AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 19 janvier 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Affaires étrangères - Audition de M. Andreï Gratchev, ancien conseiller et porte-parole de M. Mikhaïl Gorbatchev, dernier président de l'URSS

La commission a procédé à l'audition de M. Andreï Gratchev, ancien conseiller et porte-parole de M. Mikhaïl Gorbatchev, dernier président de l'URSS, sur la situation en Russie à la veille des élections présidentielles de mars 2000.

M. Andreï Gratchev a tout d'abord évoqué la situation politique en Russie à la suite de la démission de M. Boris Eltsine, et de la prochaine élection présidentielle anticipée prévue le 26 mars prochain.

Il a en premier lieu considéré que la perspective de la fin prochaine du mandat présidentiel de M. Boris Eltsine avait suscité, depuis plusieurs mois, une très forte attente au sein de l'opinion publique russe. Ce mandat s'achève en effet sur un constat d'échec, tant pour la réforme économique que pour la marche vers une évolution démocratique. Le Président Boris Eltsine laisse, à son départ, un régime entaché par les scandales et la corruption, par un lourd discrédit du fonctionnement des institutions, qu'il s'agisse de la Présidence ou du Parlement, et par des pratiques de clientélisme témoignant de la complicité entre le pouvoir politique et l'économie parallèle. Sur le plan politique, la popularité du parti communiste, qui demeure la première formation du Parlement, reste forte, et le pays semble aujourd'hui largement nostalgique de son passé soviétique.

M. Andreï Gratchev a estimé que, dans un tel contexte, l'élection présidentielle, initialement prévue pour le mois de juin, devait constituer pour les citoyens l'occasion de dresser un bilan de huit années de réforme et d'engager un grand débat national sur les moyens de corriger les orientations politiques et économiques du pays. Elle aurait dû également permettre de renforcer la démocratisation de la Russie en démontrant la possibilité d'une alternance au pouvoir.

M. Andreï Gratchev a considéré que ces espoirs étaient aujourd'hui largement déçus, le pays étant privé d'une consultation à date normale. Il a déploré que l'anticipation des élections, et leur organisation sur fond de guerre en Tchétchénie, aboutissent à escamoter le débat démocratique et à rendre impossible l'alternance dont la Russie a besoin, le Premier ministre étant pratiquement assuré de son élection. Il a estimé que l'accélération du calendrier électoral semblait avoir pour seul objectif le maintien du régime actuel et de ses pratiques.

M. Andreï Gratchev a souligné que la guerre en Tchétchénie avait déjà fortement influencé le résultat des dernières élections législatives en assurant la présence au Parlement du parti Unité, constitué pour la circonstance autour de M. Vladimir Poutine, du parti de M. Vladimir Jirinovski, qui était normalement voué à perdre sa représentation parlementaire, et de l'Union des forces de droite de M. Anatoli Tchoubaïs.

Estimant que la prochaine élection présidentielle pourrait prendre la forme d'un plébiscite, il a constaté que la Russie empruntait une voie politique qui l'éloignait du modèle européen et la rapprochait, d'une certaine façon, de pays tels que la Biélorussie, le Kazakhstan ou le Turkménistan.

S'agissant de la guerre en Tchétchénie, M. Andreï Gratchev a considéré qu'elle avait trouvé son origine immédiate dans la perspective des élections législatives et présidentielles, mais qu'elle puisait aussi ses racines dans la conclusion apportée à la première guerre, qui n'avait pas découragé les ambitions des extrémistes tchétchènes, tout en entretenant auprès des généraux russes un esprit de revanche. Il a souligné le risque d'enlisement et de dégradation d'un conflit dépourvu d'issue politique. Il a observé la montée en puissance des généraux, à qui le Premier ministre devra sans doute largement son élection, et dont il pourrait risquer dès lors de devenir l'otage.

Evoquant l'élection présidentielle du 26 mars prochain M. Andreï Gratchev a confirmé que M. Vladimir Poutine en était le grand favori mais que, d'ici là, des éléments nouveaux pouvaient néanmoins faire évoluer la situation. Il en est ainsi de la situation en Tchétchénie mais aussi de la réaction, face à la perspective d'une victoire annoncée, des forces politiques réformatrices. Celles-ci, autour de MM. Evgueni Primakov et Iouri Loujkov, du parti Iabloko et du courant des jeunes réformateurs de M. Sergueï Kirienko, viennent en effet de manifester leur opposition en refusant de s'associer à l'élection, à la présidence de la Douma, de M. Guennadi Seleznev, soutenu à la fois par le parti du Kremlin et par le parti communiste.

