AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 1er mars 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Jacques Loppion, président directeur général de Giat-Industries

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Jacques Loppion, président directeur général de Giat-Industries.

M. Jacques Loppion a tout d'abord mentionné les principales difficultés rencontrées par Giat-Industries : une évolution irrégulière du volume des prises de commandes, la persistance d'une perte opérationnelle, de l'ordre d'un milliard de francs par an, et l'impact négatif des contrats de vente des chars Leclerc, aux Emirats Arabes Unis, et de tourelles, à la Turquie, conclus à perte et sans protection juridique suffisante. Il a rappelé les conditions de la gestion des acomptes versés au titre du contrat émirati et précisé qu'indépendamment du poids des deux contrats déficitaires, la société connaissait une perte résiduelle l'empêchant de financer seule ses frais commerciaux et ses dépenses de recherche et de développement. Il a enfin indiqué que la société se trouvait depuis plusieurs années dans une situation nette négative, qui avait imposé des recapitalisations successives, par l'Etat, pour un montant total de 17,4 milliards de francs depuis 1996, ces recapitalisations servant à compenser les pertes sur les contrats à l'exportation et à financer les sureffectifs et la mise en oeuvre des plans sociaux.

M. Jacques Loppion a estimé que malgré l'application de ces plans sociaux, et la diminution constante du nombre de salariés depuis 1993, Giat-Industries demeurait en sureffectif. De même, le chiffre d'affaires par employé, estimé à 650.000 F en 1999 et à 800.000 F pour 2000, demeure très inférieur à l'objectif d'un million de francs par salarié.

Il a insisté sur la nécessité de rationaliser l'outil industriel en prenant pour exemple la réduction, de 30 à 18 mois, de la durée du cycle de fabrication du char Leclerc.

Constatant l'échec des tentatives de diversification de Giat-Industries, qui avait conduit à devoir céder des activités correspondantes, il a précisé que la société recherchait désormais le développement d'activités nouvelles, à partir de ses savoir-faire, et en partenariat avec des industriels. Le chiffre d'affaires de ces activités de développement devrait atteindre plus de 250 millions de francs en 2000.

Il a également évoqué l'action de la SOFRED, créée en 1994 par Giat-Industries et le ministère de la défense pour accompagner les restructurations, afin de développer des activités nouvelles dans des bassins d'emploi touchés par la réduction des effectifs de la société.

Evoquant le plan de charge industrielle en l'absence de commande nouvelle, il a signalé que celui-ci accuserait une diminution notable après 2001, mais pourrait se redresser après 2003, dans l'hypothèse d'un contrat de livraison de chars Leclerc à l'Arabie saoudite, à la Grèce ou à la Turquie.

Enfin, rappelant les difficultés de financement de la recherche et du développement, M. Jacques Loppion a insisté sur la nécessité, pour Giat-Industries, de nouer des alliances industrielles.

Un débat s'est ensuite engagé avec les membres de la commission.

M. Serge Vinçon, après avoir salué l'action de redressement entreprise par M. Jacques Loppion, a demandé des précisions sur l'impact de l'étalement et du report des commandes de l'Etat, sur la capacité de Giat-Industrie à répondre à d'éventuelles commandes supplémentaires de chars Leclerc et sur l'état de la commande, par l'Armée de terre, du Caesar, canon de 155 mm monté sur camion, annoncée lors du débat budgétaire par le ministre de la défense.

M. Jean-Guy Branger, évoquant les perspectives d'exportation du char Leclerc, a souligné le bon comportement de ce dernier lors d'exercices au Qatar, en précisant qu'il était équipé à cette occasion du moteur hyperbare de 1.500 chevaux de conception française. Il a en conséquence demandé si ce moteur serait privilégié pour l'exportation par rapport au moteur de conception allemande MTU.

Mme Josette Durrieu a questionné M. Jacques Loppion sur les difficultés techniques de mise au point du char Leclerc évoquées par M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial des crédits de la défense à l'Assemblée nationale. Elle a demandé des précisions sur les perspectives offertes aux forges de l'arsenal de Tarbes dans le cadre du développement d'activités nouvelles. Elle a également demandé si la SOFRED serait habilitée à financer des actions de recherche et de développement hors de Giat-Industries.

