AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Mercredi 9 septembre 1998

Nomination de rapporteurs

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président - La commission a d'abord procédé à la nomination de rapporteurs. Elle a désigné :

- M. Michel Caldaguès sur le projet de loi n° 552 (1997-1998) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil, et sur le projet de loi n° 553 (1997-1998) autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil ;

- M. Daniel Goulet sur le projet de loi n° 559 (1997-1998) autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Azerbaïdjan sur la liberté de circulation ;

- M. Guy Penne sur le projet de loi n° 560 (1997-1998) autorisant l'approbation de la convention d'établissement entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République togolaise ;

- et M. André Boyer sur les projets de loi, en cours d'examen par l'Assemblée nationale, n° 1075 (AN, 11e législature) autorisant la ratification de l'accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Cour européenne des droits de l'homme, et n° 1076 (AN, 11e législature) autorisant la ratification du sixième protocole additionnel à l'accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe.

Audition

Puis la commission a entendu M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les crédits de son ministère pour 1999.

M. Alain Richard a rappelé que les crédits militaires inscrits dans le projet de loi de finances pour 1999 succédaient à un budget militaire pour 1998 marqué par une réduction des crédits d'équipement et le maintien des crédits de fonctionnement des armées permettant un bon déroulement de la réforme de professionnalisation. Le ministre a rappelé qu'il avait parallèlement conduit un réexamen des conditions d'application de la loi de programmation militaire. Cette revue des programmes a eu pour objectif -a-t-il rappelé- d'identifier toutes les économies réalistes compatibles avec la cohérence stratégique de la loi de programmation. Pour 1999, le gouvernement a donc décidé de porter les crédits d'équipement du titre V à 86 milliards de francs et les crédits de fonctionnement à 104 milliards, soit une augmentation globale de 2,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1998.

Le ministre de la défense a ensuite indiqué les objectifs de ce projet de budget pour 1999. Dans le cadre de l'objectif général de modernisation de notre système de défense, la professionnalisation des armées devra tout d'abord être menée à bien. Ainsi, près de 39.000 postes d'appelés seront supprimés en 1999, ainsi que 2.690 postes de sous-officiers dans les armées de terre, de l'air et la marine. Parallèlement, le ministre a rappelé que la réforme entraînait la création de quelque 16.000 emplois (8.389 postes de militaires du rang, 4.725 postes de volontaires, et 1.700 emplois civils).

Si la réduction globale des effectifs dans les armées entraîne une réduction de 9 % des dépenses de fonctionnement, la dépense par homme, a souligné M. Alain Richard, demeurera constante afin de garantir de bonnes conditions opérationnelles. Le ministre a reconnu que l'évolution modeste des crédits de fonctionnement impliquerait une maîtrise efficace des moyens, compte tenu des contraintes financières corrélatives à la professionnalisation, notamment en ce qui concerne les mesures de revalorisation des bas salaires. Des économies pourraient être notamment réalisées sur l'appareil de formation des personnels de la défense, en particulier par le biais de regroupement d'écoles.

A propos des dépenses d'équipement, le ministre de la défense a précisé qu'elles seraient conformes aux conclusions de la revue des programmes. S'agissant de la dissuasion nucléaire, le ministre a indiqué que le deuxième SNLE-NG serait admis, comme prévu, au service actif en juillet 1999. Le programme de missiles M 51 sera doté de 1.450 millions de francs en 1999, sa mise en service étant désormais prévue dès 2008. Les crédits dévolus à l'espace démontrent la priorité accordée au développement du système d'observation optique Hélios. Par ailleurs, la décision de la Grande-Bretagne de développer de façon autonome son futur système de télécommunications par satellite conduira la France et l'Allemagne à réorganiser le programme successeur de Syracuse 2.

S'agissant des équipements conventionnels, ceux-ci, a précisé le ministre, bénéficieraient de plus de 65 milliards de francs dans le budget 1999. 33 chars Leclerc seraient ainsi livrés à l'armée de terre en 1999 et le lancement du développement du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) interviendra la même année. Le programme Tigre entrera dans la phase de fabrication en série. Le premier Rafale marine sera livré en 1999 et la flotte d'avions d'observation embarquée sera également renforcée par la livraison du deuxième avion Hawkeye. Enfin, le programme d'hélicoptères NH 90 sera financé au rythme prévu. De même, a précisé le ministre, l'accent sera mis sur la sécurité intérieure, notamment par la poursuite du déploiement du système Rubis de la gendarmerie nationale (85 départements équipés à la fin de 1999).

