AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 15 décembre 1999

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Roger Fauroux, président de la mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Roger Fauroux, président de la mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est.

Après avoir brièvement présenté la mission interministérielle qu'il préside, et qui est destinée à assurer la coordination entre les différentes administrations et tous les partenaires français, étrangers ou internationaux intéressés par la situation en Europe du Sud-Est, M. Roger Fauroux a évoqué la situation actuelle au Kosovo.

M. Roger Fauroux a d'abord rendu hommage à l'action de la KFOR et de la MINUK, qui, en moins de six mois de présence, ont permis à la reconstruction du Kosovo de démarrer et à la vie économique locale de reprendre, même si certaines difficultés demeurent, en particulier une criminalité qui n'est pas correctement poursuivie ni sanctionnée.

Il a estimé que les moyens mis en place par l'ONU au Kosovo ne se situaient pas toujours au niveau des ambitions affichées, et il a cité à ce propos l'exemple des forces de police mises en place et qui se limitent à 1.800 hommes, alors que l'Administrateur provisoire pour le Kosovo en demandait 3.000. Il a suggéré que, dans les opérations de maintien de la paix, la constitution de forces de police " projetables " soit envisagée aux côtés de celle de forces militaires.

M. Roger Fauroux a alors constaté que l'avenir de la multiethnicité au Kosovo était aujourd'hui compromis du fait des exactions commises par les forces serbes au cours des mois qui ont précédé leur retrait. Il a également estimé qu'en dehors d'activités élémentaires, comme le commerce, les ressorts du fonctionnement économique de la province étaient cassés. Il a en particulier évoqué l'arrêt des complexes industriels dont l'Etat serbe demeure propriétaire.

Abordant ensuite les régions limitrophes du Kosovo, M. Roger Fauroux a tout d'abord observé que la notion de Balkans, en usage en Occident, n'était pas ressentie sur place comme une réalité, compte tenu des multiples différenciations nationales ou religieuses. Il a donc considéré que dans cette zone, les forces d'agrégation n'étaient pas naturelles et restaient à inventer.

S'agissant de la Bosnie-Herzégovine, il a souligné la précarité de la paix et la faiblesse de l'activité économique, qui reposait très largement sur l'aide internationale. Il a estimé que la générosité des donateurs ne suffisait pas à insuffler une dynamique économique, du fait de l'absence d'entrepreneurs et d'agents de développement local.

M. Roger Fauroux a également évoqué la situation au Monténégro, durement atteint par l'embargo à l'encontre de la République fédérale de Yougoslavie dont il essaie difficilement de s'émanciper. Il a, à ce propos, insisté sur la grande prudence qui s'imposait aux dirigeants monténégrins du fait de l'importance numérique de la minorité serbe et de la présence des troupes fédérales sur leur territoire.

Enfin, M. Roger Fauroux a estimé que l'avenir du pacte de stabilité dans les Balkans ne pouvait s'envisager sans la Serbie, du fait de son poids démographique et industriel. Il a souligné les facteurs qui contribuaient à maintenir, pour l'heure, la solidité du pouvoir de M. Milosevic. Il a déploré les effets de l'embargo à l'encontre de la Serbie, qui renforçait l'équipe au pouvoir et appauvrissait la population, tout en considérant qu'une plus grande ouverture vers l'extérieur pouvait au contraire contribuer à l'évolution politique en Serbie.

En conclusion, M. Roger Fauroux s'est déclaré convaincu que les Occidentaux, au travers de leurs forces militaires et des fonctionnaires civils, étaient installés pour longtemps au Kosovo. Il a jugé illusoire de penser que l'Europe pouvait se désintéresser de l'avenir d'une région aussi proche et l'isoler derrière un cordon sanitaire. Soulignant qu'à l'occasion de cette crise, l'Union européenne avait apporté la preuve de son unité, il a estimé que l'instauration de la sécurité et de la stabilité dans les Balkans était à sa portée.

A l'issue de cet exposé, M. André Dulait s'est interrogé sur l'ampleur réelle des destructions au Kosovo, particulièrement à Pristina.

Mme Josette Durrieu a estimé qu'une logique inéluctable semblait désormais placer le Kosovo sur la voie d'une indépendance de fait. Elle s'est interrogée sur l'attitude que manifesteraient, dans une telle hypothèse, l'Albanie et la Grèce. Elle s'est par ailleurs félicitée des perspectives d'avancées ouvertes par le pacte de stabilité pour les Balkans, qui lui paraissait susceptible d'impulser une dynamique de coopération dans la région. Elle s'est cependant inquiétée de la persistance d'un fort sentiment nationaliste en Serbie, y compris chez les opposants à M. Milosevic.

M. Claude Estier a souscrit aux analyses de M. Roger Fauroux sur le caractère précaire de la paix en Bosnie-Herzégovine. Il s'est demandé si le pacte de stabilité était en mesure de favoriser un réel redémarrage économique.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est interrogée sur les obstacles qui s'opposaient à l'envoi au Kosovo d'effectifs suffisants de forces de police. Elle a demandé des précisions sur les perspectives du pacte de stabilité et sur les conséquences politiques des sanctions à l'encontre de la Serbie, qui semblaient plutôt affaiblir les opposants à M. Milosevic.