M. André Rouvière s'est interrogé sur la durée nécessaire à l'apurement des conséquences des contrats émirati et turc sur les comptes de la société. Il s'est demandé dans quelle mesure les industriels de l'armement terrestre pouvaient aujourd'hui emporter des marchés sans consentir à des pertes, compte tenu de l'acuité de la concurrence.

M. Paul Masson s'est interrogé sur les perspectives d'exportation du char Leclerc en Arabie saoudite, en Grèce et en Turquie. Il s'est demandé si la spécialisation de Giat-industries autour de deux produits principaux, le char et le canon de 155 mm, demeurait viable aujourd'hui.

Mme Danielle Bidart-Reydet a constaté que les graves erreurs de gestion commises par le passé s'étaient directement répercutées sur les salariés de Giat-Industries, dont l'effectif avait été drastiquement réduit depuis 1993. Elle a interrogé M. Jacques Loppion sur les perspectives de diversification et de privatisation de Giat-Industries.

M. Aymeri de Montesquiou a demandé si les erreurs commises dans la gestion financière du contrat émirati avaient été sanctionnées. Il s'est interrogé sur les perspectives d'alliances industrielles européennes pour Giat-Industries, ainsi que sur les éventuelles coopérations avec les industries de l'ex-URSS.

M. Emmanuel Hamel a questionné M. Jacques Loppion sur la qualité de l'armement terrestre russe, au vu notamment du conflit tchétchène.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur les résultats de l'appel d'offres lancé par le ministère de la défense pour le véhicule de combat d'infanterie, et sur l'état d'esprit des salariés de Giat-Industries, au moment où l'entreprise traverse une passe difficile.

En réponse à ces différentes questions, M. Jacques Loppion a apporté les précisions suivantes :

- le processus de notification des commandes étatiques peut conduire à certains retards, comme pour le programme AUF2 ;

- Giat-Industries serait en mesure de faire face à des commandes supplémentaires de chars Leclerc ;

- la commande de matériels Caesar par l'armée de terre, annoncée lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, sera déterminante pour le succès de ce programme à l'exportation ; la Malaisie est d'ores et déjà intéressée, alors que des perspectives apparaissent aux Etats-Unis, compte tenu du besoin d'engins plus mobiles exprimé par l'armée américaine ;

- l'armée de terre française s'est montrée très satisfaite du moteur qui équipe ses chars Leclerc, en raison notamment de ses fortes capacités d'accélération, ce moteur s'étant d'autre part très bien comporté lors d'exercices effectués au Qatar et en Turquie ; Giat-Industries devra néanmoins, pour l'exportation, se plier au souhait du client qui choisira entre les différents modèles de moteurs en fonction de ses propres impératifs ;

- la conduite du programme Leclerc s'est caractérisée par l'absence de préséries et par la mise au point des matériels au fil de la production ; compte tenu de ce choix de conduite de programme, il n'y a pas lieu de parler de " défaillance " sur le programme Leclerc ;

- le volume de fabrication représenté par le programme Leclerc ne suffit pas à pleinement utiliser les capacités de l'arsenal de Tarbes ; Giat-Industries s'emploie donc à trouver, pour l'atelier des forges, à Tarbes, d'autres débouchés et le dotera, à cet effet, des équipements nécessaires, notamment par le transfert d'une presse provenant de la douillerie de Rennes ;

- l'intervention de Giat-Industries, par l'intermédiaire de la Sofred, dans le domaine de l'innovation, ne doit pas conduire celle-ci à se comporter en société de capital-risque et requiert une très grande sélectivité, ainsi que la recherche de partenariats crédibles en matière de commercialisation ;

- l'impact négatif du contrat de chars Leclerc avec les Emirats Arabes Unis a été provisionné et se répercutera jusqu'en 2002 dans les comptes de la société ;

- peu de sociétés réalisent actuellement des bénéfices dans le domaine de l'armement terrestre, ce qui renforce la logique des regroupements industriels ;

