AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 18 octobre 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président-

PJLF pour 2001 - Audition du Général Yves Crène, chef d'état-major de l'armée de terre

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'audition du général Yves Crène, chef d'état-major de l'armée de terre, sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2001 au titre de l'armée de terre.

A l'issue de l'exposé du général Yves Crène, un débat s'est engagé avec les membres de la commission.

M. Serge Vinçon a rendu hommage à l'armée de terre, qui avait su entreprendre une profonde transformation, dans une période où elle avait été fortement sollicitée par les opérations extérieures et les missions sur le territoire métropolitain. Après avoir évoqué cette " surchauffe " d'activité, il a considéré que la question de la condition militaire, au regard notamment de son environnement civil, ne pouvait plus être occultée. Il a interrogé le général Yves Crène sur les mesures envisageables pour compenser ces exigences du métier militaire. Il a également demandé des précisions sur les effets de la passation des commandes globales sur la gestion des autorisations de programme. Il a évoqué les conditions dans lesquelles l'armée de terre envisageait la fin du service national. Il s'est enfin interrogé sur le niveau comparé des moyens de fonctionnement et d'équipement des armées de terre française et britannique.

M. Guy Penne a souhaité savoir si l'amélioration de la situation de l'emploi engendrait des difficultés de recrutement pour l'armée de terre. Il s'est également interrogé sur l'avenir du lien armée-nation après la professionnalisation et sur les actions vis-à-vis du grand public envisagées par l'armée de terre.

M. Robert Del Picchia a évoqué la journée d'appel de préparation à la défense et a regretté qu'elle ne comporte pas de bilan de santé au profit des jeunes participants.

M. Michel Caldaguès a évoqué la récente relève de l'état-major de l'Eurocorps au Kosovo et son remplacement par un état-major de l'OTAN. Il s'est interrogé sur la présence d'officiers français dans ce dernier. Plus généralement, il s'est demandé si le principe de l'engagement de l'Eurocorps dans des cadres très divers ne pouvait pas influer sur la motivation du commandement.

M. Christian de La Malène a demandé des précisions sur le coût et le financement des opérations extérieures, en rappelant qu'il était anormal qu'elles ponctionnent régulièrement les ressources des armées. Il a également évoqué le développement des actions civilo-militaires et s'est interrogé sur leur compatibilité avec les missions essentielles des armées.

M. Aymeri de Montesquiou a observé que le char Leclerc avait été conçu pour l'époque de la guerre froide. Il s'est demandé si ce programme ne pourrait pas être réorienté, en particulier dans une perspective de coopération européenne.

M. Xavier de Villepin, président, a évoqué les problèmes posés par la coexistence, au sein de l'armée de terre, de personnels civils et militaires aux statuts et aux contraintes très différents. S'agissant de la situation au Kosovo, il a souligné l'action des troupes françaises, tout en s'interrogeant sur l'étendue des missions qui leur étaient assignées. Il a insisté sur l'implication profonde des personnels de la KFOR dans de multiples aspects de la mission de maintien de la paix, laissant par là même présager un engagement de longue durée. Enfin, il a interrogé le chef d'état-major de l'armée de terre sur les retards déjà enregistrés dans le déroulement des programmes d'équipement et sur le niveau de ressources souhaitables pour atteindre, d'ici à deux ans, les objectifs de la loi de programmation militaire.

Le général Yves Crène a alors répondu aux questions des membres de la commission.

Génocide arménien - Communication

M. Xavier de Villepin, président, a alors brièvement rappelé aux membres de la commission les mécanismes de la procédure de demande de discussion immédiate susceptible de concerner, dans les jours à venir, la proposition de loi reconnaissant le génocide arménien de 1915.

Un court débat entre les commissaires a conclu l'exposé du président.

Traités et conventions - convention de sécurité sociale France-Chili - Examen du rapport

Présidence de M. Serge Vinçon, vice-président -

M. Hubert Durand-Chastel a ensuite présenté le projet de loi n° 400 (1999-2000) autorisant la ratification d'une convention de sécurité sociale entre la République française et la République du Chili.

Le rapporteur a tout d'abord rappelé l'évolution récente des institutions chiliennes, désormais fondées sur le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'alternance démocratique, avec l'élection, en décembre dernier, de M. Ricardo Lagos à la présidence de la République, illustre ainsi la maturité de ces institutions. En outre, destination privilégiée des entreprises françaises qui y détiennent près de 3 % des parts de marché, le Chili a su adapter ses infrastructures économiques et financières au nouveau contexte issu de la mondialisation.