M. Paul Masson s'est étonné que les autorités françaises aient pu s'engager à envoyer des forces de police au Kosovo compte tenu de l'insuffisance manifeste des effectifs sur le territoire national. Il a évoqué l'idée de création, à l'échelle européenne, d'une force de police de réaction rapide. Il s'est enfin interrogé sur l'avenir, à moyen terme, du Kosovo, en se référant à la notion de protectorat, et en soulignant qu'à défaut de pouvoir s'appuyer sur une puissance voisine, une telle construction politique passait par la formation d'élites locales.

M. André Boyer a rappelé les différents facteurs qui, à ses yeux, rendaient peu probable l'émergence d'une " grande Albanie ". Il s'est interrogé sur le rôle de la Grèce dans la région, en particulier vis-à-vis de la Macédoine.

En réponse à ces différentes interventions, M. Roger Fauroux a apporté les précisions suivantes :

- la ville de Pristina est sortie pratiquement intacte du conflit, la plupart des destructions constatées au Kosovo touchant les habitations et étant imputables non aux bombardements, mais aux exactions serbes ;

- le pacte de stabilité doit offrir aux populations des Balkans une perspective d'avenir collectif, faute de quoi ces dernières se réfugieront dans des stratégies individuelles, telles que l'immigration ;

- il est important que l'Union européenne, principal bailleur de fonds, reprenne à son compte le pacte de stabilité et trace, dans ce cadre, de réelles perspectives pour la région, et notamment pour le Kosovo, en instaurant entre les différents peuples de la zone de réelles solidarités ;

- il est bon d'avoir associé au pacte de stabilité des pays comme la Bulgarie et la Roumanie, dont l'économie a beaucoup souffert de l'interruption du trafic fluvial sur le Danube ;

- la perspective d'une inclusion, dans le futur, des pays de la zone au sein de l'Union européenne, constituerait pour la région un réel motif d'espérance ;

- la stabilité de la région passe par la réduction des ambitions de la Serbie qui doit accepter de jouer un rôle de puissance moyenne, à l'image de celui de la Grèce ;

- les dirigeants albanais, comme les Kosovars, paraissent peu séduits par l'idée de " grande Albanie " ;

- le redémarrage économique passe moins par des aides financières massives que par une assistance modeste, par exemple en matière de formation des entrepreneurs à la gestion ou de coopération avec des collectivités locales ;

- les sanctions à l'encontre de la Serbie ont sans doute renforcé l'équipe au pouvoir à Belgrade et affaibli l'opposition ;

- l'insuffisance des forces de police envoyées au Kosovo résulte, pour une large part, de la grande difficulté, dans la plupart des pays, à distraire une partie des effectifs de leurs tâches professionnelles pour les envoyer en mission à l'étranger ;

- la Macédoine présente la particularité d'avoir accédé à l'indépendance sans conflit armé et de voir coexister, au sein des mêmes formations politiques, des représentants des communautés serbes et albanophones.

M. Xavier de Villepin, président, a alors constaté que la situation actuelle du Kosovo traduisait une dérive manifeste par rapport aux objectifs qui avaient motivé l'intervention de l'OTAN, en particulier le maintien du caractère multiethnique du Kosovo au sein de la République fédérale de Yougoslavie. Il s'est interrogé sur la viabilité d'un Kosovo indépendant. Il a redouté les réactions que pourrait provoquer un détachement du Kosovo ou du Monténégro de la République fédérale de Yougoslavie. Il a enfin remarqué que, dans la région, l'attractivité de l'OTAN était au moins aussi forte que celle de l'Union européenne.

Nomination de rapporteur

La commission a ensuite désigné M. André Boyer comme rapporteur sur le projet de loi n° 107 (1999-2000) autorisant l'adhésion du Gouvernement de la République française à la convention internationale de 1989 sur l'assistance, faite à Londres le 28 avril 1989.

Proposition de loi relative au génocide arménien - Communication

M. Xavier de Villepin, président, a alors indiqué aux membres de la commission que, lors de la dernière conférence des présidents, la question avait été à nouveau posée de l'inscription à l'ordre du jour du Sénat d'une proposition de loi relative au génocide arménien.

M. Xavier de Villepin, président,
a précisé, comme il avait déjà eu l'occasion de le faire à plusieurs reprises en conférence des présidents, qu'il avait émis de fortes réserves quant à l'opportunité d'une telle inscription à l'ordre du jour des travaux du Sénat. M. Xavier de Villepin, président, a rappelé les motifs, tant juridiques que diplomatiques, qui guidaient cette démarche, ces motifs ayant été, a-t-il souligné, très clairement et fortement développés par le ministre des affaires étrangères lui-même.

La commission a alors approuvé la proposition de M. Xavier de Villepin, président, de maintenir cette position si la question de l'inscription d'une telle proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat venait à être à nouveau évoquée.