M. Andreï Gratchev s'est ensuite interrogé sur la personnalité, les intentions et la marge d'action de M. Vladimir Poutine. Il a souligné sa dépendance à l'égard du groupe qui a contribué à sa nomination et des militaires qui conduisent la guerre en Tchétchénie. Estimant que M. Vladimir Poutine ne pourrait négliger l'environnement international de la Russie, il a considéré que les occidentaux, et en particulier les européens, ne seraient pas dépourvus de moyens de pression à son égard, et qu'il serait nécessaire de rompre avec la complaisance et le soutien inconditionnel qui avaient marqué l'attitude de l'occident vis-à-vis de M. Boris Eltsine.

Un débat s'est ensuite engagé avec les membres de la commission.

M. Claude Estier a interrogé M. Andreï Gratchev sur les éléments de nature à modifier, d'ici le 26 mars, la situation électorale et notamment l'attitude de M. Evgueni Primakov.

M. André Rouvière a demandé quel rôle pouvaient jouer M. Mikahïl Gorbatchev et le général Alexandre Lebed.

M. Robert Del Picchia, se référant à de récentes déclarations prônant une armée forte pour la Russie, s'est interrogé sur les intentions de M. Vladimir Poutine en matière de politique internationale.

Mme Danielle Bidard-Reydet a demandé des précisions sur la comparaison effectuée par M. Andreï Gratchev entre l'évolution politique de la Russie et celle de la Biélorussie, du Kazakhstan et du Turkménistan. Constatant le soutien populaire dont semble bénéficier la guerre en Tchétchénie, elle s'est interrogée sur l'éventualité d'un retournement de l'opinion. Enfin, elle a demandé quelles étaient les intentions de M. Evgueni Primakov à l'occasion de la prochaine élection présidentielle.

M. Xavier de Villepin, président, a évoqué les collectifs de mères de soldats et leur influence sur l'opinion à l'égard de la guerre en Tchétchénie.

M. Christian de La Malène s'est interrogé sur les relations de M. Vladimir Poutine avec l'armée russe.

M. Aymeri de Montesquiou a interrogé M. Andreï Gratchev sur le crédit que l'on pouvait apporter aux informations faisant état d'un éventuel soutien des Etats-Unis aux responsables tchétchènes.

En réponse à ces différentes interventions, M. Andreï Gratchev a apporté les précisions suivantes :

- si M. Vladimir Poutine semble aujourd'hui incarner l'aspiration de l'opinion au rétablissement de l'ordre et de l'autorité de l'Etat et à la restauration d'une certaine dignité nationale mise à mal depuis le démantèlement de l'Union soviétique, la situation politique demeure néanmoins susceptible d'évoluer très rapidement en fonction des événements en Tchétchénie. La population commence à prendre conscience du lourd prix humain à payer pour obtenir la victoire militaire ; par ailleurs, l'attitude de l'opposition lors de l'élection du président de la Douma, démontre qu'elle entend protéger les conquêtes démocratiques et manifester son indépendance vis-à-vis du Gouvernement ;

- l'échec de M. Guennadi Seleznev, avant son élection comme président de la Douma, aux élections régionales de Moscou, alors qu'il était soutenu par M. Vladimir Poutine, montre les limites de l'influence de ce dernier ;

- M. Evgueni Primakov n'a pas, pour le moment, déclaré qu'il ne serait pas candidat à l'élection présidentielle. Il demeure par ailleurs profondément affecté par l'attitude des occidentaux à son égard, alors qu'il effectuait sa mission de médiation auprès de M. Slobodan Milosevic lors de la crise du Kosovo ;

- M. Mikhaïl Gorbatchev a décidé de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle et demeure associé, dans l'esprit d'une large partie de la population, aux conséquences négatives de l'effondrement de l'URSS et de l'ouverture à l'économie de marché ; il s'est rapproché du courant incarné par MM. Evgueni Primakov et Iouri Loujkov ;

