Table des matières

  • Mardi 30 mars 1999
    • Situation au Kosovo - Audition de M. Alain Richard, ministre de la défense
  • Mercredi 31 mars 1999
    • Nomination de rapporteur
    • Situation au Kosovo - Communication du président de la commission
    • Droit international - Cour pénale internationale - Audition de M. Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères
    • Défense - Organisation de la réserve militaire et du service de défense - Audition de M. Guy Tessier, député, ancien parlementaire en mission auprès du Premier ministre
    • Traités et conventions - Convention sur la sécurité du personnel des Nations unies - Examen du rapport

Mardi 30 mars 1999

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Situation au Kosovo - Audition de M. Alain Richard, ministre de la défense

La commission a procédé à l'audition de M. Alain Richard, ministre de la défense.

Le ministre de la défense a d'abord rappelé que la participation de la France aux opérations militaires de l'Otan en République fédérale de Yougoslavie était l'aboutissement d'un long processus de négociations, incluant l'hypothèse d'un recours à la force, engagé depuis mars 1998 dans le cadre du groupe de contact, de l'Union européenne et des institutions internationales compétentes, afin d'obtenir un règlement politique et diplomatique du conflit. La dernière étape de ce processus, qui s'est déroulée à Rambouillet, a montré -a rappelé M. Alain Richard- que, malgré notre souci d'aboutir à une solution pacifique, les moyens diplomatiques étaient épuisés. C'est dans ce contexte que le Président de la République, en accord avec le Gouvernement, a décidé la participation de la France aux opérations militaires qui ont commencé dans la nuit du 24 au 25 mars dernier.

Le ministre de la défense a ensuite précisé l'évolution de la situation sur le terrain. L'armée yougoslave était en train d'adapter son dispositif militaire ; elle procédait au camouflage d'installations et s'efforçait de rendre mobiles certains de ses équipements ; l'armée yougoslave n'avait par ailleurs pas mis en oeuvre toutes ses capacités de défense sol-air afin de ne pas entraîner leur destruction par les forces aériennes de l'Otan ; enfin, les forces serbes procédaient à leur renforcement le long de la frontière macédonienne. Des forces paramilitaires serbes étaient par ailleurs en train d'agir ouvertement au Kosovo. L'armée yougoslave continuait d'attaquer les éléments de l'UCK en s'en prenant également à la population civile albanophone ; ces diverses actions étaient le résultat d'une préparation de longue date, par le régime serbe, d'une opération massive, qui avait contribué à provoquer la décision de mise en oeuvre des frappes par les pays membres de l'Alliance. 

Les frappes aériennes de l'Otan -a précisé M. Alain Richard- avaient permis de faire décroître la menace sol-air de l'armée yougoslave qui tentait de se réorganiser le long de la frontière avec la Macédoine.

Le ministre de la défense a souligné que la situation humanitaire donnait lieu à des informations préoccupantes. Des familles entières quittaient leur village alors que, parallèlement, des milices et des forces paramilitaires terrorisaient les populations sous la protection de l'armée yougoslave afin de les inciter à quitter le territoire. L'Albanie avait dû accueillir jusqu'à présent de 50.000 à 70.000 réfugiés, le Montenegro quelque 20.000 et la Macédoine également. La France, avec ses partenaires, étudiait activement la possibilité de mettre en place rapidement un soutien humanitaire pour ces populations.

Dans le cadre du dispositif militaire de l'Otan fondé sur une action aérienne ciblée sur les seules installations militaires yougoslaves et destinée à réduire leurs capacités de destruction, la France -a souligné M. Alain Richard- avait mis à la disposition du commandement opérationnel de l'Alliance une gamme étendue de capacités. Des Mirage 2000 D avaient participé à des attaques au sol aux côtés de nos alliés. Des moyens de contrôle des opérations aériennes ainsi que le C 160 Gabriel de renseignement électromagnétique et des hélicoptères spécialisés dans la recherche et le sauvetage des pilotes avaient également été mis à la disposition de l'Alliance. Enfin, des Mirage 2000 C avaient pour mission de contrer toute menace aérienne. Des avions Jaguar ainsi que des super Etendard embarqués étaient en alerte pour un éventuel appui au sol. Au total, plus de 40 appareils étaient engagés par la France dans cette opération.

