AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 14 juin 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Défense - Projet américain de défense nationale antimissiles (NMD) - Communication

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord entendu une communication de M. Xavier de Villepin, président, sur le projet américain de défense nationale antimissile (NMD).

Après avoir rappelé que le projet de déploiement d'une défense nationale antimissile (National Missile Defense - NMD) envisagé par les Etats-Unis occupait désormais une large place dans le débat international, compte tenu de ses multiples implications stratégiques, M. Xavier de Villepin, président, a indiqué que, depuis plusieurs décennies, la défense contre les missiles balistiques avait constitué une préoccupation importante des deux superpuissances, les Etats-Unis et l'URSS. Ces dernières ont néanmoins convenu, par le traité ABM (Anti-Ballistic Missiles) de 1972, de renoncer à protéger l'intégralité de leur territoire et à limiter le déploiement de défenses antimissiles à deux sites, puis, en 1974, à un seul. Seule l'URSS a effectivement usé de cette faculté, les Etats-Unis ayant abandonné l'installation, un temps envisagée, de défenses antimissiles autour de leur site de lancement de missiles stratégiques, dans le Dakota.

M. Xavier de Villepin, président, a souligné qu'en 1983, l'initiative de défense stratégique, lancée par le président Reagan, avait relancé le thème d'un bouclier antimissile, mais l'effondrement de l'URSS et le coût démesuré d'un tel projet avaient incité le président Bush à le réorienter vers une protection contre les frappes balistiques limitées, avec le système GPALS (Global Protection Against Limited Strikes). Ce projet est lui-même passé au second plan après l'élection du président Clinton, qui a, dans un premier temps, donné la priorité aux systèmes de défense antimissile de théâtre (Theater Missile Defense - TMD). Sous l'appellation TMD sont regroupés divers systèmes ayant en commun de ne pas permettre la défense de l'intégralité du territoire américain et conçus soit pour la défense de point, c'est-à-dire une aire d'une dizaine de kilomètres de diamètre, comme le système Patriot, soit pour une défense de zone, à la couverture plus étendue, comme le THAAD (Theater High Altitude Area Defense) ou le Navy Theater Wide.

M. Xavier de Villepin, président, a indiqué que, fermement soutenue par les Républicains, majoritaires au Congrès depuis 1994, l'idée d'une défense nationale antimissile (NMD) était revenue d'actualité en 1998, après la publication du rapport de la Commission Runsfeld prévoyant l'apparition, à brève échéance, de menaces liées à la prolifération balistique, puis le tir, le 31 août 1998, d'un engin balistique nord-coréen. Ce nouveau contexte a déterminé l'administration à préparer concrètement le déploiement de la NMD, le Président des Etats-Unis devant prendre une décision à ce sujet à l'automne 2000, après la réalisation de trois tests d'interception d'un missile balistique et au vu de quatre critères : l'évolution de la menace, le coût du système, son efficacité technique et l'évaluation de ses conséquences internationales.

M. Xavier de Villepin, président, a alors décrit les principales caractéristiques du programme NMD envisagé par l'actuelle administration américaine, à savoir :

- une ambition limitée à la défense contre une attaque balistique limitée, de quelques dizaines de têtes au plus, provenant d'un " rogue state " comme la Corée du nord ou l'Iran ;

- un fonctionnement fondé sur le concept d'interception directe par collision, dit " hit to kill " ;

- une architecture reposant sur des radars d'alerte rapide, un radar dit " en bande X ", une constellation de satellites de surveillance, des intercepteurs basés au sol en Alaska ainsi que, dans un second temps, au Dakota, et, enfin, un centre de commandement et de gestion de l'engagement.

Il a précisé que, selon le calendrier de déploiement actuellement envisagé, une première batterie de 20 intercepteurs pourrait être déployée en Alaska dès 2005. Elle serait portée à 100 intercepteurs en 2007 alors que le second site de lancement prévu au Dakota, lui aussi doté de 100 intercepteurs, pourrait être opérationnel en 2011. Selon le Pentagone, le coût d'un tel système représenterait, sur la période 2000-2011, un investissement de 44 millions de dollars, soit 1 % du budget de la défense, l'office budgétaire du Congrès avançant pour sa part une estimation proche de 60 milliards de dollars.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite évoqué les multiples implications de la NMD sur l'environnement de sécurité international.