M. Hubert Durand-Chastel, après avoir souligné l'actuel rapprochement entre la France et le Chili, auquel concourent des communautés d'expatriés rassemblant quelque 6.500 personnes dans chacun des deux pays, a présenté le dispositif de la présente convention destiné à remédier aux situations difficiles engendrées par l'absence de coordination des branches vieillesse et invalidité des régimes sociaux chilien et français.

M. Hubert Durand-Chastel a rappelé l'une des principales caractéristiques de cette convention, qui assure la coordination entre le régime français par répartition et le régime chilien fondé essentiellement sur la capitalisation. Si les périodes acquittées dans les deux systèmes seront désormais comptabilisées lors de la liquidation des pensions, la qualité d'ayant droit dépasse par ailleurs le statut de simple ressortissant et concerne désormais toute personne dont les cotisations sont perçues par les systèmes chilien et français. En outre, l'exportation des pensions n'est plus soumise à la traditionnelle limitation géographique constituée par les territoires des Etats parties à la convention.

Concernant la coordination des prestations invalidité, M. Hubert Durand-Chastel a souligné qu'en raison de certaines déficiences inhérentes au système de santé chilien, le remboursement total d'examens complémentaires demandés aux Chiliens résidant en France est pris en charge par notre système social.

M. Hubert Durand-Chastel, rappelant que cette convention est la première de ce type signée par la France avec un Etat d'Amérique du Sud, a souligné que la coordination qu'elle permettait entre les régimes de sécurité sociale français et chilien répondait à une double exigence d'équité et de réciprocité.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission, suivant l'avis de son rapporteur, a adopté le présent projet de loi.

Coprésidence de MM. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, et Xavier de Villepin, président -

Union européenne - Conseil européen de Biarritz - Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a entendu, en commun avec la délégation pour l'Union européenne, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur les enseignements du conseil européen informel de Biarritz.

M. Pierre Moscovici
a d'abord rappelé le contexte international dans lequel ce sommet s'est déroulé. Au Proche-Orient, l'escalade de la violence depuis le 28 septembre dernier semblait prendre fin grâce à l'engagement pris par les parties à Charm-el-Cheikh. Dès le début de cette crise, la France et l'Union européenne avaient appelé à tout faire pour trouver les conditions d'un apaisement. A Charm-el-Cheikh même, l'Union européenne était représentée par son Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Javier Solana, symbolisant une montée en puissance certes progressive, mais réelle, de l'action commune des pays européens. Cet accord devrait permettre, une fois le calme revenu, d'engager de nouvelles négociations qui renoueraient avec l'esprit des accords d'Oslo, permettant aussi bien à Israël d'assurer sa sécurité qu'aux Palestiniens de croire à un avenir meilleur.

En Serbie, a poursuivi le ministre, l'investiture de Vojislav Kostunica a ouvert la voie à la démocratisation du pays et à la réconciliation. L'Europe, a-t-il souligné, avait tiré immédiatement les conséquences de cet événement en levant, dès le 9 octobre, les sanctions qui pesaient sur la Serbie, notamment les embargos pétrolier et aérien. Le sommet de Biarritz a marqué la volonté des pays européens de nouer une relation féconde, dans le respect des valeurs communes et des exigences internationales, avec la République fédérale de Yougoslavie. A ce titre, M. Kostunica sera invité au sommet de Zagreb entre l'Union européenne et les pays des Balkans, ces derniers étant en effet appelés, à terme, à rejoindre l'Union européenne.