- le général Alexandre Lebed ne s'est pas impliqué dans la campagne législative et voit aujourd'hui sa réputation politique fragilisée par le conflit en Tchétchénie, du fait de son rôle dans l'accord qui avait conclu la première campagne militaire. Il pourrait toutefois, en fonction des circonstances, réapparaître de manière inattendue avant l'élection présidentielle ;

- les déclarations de M. Vladimir Poutine sur la nécessité de renforcer l'armée russe ne peuvent être tenues pour révélatrices de ses intentions en matière de politique extérieure ;

- un parallèle peut être effectué entre l'évolution politique que semble connaître aujourd'hui la Russie, au regard du fonctionnement de la démocratie, et la conception qu'en ont des pays tels que le Kazakhstan, le Turkménistan ou la Biélorussie, pays avec lequel M. Boris Eltsine a d'ailleurs signé un traité d'union ;

- le soutien populaire à la guerre en Tchétchénie tient largement au sentiment d'humiliation profondément ancré dans l'opinion depuis l'éclatement de l'Union soviétique et à l'anti-occidentalisme qui a fait suite à l'intervention de l'OTAN au Kosovo. On ne peut cependant préjuger le seuil à franchir pour que les pertes subies par l'armée russe puissent conduire la population à modifier son attitude ;

- il est aujourd'hui difficile d'apprécier ce que sera la capacité de M. Vladimir Poutine à marquer son indépendance à l'égard de l'armée ;

- de même que les Etats-Unis ont, par le passé, financé les islamistes en Afghanistan, il est probable qu'ils ne sont pas dépourvus de liens avec les rebelles tchétchènes, étant rappelé, en outre, que des intérêts pétroliers importants sont en jeu dans la région du Caucase.

Après avoir chaleureusement remercié M. Andreï Gratchev, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que la Russie constitue pour la France un partenaire de premier plan et a souligné la nécessité de maintenir un dialogue politique étroit entre nos deux pays. La Russie devait être un interlocuteur privilégié notamment dans le cadre des élargissements en cours de l'Union européenne et de l'OTAN.

Parlement européen - Réforme des institutions de l'Union - Désignation de membres appelés à représenter la commission

La commission a ensuite procédé à la désignation de M. Christian de La Malène, commemembre titulaire, et de M. André Rouvière, comme membre suppléant, pour la représenter aux travaux de la commission institutionnelle du Parlement européen sur la réforme des institutions de l'Union.

Nomination de rapporteurs

Puis la commission a désigné M. André Rouvière comme rapporteur sur le projet de loi n° 137 (1999-2000) autorisant l'adhésion de la République française à la convention internationale d'assistance mutuelle administrative en vue de prévenir, de rechercher et de réprimer les infractions douanières, et M. Robert Del Picchia comme rapporteur sur le projet de loi n° 138 (1999-2000) autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières.

Traités et conventions - Accord euro-méditerranéen entre les Communautés européennes et l'Etat d'Israël - Examen du rapport

La commission a ensuite examiné le rapport de M. Bertrand Delanoë sur le projet de loi n° 95 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et l'Etat d'Israël, d'autre part.

M. Bertrand Delanoë, rapporteur, a d'abord indiqué que la conclusion du présent accord s'était inscrite dans le cadre de la relance de la politique méditerranéenne de l'Union européenne décidée à la Conférence de Barcelone de 1995. Il a rappelé que la procédure de ratification de ce texte signé le 20 novembre 1995 avait été longtemps retardée dans la mesure où le contexte géopolitique, marqué par les blocages du processus de paix, n'aurait pas permis de donner à l'accord d'association sa véritable dimension.