Il a, en premier lieu, considéré que la NMD contrevenait au traité russo-américain ABM, considéré comme l'un des piliers de la stabilité stratégique internationale. Il a estimé que si la Russie s'était jusqu'à présent fermement opposée à la révision du traité ABM, proposée par les Etats-Unis, la conclusion, à terme, d'un accord ne pouvait être totalement exclue dans le cadre d'une négociation sur certaines contreparties dont pourrait bénéficier Moscou, en particulier sur ses demandes concernant la réduction des arsenaux nucléaires. Il a indiqué qu'en cas d'échec des négociations, le retrait des Etats-Unis du traité ABM constituait lui aussi une hypothèse envisageable, qui ne manquerait pas, cependant, d'affecter le contexte international en matière de désarmement et de lutte contre la prolifération.

Il s'est ensuite demandé si le déploiement de la NMD n'inciterait pas la Chine à poursuivre le développement de ses capacités nucléaires, provoquant, de ce fait, une course aux armements dans le sous-continent indien et en Asie de l'Est. Il s'est également interrogé sur la possibilité, pour les pays proliférants, de développer d'autres moyens de mise en oeuvre d'armes de destruction massive s'il apparaissait que leurs capacités balistiques étaient affaiblies par la NMD.

M. Xavier de Villepin, président, a également évoqué le débat provoqué par la NMD au sein de l'Alliance atlantique, de nombreux alliés ayant fait part de leurs réserves ou de leurs interrogations. Il a estimé qu'en tout état de cause, la défense nationale antimissile ne pouvait constituer une priorité pour les alliés européens de l'Alliance.

S'agissant de la France, il a rappelé que la dissuasion nucléaire constituait l'ultime garantie de la protection du territoire national. Il a estimé que l'éventuel déploiement par les Etats-Unis de la NMD ne remettrait pas en cause la crédibilité de notre dissuasion nucléaire qui continuerait de jouer un rôle central dans notre stratégie de défense. Il a toutefois ajouté qu'une réflexion sur l'adaptation de notre doctrine serait nécessaire si, à l'avenir, se produisait une évolution renforçant le rôle des armes défensives dans les concepts de défense. Il a en outre considéré que la France devait développer des programmes de défense antimissile de théâtre, tels que le missile Aster, qui apparaissent utiles pour la protection de nos forces projetées et s'appuient sur un savoir-faire industriel français qui mérite d'être valorisé.

M. Xavier de Villepin, président, a conclu en évoquant le débat en cours aux Etats-Unis sur le déploiement de la NMD, à la lumière notamment des contacts établis lors de deux déplacements à Washington et au siège de l'Alliance atlantique.

Il a fait état d'interrogations réelles sur le degré de fiabilité de la NMD, compte tenu des nombreuses contre-mesures envisageables, de la difficulté de l'interception directe par collision et de la possibilité pour les agresseurs d'utiliser d'autres types de menaces. Il a souligné que, pour nombre d'observateurs, le président Clinton pourrait difficilement conclure un accord avec la Russie avant son départ de la Maison Blanche, ce qui pouvait conduire à repousser la décision au-delà de l'élection présidentielle. Il a également observé les divergences politiques apparues sur la NMD entre l'actuelle administration et les républicains, ces derniers souhaitant un système plus ambitieux et attachant moins de prix au maintien du traité ABM.

Il a toutefois souligné les nombreux facteurs jouant aux Etats-Unis en faveur du déploiement, à une échéance plus ou moins rapprochée, d'un système de défense nationale antimissile : le souci de sanctuarisation du territoire national, la tentation de l'unilatéralisme, la pression politique en faveur du développement des technologies capables de défendre le pays contre un agresseur extérieur. Il a également évoqué les forts enjeux industriels et technologiques induits par la NMD.

Considérant que le programme NMD était susceptible d'affecter les équilibres stratégiques et de favoriser l'émergence de nouveaux concepts de défense, il a jugé souhaitable qu'au-delà des Etats-Unis s'établisse sur ce sujet un large débat international.