M. Pierre Moscovici a ensuite abordé les deux sujets qui avaient constitué l'essentiel de l'ordre du jour du Conseil européen de Biarritz : la Conférence intergouvernementale et la Charte des droits fondamentaux. Il s'est félicité de la qualité et de la profondeur des échanges auxquels ce Conseil avait donné lieu entre les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, permettant d'espérer un accord satisfaisant lors du Sommet de Nice. Il a indiqué que cet échange de vues avait permis à tous les représentants des Etats membres de prendre conscience de la nécessité d'aboutir, à Nice, à un traité ambitieux. Le ministre a indiqué qu'une tendance favorable s'était dégagée pour l'extension du vote à la majorité qualifiée. Ainsi, en matière fiscale, malgré les réserves de fond du Royaume-Uni, des avancées partielles étaient possibles, notamment en matière de coopération contre la fraude fiscale. En matière sociale, il en était de même, sous réserve que les règles de base des régimes de sécurité sociale des Etats membres restent en dehors du champ de la majorité qualifiée. En matière de politique commerciale, la France avait maintenu ses réserves quant à une éventuelle extension des compétences de la Commission, afin de préserver le traitement particulier notamment accordé à la culture. Enfin, dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, une solution devrait être facile à trouver s'agissant de la coopération judiciaire civile. En revanche, les questions d'asile et d'immigration restaient plus délicates. Il n'était toutefois pas exclu qu'à ce propos, une déclaration du Conseil prévoie que la décision de passer à la majorité qualifiée soit prise en 2004.

En matière de coopérations renforcées, le ministre a souligné qu'une avancée réelle avait pu être constatée, et un large accord était apparu sur l'intérêt de telles procédures et la nécessité de pouvoir y avoir recours plus facilement. Ces coopérations renforcées devraient garder un caractère ouvert, s'inscrire dans le cadre des institutions de l'Union européenne, tout en ne touchant pas au coeur des politiques communes.

Enfin, en ce qui concerne la composition de la Commission et la repondération des voix au Conseil, le sommet de Biarritz avait été l'occasion d'un échange direct permettant de lever les malentendus et de décanter les positions de chacun. M. Pierre Moscovici a indiqué que les chefs d'Etat et de gouvernement s'étaient accordés sur le fait qu'il fallait améliorer le fonctionnement de la Commission et accorder plus de pouvoirs à son président. Toutefois, la question du plafonnement du nombre des commissaires associé à un système de rotation, solution qui avait la faveur de la France, ou celle de la réorganisation du collège au cas où chaque Etat garderait un commissaire, n'ont pas été tranchées. De même, le sommet n'a pas permis de choisir entre une simple repondération des voix et un système de double majorité.

En dernier lieu, M. Pierre Moscovici s'est félicité de la qualité du texte de la Charte des droits fondamentaux présentée à Biarritz et qui pourra être proclamée solennellement à Nice. Si son intégration dans les traités n'est pas encore à l'ordre du jour, compte tenu des fortes réticences du Royaume-Uni, le ministre n'a pas exclu qu'il y soit fait référence, à l'article 6 du Traité sur l'Union européenne, au même titre que la Convention européenne des droits de l'homme. Enfin, un assez large accord s'est dégagé sur l'opportunité de compléter l'article 7 du Traité, pour permettre au Conseil d'intervenir lorsqu'il existe un risque sérieux de violation des valeurs fondamentales.

A la suite de l'exposé du ministre, M. Hubert Haenel, évoquant la réunion de la Conférence des organismes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) qui s'était tenue à Paris les 16 et 17 octobre derniers, s'est félicité de l'intérêt des échanges qui avaient pu s'engager entre les représentants du gouvernement français et les parlementaires des quinze pays membres de l'Union européenne et des treize pays candidats. Il a souligné que les travaux de la COSAC s'étaient conclus par une contribution adressée aux institutions de l'Union européenne exprimant la volonté des parlements nationaux d'être davantage associés à la construction européenne. M. Hubert Haenel a ajouté qu'il serait très utile que la présidence française, après avoir transmis ce document aux autres membres du Conseil, fasse connaître ses réactions aux propositions contenues dans cette contribution.

M. Christian de La Malène, après avoir demandé des précisions sur le caractère informel du Conseil européen de Biarritz, a souhaité connaître les avancées concrètes auxquelles il avait abouti. Evoquant certaines ambiguïtés de traduction concernant la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il s'est demandé quelle version de ce document ferait référence.

M. Pierre Fauchon a observé qu'un texte de l'importance de la charte des droits fondamentaux devait faire l'objet d'un examen par le Parlement européen. Relevant que ce texte était issu des travaux d'une convention associant les représentants des parlements nationaux, il s'est demandé si une telle méthode ne devait pas de nouveau être utilisée, notamment dans l'élaboration de règles juridiques communes.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga est revenue sur les tensions entre grands et petits pays dans le cadre des discussions sur la réforme institutionnelle. Elle a observé que ces derniers plaidaient pour un renforcement des principes communautaires et s'est demandé si la France partageait cette orientation. Elle a par ailleurs interrogé le ministre délégué sur les évolutions récentes de la fonction publique européenne.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité connaître l'état actuel des discussions sur les perspectives d'application des coopérations renforcées à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il a relevé que l'action extérieure de l'Union européenne, et en particulier son financement, soulevait encore un certain nombre d'interrogations. Il a également interrogé le ministre délégué sur la position de l'Allemagne vis-à-vis de la repondération des voix. Enfin, il a demandé des précisions sur l'ordre dans lequel les pays candidats adhéreraient à l'Union européenne.