M. Alain Richard a alors souligné que le budget 1999 de la défense serait également l'occasion d'une remontée en puissance des dépenses de recherche et développement. Cet effort confortera la place de notre pays en tête de ses partenaires européens pour le financement des secteurs de haute technologie.

Le ministre a estimé que le budget 1999 permettrait une action prioritaire sur la situation des personnels, grâce aux mesures d'accompagnement de la professionnalisation, notamment l'aide à la reconversion des personnels militaires et les aides au départ. Ce budget s'inscrit en outre dans le cadre d'un dialogue rénové avec les industriels de la défense dans le sens d'une efficacité accrue, d'une réduction des coûts et d'une prise en compte de la spécificité des petites et moyennes entreprises. Dans la perspective des reconversions industrielles, le ministre a indiqué que les divers fonds de soutien (notamment le Fonds pour les restructurations de la défense -FRED-) seraient dotés de crédits en très notable augmentation. M. Alain Richard a enfin souligné que ce budget de la défense pour 1999 s'inscrivait dans une perspective européenne destinée à construire une industrie forte et compétitive dans ce secteur. L'effort consenti sur la recherche et le développement est un aspect de cette solidarité européenne sur le plan industriel et permettra une concurrence équilibrée avec les Etats-Unis.

Concluant son propos, le ministre de la défense a estimé que le budget de son ministère pour 1999 permettrait de respecter les engagements pris antérieurement, mettant notamment en oeuvre la réforme de la professionnalisation et assurant un emploi optimal des hommes et des moyens.

Un débat s'est ensuite engagé avec les membres de la commission.

M. Alain Peyrefitte s'est interrogé sur la pertinence des hypothèses de croissance sur lesquelles est bâti le projet de loi de finances en 1999, en craignant qu'elles ne tiennent pas suffisamment compte des conséquences de la crise financière en Asie et en Russie. Il a par ailleurs relevé l'évolution modeste des dépenses ordinaires de la défense, comparée à celle du budget général, et s'est demandé si l'on pouvait en conclure que la professionnalisation des armées permettait des économies de fonctionnement.

M. Jacques Genton s'est réjoui de constater que les arguments qu'il avait avancés il y a de nombreuses années au Sénat en faveur de l'aménagement d'une seconde carrière des militaires trouvaient désormais un écho avec la mise en place des mesures d'accompagnement de la professionnalisation. Il a en particulier souligné qu'une meilleure prise en compte des problèmes de reconversion à l'issue de carrières courtes était indispensable au maintien du recrutement des armées. Evoquant le rapprochement Aérospatiale-Matra, M. Jacques Genton a ensuite interrogé le ministre sur l'avenir de ce nouveau groupe industriel. Il s'est demandé si l'on pouvait craindre la constitution d'un axe British Aerospace-Dasa qui isolerait Aérospatiale, en particulier au sein d'Airbus. Par ailleurs, il a souhaité connaître les conséquences prévisibles de la fusion entre Matra et Aérospatiale sur les effectifs de ces entreprises, tout particulièrement pour leurs activités missiles, et notamment sur le site de Bourges qui vient de faire l'objet d'investissements très importants.

M. André Dulait a évoqué les projets de nouvelle répartition des zones de compétences respectives de la gendarmerie et de la police. Il a souhaité que l'extension de l'intervention de la gendarmerie aux petites villes dans lesquelles les commissariats seront supprimés n'entraîne pas de diminution de la présence de gendarmes dans les zones rurales.

M. André Boyer a demandé au ministre s'il pouvait confirmer les informations parues dans la presse au sujet d'une commande globale d'avions Rafale. En ce qui concerne la marine, il a rappelé les difficultés qu'elle rencontrait pour pourvoir tous les nouveaux postes de personnels civils prévus à son budget. Il a souhaité obtenir des précisions sur les perspectives de ces recrutements pour 1999, en particulier dans le cadre des mutations de personnels de la Direction des constructions navales (DCN) vers la marine.