A la suite de cette communication, M. Aymeri de Montesquiou a mis en doute les capacités de la Corée du Nord, de l'Iran, de l'Irak ou de la Libye à développer des moyens balistiques susceptibles de frapper les Etats-Unis. Il s'est interrogé sur la possibilité pour le Japon, au regard de sa Constitution, à se doter d'un système de défense antimissiles. Enfin, il s'est demandé si le projet américain serait efficace contre des missiles balistiques lancés depuis un sous-marin.

M. Michel Caldaguès a souligné l'importance des retombées économiques d'un tel projet pour les Etats-Unis. Il s'est interrogé sur les conséquences, pour notre stratégie de défense, du déploiement d'un système de défense antimissiles, particulièrement dans le cas où cette protection serait étendue à d'autres pays que les Etats-Unis.

M. Paul Masson a demandé des précisions sur les propositions effectuées par M. Vladimir Poutine et tendant à une coopération entre la Russie, les Etats-Unis et les pays européens pour le développement de systèmes de défense antimissiles.

En réponse à ces différentes interventions, M. Xavier de Villepin, président, a apporté les précisions suivantes :

- le rapport établi en 1998 par la commission Runsfeld a mis en évidence les progrès réalisés en matière de missiles balistiques par la Corée du Nord et l'Iran ;

- le contrôle établi sur son programme nucléaire et le rapprochement avec la Corée du Sud pourraient limiter les risques de développement des capacités balistiques de la Corée du Nord ; en Iran, en revanche, l'influence des réformateurs n'a pas affecté le domaine militaire, et notamment les programmes de missiles ;

- sa Constitution impose au Japon de limiter à 1 % de son produit intérieur brut son budget de défense mais l'intérêt pour la défense antimissiles y a été relancé à la suite du tir d'un missile nord-coréen le 31 août 1998 ;

- les Etats-Unis ont dépensé 122 milliards de dollars dans la défense antimissiles depuis 1957, dont 68 milliards de dollars depuis 1983, les sommes prévues dans le budget 2000 s'élevant à 4,5 milliards de dollars ; de tels investissements n'auraient pas été envisageables s'ils n'avaient garanti d'importantes retombées industrielles et technologiques ;

- les positions adoptées par M. Georges Bush jr, candidat à la prochaine élection présidentielle, témoignent de la moindre importance accordée à la dissuasion nucléaire dans la stratégie de défense par nombre d'experts républicains ;

- l'attitude de M. Vladimir Poutine après sa rencontre avec M. Bill Clinton au début du mois, laisse à penser que toute perspective d'accord russo-américain n'est pas à écarter, même si elle est peu probable avant l'élection présidentielle.

A l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication de cette communication sous la forme d'un rapport d'information.

Un court débat auquel ont participé MM. Aymeri de Montesquiou, Michel Caldaguès, Guy Penne et Xavier de Villepin, président, a ensuite été l'occasion d'aborder certaines questions internationales concernant, notamment, la situation de l'Autriche au sein de l'Union européenne et les rapports de la France avec des pays comme la Syrie, la Russie et la Chine.

Traités et conventions - Convention France-Vietnam relative à la coopération en matière d'adoption d'enfants - Examen du rapport

La commission a ensuite examiné le rapport de M. Michel Caldaguès sur le projet de loi n° 392 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention relative à la coopération en matière d'adoption d'enfants entre la République française et la République socialiste du Vietnam.

M. Michel Caldaguès, rapporteur, a rappelé que l'adoption internationale s'était considérablement développée depuis une vingtaine d'années, deux enfants adoptés sur trois étant d'origine étrangère. Parmi ces derniers, plus de 35 % sont originaires du Vietnam.

Il a évoqué les efforts entrepris par la communauté internationale, au travers de la convention de La Haye sur l'adoption internationale, pour établir des principes garantissant la transparence et la régularité des procédures d'adoption, notamment la validité des consentements délivrés par les personnes ayant autorité sur ces enfants et l'absence de rémunération.