M. Paul Masson a souhaité savoir quelle avait été la position de l'Autriche lors du Conseil européen de Biarritz.

En réponse aux commissaires, M. Pierre Moscovici a apporté les précisions suivantes :

- la qualité des échanges au sein de la COSAC mérite d'être soulignée ; il convient par ailleurs de se féliciter de l'évolution très positive des relations entre la présidence française et le Parlement européen ;

- le caractère informel du Conseil européen de Biarritz explique qu'il n'y ait pas de relevé de conclusion officiel ; il a permis aux Chefs d'Etat et de gouvernement de faire un point très utile sur leurs positions respectives dans le domaine institutionnel ; plusieurs avancées ont par ailleurs été obtenues, en particulier sur les décisions susceptibles d'être adoptées à la majorité qualifiée, ainsi que sur les coopérations renforcées ;

- la mention, dans la charte des droits fondamentaux, de patrimoine spirituel de l'Europe, plutôt que d'héritage, a été introduite à la suite, notamment, des observations présentées par la France ; en tout état de cause, le texte français fait seul référence pour notre pays ;

- le recours à une convention pour élaborer le texte de la charte européenne a montré son efficacité, tout en permettant de tenir compte des suggestions présentées, en particulier, par les acteurs de la société civile ; une telle méthode pourrait être utilisée dans d'autres circonstances, sans toutefois être généralisée pour l'adoption de l'ensemble des normes européennes ;

- la charte des droits fondamentaux devra être adoptée par le Parlement européen au début du mois de novembre ;

- il ne faut pas sous-estimer les contradictions d'objectifs entre petits et grands pays ; le Conseil européen de Biarritz a cependant permis, entre les uns et les autres, des échanges fructueux ; les propositions françaises, en particulier celles relatives à la Commission, apparaissent très équilibrées et visent avant tout l'intérêt communautaire ; le maintien du système actuel de composition de la Commission, dans la perspective de l'élargissement, ne manquerait pas d'entraîner de graves dysfonctionnements ;

- les réformes en cours de l'administration de la Commission devraient permettre de donner toute sa place à la fonction publique européenne ;

- la mise en place d'un nouveau système de pondération des voix apparaît indispensable pour corriger les déséquilibres qui risquent de s'accentuer entre les pays membres de l'Union européenne à la suite de l'élargissement ; le principe d'une nouvelle pondération, tel que le propose la France, pourrait recueillir aujourd'hui l'appui de huit des Etats membres, tandis que la règle d'une double majorité (voix et population) serait soutenue par les autres pays ; la France et l'Allemagne se sont accordées sur le principe d'une repondération simple et le gouvernement allemand n'est pas revenu sur cette position ;

- l'application des coopérations renforcées à la PESC ne soulève pas d'opposition de principe, même si les modalités d'assouplissement du mécanisme actuel sont encore l'objet de négociation ;

- l'Union européenne, lors du Conseil européen d'Helsinki en décembre 1999, s'est fixé pour objectif d'être en mesure d'accueillir de nouveaux membres, à compter du 1er janvier 2003 ;

- l'Autriche, lors du Conseil européen de Biarritz, a défendu ses positions traditionnelles.

M. Pierre Moscovici a par ailleurs précisé, à l'attention de Mme Marie-Madeleine Dieulangard, que l'agenda social ne figurait pas à l'ordre du jour du Sommet de Biarritz, mais devrait être adopté lors du Conseil européen de Nice. Il a ajouté que les Chefs d'Etat et de gouvernement avaient évoqué, à Biarritz, la question de la sécurité maritime et s'étaient accordés notamment sur le principe d'une aggravation des sanctions et sur la nécessité d'éliminer, dans un délai rapproché, les navires à simple coque. Il a, enfin, indiqué à M. Paul Masson que la France ouvrirait prochainement une ambassade à Belgrade.