Mme Danielle Bidard-Reydet a souhaité connaître les perspectives actuelles de reconversion des industries de défense vers des activités civiles.

M. Serge Vinçon a ensuite interrogé le ministre sur la situation de GIAT-Industries, en particulier en ce qui concerne les besoins de recapitalisation et la vente éventuelle de chars Leclerc à l'Arabie saoudite. Il a également demandé des précisions sur les perspectives de recrutement des volontaires dans l'armée de terre.

M. Hubert Falco a posé une question relative à la signification de l'ouverture de crédits de 3,85 milliards de francs sur le titre III, intervenue au titre de l'exercice budgétaire 1998, et a souhaité savoir à quels besoins elle correspondait.

M. Xavier de Villepin, président, s'est ensuite interrogé sur le risque d'un éventuel dérapage des dépenses de rémunérations et de charges sociales et sur le montant et le financement des dépenses supplémentaires liées aux opérations extérieures. Il a demandé au ministre de préciser les modalités envisagées pour la discussion au Parlement du rapport annuel prévu sur l'exécution de la loi de programmation, et d'indiquer le calendrier envisagé pour la discussion du futur projet de loi relatif aux réserves. Evoquant l'appel de préparation à la défense, il a souhaité que les parlementaires puissent prochainement se rendre dans l'un des sites retenus pour suivre sa mise en place. Enfin, il a abordé la situation au Kosovo en s'interrogeant sur les intentions des différents membres du groupe de contact, en particulier les Etats-Unis, et sur la forme que pourrait prendre une éventuelle opération militaire.

En réponse à ces différentes interventions, M. Alain Richard, ministre de la défense, a apporté les précisions suivantes :

- établies à partir d'hypothèses prudentes, les premières prévisions de croissance pour 1999 ont été légèrement revues à la baisse, pour tenir compte du contexte économique international, et paraissent désormais réalistes ;

- la faible progression des dépenses ordinaires du ministère de la défense pour 1999 résulte à la fois de mesures d'économies sur les frais de fonctionnement et de divers ajustements ;

- l'évolution des dépenses ordinaires dément le risque d'une dérive des coûts de la professionnalisation qui a parfois été évoqué, bien que les calculs aient été effectués au plus juste et que le ministère de la défense ne dispose guère de marge de manoeuvre sur son titre III ;

- la reconversion est en effet le corollaire indispensable de la mise en place de carrières courtes au sein des armées, ce rajeunissement des effectifs pouvant en outre conduire à s'interroger sur la pertinence des modalités actuelles de départ en retraite pour les personnels ayant moins de quinze ans d'activité dans les armées ;

- le regroupement Aérospatiale-Matra, évoqué par M. Jacques Genton, impliquera une réorganisation des effectifs, en particulier dans le secteur des missiles ; cette adaptation est déjà en cours en Aquitaine, mais elle devrait rester très limitée sur le site de Bourges qui bénéficie de commandes de missiles Eryx décidées par le gouvernement ;

- si l'objectif du Gouvernement est bien de parvenir à une meilleure affectation des effectifs de gendarmes en fonction des besoins de sécurité, il n'est pas pour autant question de remettre en cause le principe de la présence d'une brigade de gendarmerie dans chaque canton ; par ailleurs, au terme de la loi de programmation, et grâce aux postes de volontaires, la gendarmerie verra ses effectifs augmentés de 4.000 postes, ce qui devrait garantir la pérennité de sa présence sur le territoire ;

- le Gouvernement prépare actuellement le projet de contrat d'une commande globale d'avions Rafale ; ce contrat sera signé en 1999 et permettra d'équiper prioritairement le porte-avions Charles de Gaulle ;

- les diminutions d'effectifs de la DCN (mesures d'âge à 52 ans, mutations de personnels de la DCN vers la marine) ont été conformes aux objectifs pour l'année 1998 ; s'agissant des mutations vers la marine, l'ensemble des postes de civils dans la marine n'ayant cependant pas pu être pourvus de cette manière, il est également procédé à des recrutements extérieurs, ce qui a notamment permis d'accueillir au sein des armées des salariés des entreprises sous-traitantes de la construction navale et des personnels civils des forces françaises en Allemagne ;