- s'agissant des marchés de chars de combat intéressant le programme Leclerc, des compétitions déterminantes pour l'avenir de Giat-Industries sont en cours cette année en Grèce et en Turquie, alors que la négociation avec l'Arabie Saoudite, dont le retard affecte de façon importante le plan de charge de l'entreprise, a été relancée depuis l'automne dernier ;

- la réduction des effectifs de Giat-Industries s'est opérée par mesures d'âge et des reclassements au sein du ministère de la défense ;

- Giat-Industries recherche des rapprochements avec d'autres industriels, notamment européens, dans le domaine des armes et des munitions d'une part, et des véhicules blindés légers d'autre part ; de tels regroupements ne seront néanmoins réalisables que si la société démontre sa capacité à se redresser ;

- les matériels blindés russes ont démontré leur qualité, mais se heurtent à des défauts de fiabilité et à des difficultés d'approvisionnement en pièces détachées ;

- Giat-Industries est engagée dans la négociation sur la réduction du temps de travail et doit veiller à ne pas alourdir ses coûts de production et à préserver la capacité de mobilisation de ses cadres.

Nomination d'un rapporteur

La commission a ensuite désigné M. Xavier Pintat comme rapporteur du projet de loi n° 2183 (AN -11ème législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

Mission d'information - Marée noire provoquée par le naufrage du navire " Erika " - Désignation des membres de la commission

La commission a enfin désigné MM. Jean-Guy Branger, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Daniel Goulet pour faire partie de la mission commune d'information chargée d'examiner l'ensemble des questions liées à la marée noire provoquée par le naufrage du navire " Erika ", de proposer les améliorations concernant la réglementation applicable et de définir les mesures propres à prévenir de telles situations.

Audition de M. Philippe Camus, président du Directoire d'Aérospatiale-Matra

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Philippe Camus, président du Directoire d'Aérospatiale-Matra.

M. Philippe Camus a d'abord rappelé le contexte où a été créé, en 1999, par les groupes Aérospatiale et Matra, DASA (Allemagne) et CASA (Espagne), un pôle privé aéronautique, spatial et de défense, à l'échelle européenne, EADS (European Aeronautic Defense and Space Company). Les restructurations ont déjà été engagées aux Etats-Unis avec la naissance de quatre groupes majeurs, d'abord selon une logique de métier (missiles, satellites et électronique de défense), puis dans le cadre plus large d'une reconfiguration des portefeuilles d'activité. Au Royaume-Uni, le rapprochement entre Marconi et British Aerospace a donné naissance à BAE Systems, selon une logique d'intégration verticale et nationale. La constitution de la société européenne EADS s'inscrit, quant à elle, dans la perspective d'une intégration horizontale, répondant aux souhaits des six pays signataires de la loi de voir se constituer un ensemble européen du secteur aéronautique, spatial et de défense.

M. Philippe Camus a précisé que le chiffre d'affaires du nouveau groupe sera assuré, pour les deux tiers, par ses activités civiles, ce qui le rapproche de la structure de Boeing. La force du groupe s'appuie sur ses positions de premier plan mondial dans l'aéronautique civile avec Airbus, dans la construction d'hélicoptères avec Eurocopter, dans le domaine spatial avec le lanceur Ariane ainsi que dans les missiles tactiques. Les avions de combat et les satellites viennent en seconde position. Le groupe souhaite affirmer ainsi sa vocation européenne, tout en étendant son activité sur un marché mondial, grâce à l'excellence acquise dans plusieurs métiers.

