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  • Mardi 10 novembre 1998
    • Audition de M. Philippe Jaffré, président directeur général de la société Elf-Aquitaine

Mardi 10 novembre 1998

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président

Audition de M. Philippe Jaffré, président directeur général de la société Elf-Aquitaine

La commission, élargie au groupe d'études de l'énergie, a entendu M. Philippe Jaffré,président directeur général de la société Elf-Aquitaine.

M. Philippe Jaffré a présenté les principaux intérêts stratégiques mondiaux du groupe Elf-Aquitaine. Dans le secteur de l'exploration-production, ces intérêts, a-t-il précisé, sont présents dans trois principales régions (mer du Nord, Afrique et le "troisième ensemble") et sont répartis entre deux thèmes majeurs : l'"offshore" profond et l'ouverture à l'industrie pétrolière occidentale de pays jusqu'à présent "fermés".

M. Philippe Jaffré a souligné le caractère équilibré de la production du groupe Elf, répartie harmonieusement entre l'Europe et l'Afrique, sans qu'aucun pays représente une part trop importante de la production du groupe. Il a estimé que le nécessaire compromis entre, d'une part, la dispersion de la production due au souci de répartir les risques et, d'autre part, la nécessaire concentration dans une "zone leader", apparaissait, pour le groupe Elf, atteint de manière satisfaisante.

Abordant ensuite les enjeux stratégiques de la présence d'Elf-Aquitaine en mer du Nord, M. Philippe Jaffré a évoqué l'objectif de conforter la position du groupe comme producteur majeur dans cette région, ce qui impose, a-t-il précisé, des investissements importants. Il a également estimé qu'Elf-Aquitaine devrait développer sa production dans le secteur gazier, ayant en particulier pour objectif de faire de la France le futur carrefour gazier européen dans le cadre de dérégulations à l'échelle européenne.

En ce qui concerne les enjeux stratégiques de la présence du groupe Elf en Afrique,M. Philippe Jaffré a commenté le développement de l'"offshore" profond dans le Golfe de Guinée, principalement en Angola, au Nigeria et au Congo. Il a estimé que les découvertes considérables de pétrole effectuées en Angola ouvraient des perspectives particulièrement intéressantes sur ce marché. M. Philippe Jaffré a également souligné l'intérêt économique majeur que présente le Nigeria pour le groupe Elf-Aquitaine. Il a, par ailleurs, évoqué le cas spécifique que constitue le projet de construction d'un oléoduc d'évacuation du pétrole tchadien, ainsi que les perspectives susceptibles d'exister pour le groupe Elf-Aquitaine en Algérie.

Abordant ensuite le "troisième ensemble", M. Philippe Jaffré a commenté l'objectif stratégique que constitue l'implantation d'Elf dans des zones à fort potentiel. Il a successivement évoqué les projets de développement du groupe en Iran, en Irak et au Qatar. Il a observé que l'ouverture concernait essentiellement, à ce jour, les pays dont les ressources pétrolières se caractérisent par un coût d'accès élevé ("offshore", par exemple), qui pouvait susciter pour un investisseur quelques difficultés sur une longue période.

Evoquant alors le cas de l'Asie centrale, M. Philippe Jaffré a relevé les difficultés posées par l'évacuation du pétrole de la mer Caspienne, dans une zone enclavée, caractérisée par une certaine instabilité. Il a relevé la faiblesse des ressources de l'Ouzbékistan, du Turkménistan et du Kazakhstan, soulignant la nécessité de procéder à des études techniques substantielles avant tout projet d'investissement.

Le président du groupe Elf-Aquitaine a ensuite évoqué l'ouverture actuelle des pays d'Amérique latine, le Brésil, le Venezuela et le Golfe du Mexique offrant d'importantes perspectives.

S'agissant de la Russie, M. Philippe Jaffré a noté que les conditions propres à ce pays imposaient de nouer des partenariats avec les entreprises locales ; malgré les incertitudes liées à cette situation, l'importance des ressources énergétiques de la Russie implique une présence importante du groupe Elf-Aquitaine sur place.

