Les montants que les différents intervenants viennent de citer me paraissent insuffisants.

A Shanghai, où je me suis rendu récemment pour présenter le programme SBIR, il existe un fonds de 100 millions de dollars.

D'un point de vue politique, ces investissements dans de jeunes entreprises ont le même intérêt que les bourses. Il s'agit avant tout d'un gain social et non pas seulement d'enrichir quelques CEO.

Par ailleurs, la plus grande difficulté est liée à la création d'entreprises. Il est beaucoup plus rapide de transférer des connaissances à une entreprise déjà existante.

Ainsi, nombre sont les excellentes idées qui restent au fond de la vallée.

Philippe ADNOT

Les chiffres cités par Madame Lecourtier doivent être augmentés de l'effort des régions ainsi que des collectivités locales qui, souvent, complètent ces financements. Il en est ainsi par exemple pour les universités de Lyon ou de Grenoble.

De la salle

J'aimerais avoir votre sentiment sur deux outils, dont j'ai entendu parler au début de cette année. L'Europe propose de mettre en place en 2009, une formule inspirée du Canada et des Etats-Unis, concernant les innovations dans le domaine environnemental. Il s'agit de la vérification de la promesse technique en matière environnementale.

A l'occasion de cette présentation, un professeur de Dauphine a vanté les mérites des KIBS ( Knowledge intensive business services ), qui jouent, aux Etats-Unis, un rôle de maïeutique pour les innovations.

Jacqueline LECOURTIER

Dans notre dernier colloque sur les éco-technologies, nous avons discuté de ce projet européen qui nous semble à même d'ouvrir des possibilités aux chercheurs, en donnant de nouveaux domaines d'application à leurs projets. A mon sens néanmoins, les projets qui seront présentés devront être déjà largement avancés en termes de maturation.

Je ne connais pas en revanche l'initiative américaine.

Laurent KOTT

Lorsque nous tournons nos regards vers les Etats-Unis, considérés comme un modèle en matière de valorisation, d'une part, nous avons tendance à oublier qu'en dehors de Boston et de la Californie, la situation est similaire, voire pire qu'en France ; d'autre part, nous nous apercevons que les Etats financent un grand nombre d'outils et d'acteurs qui effectuent ce travail de service.

Au-delà de tous les aspects que nous avons déjà développés en matière de maturation, il me semble qu'il conviendrait de former un certain nombre de professionnels travaillant soit à l'intérieur des organismes soit au sein de sociétés externes.

J'insiste sur le fait que nous manquons en France de personnes compétentes sur l'ensemble de la chaîne de valorisation. Par ailleurs, avec tout le respect que je dois à tous les diplômés, il ne suffit pas d'avoir des diplômes pour exercer ce type de métier. Encore faut-il avoir de l'expérience.

Tel est pour moi le sujet majeur. Toutes les initiatives permettant d'aider à la création de telles structures sont positives.

L'Allemagne, à une époque, avait mis en place un système consistant à conditionner les aides octroyées par les Länder aux entreprises à leur accompagnement par un consultant.

René PASCAL

Les réseaux de business angels , fédérés par France Angels, sont à ce jour au nombre d'une soixantaine, dont l'un des tout premiers réseaux sectoriels dédié au développement durable. Régional, ce réseau est implanté en Ile-de-France. Un réseau Cleantech d'une plus grande dimension est néanmoins prévu.

En réaction aux propos qui ont évoqué le manque d'intérêt sur certains secteurs, je préciserai que, dans le domaine de la santé, nous couvrons ce fameux chaînon manquant entre la partie « love money » et le début d'intervention des investisseurs institutionnels.

Progressivement, les réseaux de business angels s'imposent dans ce domaine, non seulement en nombre mais également en force d'intervention puisque désormais des business angels se regroupent pour créer des sociétés d'investissement. Je rappelle que, contrairement aux sociétés d'investissement, les business angels puisent dans leurs fonds personnels.

Il est clair néanmoins que nous n'avons pas les capacités pour investir dans certains projets qui, bien que très intéressants, n'engendrent qu'un profit à trois, cinq ou sept ans. Il s'agit d'un problème d'échelle et non de désintérêt.

L'idéal, serait d'arriver à faire en sorte que les investisseurs institutionnels, qui n'ont pas vocation à intervenir très en amont, prennent un engagement plus formel vis-à-vis des porteurs de projet, pour les accompagner sur l'aval.

A défaut d'avoir de telles assurances, nous ne pouvons pas en effet inciter les investisseurs à s'engager sur leurs fonds personnels.

Enfin, ayant rencontré un porteur de projet travaillant seul, je tenais à souligner l'importance, pour les chercheurs, de réunir des compétences pluridisciplinaires pour optimiser leurs démarches.

Catherine VILKAS, Association Bernard Gregory

Ces missions de valorisation et d'accompagnement peuvent-elles être menées par de jeunes docteurs ou estimez-vous qu'une expérience plus significative est nécessaire ?

Laurent KOTT

Avant d'acquérir de l'expérience, chacun de nous doit d'abord apprendre. Il convient donc d'encourager les doctorants et post-doctorants à s'engager dans cette voie.