Le ministre de la défense a alors rappelé que la première phase de l'opération militaire engagée le 24 mars a eu pour objet d'assurer la suprématie aérienne sur la totalité du territoire yougoslave : plus de 50 % des objectifs ont été atteints, mais les vols à basse altitude demeurent dangereux pour nos pilotes en raison du risque d'attaque par des missiles sol-air. La deuxième phase des opérations militaires, qui débute actuellement, devra -a précisé M. Alain Richard- réduire la capacité agressive de la Serbie à l'égard de la population kosovare ; de nombreuses cibles militaires seront visées sur le territoire même du Kosovo.

Le dispositif terrestre en attente en Macédoine ne visait qu'à accompagner la mise en oeuvre d'un règlement négocié. La mise en place d'une force destinée à entrer et combattre au Kosovo nécessiterait un délai d'au moins un mois et demi à supposer qu'une décision politique soit prise dans ce sens, ce qui n'était pas le cas. Indépendamment de toute autre considération, et notamment de la décision des Etats-Unis d'écarter l'hypothèse d'une intervention terrestre, le ministre a estimé que les actions aériennes étaient plus rapides à déployer qu'une force terrestre pour paralyser les capacités yougoslaves de manoeuvre sur le territoire du Kosovo.

M. Alain Richard a conclu en soulignant que l'action militaire avait été mûrement réfléchie  et que ses inconvénients devaient être comparés à ceux qu'aurait entraînés l'inaction. Ces opérations militaires ne constituaient pas, pour le ministre, une fin en soi. Elles n'étaient que le moyen d'atteindre un objectif politique. La disponibilité des dirigeants yougoslaves à un accord politique équilibré entraînerait immédiatement l'arrêt de l'action militaire entreprise.

A la suite de l'exposé du ministre, un débat s'est engagé avec les membres de la commission.

M. Paul d'Ornano, citant le précédent du Vietnam, a émis des doutes sur l'efficacité des frappes aériennes pour faire fléchir le Président Milosevic. Il s'est interrogé sur les perspectives ouvertes par les démarches diplomatiques de la Russie.

M. Jean-Luc Bécart, après avoir souligné les efforts diplomatiques du Gouvernement français et reconnu que le Président Milosevic portait la responsabilité principale de la situation actuelle, a contesté la décision des pays de l'Alliance de recourir à la force. Il a observé que les frappes aériennes n'avaient pas empêché l'offensive serbe sur le Kosovo. Il s'est déclaré persuadé que le règlement de cette question exigeait qu'elle soit désormais traitée au sein de l'Organisation des Nations unies et passait par une restauration de l'autorité du Conseil de sécurité.

M. Aymeri de Montesquiou, après avoir rendu hommage aux efforts de la diplomatie française, a estimé que les pays de l'Alliance s'étaient trouvés devant un choix difficile, compte tenu des conséquences qu'aurait entraînées une absence d'intervention militaire. Il s'est toutefois demandé si les opérations militaires entreprises n'avaient pas provoqué une escalade, les bombardements conduisant les forces serbes à accentuer leurs exactions. Il a demandé au ministre s'il pouvait confirmer qu'en cas d'intervention terrestre, les forces nécessaires devraient rassembler entre 100.000 et 200.000 hommes et si l'on pouvait chiffrer les pertes envisageables dans une telle hypothèse.

M. Christian de La Malène a demandé si les frappes aériennes pourraient continuer à se limiter aux objectifs militaires dans le cas où les forces serbes seraient dispersées dans les villes et les villages au sein de la population civile.

M. André Dulait a souhaité savoir si le Gouvernement craignait des risques d'attentats sur le sol français liés à notre engagement dans les opérations en République fédérale de Yougoslavie.

M. André Rouvière a interrogé le ministre sur les circonstances de la destruction de l'avion furtif F 117 américain. Il lui a demandé s'il avait été envisagé de fournir une assistance à l'UCK pour lui permettre de se défendre et si l'évolution de la situation sur le terrain pouvait déboucher sur un partage du Kosovo.

M. Robert Del Picchia a demandé des précisions sur les moyens que la France pourrait mettre à disposition des forces alliées dans l'hypothèse d'une intervention terrestre.