Il a indiqué qu'au Vietnam, pays non partie à la convention de La Haye, de nombreuses irrégularités auraient été constatées, telles que le recours à des intermédiaires rémunérés, le versement de fortes sommes d'argent en contrepartie du consentement des parents biologiques ou des institutions ayant la charge des enfants, la falsification de documents d'état civil. Ces dérives ont conduit la France, après en avoir informé le gouvernement vietnamien, à supprimer toute nouvelle procédure d'adoption au Vietnam jusqu'à la conclusion d'un accord bilatéral permettant d'envisager une coopération dans un cadre juridique plus satisfaisant.

M. Michel Caldaguès a indiqué que la convention signée le 1er février 2000 entre la France et le Vietnam permettait de reprendre des principes de transparence proches de ceux de la convention de La Haye, notamment sur la garantie de l'adoptabilité de l'enfant, sur la validité des consentements et sur l'absence de rémunération. Le ministère de la justice vietnamien centralisera les procédures, évitant ainsi le recours à des intermédiaires, et sera garant de leur régularité.

Le rapporteur, estimant que l'entrée en vigueur de la convention permettrait de reprendre les procédures d'adoption d'enfants vietnamiens, suspendues depuis un an, a proposé à la commission d'émettre un avis favorable au projet de loi autorisant sa ratification.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a souligné la nécessité d'assainir les conditions de l'adoption d'enfants étrangers, qui donnait trop souvent lieu à des dérives scandaleuses et douloureuses pour les familles. Il a notamment évoqué le rôle joué, dans la plupart des pays, par des intermédiaires non officiels permettant, moyennant de fortes rémunérations, d'accélérer les lourdes procédures auxquelles sont confrontées les familles.

M. Christian de La Malène a souhaité que la lutte contre la corruption internationale prenne en compte ce type de pratiques moralement très choquantes.

M. René Marquès a rappelé les nombreuses formalités préalables à l'adoption, qui imposent souvent de longs délais d'attente avant que le président du conseil général ne délivre son accord définitif.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur les services administratifs susceptibles de fournir aux familles des informations et des conseils en matière d'adoption internationale.

M. Michel Caldaguès, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- le recours à des intermédiaires rémunérés en matière d'adoption concerne en effet un grand nombre de pays ;

- la mission pour l'adoption internationale, placée auprès du ministre des affaires étrangères, permet d'informer les familles et de suivre les conditions dans lesquelles sont réalisées, dans les différents pays étrangers, les adoptions ;

- la convention franco-vietnamienne permet de renforcer les garanties en matière d'adoptabilité de l'enfant et de validité du consentement.

La commission a ensuite adopté le présent projet de loi.

Traités et conventions - Accord France-République dominicaine sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements - Examen du rapport

Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Robert Del Picchia sur le projet de loi n° 328 (1999-2000) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République dominicaine sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Paris le 14 janvier 1999.

Après avoir présenté la situation géographique de la République dominicaine, M. Robert Del Picchia, rapporteur, a souligné la croissance soutenue de l'économie dominicaine qui demeure, avec un taux annuel de 8,5 %, la plus dynamique de la région.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a exposé la double mutation -politique et économique- connue par la République dominicaine depuis ces vingt dernières années.

Sur le plan politique, tout d'abord, la démocratie s'est progressivement enracinée dans le paysage politique dominicain. Après les années de gouvernement autoritaire du Président Balaguer, à la suite des troubles qui marquèrent la fin de la dictature du général Trujillo, l'alternance politique, avec l'élection du Président Fernandez puis la récente accession au pouvoir de M. Hipolito Méjia, lors des élections présidentielles de mai 2000, souligne la consolidation des institutions démocratiques en République dominicaine.