M. Philippe Camus a alors évoqué l'environnement dans lequel intervient le groupe EADS. Le marché de la défense est dominé par les sociétés américaines, qui bénéficient d'un marché intérieur deux fois plus important que le marché européen (le budget d'équipement de la défense des Etats-Unis s'élève à 75 milliards de dollars, soit deux fois plus que les crédits européens dans ce domaine). En outre, les exportations américaines vers l'Europe sont sept fois supérieures aux exportations européennes vers les Etats-Unis ; elles bénéficient, à cet égard, du rôle essentiel joué par l'OTAN en Europe. Enfin, le marché européen demeure très morcelé, et ne favorise pas la compétitivité de nos entreprises. M. Philippe Camus a ensuite évoqué les perspectives de rapprochement d'EADS avec d'autres groupes européens. Il a ainsi fait état des liens avec l'Italie. Ce pays a choisi de mener une politique de restructuration en privilégiant une approche par secteurs. La coopération pourra porter sur Airbus, sur les avions régionaux et, de manière prioritaire, sur les avions de combat. Avec le Royaume-Uni, de nouveaux projets permettraient de prolonger des liens denses et anciens déjà noués à l'occasion de programmes engagés dans le domaine des missiles avec Matra BAe Dynamics (MBD), des satellites avec Astrium, de l'aéronautique civile et militaire. Aux Etats-Unis, il apparaît indispensable de développer la coopération avec les industriels d'outre-Atlantique. Cette volonté industrielle n'est pas, à l'heure actuelle, relayée par les pouvoirs publics américains.

Le président du Directoire d'Aérospatiale-Matra a alors développé les conditions qui permettront d'asseoir la position d'EADS vis-à-vis des Etats-Unis. Il a souligné l'importance que revêt la mise en oeuvre de grands projets structurants, à l'échelle européenne, tant dans le domaine civil que dans le domaine militaire. Il a cité, à cet égard, l'avion A3XX qui permettra à EADS de disposer d'une gamme complète d'avions civils afin d'occuper une position équivalente à celle de Boeing. Dans le domaine de la défense, le programme de missiles antichars TRIGAT semble affecté, en raison des hésitations allemandes, d'une fragilité accrue. De même, le programme d'hélicoptères NH90, qui devait faire l'objet d'un accord lors du Conseil européen de Lisbonne de mars prochain, pourrait être retardé. Enfin, il apparaît important de lancer de nouveaux programmes tels que l'avion de transport militaire A400M qui pourrait représenter un marché minimal de 180 avions (soit 14 à 15 milliards d'euros pour l'Europe). Toutefois, l'intérêt des différents pays sur ce projet n'est pas encore concrétisé. Le missile air-air moyenne portée METEOR pourrait disposer, quant à lui, d'un marché intérieur européen représentant un potentiel de 3.000 missiles. En outre, un accord avec Boeing permettrait la commercialisation aux Etats-Unis de ce missile dont la technologie est au premier rang mondial. La décision attendue du Gouvernement britannique pourrait produire un effet de déclenchement sur ce programme et, partant, sur l'ensemble de l'industrie européenne des avions et des missiles.

M. Philippe Camus a également souhaité une plus grande homogénéité de la législation européenne. Il a noté que les efforts en la matière ont été accélérés à la suite de la création d'EADS, mais qu'il reste encore des progrès à accomplir afin de favoriser une meilleure circulation des compétences à l'échelle de l'Europe, ainsi qu'une réglementation plus favorable en matière d'exportation.

A la suite de l'exposé du président du directoire d'Aérospatiale-Matra, M. André Rouvière a demandé quels moyens pourraient être mis en oeuvre pour donner une plus grande place à l'industrie européenne, et en particulier française, dans le cadre des équipements de l'OTAN. Il s'est interrogé, par ailleurs, sur les risques d'espionnage des technologies liées à Ariane.

M. Serge Vinçon a demandé des précisions sur les relations entre EADS et Dassault, notamment au regard des programmes concurrents développés par ces deux groupes avec l'Eurofighter et le Rafale. Il s'est interrogé en outre sur les perspectives de développement d'un pôle français dans le domaine des missiles. Enfin, il s'est inquiété des conditions de réalisation du programme d'hélicoptères NH 90.

M. Aymeri de Montesquiou a souhaité savoir si l'activité militaire d'EADS permettait de dégager des bénéfices. Il a également demandé des précisions sur la coopération dans le domaine des satellites de communication, ainsi que sur l'éventualité d'un rapprochement entre EADS et British Aerospace. Enfin, après avoir rappelé que Matra s'était développé grâce aux performances acquises dans des domaines très spécialisés, il s'est interrogé sur les orientations d'un groupe qui possédait désormais une échelle mondiale.