- s'agissant du développement des activités civiles dans le cadre de la diversification des industries de défense, GIAT-Industries envisage de créer une filiale spécialisée dans de nouvelles fabrications, et la DCN a développé la construction de plates-formes off-shore ; le fonds d'adaptation industrielle inscrit au budget du ministère permet de soutenir ces activités avant qu'elles n'atteignent un seuil de rentabilité ;

- dans un contexte très défavorable aux armements terrestres, GIAT-Industries a entrepris un effort considérable d'adaptation qui se poursuivra dans le cadre du plan stratégique, économique et social rendu public cet été ; en ce qui concerne les perspectives d'un éventuel contrat de vente de chars Leclerc à l'Arabie saoudite, GIAT-Industries demeure bien placé mais devra adapter ses propositions pour tenir compte des difficultés budgétaires que connaît actuellement ce pays à la suite de la baisse des cours du pétrole ;

- le ministère de la défense n'a pas d'inquiétude quant au recrutement de volontaires, dans la mesure où le volontariat dans les armées constitue une formule attractive par sa rémunération, par sa possibilité de renouvellement pour une durée pouvant atteindre cinq ans, et par les possibilités de formation que les jeunes trouveront au sein des armées ;

- l'ouverture, au titre III du ministère de la défense, de 3,85 milliards de francs de crédits récemment intervenue vise à assurer une partie du financement des opérations extérieures en 1998, à combler un certain retard accumulé les exercices précédents sur les dépenses de personnel, et à tenir compte d'une augmentation des volontariats service long, rendue nécessaire en 1998 pour le remplacement de certains appelés spécialisés, en l'attente de la mise en oeuvre du volontariat ;

- en ce qui concerne le financement des opérations extérieures, dont les surcoûts devraient être de l'ordre de 2 miliards de francs pour 1998, une ouverture de crédits dont le montant n'est pas encore arrêté devra être inscrite dans le projet de loi de finances rectificative pour 1998 ;

- le Gouvernement déposera avant le débat budgétaire le rapport sur l'exécution de la loi de programmation militaire, qui pourra ainsi être discuté par le Parlement à l'occasion de l'examen des crédits de la défense pour 1999 ;

- comme le Premier ministre s'y est engagé, le projet de loi relatif aux réserves devrait être adopté en conseil des ministres avant la fin de l'année et l'adoption de ce texte au cours de l'année 1999 permettrait une entrée en vigueur du nouveau dispositif prévu en l'an 2000 ;

- le Gouvernement est disposé à permettre aux parlementaires de se rendre compte sur place des modalités de mise en oeuvre de la journée d'appel de préparation à la défense, étant entendu que le dispositif retenu pourra être appelé à évoluer en fonction des observations recueillies au cours des premiers mois de fonctionnement ;

- la situation militaire au Kosovo demeure à ce jour aussi complexe que préoccupante ; les Etats-Unis ont déployé des efforts diplomatiques très importants en vue de résoudre cette crise, mais compte tenu de leur engagement, déjà très lourd, en Bosnie, on ne peut écarter l'expression de fortes réticences, au sein du Congrès et de l'opinion publique, si une intervention militaire devait être envisagée ; la France, pour sa part, a soutenu à la fois les actions diplomatiques entreprises pour permettre la reprise d'un dialogue politique et les préparatifs d'action militaire entrepris par l'OTAN ; les pays européens ont indiqué qu'une éventuelle intervention devrait s'appuyer sur un mandat du conseil de sécurité des Nations unies. A cet égard, a souligné M. Alain Richard, on ne peut qu'être extrêmement préoccupés, à l'approche de l'hiver, par la situation des très nombreux Kosovars déplacés ou réfugiés.

Jeudi 10 septembre 1998

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président

Audition

- La commission a procédé à l'audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'actualité internationale.