Jeudi 19 octobre 2000

- Coprésidence de MM. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, Xavier de Villepin, président, et Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques.

Union européenne - Commerce - Audition de M. Pascal Lamy, commissaire européen

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé, en commun avec la délégation pour l'Union européenne, présidée par M. Hubert Haenel, et la commission des affaires économiques et du plan, présidée par M. Jean François-Poncet, à l'audition de M. Pascal Lamy, commissaire européen chargé du commerce.

M. Pascal Lamy a tout d'abord rappelé que la politique commerciale extérieure de l'Union européenne assurait un compromis entre la poursuite d'intérêts légitimes et la défense de valeurs de civilisation. S'agissant des intérêts européens, ila établi une distinction entre, d'une part, les intérêts offensifs, liés à la nette amélioration de la compétitivité d'une économie européenne, à la recherche de nouvelles parts de marché, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies, et, d'autre part, les intérêts défensifs, répondant à la nécessité de préserver certains secteurs économiques à moindre valeur ajoutée et suscitant parmi les Quinze un traitement économique différencié, par exemple dans le secteur textile-habillement.

Evoquant les valeurs de civilisation européenne, M. Pascal Lamy en a précisé le contenu, lié notamment à la prise en compte des dimensions sociales, environnementales, sanitaires et, plus généralement, de qualité de vie.

M. Pascal Lamy a précisé que la politique commerciale tendait à projeter ces valeurs à l'extérieur en s'appuyant, à l'égard des pays en développement, sur un équilibre entre l'aide et le commerce et en privilégiant le multilatéralisme.

M. Pascal Lamy a ensuite présenté le contexte institutionnel dans lequel s'inscrivait la politique commerciale extérieure de l'Union. Il a tout d'abord rappelé que la politique commerciale extérieure relevait, conformément au Traité de Rome, de la compétence communautaire, sur la base de décisions prises à la majorité qualifiée, mais concernait, principalement, à l'origine du Marché commun, le commerce de biens. La part croissante, aujourd'hui occupée par le commerce de services et par les questions de propriété intellectuelle, soumis à la règle de l'unanimité, conjuguée aux perspectives d'élargissement de l'Europe des Quinze, imposait de définir également sur ces questions un nouveau mécanisme de décision fondé sur la majorité qualifiée.

Abordant le contexte institutionnel international, M. Pascal Lamy a rappelé que la création de l'Organisation mondiale du commerce, reposant sur un mécanisme juridictionnel de règlement des différends, avait constitué un saut qualitatif considérable par rapport au GATT. S'il est vrai que le fonctionnement de ce cadre multilatéral demeure aujourd'hui perfectible, l'OMC est un facteur de transparence dans les échanges économiques internationaux et marque les prémices d'une gouvernance mondiale.

M. Pascal Lamy a enfin décrit les trois points d'application de la politique commerciale de l'Union : le cadre multilatéral, l'échelon régional et le niveau bilatéral. Le cadre multilatéral répondait à deux besoins : celui d'un meilleur accès de l'Europe aux marchés des pays tiers ; celui de rendre visible, à une opinion publique inquiète de certains aspects de la globalisation, le modèle économique spécifique de l'Union, fondé sur un alliage de libéralisme et de régulation. La reprise d'un nouveau round de négociations est en lente gestation et ne pourrait déboucher que d'ici plusieurs mois. Elle nécessite un travail d'explication à l'égard des pays en développement et peut s'appuyer sur un rapprochement des points de vue avec les Etats-Unis, notamment sur les questions agricoles.

M. Pascal Lamy a estimé que l'échelon régional demeurait un moyen privilégié de régulation, adapté aux conséquences de la mondialisation. En ce sens, certains accords commerciaux, comme la convention de Lomé, privilégiaient l'intégration au commerce mondial sur des bases régionales. Enfin, les relations bilatérales venaient compléter cette stratégie commerciale communautaire, qu'illustraient les accords conclus avec le Mexique, et bientôt l'Egypte.

M. Pascal Lamy a conclu en remarquant que sa fonction comportait une exposition politique forte, liée à la forte sensibilité de l'opinion aux questions commerciales et qu'illustrait l'implication croissante d'organisations non gouvernementales dans ce domaine.