M. Xavier de Villepin, président, s'est demandé si EADS avait cherché à obtenir, au moment de sa formation, des pouvoirs publics européens intéressés, la garantie que serait mis en oeuvre un certain nombre de programmes majeurs en matière de défense. Il a souhaité, en outre, des précisions sur les perspectives de développement de l'A3XX, du NH 90, ainsi que sur les projets engagés en matière de missiles et dans le domaine spatial. Enfin, il a rappelé que la commission était très attachée à la régularité des commandes passées par notre Gouvernement aux industries de défense.

En réponse à ces questions, M. Philippe Camus a apporté les précisions suivantes :

- les opérations récentes au Kosovo ont souligné le retard pris par les forces armées européennes en matière de recueil et de chaîne du renseignement ; l'industrie européenne, et principalement EADS, dispose dans ce domaine, des capacités de systèmes nécessaires ;

- la coopération opérationnelle avec Dassault est très satisfaisante, en particulier pour la conquête de marchés à l'exportation ; ces liens pourront s'appuyer sur une participation financière importante d'EADS au capital de Dassault comparable à la part (46 %) détenue précédemment par Aérospatiale-Matra ; s'agissant de la concurrence entre l'Eurofighter et le Rafale à l'export, il s'agit d'abord de faire en sorte que l'un ou l'autre gagne par rapport aux concurrents communs ; par ailleurs, au sein d'EADS, la structure chargée de la participation stratégique au sein de Dassault, est totalement séparée de la division opérationnelle responsable de l'aéronautique ;

- dans le domaine des missiles, EADS dispose d'une capacité de premier plan, mais il est essentiel que le groupe puisse compter sur des programmes d'échelle européenne afin de renforcer sa compétitivité. Ainsi, s'agissant des missiles au sein de notre partenariat MBD, le poids des commandes annuelles du Royaume-Uni, depuis quelques années, est de l'ordre de 10 milliards de francs par rapport au niveau des commandes françaises (1 milliard de francs). Ce déséquilibre pourrait entraîner, à terme, une redistribution de la localisation des compétences entre nos deux pays, à laquelle notre Gouvernement devrait se montrer plus sensible ; les bénéfices liés aux activités de défense sont principalement obtenus grâce aux exportations ; ils permettent de renforcer l'effort consacré à la recherche-développement et constituent un élément essentiel de la confiance que les actionnaires placent dans le groupe. Quant à l'éventualité d'une fusion avec British Aerospace, elle ne peut que constituer une perspective de long terme qui pourrait toutefois se concrétiser si les industries européennes se trouvaient dans l'incapacité de développer leur présence sur le marché américain ;

- le nouveau groupe EADS pourrait continuer, comme le faisait Matra, à développer des compétences très spécialisées, telles que l'application des technologies numériques au domaine de la défense ;

- le programme A3XX pourrait être confirmé prochainement, lorsque les démarches commerciales entreprises avec les compagnies aériennes aboutiront ;

- les restructurations aux Etats-Unis se sont accompagnées de la mise en oeuvre de grands programmes à l'initiative des pouvoirs publics ; la constitution d'EADS n'a pas bénéficié, pour sa création, de tels engagements ; il est essentiel, cependant, qu'elle puisse compter sur des grands programmes européens structurants afin de se maintenir au premier rang dans les métiers où elle excelle.

En complément des réponses de M. Philippe Camus, M. François Auque, responsable de la division satellites, a apporté les précisions suivantes :

- dans le domaine spatial, le secteur des satellites constitue une part relativement marginale du marché des télécommunications civiles ; les Américains occupent une place prépondérante dans ce domaine grâce, notamment, à l'avancée que leur procure l'effort de dépense consacré aux satellites au sein du budget de la défense ;

- la mise en place, par les Etats-Unis, de grands lanceurs évolués, à l'échéance 2005, représentera une concurrence importante pour Ariane V ;

- Boeing a racheté 40 % du marché des satellites de télécommunications et pourra, de la sorte, agréger cette compétence à la capacité de lancement et proposer une offre complète aux clients potentiels.