Sur le plan économique, ensuite, la forte croissance, enregistrée depuis les années 90, nécessite des réformes d'inspiration libérale mises en oeuvre par le Président Fernandez. M. Robert Del Picchia, rapporteur, a présenté les principaux secteurs de l'économie dominicaine, en soulignant notamment la régression de la part du secteur primaire dans le PIB. Il a, en outre, rappelé que l'année 1999 a enregistré une hausse conjointe des investissements publics et privés dans le secteur de la construction, et que l'industrie touristique connaît aujourd'hui un essor important avec près de 2,5 millions de visiteurs annuels, dont 150.000 Français.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a ensuite présenté les différents aspects de l'intégration de l'économie dominicaine. Membre de l'Organisation mondiale du commerce, de l'Agence multilatérale, la République dominicaine est partenaire du marché commun d'Amérique centrale. En outre, son rôle régional s'inscrit dans un accord de libre-échange avec la communauté des Caraïbes et Saint-Domingue et est partie à l'initiative pour le Bassin de la Caraïbe et à l'Association des Etats de la Caraïbe. Enfin, M. Robert Del Picchia, rapporteur, a rappelé les atouts des zones franches dans l'attraction des investissements internationaux en République dominicaine.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a ensuite abordé la situation des relations de la France avec la République dominicaine en insistant à la fois sur le renforcement de notre coopération technique et culturelle, et sur la nécessité d'une consolidation de notre position économique.

La coopération culturelle bénéficie du soutien des autorités dominicaines, traditionnellement francophiles. L'apprentissage du français demeure l'élément central de notre coopération culturelle avec la République dominicaine. Outre la présence d'un lycée français et de deux Alliances françaises, la diffusion des programmes de Radio France Internationale et de la chaîne câblée TV5, un budget de près de 5 millions de francs annuels, provenant notamment de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger, permet le développement de l'apprentissage de la langue française, notamment au profit des élèves du primaire, conformément au programme décennal de l'éducation de 1994.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a également évoqué les autres formes de coopération, parmi lesquelles l'action de l'Ecole nationale de la magistrature en faveur de la formation des magistrats dominicains.

Après avoir souligné la récente ouverture de la diplomatie dominicaine, désormais soucieuse de s'affranchir de la tutelle de Washington et de normaliser ses relations avec Haïti, M. Robert Del Picchia, rapporteur, a décrit la présence économique française en République dominicaine. Les échanges, entre 1996 et 1998, ont mis en évidence un accroissement important des exportations françaises, à hauteur de 600 millions de francs. La part des investissements français s'élève à 85 millions de francs, provenant surtout de grands groupes nationaux soucieux de s'implanter dans un tissu économique en mutation. La présente convention, dont M. Robert Del Picchia, rapporteur, a ensuite présenté le dispositif, correspond aux normes classiques du droit international.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin, président, a relevé que le voisinage d'Haïti était source d'une importante pression migratoire vers la République dominicaine, et a souligné les risques d'instabilité institutionnelle, de nature à menacer la consolidation de la démocratie dominicaine. Il a par ailleurs estimé que les potentialités du marché dominicain ne pouvaient être exploitées que par des entreprises bénéficiant d'une véritable expérience dans cette région.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a rappelé l'existence d'un accord conclu entre la République dominicaine et Haïti sur les modalités de reconduite à la frontière des émigrants haïtiens. Il a également évoqué l'action du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) qui organisera, en septembre prochain, le déplacement d'une délégation d'industriels français à Saint-Domingue.

M. Christian de La Malène s'est interrogé sur la convergence des politiques extérieures de la France et de la République dominicaine dans les Caraïbes.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a rappelé les avancées des autorités dominicaines vers une politique étrangère autonome, tout en soulignant que l'enjeu de la présente convention n'avait pour objectif que le développement des investissements français dans le pays.

M. Paul Masson a fait valoir que le caractère démocratique d'un régime, pour essentiel qu'il soit, ne pouvait être le seul critère justifiant la conclusion d'accords d'encouragement des investissements.

M. Xavier de Villepin, président, a enfin estimé que l'ultime critère de la démocratie résidait finalement dans l'intégrité de ses responsables.

Puis la commission a approuvé le projet de loi qui lui était soumis.

Nomination d'un rapporteur

Enfin, la commission a désigné M. André Dulait comme rapporteur sur lesprojets de loi n° 376 (1999-2000) autorisant la ratification du traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Etats-Unis d'Amérique, signé à Paris le 10 décembre 1998, et n° 377 (1999-2000) autorisant la ratification du traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique, signé à Paris le 23 avril 1996.