Le ministre des affaires étrangères a tout d'abord commenté la visite qu'il a effectuée en République islamique d'Iran en août 1998. Il a fait valoir qu'il avait souhaité, à l'occasion de ce voyage, mesurer "sans naïveté" l'ampleur des changements intervenus en Iran depuis l'élection du président Khatami. A cet égard, M. Hubert Védrine a estimé que la situation actuelle en Iran ne saurait se limiter à une rivalité entre le clan moderniste, favorable à une certaine ouverture vers l'Occident, et les forces conservatrices, influentes notamment dans l'armée et la justice. Il a, en effet, fait observer que la volonté d'être fidèle à l'identité islamique caractérisait aussi la tendance libérale, et que les conservateurs pouvaient également être favorables au dialogue avec l'étranger. Le ministre des affaires étrangères a jugé que, après la phase du "dialogue critique" des Européens avec l'Iran, l'importance stratégique de ce pays devait être prise en compte par la diplomatie française. S'agissant de la situation des entreprises françaises en Iran, M. Hubert Védrine a souhaité l'allégement des contraintes liées aux nombreuses entraves bureaucratiques existant dans ce pays, et s'est prononcé en faveur d'une intensification du dialogue franco-iranien.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué les différentes crises qui se sont développées dans la dernière période, notamment en Russie, au Kosovo et en République démocratique du Congo.

M. Hubert Védrine a préalablement souligné l'impuissance relative des institutions internationales qui auraient dû contribuer à réguler des crises et des conflits régionaux qui se sont multipliés depuis la chute du mur de Berlin. Ainsi l'intégration de la Russie au G7-G8, a-t-elle altéré la cohérence de celui-ci et réduit sa capacité à prendre les décisions rendues nécessaires par l'extension de la crise financière. De même, a poursuivi M. Hubert Védrine, le FMI n'a-t-il pas été conçu pour gérer des crises économiques aiguës survenant entre pays à structures économiques très dissemblables.

En ce qui concerne la situation en Russie, le ministre des affaires étrangères a noté que la crise financière survenue pendant l'été avait révélé le retard pris par la Russie dans la modernisation de son économie, et avait suscité une interrogation sur le rôle de l'Occident en Russie depuis les changements entrepris par Gorbatchev. M. Hubert Védrine a souligné que, sur le plan politique, l'attitude occidentale, consistant à ne pas traiter la Russie en pays vaincu, avait été un point très positif. Il a néanmoins jugé que l'Occident avait sans doute commis l'erreur de croire à une orientation rapide des structures économiques soviétiques vers l'économie de marché. Ainsi la réunion des ministres des affaires étrangères des pays de l'Union européenne à Salzbourg a-t-elle illustré l'émergence d'un point de vue européen favorable à une économie sociale de marché en Russie.

Abordant ensuite les aspects politiques de la crise en Russie, M. Hubert Védrine a estimé qu'un sursaut identitaire et plus "nationaliste" était probable dans ce pays. Il a relevé que l'aide occidentale devait aller de pair avec l'expression cohérente des attentes de l'Occident à l'égard des réformes économiques en Russie.

Abordant la crise au Kosovo, M. Hubert Védrine a estimé que la mise en place, en août dernier, d'une délégation kosovare prête à négocier constituait un fait positif, de même que la possibilité, exprimée par le président Milosevic, de conclure un accord intérimaire, susceptible de conduire à une solution par étapes. En dépit de ces améliorations, a relevé le ministre des affaires étrangères, la poursuite des affrontements et la très difficile question des personnes réfugiées et déplacées imposaient une meilleure coordination sur le terrain de l'aide humanitaire.

M. Hubert Védrine a souligné la cohérence du point de vue occidental à l'égard de la crise kosovare, point de vue fondé sur le refus tant du statu quo que de l'indépendance du Kosovo. Le maintien des sanctions attestait également, selon le ministre des affaires étrangères, la cohésion des membres du groupe de contact. M. Hubert Védrine a néanmoins relevé la faiblesse des moyens de contrainte disponibles à l'égard de l'UCK (armée de libération du Kosovo). Le ministre des affaires étrangères a ensuite commenté la différence d'approche entre Européens et Américains sur l'autorisation par le conseil de sécurité d'une éventuelle intervention de l'OTAN au Kosovo. Il a toutefois exprimé sa conviction que, dans l'hypothèse où la crise kosovare s'aggraverait, une solution pourra être trouvée.