M. Jean-François Bigay, responsable d'Eurocopter, a, en outre, précisé que l'accord sur le NH 90, prévu lors du conseil européen de Lisbonne en mars 1990, sera sans doute repoussé en raison des délais pris par le processus de décision en Allemagne ; ce retard constitue un handicap certain à l'heure où les quatre pays nordiques ont témoigné d'un intérêt pour ce type de matériel ; il est donc essentiel que les quatre pays à l'origine du NH 90 puissent rapidement donner un signal fort, et qu'un engagement ferme soit obtenu lors du salon aéronautique de Berlin en juin 2000.

Jeudi 2 mars 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Affaires étrangères - Situation au Kosovo - Audition de M. Alain Richard, ministre de la défense

La commission a procédé à l'audition de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la situation au Kosovo.

M. Alain Richard a tout d'abord rappelé que la présence militaire internationale au Kosovo avait permis de réduire très nettement le degré de violence dans la province en quelques mois ; ainsi, le nombre de morts avait été divisé par trois entre le mois de septembre et la fin de l'année 1999. Aussi, le regain de tension intervenu au cours du mois de février ne devait pas masquer les résultats incontestables obtenus par la KFOR en faveur de la pacification du Kosovo.

Le ministre de la défense a également rappelé que la fin des hostilités s'était traduite par un renforcement de la prépondérance démographique des populations albanophones. Cette communauté albanophone demeure néanmoins partagée entre les groupes issus de l'UCK, et la mouvance plus modérée incarnée par la Ligue des démocrates du Kosovo (LDK) de M. Ibrahim Rugova. La situation minoritaire de la communauté serbe s'est, quant à elle, accentuée, les populations serbes étant désormais regroupées dans des enclaves pratiquement homogènes et cherchant à se doter, au travers de milices ou de groupes armés, de moyens d'autoprotection.

M. Alain Richard a estimé qu'au Kosovo, certaines forces, encore tentées par la lutte armée, freinaient le retour à la vie normale. C'est dans ce contexte qu'avait été provoquée une remontée de la violence dans la région de Mitrovica, où se concentre plus de la moitié de la population serbophone de la province.

Rappelant les tâches très diverses assumées par la KFOR, le ministre de la défense a indiqué que face à la recrudescence des incidents, la France s'était montrée disposée, si nécessaire, à un renforcement de la présence militaire sur le terrain. Il a précisé que certains partenaires de la KFOR avaient, pour leur part, procédé à une diminution de leur contingent depuis l'automne dernier. Après en avoir débattu, le Conseil Atlantique avait jugé qu'un renforcement des effectifs n'était pas indispensable. En revanche, plusieurs unités de la KFOR, stationnées dans d'autres zones, ont été appelées en renfort dans la zone de Mitrovica. Pour autant, soumises à des règles d'engagement parfois très limitatives, ces unités n'ont pas toujours pu contribuer efficacement aux opérations de contrôle.

Le ministre a alors souligné le caractère très exigeant et difficile de la mission confiée au contingent français dans la zone géographique qui lui a été attribuée, et il a précisé qu'à aucun moment les structures de commandement de la KFOR, ou l'un quelconque de nos alliés, n'avaient souscrit aux allégations de certains organes de presse quant à la partialité de nos forces. Il a insisté sur la nécessité de poursuivre les actions de reconstruction et de renforcer les forces de police affectées à la mission des Nations unies pour le Kosovo (MINUK), dont les effectifs se limitaient à 2.000 hommes au lieu des 4.700 prévus. Il a également évoqué la nécessité d'instaurer un véritable pouvoir judiciaire, le recrutement de juges locaux montrant ses limites.

Estimant que la stabilité du Kosovo était aujourd'hui menacée tant par les affrontements interethniques que par les tensions intracommunautaires et le développement des activités mafieuses, M. Alain Richard a estimé que l'exemple de la Bosnie-Herzégovine montrait que des progrès étaient néanmoins réalisables dès lors que l'action de la communauté internationale pouvait s'inscrire dans la durée et s'appuyer sur un mandat clair. A ce propos, il a souligné qu'il était indispensable de demeurer dans le cadre fixé par la résolution 1244 des Nations unies, c'est-à-dire de continuer à organiser le statut d' " autonomie substantielle " du Kosovo au sein de la République fédérale de Yougoslavie.

Un débat s'est ensuite engagé avec les membres de la commission.