Loi de finances pour 1999 - Exécution du budget de la défense - Communication

La commission a ensuite entendu une communication de M. Xavier de Villepin, président, sur l'exécution du budget de la défense pour 1999.

M. Xavier de Villepin, président,
a rappelé que la gestion des crédits de la défense avait connu en 1999 deux mouvements importants :

- début septembre, une ouverture de crédits de 4 milliards de francs au titre III et une annulation équivalente au titre V ;

- puis, fin novembre, une seconde ouverture, de près de 800 millions de francs, au titre III, alors que 5,3 milliards étaient annulés au titre V.

Abordant l'évolution du titre III, M. Xavier de Villepin, président, a tout d'abord précisé qu'une part importante des ouvertures de crédits, soit 3 milliards de francs, irait au financement des opérations extérieures, dont le coût s'est accru en 1999 du fait de l'intervention au Kosovo.

Il a rappelé que la révision des modes de rémunération à l'étranger et le recours accru au système des compagnies tournantes permettaient d'atténuer le coût des opérations extérieures, mais il a déploré que le mode de financement de ces dernières soit toujours aussi insatisfaisant du fait de l'insuffisance des provisions inscrites en loi de finances initiale et du recours à des annulations de crédits sur le titre V pour gager les ouvertures nécessaires au titre III.

Il a ensuite observé que, pour environ 40 %, les majorations de crédits opérées au titre III serviraient à financer les besoins courants des armées qui avaient été mal évalués en loi de finances initiale, que ce soit en matière de rémunérations et de charges sociales ou de fonctionnement, du fait notamment, dans ce dernier cas, de compressions exagérées des crédits au cours de deux dernières années.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite évoqué la gestion du titre V en remarquant le montant de plus en plus massif des annulations opérées, qui avaient atteint 5 milliards de francs en 1997, 7,3 milliards de francs en 1998 et 9,3 milliards de francs en 1999. S'agissant des annulations de crédits opérées en 1999, il a souligné qu'elles modifiaient les conditions de démarrage de l'exercice 2000, puisque les crédits de report attendus en début de gestion, dont le ministre de la défense avait promis la mise à disposition précoce, dès le 1er trimestre, seraient beaucoup plus faibles que prévu.

Rappelant que l'insuffisante capacité de consommation des crédits des armées était souvent évoquée, il a souligné que l'actuel Gouvernement, en annulant 22,5 milliards de francs d'autorisations de programme depuis 1997, avait contribué à la baisse du niveau des engagements, et que la consommation des crédits disponibles dépendait également, pour une large part, des modalités d'exercice du contrôle financier, qui ne se sont guère assouplies. Il a donc estimé qu'il était injuste d'imputer aux seules armées cette insuffisante consommation des crédits.

M. Xavier de Villepin, président, a également estimé que l'absence de conséquence immédiate et visible de telles annulations sur les programmes d'équipement masquait d'inévitables difficultés pour le futur. Il a précisé qu'en ajoutant ces annulations à " l'encoche " de 1998, à la nouvelle " encoche " de 2000, aux abattements prévus par la revue de programmes et aux charges nouvelles introduites au titre V au détriment des programmes, telles que les contributions au budget civil de recherche et de développement (BCRD), on aboutissait à un " manque à gagner " total de 64 milliards de francs sur le budget d'équipement des armées par rapport au niveau prévu, pour les six années 1997-2002, par la loi de programmation militaire.

Citant les observations formulées en juillet dernier par la Cour des comptes, M. Xavier de Villepin, président, a estimé que cette gestion heurtée des crédits d'équipement des armées engendrerait un besoin de financement important à l'issue de l'actuelle programmation en 2002, la politique menée depuis 1997 portant, selon lui, le germe de tensions très fortes pour le futur.

A l'issue de cette communication, M. Serge Vinçon a rappelé que le budget de la défense régresserait l'an prochain au troisième rang des budgets de l'Etat, ce qui illustrait -à ses yeux- le recul de la défense dans l'ordre des priorités gouvernementales. Il a déploré que le surcoût des opérations extérieures soit exclusivement financé par des annulations de crédits au titre V. Il a estimé, citant en exemple GIAT-Industries, que les industriels étaient en mesure de répondre à des commandes supplémentaires qui leur seraient adressées et il s'est interrogé sur l'impact, sur les industries de défense et leurs effectifs, de l'érosion continue du budget d'équipement de la défense.

M. Christian de la Malène a constaté que l'écho donné aux opérations extérieures et à l'annonce des regroupements industriels et des projets de coopération militaire en Europe masquait une réalité beaucoup plus inquiétante, marquée par le recul de l'effort de défense, et sur laquelle la commission sénatoriale se devait de contribuer à faire la lumière.

M. Xavier de Villepin, président, a alors précisé que l'audition des dirigeants des principaux groupes industriels de défense devant la commission était envisagée au cours du premier semestre 2000 et qu'il serait alors possible de les interroger sur l'incidence de la réduction des crédits d'équipement des armées sur leur plan de charge et leurs perspectives à l'exportation.