L'Amérique du Nord représente, pour sa part, 15 % du chiffre d'affaires d'Elf-Aquitaine et constitue une zone où les activités du groupe se développent, en particulier en matière de santé et de chimie. L'Asie devrait, quant à elle, représenter, d'ici 2002, 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise, contre 8 % actuellement ; certaines opportunités d'achat ouvertes par la crise économique dans cette zone ont d'ores et déjà été saisies par Elf-Aquitaine.

Après avoir indiqué que la France et l'Europe devraient représenter d'ici 2005 60 % du chiffre d'affaires d'Elf-Aquitaine, contre 75 % en 1995, M. Philippe Jaffré a conclu qu'il souhaitait ainsi conférer à son groupe une dimension internationale encore plus importante, tout en préservant une forte assise française et européenne.

A la suite de l'exposé de M. Philippe Jaffré, M. Robert Del Picchia s'est demandé quelles étaient les conséquences de l'évolution des cours du pétrole pour Elf-Aquitaine. Il a souhaité connaître les perspectives concrètes offertes par la volonté d'ouverture récemment manifestée par l'Arabie Saoudite dans le domaine pétrolier. Enfin, il s'est interrogé sur les risques éventuels soulevés par l'activité de "trader" exercée par Elf-Aquitaine en Russie. M. Philippe Jaffré a précisé que les décisions d'investissements dans le domaine pétrolier s'inscrivent dans une perspective de long terme et tiennent compte actuellement d'une hypothèse de prix futur de l'ordre de 15 dollars le baril ; cette évaluation s'appuie sur une analyse consensuelle des principales sociétés pétrolières. S'agissant de l'Arabie Saoudite, il a relevé que la volonté d'ouverture affichée par les dirigeants de ce pays ne s'est pas encore concrétisée et qu'il faut tenir compte des particularités du système économique et social de l'Arabie Saoudite. Il a enfin observé qu'en Russie, les opérations d'achat et de vente s'effectuent de façon rapprochée et présentent donc un risque limité.

M. Aymeri de Montesquiou a interrogé M. Philippe Jaffré sur la position d'Elf-Aquitaine en mer Caspienne et sur les éventuelles occasions manquées dans cette région. Il s'est inquiété, par ailleurs, des conséquences des investissements réalisés par Elf en Allemagne orientale (Leuna). Enfin, il a souhaité savoir si le président d'Elf était en contact avec M. Savimbi. M. Philippe Jaffré a d'abord souligné l'influence des Etats-Unis en Azerbaïdjan ; il a rappelé le souci du président Aliev de satisfaire l'ensemble des parties prenantes dans le secteur pétrolier selon leur importance respective. Il a ajouté par ailleurs que la nécessité de faire venir des appareils de forage en mer Caspienne représente une importante difficulté technique. Il a rappelé par ailleurs que la différence des intérêts respectifs d'Elf-Aquitaine et de Total aux Etats-Unis avait conduit cette dernière société à intervenir la première en Iran. Il a observé que l'investissement effectué par Elf au Kazakhstan n'avait pas fait l'objet d'une étude préalable suffisamment approfondie et n'avait pas donné les résultats escomptés ; cette déception explique en partie l'absence d'Elf, que l'on peut aujourd'hui regretter, au sein du consortium de la Caspienne.

M. Philippe Jaffré a indiqué que les pertes enregistrées par la raffinerie de Leuna, de l'ordre de cinq milliards de francs, sont désormais apurées ; l'importance de l'investissement consenti sur cette opération explique qu'aucune raffinerie n'ait été récemment construite à l'initiative d'Elf en Europe. Enfin, il a précisé que, pour sa part, il avait pour principe, dans les pays où Elf-Aquitaine dispose d'intérêts, de n'entretenir de relations qu'avec les autorités officielles.