M. Hubert Védrine a ensuite commenté la crise dans la République démocratique du Congo, dont il a rappelé le caractère de crise régionale depuis l'origine, compte tenu de l'interférence des stratégies des pays voisins, notamment l'Ouganda, le Rwanda, l'Angola et le Zimbabwe. Le ministre des affaires étrangères a fait observer que les tentatives diplomatiques de l'Afrique du Sud pour participer au règlement de la crise se heurtaient au souci de certains pays de développer leur propre influence dans la région.

M. Hubert Védrine a insisté sur l'absence d'ingérence de la France dans cette crise, tout en faisant observer que notre pays s'était prononcé favorablement à l'organisation d'une conférence pour la paix dans l'Afrique des grands lacs, la solution de cette crise ne pouvant être que régionale. Il a donc souligné que la France demeurait disponible si la demande lui était faite d'aider au règlement de ce conflit.

A la suite de l'exposé du ministre des affaires étrangères, M. Christian de La Malène s'est interrogé sur la situation politique préoccupante au Cambodge, à la suite des élections législatives de juillet dernier .

M. Marcel Debarge a rappelé que la question ethnique représentait une dimension importante du conflit dans l'Afrique des grands lacs. Il a ensuite, avec Mme Danielle Bidard-Reydet, demandé au ministre son sentiment sur l'évolution de la situation en Algérie.

M. Pierre Mauroy a souligné sa communauté de vues avec M. Hubert Védrine sur la position française vis-à-vis de l'Iran, ainsi que sur l'analyse de la situation internationale. Il a ajouté que la crise russe lui paraissait d'autant plus grave qu'elle présente un caractère politique. S'agissant du conflit dans l'Afrique des grands lacs, il a regretté que l'influence de l'Afrique du Sud sur les belligérants soit restée modeste. Il a par ailleurs estimé nécessaire, de façon générale, que dans le contexte de crise que beaucoup de pays connaissent à travers le monde, et alors même que les grandes puissances comme les Etats-Unis et la Russie apparaissent affaiblies, la France continue à faire entendre sa voix. Enfin, M. Pierre Mauroy a jugé indispensable que la communauté internationale procède à une réforme de ses moyens d'intervention traditionnels ; il a estimé que les pays occidentaux, qui bénéficient actuellement d'une conjoncture économique favorable, pouvaient jouer un rôle moteur dans ce sens.

M. André Dulait a interrogé le ministre sur les risques éventuels d'une intervention iranienne en Afghanistan, ainsi que sur les conséquences de la crise russe sur les pays voisins, notamment l'Ukraine, et sur la résurgence possible d'antagonismes nationaux.

M. Alain Peyrefitte s'est étonné du lien établi entre la crise en Asie orientale et la crise russe alors même que la Chine escompte, malgré son environnement régional, une croissance de 8 % en 1998. Il a demandé par ailleurs au ministre de faire le point sur les relations entre la France et le Tchad, qui reste désormais le seul pays d'Afrique centrale où nous disposons de bases militaires.

M. Maurice Lombard a évoqué la crise en Afrique centrale, en relevant que la délimitation des frontières entre les puissances coloniales n'avait tenu aucun compte de la répartition ethnique. Il a jugé que les éléments essentiels de la stabilité politique des Etats issus de la décolonisation faisaient aujourd'hui l'objet d'une remise en cause générale qui rappelait le mouvement des nationalités en Europe au 19e siècle. Il a estimé que, dans ce contexte, il pourrait être difficile de s'opposer à une modification des frontières.

Mme Danielle Bidard-Reydet a interrogé le ministre sur le soutien accordé par l'Occident au président Eltsine, alors même que celui-ci semble rejeté par la population russe. Elle s'est ensuite demandé si des actions concrètes pourraient être conduites pour éviter aux Russes de subir les conséquences les plus douloureuses de la crise. Elle a souhaité par ailleurs obtenir des précisions sur la position américaine au Kosovo. Elle s'est en outre interrogée sur l'état d'avancement du projet de conférence internationale proposé par l'Egypte et la France sur le processus de paix au Proche-Orient.

Mme Paulette Brisepierre a demandé au ministre de faire le point sur la situation au Congo-Brazzaville.