A l'issue de cet exposé, M. Xavier de Villepin, président, a interrogé M. Pascal Lamy sur les perspectives d'évolution des parts de marché européennes, et notamment françaises, en Amérique du Sud, au cas où le projet d'extension de l'ALENA à l'ensemble du continent américain devait prochainement aboutir. Il a rappelé à ce propos que la mise en place de l'ALENA avait déjà considérablement réduit les parts de marché de la France au Mexique. Il a également souhaité obtenir des précisions sur les conditions dans lesquelles la Chine est appelée à intégrer l'OMC, se référant notamment aux réserves que les autorités chinoises semblent émettre sur certains engagements qui leur ont été demandés par les Etats-Unis.

M. Jean François-Poncet s'est inquiété des perspectives d'évolution des relations commerciales transatlantiques. Il a évoqué les principaux contentieux en cours, certains ayant été tranchés par l'OMC en faveur des Etats-Unis et d'autres en faveur de l'Union européenne. Il a souhaité savoir, s'agissant de ces derniers, pour quelles raisons la Commission européenne ne mettait-elle pas en oeuvre les sanctions qu'elle serait en droit d'imposer à l'issue du verdict rendu par l'OMC. Enfin, évoquant les négociations sur l'agriculture et les services, en cours à Genève, il s'est demandé dans quelle mesure l'Union européenne parviendrait à imposer sa volonté de maintenir l'ensemble des négociations commerciales internationales dans un cadre global.

M. Michel Souplet a rappelé les conditions dans lesquelles avait été mise en oeuvre la réforme de la politique agricole commune et les orientations définies, s'agissant des perspectives d'élargissement de l'Union européenne, par l'agenda 2000. Il s'est vivement étonné qu'en contradiction apparente avec la ligne de conduite arrêtée par le Conseil européen, la Commission semble envisager de limiter à deux années, c'est-à-dire jusqu'en 2002 et non jusqu'en 2006, la reconduction du régime de l'organisation commune de marché sur le sucre. S'agissant des critiques américaines à l'encontre des subventions à l'agriculture européenne, il a rappelé qu'aux Etats-Unis, les aides à l'agriculture étaient passées de 5 milliards de dollars en 1996-1997 à 21 milliards de dollars en 1999-2000. Enfin, il s'est demandé comment l'Union européenne pourrait prendre en compte les besoins inhérents à l'élargissement en continuant à geler le niveau de son budget agricole.

M. Robert Del Picchia a demandé à M. Pascal Lamy si le développement considérable du commerce électronique et du commerce par téléchargement ne s'effectuait pas en marge de la réglementation commerciale internationale.

M. Aymeri de Montesquiou a considéré qu'un effort d'information et d'explication était indispensable pour convaincre les opinions publiques, et surtout les secteurs professionnels les plus menacés par la mondialisation, du bien-fondé et des apports positifs des règles de libéralisation des échanges préconisées par l'OMC. Il a souligné à ce propos la nécessité d'une plus grande harmonisation au sein de l'Union européenne, afin que chaque pays se sente placé à égalité face à ces nouvelles règles du jeu. Il s'est demandé si, aux yeux de beaucoup, l'OMC n'apparaissait pas comme favorisant l'enrichissement des plus riches et l'appauvrissement des plus pauvres. Il s'est enfin interrogé sur l'effet que pourrait avoir, sur l'économie d'un pays comme la Bulgarie, son adhésion à l'OMC.

M. Guy Penne a demandé si l'Union européenne obtiendrait de l'OMC une dérogation pour préserver le régime des accords de Lomé.

M. Michel Caldaguès, évoquant l'évolution de l'euro, s'est demandé dans quelle mesure il était possible de posséder une monnaie suffisamment forte pour s'imposer comme monnaie de réserve, sans toutefois l'être trop pour ne pas pénaliser les exportations.

M. Jean-Pierre Raffarin, après avoir évoqué le régime commercial du cognac et celui des produits d'appellation d'origine, a demandé quelle place tenait la Turquie dans la stratégie commerciale de l'Union européenne.

M. Hubert Durand-Chastel a souligné le paradoxe que constituait le très haut niveau du dollar par rapport à l'euro, alors que le déficit commercial américain demeurait considérable.

M. Hubert Haenel a enfin interrogé M. Pascal Lamy sur une éventuelle remise en cause de l'organisation commune de marché du sucre.