Evoquant alors le processus de paix, M. Bertrand Delanoë a souligné que la formation d'une nouvelle coalition sous l'autorité de M. Ehud Barak, élu Premier ministre en mai 1999, avait permis de renouer les fils du dialogue. Il a indiqué, s'agissant du volet palestinien, que l'accord de Charm-el-Cheikh signé le 4 septembre 1999, avait permis de confirmer pour l'essentiel les engagements déjà souscrits dans le cadre d'accords précédents demeurés inappliqués. Il a relevé que depuis lors, Israël avait procédé à la libération de prisonniers palestiniens, à l'ouverture du premier " passage sécurisé " pour les personnes entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie et à des redéploiements partiels de l'armée israélienne en Cisjordanie, même s'ils étaient restés en deçà des objectifs fixés à Charm-el-Cheikh. Il a par ailleurs observé que des négociations s'étaient engagées sur le statut final des territoires palestiniens, mais que compte tenu de la difficulté des sujets à l'ordre du jour (définition des frontières du futur Etat palestinien, statut de Jérusalem, retour des réfugiés palestiniens, sort des colonies de peuplement en Cisjordanie) les discussions ne pourraient vraisemblablement s'achever dans les délais prévus.

S'agissant du volet syrien, M. Bertrand Delanoë, rapporteur, a estimé que la reprise des négociations entre Israéliens et Syriens constituait l'aspect le plus spectaculaire de la relance du processus de paix, même si les questions soulevées (les frontières, le partage des eaux du Jourdain, la normalisation des relations diplomatiques, les arrangements de sécurité) requéraient des discussions longues et difficiles. Par ailleurs si M. Ehud Barak a annoncé un retrait des forces israéliennes d'ici le 7 juillet 2000, il n'a apporté, a indiqué M. Bertrand Delanoë, aucune précision sur les conditions d'un tel retrait.

Evoquant alors le volet économique de l'accord d'association, M. Bertrand Delanoë a d'abord rappelé que compte tenu du niveau de développement de l'économie israélienne, les échanges entre l'Union européenne et Israël s'étaient beaucoup développés au cours des dernières années sur la base de libéralisation des échanges industriels décidée en 1975 et les relations commerciales se soldent par un excédent structurel au bénéfice de l'Union européenne. Il a relevé que l'accord d'association de 1995 prenait mieux en compte les préoccupations d'Israël en élargissant le régime des concessions agricoles et en favorisant la libéralisation des prestations de service, l'ouverture des marchés publics ainsi que la libre circulation des capitaux. Il a relevé que ces dispositions étaient déjà entrées en vigueur de manière anticipée dans le cadre d'un accord intérimaire signé le 18 décembre 1995.

M. Bertrand Delanoë a par ailleurs souligné que l'Union européenne avait souhaité accompagner le renforcement des relations commerciales avec Israël par le développement de l'économie palestinienne à travers la signature d'un accord d'association signé en février 1997 avec l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Il a observé que si cet accord rencontrait de nombreux obstacles, le nouveau cours de la politique israélienne permettrait d'enregistrer des avancées sur ces points litigieux.

Abordant ensuite les relations politiques entre l'Union européenne et Israël, le rapporteur a relevé que, malgré la densité des relations entre les deux partenaires, l'Europe demeurait un acteur de second plan dans le processus de paix. Il a toutefois fait état de plusieurs évolutions favorables. Sollicitée par les Palestiniens et plus unis face aux blocages des négociations, les Quinze ont pris de nouvelles initiatives parmi lesquelles la désignation en 1996 d'un envoyé spécial pour le Proche-Orient. Il a rappelé que l'accord d'association permettait l'ouverture d'un dialogue politique, le développement de formes diversifiées de coopération et enfin la mise en place d'un cadre institutionnel de concertation.

M. Bertrand Delanoë, rapporteur, a conclu en indiquant que l'accord constituait un instrument pour développer les relations bilatérales sur la base de la réciprocité entre les partenaires qui partagent un patrimoine de valeurs communes et, au-delà, un moyen de donner sa vraie portée au partenariat euro-méditerranéen qui avait pour objectif, à terme, de faire du bassin méditerranéen un espace d'échange et de paix. Il a donc invité la commission à approuver le projet de loi de ratification.

A la suite de l'exposé du rapporteur, Mme Danielle Bidard-Reydet a rappelé l'importance du développement économique des territoires palestiniens dans le cadre du processus de paix. Elle a souligné que la confiance des Palestiniens dans les nouvelles orientations de la politique israélienne demeurait fragile. Elle a estimé enfin indispensable de rappeler aux autorités israéliennes l'importance accordée par les Européens à la poursuite des négociations.

M. Christian de La Malène a manifesté un optimisme modéré quant aux perspectives de développement des relations entre l'Union européenne et Israël alors même que ce pays avait longtemps privilégié, dans ses échanges avec l'Europe, les seuls aspects économiques.