M. Xavier de Villepin, président, a estimé, s'agissant de la Russie, que le rôle du Parlement était appelé à se développer dans l'avenir. Après s'être inquiété des souffrances que la population russe pourrait connaître du fait de la crise économique et financière, il a évoqué les possibles risques de désintégration régionale de la Russie. Par ailleurs, il a jugé que le désordre mondial avait plutôt tendance à s'aggraver. Il a cité à cet égard, parmi d'autres exemples, les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan, ainsi que la situation difficile des pays producteurs de matières premières. Il a regretté que les grands pays éprouvent des difficultés à s'entendre, au moment même où les Etats-Unis semblent affaiblis. Il a jugé indispensable de favoriser l'émergence de nouveaux moyens de régulation internationaux.

M. Hubert Durand-Chastel, après s'être fait l'écho de la satisfaction de la communauté française en Iran à la suite du voyage du ministre des affaires étrangères dans ce pays, a interrogé M. Hubert Védrine sur les perspectives de rapprochement de la Lituanie avec l'Union européenne, d'une part, et l'OTAN, d'autre part.

M. André Boyer a enfin demandé au ministre de faire le point sur les relations franco-libyennes.

En réponse aux questions des commissaires, M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :

- la situation au Cambodge ne pourra pas connaître d'issue hors d'un compromis politique et de la formation d'une coalition gouvernemenale, et la France, pour sa part, a entamé des démarches auprès du roi pour qu'il appelle toutes les parties à la négociation ;

- s'agisssant de la situation en Afrique centrale, le ministre a estimé qu'il fallait observer une grande prudence et favoriser, autant que possible, des arrangements régionaux ;

- sur l'Algérie, il a noté que la vision de ce pays ne devait pas être réduite aux actions terroristes ;

- à propos de l'Afghanistan, il a considéré que l'Iran ne pourrait pas créer dans ce pays une zone de sécurité, dans la mesure où il n'existe pas de communauté chiite installée aux frontières iraniennes ; il a relevé par ailleurs les difficultés de la diplomatie américaine dans la région, compte tenu du soutien accordé de longue date à certaines forces fondamentalistes ;

- s'agissant du Kosovo, M. Hubert Védrine a jugé que le groupe de contact avait su préserver une grande cohésion, même s'il fallait assurer une meilleure coordination entre les différentes initiatives, notamment avec la médiation américaine ;

- le projet de conférence sur le processus de paix au Proche-Orient proposé par la France et l'Egypte n'a pas pour objet de contrecarrer les efforts américains, mais de fournir, au contraire, une formule possible dans l'hypothèse d'un blocage complet des négociations ;

- s'agissant de la crise économique et financière, M. Hubert Védrine a estimé qu'il n'y avait pas de lien mécanique dans l'extension de la crise d'un pays à l'autre ; cependant, les masses financières échangées chaque jour dépassent de beaucoup les possibilités d'intervention de toutes les banques centrales du monde et des institutions financières internationales, et représentent à ce titre un risque d'instabilité évident ;

- à propos du Tchad, le ministre des affaires étrangères a estimé qu'il n'y avait pas eu de grave crise entre nos deux pays, et que tout malentendu était aujourd'hui dissipé ;

- s'agissant de la Russie, M. Hubert Védrine a rappelé les préoccupations qu'inspire à la communauté internationale la situation matérielle du peuple russe, tout en relevant que l'aide humanitaire n'est pas adaptée à ce pays, et qu'il convient, dans ce contexte, de favoriser la mise en place d'une économie sociale de marché, dans le cadre d'un processus qui prendra nécessairement du temps ;

- à propos de la Libye, le ministre des affaires étrangères a rappelé que la France a, vis-à-vis de ce pays, ses propres exigences qui doivent elles-mêmes être satisfaites, et que, de ce point de vue, le règlement éventuel du contentieux lié à la tragédie de Lockerbie pourrait peut-être conduire à suspendre les sanctions ;

- s'agissant enfin de la Lituanie, le ministre des affaires étrangères a rappelé que la position de l'Union européenne vis-à-vis des pays avec lesquels les négociations d'adhésion n'étaient pas encore engagées devait faire l'objet d'une réponse globale et que la mise en place de la Conférence européenne constitue, à cet égard, une réponse présentant beaucoup d'avantages.