M. Daniel Goulet a indiqué que ses déplacements au Kosovo lui avaient permis de constater une dégradation de la situation au cours des derniers mois. Il a estimé qu'un renforcement des moyens de la MINUK était préférable à l'envoi d'unités militaires supplémentaires. Il a insisté sur le besoin en forces de police et en moyens de coopération dans le domaine économique ou administratif, en souhaitant que l'action de la communauté internationale et, singulièrement celle de la France, soit à même de conduire les différentes communautés à travailler ensemble pour la reconstruction du Kosovo.

M. André Boyer a demandé des précisions sur l'influence politique actuelle de M. Ibrahim Rugova et sur l'insuffisance des forces de police mises à la disposition de la MINUK.

M. André Rouvière s'est interrogé sur le résultat du travail de réorganisation administrative accompli par la MINUK. Il a demandé dans quelles conditions certains de nos partenaires, au sein de la KFOR, avaient pu décider de la réduction de leurs effectifs.

M. Michel Pelchat a souhaité connaître le montant des fonds consacrés par la communauté internationale à la reconstruction du Kosovo. Il a déploré les critiques qui avaient pu être adressées au contingent français, qui accomplissait un travail remarquable, dans un contexte très difficile. Estimant que tous les pays membres de la KFOR ne semblaient pas disposés à s'impliquer autant que nos propres forces, il a souhaité que la France place ses alliés devant leurs responsabilités.

M. Emmanuel Hamel a souhaité connaître le niveau des moyens effectivement engagés par la communauté internationale au regard de celui qui avait été promis et a demandé si la France renforcerait sa participation.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est félicitée que la communauté internationale maintienne l'objectif d'une autonomie substantielle du Kosovo excluant l'indépendance. Elle a souhaité, à cet égard, qu'un signe fort soit adressé en direction de toutes les factions extrémistes. Elle s'est étonnée que tous les contingents de la KFOR n'obéissent pas aux mêmes règles d'engagement, alors qu'au cours des opérations militaires, l'OTAN avait, semble-t-il, su imposer son unité de commandement. Elle s'est enfin interrogée sur le rôle politique susceptible d'être joué par M. Ibrahim Rugova.

M. Robert Del Picchia a souhaité connaître l'état des réflexions menées par la France, l'Italie, l'Espagne et le Portugal en vue de la constitution d'une force européenne de sécurité et de police.

M. Xavier de Villepin, président, évoquant les conditions difficiles dans lesquelles étaient engagés les soldats français, a demandé quelles étaient les dispositions prises en vue de parer à d'éventuelles actions de provocation. Regrettant la confusion qui entourait la question d'un éventuel renforcement de la présence militaire de la KFOR à Mitrovica, il a déploré que les autorités américaines aient, semble-t-il, renoncé à fournir des renforts temporaires en provenance d'autres secteurs de la province. Il a demandé des précisions sur la mise en place de l'état-major de l'Eurocorps au Kosovo. Considérant que l'évolution de la situation sur le terrain avait pu laisser craindre que la communauté internationale ne délaisse l'objectif fixé lors de l'intervention militaire, à savoir la préservation d'un Kosovo multiethnique, il a estimé que le cadre défini par la résolution 1244 devait impérativement être respecté. Il s'est enfin inquiété de l'état des deux soldats français blessés à Mitrovica.

En réponse aux commissaires, M. Alain Richard a apporté les précisions suivantes :

- il existe, au sein des différentes communautés du Kosovo, une véritable aspiration en faveur de la reconstruction et de la paix. Par ailleurs, des crédits spécifiquement destinés à l'organisation de la coopération économique sont dégagés, tant par le Gouvernement français que par l'Union européenne ;

- M. Ibrahim Rugova dispose d'une réelle audience politique auprès des Kosovars, qui pourra sans doute se manifester à l'occasion des prochaines élections ; cependant, les positions prises par certains membres de l'UCK tendent à accroître la tension dans la région au risque de rendre plus difficile le bon déroulement de ces élections ; l'initiative prise par M. Bernard Kouchner d'associer les différents mouvements kosovars au sein de l'exécutif provisoire de la province reste un atout indéniable ;