M. Pierre Mauroy a manifesté son accord avec les positions du Gouvernement et avec la participation française à l'intervention de l'Alliance. Rappelant les nombreuses accusations de faiblesse et d'impuissance portées à l'encontre des Occidentaux avant que ceux-ci décident d'intervenir en Bosnie, il s'est étonné des critiques en sens inverse actuellement émises à l'encontre des alliés qui avaient choisi la fermeté face aux dérives inacceptables du régime nationaliste de Belgrade. Il a considéré que les pays occidentaux ne pouvaient rester inertes face aux massacres entrepris au Kosovo par les forces de répression serbes.

Mme Danielle Bidard-Reydet a constaté que les Kosovars étaient, au bout du compte, les principales victimes de la situation créée par les bombardements. Elle s'est inquiétée des risques d'extension du conflit dans la zone des Balkans. Citant la déclaration du Président des Etats-Unis écartant tout engagement au sol de soldats américains, elle s'est demandé si les Européens devraient supporter seuls une éventuelle intervention terrestre. Elle a souhaité savoir si, en dehors de la visite de ce jour de M. Primakov à Belgrade, d'autres initiatives avaient été prises ou étaient envisagées en vue de la recherche d'une solution politique.

M. Michel Caldaguès, s'étonnant des conditions dans lesquelles le secrétaire général de l'OTAN avait annoncé le déclenchement des frappes aériennes, a souhaité que soit clarifié le processus de décision d'engagement des forces si une intervention terrestre venait à être décidée.

M. Philippe de Gaulle s'est également interrogé sur les conditions d'engagement des forces françaises au regard des dispositions constitutionnelles et compte tenu notamment de l'absence de consultation du Parlement, et s'est interrogé sur leur compatibilité avec notre statut au sein de l'Alliance atlantique.

M. Jean Faure a mis en doute l'efficacité d'une intervention terrestre dans l'hypothèse où les objectifs recherchés par l'Alliance ne seraient pas atteints à l'issue de la phase 2 des opérations entreprises.

M. Xavier de Villepin, président, a replacé l'intervention actuelle dans le contexte des réflexions sur l'évolution de l'OTAN, constatant que l'Alliance atlantique n'était plus seulement une organisation de défense collective. Il s'est interrogé sur la révision du concept stratégique en cours de négociation et s'est demandé si le sommet de Washington devant commémorer le 50e anniversaire de l'OTAN pourrait avoir lieu si la crise actuelle n'était pas résolue.

A la suite de ces différentes interventions, M. Alain Richard, ministre de la défense, a tout d'abord précisé les conditions qui avaient présidé à la décision d'engager les forces françaises.

Il a rappelé que, le 23 septembre 1998, dans sa résolution 1199, le Conseil de sécurité des Nations unies avait exigé des autorités de Belgrade qu'il soit mis fin aux hostilités et aux actions frappant les populations civiles au Kosovo. Le 13 octobre 1998, a-t-il poursuivi, le Conseil de l'Alliance atlantique, unanime, avait adopté le principe de la mise en oeuvre des actions actuellement en cours, leur déclenchement étant délégué au secrétaire général de l'Alliance. Mise en sommeil pendant le déroulement des pourparlers qui ont conduit aux discussions de Rambouillet, cette délégation avait été réactivée dès lors que toutes les voies de négociation avaient été épuisées du fait du blocage provoqué par la partie serbe.

Le ministre de la défense a ensuite rappelé que c'est le Président de la République, en tant que chef des armées, qui avait pris la décision d'engager les forces françaises. Il a souligné que les décisions d'emploi de la force restaient à tout moment sous le contrôle des autorités gouvernementales des différents pays de l'Alliance et que c'était dans ce cadre que la France avait choisi de contribuer volontairement à une action dont elle partageait les objectifs. Il a rappelé que les mêmes conditions régissaient, depuis quatre ans, la participation française en Bosnie. S'agissant des considérations fréquemment émises sur la suprématie américaine au sein de l'Alliance atlantique, il a rappelé le principe fondamental de fonctionnement de l'Alliance : les représentants de chaque Etat y exercent sur un pied d'égalité l'autorité suprême. Mais le ministre a estimé que l'impression de suprématie américaine serait confortée si les Européens faisaient preuve de division et d'indécision.