Conférence intergouvernementale (CIG) - Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission, élargie à la délégation du Sénat pour l'Union européenne, a procédé à l'audition de M. Michel Barnier, commissaire européen, sur l'évolution de la Conférence intergouvernementale (CIG).

M. Michel Barnier a d'abord souligné qu'il souhaitait que la conférence intergouvernementale (CIG) se déroule dans la plus grande transparence, comme cela avait été déjà le cas lors de la négociation du traité d'Amsterdam. Il a ajouté que les discussions actuelles avaient pour objet de réussir, là où la négociation du traité d'Amsterdam s'était soldée par un échec, en réformant les institutions. Il a toutefois précisé que deux changements étaient intervenus depuis le traité d'Amsterdam : d'une part, l'accélération des perspectives d'élargissement et le nombre élevé de pays en cours d'adhésion ; d'autre part, la volonté du Conseil européen, instruit par l'expérience, de concentrer la négociation sur les questions institutionnelles. L'enjeu de la CIG, a-t-il estimé, n'est pas de modifier l'équilibre entre les institutions européennes, mais de renforcer l'efficacité de ces dernières.

M. Michel Barnier a observé que la Commission avait présenté des propositions pour chacun des sujets à l'ordre du jour de la CIG. Evoquant d'abord le vote à la majorité qualifiée, le commissaire a rappelé qu'une cinquantaine de sujets faisaient actuellement l'objet de décisions à l'unanimité et qu'en conséquence, dans la perspective de l'élargissement, des risques de blocages apparaîtraient inévitables. Aussi bien, a-t-il ajouté, la Commission avait-elle proposé de réserver le vote à l'unanimité aux questions les plus sensibles. Il a estimé que la présidence portugaise avait permis un progrès notable en identifiant près de 25 questions pour lesquelles une majorité d'Etats membres seraient prêts à accepter l'application du vote à la majorité qualifiée. Abordant alors la pondération des voix, M. Michel Barnier a rappelé que la Commission avait débattu des mérites respectifs de la repondération et de la double majorité simple en marquant finalement sa préférence pour ce dernier système, plus simple et plus durable, et qui permettait, en outre, de tenir compte des deux sources de légitimité que représentaient les Etats et les citoyens.

M. Michel Barnier a ensuite évoqué la composition de la Commission, en soulignant que la solution qui serait retenue devait être mûrement réfléchie, dans la mesure où elle ne serait plus remise en cause dans les prochaines années. Le principe d'un commissaire par Etat membre, s'il était adopté, a-t-il précisé, affecterait le caractère collégial de l'institution, pourtant essentiel, notamment dans la perspective de l'élargissement. Aussi, a-t-il estimé qu'un système de rotation des commissaires, respectant une stricte égalité entre Etats membres, était préférable car il préserverait la collégialité de la Commission. M. Michel Barnier a, enfin, observé que la CIG devait assouplir le dispositif des coopérations renforcées, en supprimant la faculté d'opposer un veto à leur création et en permettant à un tiers des Etats membres d'instituer entre eux une coopération renforcée. Ces modifications, qu'il a estimé souhaitables, ne devaient cependant, en aucune manière, ouvrir à certains Etats la capacité de revenir sur l'acquis communautaire.

Le commissaire a indiqué que la CIG pourrait aborder trois autres points importants. Il a ainsi observé, à propos de la Charte des droits fondamentaux, que plusieurs Etats s'opposaient encore à l'introduction de ce texte dans le traité. Il a relevé, par ailleurs, sur la base des travaux de l'Institut universitaire européen de Florence, qu'une simplification des traités était possible à droit constant, afin de réunir dans un document unique de 95 articles les dispositions actuellement contenues dans 700 articles répartis entre quatre traités. M. Michel Barnier a estimé qu'un tel projet pourrait également inclure une répartition plus précise des compétences respectives de l'Union et des Etats. Si, faute de temps, la CIG ne permettait pas d'aboutir à un accord sur ces trois sujets, ces derniers pourraient faire l'objet d'un exercice ultérieur qui serait annoncé par les Quinze lors du Conseil européen de Nice. Il a estimé, enfin, que certaines des avancées récemment enregistrées par l'Europe de la défense pourraient être consacrées par l'introduction de nouvelles dispositions dans les traités.