M. Emmanuel Hamel s'est interrogé sur les objectifs de créations d'emplois du groupe en France et à l'étranger, ainsi que sur l'incidence de la loi sur les 35 heures ; il s'est inquiété par ailleurs, avec M. Xavier de Villepin, président, d'éventuels risques d'acquisition d'Elf-Aquitaine par des groupes étrangers. M. Philippe Jaffré a souligné que les gains de productivité du groupe dépassent l'extension des ventes opérées en France ou à partir de la France et conduisent, en conséquence, à une réduction annuelle de 1 à 2 % des effectifs du groupe qui réunit en France quelque 40.000 personnes. Toutefois, il a rappelé l'importance des emplois induits par l'activité d'Elf-Aquitaine et a souligné, à cet égard, la nécessité de maintenir la compétitivité de la société. Il a indiqué que l'application de la loi sur les 35 heures était traitée, au sein du groupe, branche par branche et entreprise par entreprise. Il a précisé que le groupe utilise en France 1.000 contrats en alternance, et que les embauches du groupe concernent principalement de jeunes travailleurs. Le président d'Elf-Aquitaine a souligné que l'initiative d'une offre publique d'achat prend essentiellement en compte la taille de l'entreprise visée et ses perspectives de rentabilité ; aussi, après avoir rappelé que la capitalisation boursière d'Elf représente quelque 200 milliards de francs, M. Philippe Jaffré a estimé que la qualité de la gestion de l'entreprise devait dissuader les intentions d'O.P.A. Il a précisé également, à l'intention de M. Xavier de Villepin, président, que 25 % du capital de la société est entre des mains anglo-saxonnes ; cet actionnariat présente une certaine stabilité qui suppose, de la part de la société, un effort constant de transparence et d'explication.

A la demande de M. Christian de La Malène, M. Philippe Jaffré a alors commenté les règles comptables appliquées à l'égard des investissements à risques justifiant une provision. Il a jugé normal qu'une entreprise fasse des erreurs d'investissements mais souligné qu'il est impossible d'effectuer beaucoup d'investissements à risques. Citant l'exemple des risques liés aujourd'hui au marché russe, le président du groupe Elf-Aquitaine a relevé qu'un investissement en Russie pourrait être considéré comme un "actif douteux" mais qu'il pourrait aussi se révéler extrêmement rentable.

Interrogé par M. Christian de La Malène sur les activités non pétrolières du groupe Elf-Aquitaine, M. Philippe Jaffré a précisé que la société s'est concentrée sur les compétences qu'elle maîtrise le mieux. Soulignant la qualité tout à fait remarquable du personnel du groupe, M. Philippe Jaffré a commenté les progrès récemment accomplis en matière d'efficacité du capital ; il a rappelé que le groupe Elf-Aquitaine est aujourd'hui le huitième pétrolier mondial, le treizième chimiste mondial, tandis que des progrès importants ont été accomplis dans le domaine du raffinage et de la distribution et que Sanofi est désormais le deuxième laboratoire pharmaceutique français.

Interrogé par M. Xavier de Villepin, président, sur la voie choisie pour le transit du pétrole de la mer Caspienne, le président du groupe Elf-Aquitaine a commenté les difficultés posées par le choix éventuel de la voie du nord, vers la Russie et la Tchétchénie, ou de la voie iranienne par le détroit d'Ormuz. Il a relevé que le choix de la voie géorgienne serait plus économique que celui du tracé turc. M. Philippe Jaffré a estimé que la décision finale tiendrait compte de l'équilibre général des forces, et que, si le pétrole de la mer Caspienne devait tenir toutes ses promesses, trois tracés différents pourraient à terme coexister.

M. Xavier de Villepin, président, ayant enfin évoqué les pertes de marché préoccupantes subies par la France en Algérie, M. Philippe Jaffré a fait observer que les activités du groupe Elf-Aquitaine dans ce pays étaient encore à ce jour relativement peu développées.