Répondant aux interrogations sur l'efficacité des frappes aériennes entreprises par l'OTAN, M. Alain Richard a souligné qu'à l'issue de l'échec des discussions de Rambouillet, aucune option politique crédible n'apparaissait plus en mesure d'éviter les exactions et les massacres au Kosovo, aux abords duquel les autorités de Belgrade avaient concentré des moyens militaires et rassemblé leurs forces spéciales. Il a estimé à cet égard indispensable de s'interroger sur les conséquences qu'aurait entraînées une décision de non-intervention. Il a souhaité que se manifeste dans notre pays, au sein des forces politiques et de la représentation nationale, un esprit de cohésion autour d'une décision qui, pour être difficile, n'en était pas moins nécessaire.

Le ministre de la défense a ensuite fourni des précisions sur les résultats obtenus par les frappes aériennes. S'agissant des forces aériennes yougoslaves les plus performantes, la moitié d'entre elles étaient hors de combat, alors que près de la moitié des missiles antiaériens du pays avaient été neutralisés. Il a estimé, que d'ici peu, les forces de l'Alliance seraient en mesure de maîtriser l'espace aérien serbe à l'exception des basses altitudes où les appareils seront à portée des capacités tactiques sol-air serbes. Il a considéré que les capacités de commandement et de coordination de l'armée serbe étaient d'ores et déjà très altérées. Il a ajouté que la phase 2 de l'opération viserait principalement les forces terrestres serbes au Kosovo, cette phase devant nécessairement prendre du temps afin d'éviter de porter atteinte aux populations civiles. Il a, à ce propos, relevé que les autorités serbes elles-mêmes n'avaient jusqu'à présent fait état d'aucune conséquence des frappes sur les populations civiles.

M. Alain Richard a considéré qu'à l'issue de la phase 2 des opérations entreprises, l'appareil militaire et répressif serbe serait désorganisé et dans l'incapacité de faire mouvement. Il a toutefois souligné que cette phase exigerait du temps et qu'il convenait donc de faire preuve de toute la détermination nécessaire pour atteindre l'objectif visé.

En ce qui concerne le risque d'action terroriste en France, le ministre de la défense a estimé que celui-ci était réduit compte tenu de la bonne intégration de la communauté serbe en France, mais que le Gouvernement restait vigilant et que toutes les précautions nécessaires étaient prises.

Il a écarté l'éventualité d'une assistance matérielle à l'UCK dans la mesure où cela serait contraire à l'objectif poursuivi par le groupe de contact qui était de favoriser la coexistence de communautés différentes sur un même territoire.

Il a enfin déclaré que la France encourageait les initiatives diplomatiques entreprises par la Russie. Il a rappelé que les Russes étaient solidaires du cadre politique élaboré par le groupe de contact, à savoir l'autonomie substantielle du Kosovo assortie d'une présence militaire internationale. Il a estimé que Moscou ne pouvait maintenir une solidarité trop étroite avec le régime du Président Milosevic sans compromettre son souci de retrouver un rôle sur la scène internationale.

Mercredi 31 mars 1999

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président, puis de M. Charles-Henri de Cossé-Brissac, vice-président .

Nomination de rapporteur

La commission a tout d'abord désigné M. Xavier Pintat comme rapporteur des projets de loi n° 277 (1998-1999) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie et n° 278 (1998-1999) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Thaïlande.

Situation au Kosovo - Communication du président de la commission

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite informé les membres de la commission de la réunion à laquelle il devait participer aujourd'hui avec M. le Premier ministre sur la situation au Kosovo et de son déplacement, ce même jour, à l'invitation de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la base aérienne d'Istrana (Italie) ainsi que sur le porte-avions Foch, en mer Adriatique, afin de rencontrer les forces françaises participant au dispositif mis en place par l'Alliance dans le cadre de l'opération " force alliée ".

Droit international - Cour pénale internationale - Audition de M. Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères, sur le thème " diplomatie, défense et justice pénale internationale ".