M. Michel Barnier a évoqué pour conclure le débat ouvert par le ministre des affaires étrangères allemand, M. Joschka Fisher, sur l'avenir de l'Europe, en estimant qu'il avait le grand mérite de fixer un horizon ambitieux à la construction européenne, mais qu'il ne devait en aucun cas conduire à négliger la négociation, aujourd'hui prioritaire, sur la réforme des institutions. Il a ajouté qu'entre les trois voies ouvertes à l'Europe, le fédéralisme, le système intergouvernemental, la rénovation du système communautaire, cette dernière option emportait sa préférence car elle permettait, grâce à la capacité d'initiative de la Commission, d'assurer les progrès de la construction européenne, tout en respectant les prérogatives des Etats.

A la suite de l'exposé de M. Michel Barnier, un débat s'est ouvert avec le commissaire.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, a d'abord souligné que la CIG avait pour objectif de doter l'Europe de mécanismes institutionnels plus lisibles et dont l'efficacité et la légitimité seraient renforcées.

Il est convenu avec M. Michel Barnier de la nécessité de faire prévaloir une réforme véritable des institutions plutôt que d'aboutir, en décembre 2000, au Conseil européen de Nice, à un traité qui ne serait pas satisfaisant. Il a souhaité obtenir l'assurance, qu'en tout état de cause, le préalable d'une réforme des institutions avant l'élargissement serait maintenu. Il s'est interrogé en outre sur les moyens de mieux associer les parlements nationaux à la construction européenne. Il a demandé par ailleurs quel pourrait être, notamment dans le premier pilier, le champ d'application du mécanisme des coopérations renforcées. Il a également souhaité savoir si l'accord-cadre, récemment conclu entre le Parlement européen et la Commission, permettrait à celle-ci de préserver sa capacité d'action. Enfin, il a demandé au commissaire son appréciation sur l'opportunité de signer un nouveau traité, comme le suggérait M. Joschka Fischer, afin de permettre à certains Etats d'aller plus loin dans la construction européenne.

M. Daniel Hoeffel a demandé des précisions sur la place et le rôle dévolus aux collectivités territoriales et, en particulier, au Comité des régions, dans le cadre de la réforme des institutions. Il s'est demandé si cette dernière structure pourrait constituer l'amorce d'un Sénat européen. Par ailleurs, il a formé le voeu que, dans l'élaboration de la charte des droits fondamentaux, l'Union européenne agisse dans un souci de complémentarité avec le Conseil de l'Europe.

M. Aymeri de Montesquiou a observé que la réforme des institutions s'était révélée nécessaire lors de la dernière vague d'adhésions, mais qu'elle avait pourtant été différée. Il s'est demandé si, dans le domaine européen, les choix, au cours des dernières années, n'avaient pas été plus inspirés par l'intérêt des Etats que par celui de l'Union. Il a craint que la négociation en cours ne se conclue sur une solution de compromis qui ne réponde pas aux intérêts profonds de l'Europe. Il a estimé, à cet égard, qu'il aurait peut-être été préférable de confier le travail préparatoire de la réforme institutionnelle à un comité des sages.

M. André Ferrand, après avoir rappelé le sentiment d'impatience qu'éprouvaient certains pays d'Europe centrale et orientale vis-à-vis du processus d'élargissement, a souhaité obtenir des précisions sur les dates auxquelles pourraient être conclues les négociations d'adhésion.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur les moyens d'améliorer les conditions de travail de la Commission ainsi que sur les relations entre le commissaire en charge des relations extérieures et le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (ESC). Il s'est demandé, par ailleurs, si la mise en place d'une Europe de la défense ne se heurterait pas à l'insuffisance des budgets militaires dans les différents Etats membres de l'Union.