M. Xavier de Villepin, président, a exprimé ses craintes que le processus de paix ne traverse, dans les prochains mois, une passe difficile. Il a notamment relevé que la décision de retirer l'armée israélienne du Sud-Liban soulevait de nombreuses questions demeurées sans réponse. Il s'est interrogé sur l'évolution de la sécurité régionale en évoquant la possible résurgence de menaces terroristes. Enfin, il a estimé que les positions du Premier ministre israélien n'avaient pas été encore tout à fait explicitées.

M. Bertrand Delanoë a indiqué que la situation actuelle du processus de paix, même si elle suscitait encore beaucoup d'insatisfaction et d'interrogations, constituait toutefois un progrès certain au regard des blocages enregistrés au cours des années passées et, plus encore, des conflits ouverts qui avaient opposé Israël avec ses voisins depuis des décennies. Il a rappelé que les échanges économiques entre Israël et l'Union européenne avaient principalement bénéficié, à ce jour, aux pays européens. Il a estimé que les menaces de terrorisme, toujours présentes, paraissaient moins aiguës que lorsque la région était plongée dans une situation de belligérance. Il a rappelé que la reprise du dialogue constituait une avancée essentielle et que les Européens devaient favoriser le processus, tout en se gardant d'interférer dans les négociations.

La commission a alors approuvé le présent projet de loi.

Traités et conventions - Adhésion de la France à la convention internationale de 1989 sur l'assistance - Examen du rapport

La commission a ensuite examiné le rapport de M. André Boyer sur le projet de loi n° 107 (1999-2000) autorisant l'adhésion du Gouvernement de la République française à la convention internationale de 1989 sur l'assistance.

M. André Boyer, rapporteur, a expliqué que ce texte, adopté sous l'égide de l'Organisation maritime internationale (OMI), portait sur l'assistance et le sauvetage en mer. Il vise à moderniser le droit de l'assistance en mer jusque là régi par la convention de Bruxelles du 23 septembre 1910. La présente convention est d'ores et déjà en vigueur depuis le 14 juillet 1996, après que quinze des trente-deux Etats qui en sont signataires l'ont ratifiée. Le rapporteur a précisé que la France n'avait pas, à l'époque, signé cette convention, n'ayant pu obtenir complètement satisfaction sur la possibilité de l'Etat côtier d'imposer une assistance et sur le champ d'application de la convention. Toutefois, aujourd'hui, la France souhaite adhérer à un instrument, déjà ratifié par un grand nombre de ses partenaires et qui a par ailleurs pour objectif de favoriser la protection de l'environnement.

M. André Boyer a tout d'abord tenu à préciser les grands principes qui régissent le droit de l'assistance en mer. Il a indiqué que ce droit s'enracine dans une profonde tradition maritime de solidarité entre gens de mer. Il a distingué les deux notions du sauvetage et de l'assistance. Le sauvetage, qui concerne les personnes et les équipages, est par principe gratuit. L'assistance est l'aide apportée par un navire à un navire en danger de se perdre et à sa cargaison. Les règles du droit de l'assistance ne s'appliquent, normalement, ni aux épaves ni aux navires de guerre. L'assistance est une obligation qui peut être sanctionnée pénalement, mais il est, toutefois, possible de s'en exonérer dès lors que les risques encourus mettraient en danger l'assistant lui-même. La rémunération de l'assistance est aléatoire et n'est effectuée que si l'opération réussit. Cette rémunération, a poursuivi le rapporteur, est fixée soit dans le contrat d'assistance, soit par des arbitres ou un juge. Son montant varie de 2 à 60 % de la valeur du navire et de sa cargaison, selon leur valeur et l'efficacité de l'aide apportée. Elle ne peut jamais dépasser la valeur des biens sauvés.