En revanche, il ne faut pas leur demander plus qu'il n'est nécessaire. De manière caricaturale, je rappelle qu'à une époque les services de valorisation ne recrutaient que d'anciens professeurs « dont on ne savait pas quoi faire ». Par la suite, l'idée est apparue d'engager de jeunes doctorants afin de leur procurer « un job ». Aucune de ses solutions ne me paraît adéquate. Il s'agit d'un véritable métier, que l'on peut apprendre soit sur le terrain, soit par le biais de formations. Je reste convaincu que, pour que la recherche ait un impact en termes non seulement économiques mais également sociétaux, environnementaux, etc., il conviendra de mobiliser des compétences.

Je m'élève contre cette vision « balistique » du monde, selon laquelle il suffirait de « tirer sur la gâchette » pour atteindre l'objectif.

A une époque, le Ministère des Affaires Etrangères favorisait des échanges entre des cellules de valorisation de France et des Etats-Unis.

D'une manière générale, il convient que le nombre personnes qui s'intéressent à ces sujets augmente.

Philippe ADNOT

En guise de conclusion, je formulerai quelques pistes de proposition.

Nous avons compris qu'il était essentiel que l'ensemble de la chaîne de valorisation soit traitée de manière satisfaisante. Avant de faire de la valorisation, encore faut-il faire de la recherche, ce qui requiert des moyens humains, financiers et organisationnels. De ce point de vue, l'ANR joue un rôle fondamental.

Une fois les projets de recherche conçus, il convient de financer leur maturation de manière à éviter la « vallée de la mort ».

Dans ce sens, nous pouvons avoir recours aux financements publics ou privés. Le premier peut résulter d'une certaine forme de mutualisation de prélèvements globaux effectués sur un certain nombre de flux.

Dans mon prochain rapport, je vous ferai part des observations que j'ai effectuées en l'Angleterre, pays très libéral, où pourtant des sommes considérables sont consacrées au financement de la preuve du concept. Contrairement à ce qui se passe généralement en France, mes interlocuteurs britanniques non seulement ne m'ont pas demandé ce que j'entendais par cette expression, mais ils ont tout de suite mis à ma disposition des organigrammes ainsi que des indications financières.

Comme l'indiquait Charles Wessner, certains pays d'Asie, comme Taiwan, consacrent des sommes impressionnantes à la preuve du concept. Il est donc faux de penser que nous pourrions garder une avance sur le sujet.

Des pistes de financement privé ont par ailleurs été évoquées. D'autres seront peut-être bientôt proposées.

Une fois la maturation terminée, se pose la question de la valorisation. Dans ce domaine, nous sommes clairement confrontés à un problème de professionnalisation des équipes, des process , etc.

A ce titre, l'effort de mutualisation que vous menez me paraît important.

Nous pourrions également réfléchir aux types de transferts sur lesquels nous aurons à progresser. A cet égard, je rappelle que la valorisation ne réside pas uniquement dans la création d'entreprises et ce, dans un contexte où le temps est un élément déterminant. Les Israéliens par exemple essaient plutôt de s'associer à des jeunes entreprises innovantes que de créer leur propre entreprise, ce qui leur permet de faire réussir leurs innovations beaucoup plus rapidement.

Certaines entreprises méritent d'être créées et développées. Néanmoins, nous devons garder à l'esprit qu'il n'existe pas une seule méthode. Or, en France, nous ne sommes pas assez ouverts à ce sujet.

Cet été, j'ai eu l'occasion de faire un « coup d'éclat » en autorisant l'utilisation de l'impôt sur la fortune par les holdings et non plus seulement par les personnes physiques pour l'investissement dans la recherche. Je reconnais néanmoins que ce n'est pas ce secteur qui financera la preuve du concept. Ce type d'investissement intervient trop en amont pour que les business angels puissent le faire.

Dans le cadre de la loi sur l'université, nous avons créé deux types de fondations : la fondation de l'université sans personnalité morale d'une part, et la fondation partenariale d'autre part. Ces deux fondations sont simples à mettre en place. Toutes les universités devraient se doter d'un tel outil pour commencer à collecter des fonds.

J'avais proposé un amendement qui n'a pas été retenu, mais que je présenterai à nouveau. Actuellement, il est possible de placer l'impôt sur la fortune dans le capital d'une entreprise ayant vocation à investir et à se développer. J'avais émis l'idée qu'une petite part de ces 50 000 euros, par exemple 10 000 euros, soit obligatoirement réservée à des investissements dans les fondations universitaires et dans les fondations de recherche.

Les intervenants ont eu raison de souligner que les masses financières consacrées à la recherche n'étaient pas à la hauteur des enjeux actuels.

Nous avons travaillé sur d'autres pistes, comme la possibilité de créer des SOFICA, comme dans le cinéma. Ces questions sont en cours de réflexion. Nous sommes ouverts à toute forme de suggestion.

Je remercierai les quatre intervenants qui, malgré leur emploi du temps extrêmement chargé, ont accepté d'alimenter la réflexion sur cette thématique. Je vous remercie d'avoir été aussi nombreux et fidèles.

Je réitère tous mes remerciements au Président du Sénat, qui est extrêmement ouvert sur ces questions.

Enfin, j'adresserai mes remerciements chaleureux aux personnes qui ont travaillé dans l'ombre pour organiser cette manifestation.

Laurent KOTT

Je remercie le Sénateur Adnot, non seulement pour avoir organisé cette manifestation, mais parce que c'est la première fois, sur ce type de sujet, que je participe à une table ronde à majorité féminine. Pour être toujours plus innovant, le prochain objectif sera d'organiser une table ronde sans cravate.

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