- les effectifs prévus de policiers et de gendarmes français au Kosovo (MINUK) s'établissent à 80 hommes pour chacune des deux forces ; le nombre de candidatures a été plus important pour la gendarmerie que pour la police, mais ce déséquilibre devrait progressivement se corriger ; un escadron de gendarmerie mobile est en outre présent à Mitrovica, dans le cadre de la KFOR ;

- le calendrier institutionnel est subordonné à l'avancée des négociations avec les différentes communautés ; les élections dont la date n'a pas encore été fixée seront organisées sous les auspices de l'OSCE qui aura pour charge, en particulier, de préparer les listes électorales ;

- le dispositif institutionnel actuel de la province préserve des liens avec la République fédérale de Yougoslavie ; la tendance naturelle de la minorité serbe à se tourner vers Belgrade n'est pas nécessairement liée à une volonté délibérée de manipulation de la part du Président Slobodan Milosevic ; les alliés doivent toutefois rester vigilants face à l'éventualité de toute menace de déstabilisation de la part des autorités serbes ;

- la diversité des règles d'engagement des différentes forces alliées présentes au Kosovo apparaît logique dans une coalition, en l'absence d'une quelconque autorité militaire supranationale ;

- les contributions volontaires au dispositif actuel des pays alliés pour l'année 2000 , s'ajoutant aux contributions au budget du département des opérations de maintien de la paix de l'ONU devraient s'établir à 225 millions d'euros ; s'il existe des retards de paiement, ces derniers ne devraient pas compromettre l'effort global ; la participation française, dans le cadre de son intervention au Kosovo pour l'année 1999 (militaire et civile), s'est élevée à 2,8 milliards de francs, soit près de 10 % de l'effort total des alliés ;

- les éventuelles critiques, reprises par certains organes de presse étrangers, et formées contre l'action de nos forces, font l'objet de discussions entre alliés, mais ne doivent pas aboutir à de vaines polémiques ;

- il importe de maintenir une bonne articulation entre les forces militaires et les forces de police présentes au Kosovo afin de disposer d'une chaîne de contrôle efficace ; une réflexion plus poussée sur la place de la police internationale dans le cadre des opérations de maintien de la paix apparaît aujourd'hui indispensable ;

- le dispositif français de sécurité a été renforcé afin de répondre aux risques de provocation qui pourraient se présenter ; les forces françaises ont compté dans leurs rangs, à la suite des récents incidents au Kosovo, deux blessés qui sont aujourd'hui hors de danger ; le contingent russe a déploré quant à lui un décès ;

- l'Eurocorps relèvera l'état-major Centre Europe de l'OTAN pour assurer le commandement de la KFOR dans un contexte difficile ; il fournira un effectif de 350 personnes que compléteront les quelque 650 hommes provenant des états-majors des forces alliées n'appartenant pas à l'Eurocorps ; les conditions de relève de l'Eurocorps, prévue à la mi-octobre, sont à ce jour une source de préoccupation.

Le ministre a alors fait le point sur la coopération européenne en matière de défense à la suite de la réunion informelle des ministres de la défense de l'Union européenne à Sintra (Portugal). Cette réunion avait pour objectif de préparer le Conseil affaires générales du 20 mars prochain qui réunira les ministres des affaires étrangères et les ministres de la défense des quinze Etats membres et permettra de déterminer les conditions de mise en place des futures capacités européennes de défense. Il restera cependant à préciser les conditions de mise en oeuvre de ces capacités ainsi que l'effort financier que devront consentir les Quinze. Avant la fin de la présidence française, une " conférence de générations de forces " sera organisée afin d'affiner la contribution de chaque nation à la force de réaction rapide européenne. Il conviendra également de fixer les modalités de coopération entre l'Union européenne et l'OTAN en matière de défense.

M. Alain Richard a également précisé à l'intention de M. Xavier de Villepin, président, que le principe de critère de convergence dans le domaine de la défense restait d'actualité, même s'il convenait de prendre en compte la volonté des Européens de maîtriser la dépense publique dans un contexte général marqué par l'affaiblissement, au sein des opinions publiques, de la perception d'une menace militaire.