M. Ronny Abraham a d'abord fait observer que la Cour pénale internationale (CPI) constituerait la première juridiction criminelle internationale à caractère permanent. L'idée en était pourtant ancienne, puisqu'elle remontait à l'entre-deux guerres. Un projet avait ensuite été élaboré en 1947, a-t-il rappelé, par la Commission du droit international de l'ONU, mais la situation née de la guerre froide avait empêché son aboutissement. La réflexion sur le sujet s'était ensuite accélérée vers le début des années 1990, surtout à l'occasion de la mise en place, par des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, des deux tribunaux spéciaux sur la Yougoslavie et le Rwanda, qui n'ont au demeurant qu'un caractère temporaire. M. Ronny Abraham a alors précisé que les négociations engagées entre les gouvernements sur le statut de la CPI ont finalement abouti le 18 juillet 1998 par l'adoption de la convention de Rome, approuvée par 120 voix pour, 7 contre et 21 abstentions.

M. Ronny Abraham a ensuite abordé le contenu du statut de la Cour pénale internationale.

S'agissant de la définition de la compétence rationae materiae de la Cour, celle-ci aura à juger les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes d'agression. Deux de ces incriminations, a rappelé M. Ronny Abraham, ont un régime particulier dans le statut : la définition du crime d'agression relèvera d'un futur avenant au statut de Rome, qui fera l'objet d'une nouvelle convention ; s'agissant des crimes de guerre, une clause transitoire prévoit que, par déclaration spéciale, des Etats pourront exclure pendant une durée de 7 ans la compétence de la Cour pour les crimes de guerre les concernant. La définition des crimes relevant de la compétence de la CPI, déjà assez précise dans le statut, fera l'objet d'une négociation complémentaire destinée à donner des indications à la future juridiction sur leur interprétation et leur qualification pénale.

Pour ce qui est de la compétence ratione loci et ratione personae, la Cour sera compétente dans trois hypothèses alternatives :

- si la personne mise en cause a la nationalité d'un Etat partie ;

- si le crime a été commis sur le territoire d'un Etat partie ;

- si la Cour est saisie par le Conseil de sécurité et, dans ce cas, quel que soit l'Etat de nationalité de l'auteur du crime ou l'Etat sur le territoire duquel le crime aura été commis.

M. Ronny Abraham a alors rappelé que la France avait eu initialement une position réservée sur la clause de compétence de la Cour, plaidant pour la réalisation cumulative de trois critères : le consentement de l'Etat de la victime, de l'Etat de commission du crime et de l'Etat de l'auteur du crime, tous trois devant être parties au statut. L'adoption d'une disposition provisoirement restrictive de compétence sur les crimes de guerre avait toutefois permis à la France d'abandonner cette exigence de " triple consentement ".

La procédure de la CPI sera fondée -a précisé M. Ronny Abraham-, sur la double compétence du procureur et de la Cour elle-même, à travers une chambre préliminaire à caractère collégial. Le procureur pourra saisir la Cour mais ne pourra ouvrir une enquête qu'après aval de cette chambre. De même, la Cour pourra également être saisie par un Etat partie ou par le Conseil de sécurité de l'ONU.

La France, a relevé M. Ronny Abraham, a souhaité et obtenu que la future juridiction, à travers la chambre préliminaire, ait un rôle dans le suivi des procédures d'enquête, au contraire de ce qui se passe dans les tribunaux pénaux internationaux ad hoc. Cette chambre autorisera l'ouverture de l'enquête, supervisera certains actes du procureur (comme les arrestations) et appréciera, avant l'ouverture du procès, l'existence de charges suffisantes.

M. Ronny Abraham a alors souligné que la CPI s'inscrivait dans une logique de complémentarité avec les juridictions nationales : la CPI n'interviendrait que si les tribunaux nationaux ne pouvaient ou ne voulaient pas procéder au jugement d'un de leurs nationaux. La Cour serait, dans ce cadre, également compétente si ces juridictions nationales étaient dans l'impossibilité légale de procéder au jugement du fait, par exemple, de leurs règles légales de prescription ou d'amnistie.

Enfin, les Etats avaient, de par le statut de la CPI, une obligation formelle de coopérer avec elle.