En réponse à ces différentes interventions, M. Pascal Lamy a apporté les précisions suivantes :

- si la mise en oeuvre de l'ALENA a effectivement, dans un premier temps, considérablement réduit les parts de marché européennes, la conclusion d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mexique devrait permettre prochainement un relèvement de nos parts de marché ;

- le projet d'une grande zone de libre-échange transaméricaine est envisagé pour l'échéance 2004-2006. Cette négociation s'annonce très complexe, mais il importe, pour l'Union européenne, de se préparer à cette perspective qui se concrétisera tôt ou tard. Tel est l'objet des négociations engagées avec le Mercosur et le Chili, étant entendu que la conclusion d'un accord ne paraît envisageable qu'au prix de certaines contreparties, notamment en matière agricole ;

- après avoir donné lieu à des négociations bilatérales avec les principaux partenaires commerciaux, l'entrée de la Chine dans l'OMC se prête désormais au niveau multilatéral, au sein de l'organisation elle-même. Il est exact que la Chine semble actuellement rencontrer certaines difficultés à honorer les engagements qui lui étaient demandés, par exemple en matière de certification ou d'acceptation d'une compétence juridictionnelle pour les litiges commerciaux. Ces difficultés ne paraissent toutefois pas insurmontables et ne remettent pas en cause le processus d'accession de la Chine à l'OMC ;

- en dépit d'une forte réticence à l'acceptation des engagements multilatéraux, très perceptibles au Congrès, compétent en matière d'accords commerciaux internationaux, les Etats-Unis sont désormais beaucoup plus conscients de l'intérêt d'une bonne coopération avec l'Union européenne au sein de l'OMC. Les principaux contentieux commerciaux, tels que la banane, le boeuf aux hormones ou les subventions fiscales à l'exportation sont d'ailleurs antérieurs à l'OMC. Il n'y a pas lieu de craindre une détérioration de la relation transatlantique sur la question commerciale ;

- si l'OMC a donné raison à l'Union européenne sur la question des subventions fiscales américaines aux exportations, la Commission n'a pas pour autant souhaité appliquer immédiatement les sanctions qu'elle est en droit d'imposer. Elle attend, pour y recourir, d'observer si les Etats-Unis procèdent à une mise en conformité de leur législation et elle saisira à nouveau sur ce point l'OMC avant, le cas échéant, de mettre en oeuvre les sanctions que cette dernière aura éventuellement autorisées. Cette attitude préserve l'intégralité des droits de l'Union européenne, sans pour autant alimenter un climat de confrontation qui serait préjudiciable au fonctionnement de l'OMC ;

- l'Union européenne doit impérativement faire reconnaître la spécificité de l'agriculture au regard des autres activités de production de biens et services. Elle peut pour cela compter sur l'appui du Japon et de nombreux pays en développement. Cette reconnaissance de la " multifonctionnalité " de l'agriculture impose cependant des contraintes financières pour les consommateurs et les contribuables européens ;

- s'agissant de l'organisation commune du marché du sucre, la Commission européenne est préoccupée par la préparation aux effets de l'élargissement de l'Union européenne. Son règlement venant à échéance à la fin de l'année 2000, il a été proposé de le reconduire à l'identique pour deux années seulement, de manière à permettre d'éventuelles adaptations ultérieures. Il est cependant clair qu'en dernier ressort la décision reviendra au Conseil et au Parlement européens ;

- rapportées au produit intérieur brut, les aides publiques à l'agriculture sont aussi élevées aux Etats Unis que dans l'Union européenne ;

- face au développement du commerce par Internet, l'Union européenne a réaffirmé le principe de neutralité technologique selon lequel les droits de douane doivent être identiques, quels que soient les canaux commerciaux et les circuits de distribution utilisés ;

- il est nécessaire de mieux informer le grand public des effets positifs pour la croissance mondiale du développement des échanges et du commerce international. Pour autant, toutes les critiques exprimées à l'encontre de la globalisation ne sont pas infondées. La globalisation doit être mieux maîtrisée, l'OMC fournissant un cadre adapté à la définition de règles du jeu ;

- la Commission a pris l'initiative de proposer au Conseil et au Parlement européens l'ouverture totale du marché européen à toutes les exportations en provenance des pays les moins avancés ;

- il fait peu de doute que l'Union européenne obtiendra de l'OMC la dérogation permettant de maintenir le régime préférentiel des accords de Lomé ;