En réponse aux sénateurs, M. Michel Barnier a d'abord souligné que le dispositif institutionnel de l'Union européenne n'avait pas été révisé, alors même que le nombre d'Etats membres s'était accru de manière significative au cours des deux dernières décennies. Il a rappelé que la réforme institutionnelle constituait toujours un préalable aux élargissements et a exprimé son espoir que la CIG permette d'aboutir, au Conseil européen de Nice, à une réforme satisfaisante. Il a relevé, par ailleurs, que les Etats candidats à l'Union européenne devaient accepter l'intégralité de l'acquis communautaire, qui comprenait de nouveaux développements, notamment dans le domaine de la libre circulation des personnes. Certains chapitres des négociations, a-t-il ajouté, posent des difficultés particulières. Le commissaire a rappelé la nécessité de dialoguer avec l'ensemble des Etats candidats.

M. Michel Barnier a rappelé l'importance qu'il attachait aux contacts avec les parlements nationaux. Il a observé, par ailleurs, que les coopérations renforcées pourraient concerner différentes questions. Il a cité, à titre d'exemple, la coopération dans le domaine de l'armement, qui se rattachait au " premier pilier " communautaire mais aussi au " deuxième pilier " consacré à la PESC. En tout état de cause, la Commission, a-t-il ajouté, vérifierait que les projets de coopération renforcée ne remettent pas en cause l'acquis communautaire. Il a estimé que l'accord-cadre négocié entre la Commission et le Parlement européen préservait un équilibre satisfaisant des institutions. Le Comité des régions, a-t-il indiqué par ailleurs, constitue un organisme important avec lequel la Commission souhaite renforcer ses liens. Selon le commissaire, la mise en place d'une deuxième chambre dans le dispositif institutionnel européen devait être considérée avec prudence, même s'il convenait, par ailleurs, de mieux associer des parlements nationaux au processus de décision européen, notamment à travers la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) dont la saisine pourrait être obligatoire, en particulier en matière de contrôle de subsidiarité. Il a ajouté, à l'intention de M. Xavier de Villepin, président, et de M. Daniel Hoeffel, que le débat sur l'institution d'une deuxième chambre demeurait encore ouvert.

Le commissaire s'est déclaré partisan de la méthode suivie par Jean Monnet, au début de la construction européenne, qui permet d'avancer progressivement en se fixant des objectifs précis tout en préservant les compétences des Etats. Il a estimé que la monnaie unique, qui constituait un succès indéniable, avait été obtenue par cette voie. Revenant sur le processus d'élargissement, il a rappelé que, si les négociations étaient désormais ouvertes avec tous les pays candidats, il convenait de différencier deux groupes de pays en fonction de leur capacité à intégrer l'Union européenne à échéance rapprochée. En tout état de cause, a-t-il ajouté, l'intégration ne sera effective que lorsque le pays aura répondu à l'ensemble des conditions posées à l'adhésion.

M. Michel Barnier a souligné que la Commission constituait un instrument privilégié pour assurer la cohérence de l'Union européenne, en particulier dans la perspective de l'élargissement, qui pourrait encourager certaines forces centrifuges. Il a estimé que la Commission actuelle remplissait ses missions en conciliant l'esprit de collégialité et l'autonomie de chacun des commissaires. Il a indiqué, en réponse à M. Xavier de Villepin, président, que la Commission utilisait trois langues de travail : le français, l'allemand et l'anglais. Il a estimé, par ailleurs, que le moment n'était pas encore venu de rattacher le haut représentant pour la politique étrangère de sécurité commune à la Commission, dans la mesure où la PESC restait régie par les principes de la coopération intergouvernementale. Il a souligné qu'un équilibre devait être trouvé entre les responsabilités du haut représentant pour la PESC et celles dévolues à la Commission dans le domaine des relations extérieures.

Le commissaire a relevé, en outre, que le traité d'Amsterdam avait consacré des progrès importants dans le domaine de la défense. Il a ajouté qu'il était important que les ministres de la défense, qui prenaient désormais l'habitude de se réunir dans le cadre de l'Union européenne, prennent la mesure des implications budgétaires de leurs décisions. A cet égard, M. Xavier de Villepin, président, a attiré l'attention sur l'insuffisance des équipements européens dans certains domaines de capacités militaires. M. Michel Barnier a conclu qu'il serait sans doute opportun d'inclure les récentes avancées obtenues par l'Europe de la défense dans le futur traité afin de conférer à celui-ci une dimension politique qui permette d'en faciliter la compréhension par les citoyens européens.