M. André Boyer, rapporteur, a ensuite expliqué l'organisation, en France, des moyens d'assistance aux navires en danger. L'action de l'Etat en mer est coordonnée au niveau du Premier ministre par le secrétariat général à la mer. De nombreuses administrations sont en effet concernées : le ministère de la défense à travers la Marine nationale, le ministère de l'équipement pour les Centres régionaux de surveillance et de sauvetage (CROSS) ainsi que l'administration des affaires maritimes, le ministère de l'économie pour les douanes, le ministère de l'environnement et, au niveau local, les préfets et les collectivités territoriales. Il a également souligné le rôle de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), organisme privé. Les moyens proprement dits de surveillance et d'assistance à la mer sont coordonnés par le préfet maritime, qui est traditionnellement l'amiral commandant les forces maritimes de la zone. Le rapporteur a souligné qu'en matière d'assistance, les préfets maritimes de Brest et de Cherbourg avaient un rôle particulièrement important, car ils contrôlaient le trafic maritime de la Manche, qui représente 18 % du trafic mondial et, en particulier, chaque année, 275 millions de tonnes de produits dangereux dont 85 % d'hydrocarbures. Depuis les années 70, le transport des produits dangereux est organisé : les navires concernés ont l'obligation de se signaler quand ils entrent dans les chenaux de navigation prévus à cet effet qui sont éloignés des côtes d'au moins 7 milles marins. Par ailleurs, en cas de danger, le préfet maritime peut réquisitionner un des remorqueurs de haute mer affrétés à l'année par la Marine nationale auprès de la société " Abeille internationale ". Selon l'article 16 de la loi du 7 juillet 1976, a précisé le rapporteur, le préfet maritime peut mettre en demeure l'armateur ou le propriétaire du navire de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la situation dangereuse dans les délais qu'il fixe. Passé ce délai, ou même d'office en cas d'urgence, il a le pouvoir de faire exécuter les mesures imposées par la situation, aux frais, risques et périls de l'armateur. Il dispose également de moyens d'intervention héliportés pour intervenir sur les navires ou sauver les équipages. Enfin, en cas de pollution en mer, le préfet maritime décide du déclenchement du plan Polmar-Mer.

M. André Boyer a ensuite analysé les apports et les limites de la nouvelle convention. Il a indiqué que la convention marque une évolution du droit en vigueur sur deux points importants. Tout d'abord, elle crée " une indemnité spéciale " qui vise à compléter ou à pallier l'absence d'une rémunération d'assistance. Cette indemnité, à caractère incitatif, doit rémunérer les efforts faits par l'assistant pour préserver l'environnement, et peut s'élever jusqu'au double des frais engagés. M. André Boyer a indiqué que, par ailleurs, la convention marque une avancée vers la reconnaissance du droit d'intervention de l'Etat côtier et de son droit à imposer une assistance.

Le rapporteur a précisé que la France a choisi de limiter le champ d'application de la convention en formulant deux réserves. La première vise à exclure du champ de la convention les épaves en tant que biens culturels, la seconde maintient hors du champ de la convention les opérations d'assistance survenant dans les eaux intérieures et lorsqu'aucun navire n'est en cause.

En conclusion, M. André Boyer a souligné que ce texte est un outil utile qui, tout en confirmant le droit antérieur, le modernise et favorise la protection de l'environnement, exigence particulièrement opportune au regard de l'actualité.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Emmanuel Hamel s'est interrogé sur les raisons du retard de la France à ratifier cette convention. Il s'est également demandé quelles raisons avaient motivé l'exclusion des plates-formes de forage du champ d'application de la convention.

M. Christian de La Malène a estimé que cette convention ne lui semblait être qu'une étape vers l'adoption d'un autre texte plus protecteur de l'environnement. Si la ratification de la convention de Londres lui semblait nécessaire, ses limites devaient inciter les Etats à approfondir leurs efforts.

M. Xavier de Villepin, président, a également souhaité qu'une réglementation internationale plus protectrice de l'environnement soit prochainement adoptée. Il a ajouté que, pour être efficaces, ces mesures devraient s'accompagner de la réforme des pratiques du commerce maritime pour faciliter l'identification des responsables et mieux réglementer l'usage des pavillons de complaisance.

M. André Boyer a précisé que la France avait tardé à ratifier la convention, car elle n'était, à l'époque, pas pleinement satisfaite des résultats des négociations. Il importait cependant aujourd'hui, à notre pays d'adhérer à un instrument utile pour l'environnement, avec pour parties ses principaux partenaires.

La commission a alors, suivant l'avis de son rapporteur, approuvé le projet de loi qui lui était soumis.