- en dépit d'inévitables variations conjoncturelles, il est probable que l'euro conservera sur le moyen terme une valeur en rapport avec les données fondamentales de l'économie européenne. Il faut rappeler à ce propos que la création de l'euro a d'ores et déjà permis de réduire d'environ deux tiers la sensibilité des économies européennes aux variations des taux de change ;

- la question des produits d'appellation d'origine contrôlée illustre à quel point il est essentiel pour la France de parvenir à inclure le domaine de la propriété intellectuelle dans les matières relevant de la majorité qualifiée et non plus de l'unanimité au sein de l'Union européenne ;

- la Turquie est associée à l'Union européenne dans le cadre d'une union douanière ;

- le déficit commercial des Etats-Unis, qui est passé de 100 à 400 milliards de dollars en cinq ans, n'a pas d'effet direct sur le niveau du dollar et a favorisé la croissance américaine, puisqu'il traduit l'incorporation croissante de produits importés à moindre coût dans les facteurs de production. En revanche, l'augmentation continue de la dette américaine pèsera plus directement sur l'évolution du dollar.

Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

PJLF pour 2000 - Audition du général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition du général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées.

M. Xavier de Villepin, président,
a d'abord rappelé que, conformément à la tradition de la commission, les auditions des chefs d'état-major militaires, qui visent à une information aussi complète que possible des membres de la commission, demeureraient confidentielles et ne feraient pas l'objet de communiqué de presse.

Le général Jean-Pierre Kelche a alors présenté les crédits des armées pour 2001.

A l'issue de cet exposé, un débat s'est engagé avec les commissaires.

M. Aymeri de Montesquiou, tout en félicitant le chef d'état-major des armées de la très haute qualité des armées françaises et de leur capacité à accomplir leurs missions, malgré des budgets étriqués et des matériels difficilement entretenus, s'est inquiété de l'insuffisance des moyens consacrés à l'activité des forces et au maintien en condition des matériels. Il s'est également interrogé, compte tenu de la modicité des moyens disponibles pour équiper nos forces, sur l'opportunité d'un changement de format des armées plus en conformité avec l'évolution de la menace.

M. Christian de La Malène a tout d'abord souligné que si l'évolution du titre V se poursuivait sur la pente actuelle, la France serait conduite à une révision de ses ambitions en matière de défense. Il a vivement regretté cette situation, alors que la situation économique plus favorable laissait espérer un rattrapage financier, après les efforts consentis lors de la revue de programme, que la France veut être le moteur de la construction de l'Europe de la défense et que le Royaume-Uni a, lui, entrepris un effort financier important. Il a ensuite demandé au général Jean-Pierre Kelche si le financement des opérations extérieures serait imputé sur les crédits d'équipement du ministère de la défense, et en dehors de toute provision spécifique.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a souhaité obtenir des éclaircissements sur l'évolution éventuelle, dans les deux années à venir, du ministère de la défense et, plus particulièrement, des commissions départementales, quant à l'octroi de reports d'incorporation dans le service national.

M. André Boyer a demandé des précisions sur les grands axes de la prochaine loi de programmation militaire pour 2003-2008.

M. Paul Masson a interrogé le chef d'état-major des armées sur l'évolution de l'armée allemande qui, selon lui, reste handicapée dans sa réforme par l'attachement à la conscription, les réticences à des interventions à l'extérieur du territoire national et l'importance du sentiment pacifiste outre-Rhin. Il a également souhaité connaître le regard que portait l'armée allemande sur la réforme de l'armée française et sur l'armée britannique.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité savoir :

- à combien l'on pouvait évaluer le retard de dotation enregistré depuis la révision de programme et quelles en sont les conséquences opérationnelles ;

- quelle sera la contribution de la France dans la future force européenne et quelle en sera l'influence sur la construction de la prochaine loi de programmation militaire et sur les futures dotations budgétaires ;

- comment seront financés les 20 milliards de francs nécessaires au lancement du programme A400M et notamment quelle sera la part financée sur le budget du ministère de la défense.

M. Xavier de Villepin, président, s'est ensuite inquiété des perspectives d'exportation du Rafale, du niveau réel de l'effort de défense de notre pays par comparaison avec celui du Royaume-Uni et du défi que constitue, pour l'Europe, la construction d'une capacité de défense autonome. Enfin, il a demandé au général Jean-Pierre Kelche s'il envisageait de généraliser la formation au maintien de l'ordre dans les armées.