M. Ronny Abraham a enfin rappelé que le Conseil constitutionnel avait relevé que trois points du statut rendaient nécessaire un aménagement de la Constitution française : celui de la responsabilité pénale du Président de la République, des membres du Gouvernement et du Parlement ; celui des prescriptions ou des lois d'amnistie ; enfin, celui de certains pouvoirs d'enquête du procureur sur le territoire national.

Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.

M. André Dulait a souhaité savoir si d'autres Etats avaient fait part de leur intention de recourir à la formule de la déclaration spéciale sur les crimes de guerre ; il a interrogé M. Ronny Abraham sur l'hypothèse d'une telle clause limitant, à titre provisoire, la compétence de la CPI en matière de crimes d'agression.

M. Robert Del Picchia a émis des doutes sur la crédibilité de la CPI dès lors que des Etats très importants - la Chine, l'Inde et les Etats-Unis- ne seraient pas parties au statut.

M. Hubert Durand-Chastel a demandé des précisions sur les raisons du refus du texte par les Etats-Unis. Il s'est interrogé sur les conséquences d'actes commis par des militaires agissant sur ordre.

M. Christian de la Malène s'est inquiété de ce que les Etats avaient souvent une conception différente des crimes entrant dans la compétence de la Cour, ce qui, à son avis, affecterait le fonctionnement de la Cour pénale internationale.

M. Xavier de Villepin, président, s'est enquis des conditions dans lesquelles un responsable politique ou militaire pourrait être traduit devant la Cour pénale internationale ; il s'est inquiété des incidences de la création de la CPI sur la souveraineté des Etats.

M. Ronny Abraham, répondant aux intervenants, a alors apporté les précisions suivantes.

Tout système de juridiction internationale entraînait, par définition, une certaine limitation de la souveraineté des Etats, sachant que l'adhésion à la CPI relevait en elle-même d'un acte de libre volonté. Après la ratification, un Etat serait soumis à la volonté d'un organe supranational sur les décisions duquel il n'avait pas de véritable contrôle. Cela étant, a estimé M. Ronny Abraham, le statut établissait un équilibre entre la souveraineté des Etats et les prérogatives de la CPI, le principe de complémentarité entre celle-ci et les juridictions nationales tenant un rôle important dans ce dispositif. La France, en particulier, n'aurait pas à redouter d'atteintes réelles et sérieuses à sa souveraineté.

S'agissant de la responsabilité d'un militaire agissant sur ordre, M. Ronny Abraham a évoqué l'article 33 du statut précisant que l'auteur d'un crime ne saurait s'abriter derrière un ordre supérieur, sauf s'il avait une obligation légale d'obéissance, qu'il ignorait que l'ordre était illégal ou que celui-ci n'ait pas été manifestement illégal.

D'une façon générale, a précisé M. Ronny Abraham, c'est l'auteur direct des crimes qui verra sa responsabilité pénale engagée. Des responsables militaires ou civils ne pourraient être pénalement mis en cause que s'ils avaient intentionnellement ordonné la commission du crime ou si, en ayant eu connaissance, ils s'étaient délibérément abstenus d'y mettre un terme. La responsabilité politique à proprement parler était écartée.

M. Ronny Abraham a alors indiqué que l'hypothèse d'une disposition transitoire restrictive de la compétence de la Cour pénale internationale  sur le crime d'agression n'était pas, pour l'heure, envisagée. Elle ne serait pas nécessaire, a-t-il estimé, dans la mesure où le nouveau texte sur les crimes d'agression ne liera que les Etats qui l'auront ratifié.

Le refus des Etats-Unis de voter le statut de la CPI se fonde, a précisé M. Ronny Abraham, sur une conception très stricte de la souveraineté, rejetant absolument l'hypothèse du jugement d'un citoyen américain par un tribunal autre que national.

M. Ronny Abraham a enfin noté qu'il n'était pas possible d'indiquer à ce jour quels pays avaient l'intention de recourir à la déclaration spéciale relative aux crimes de guerre.

Défense - Organisation de la réserve militaire et du service de défense - Audition de M. Guy Tessier, député, ancien parlementaire en mission auprès du Premier ministre

La commission a ensuite entendu M. Guy Teissier, député, ancien parlementaire en mission auprès du Premier ministre, sur le projet de loi n° 171 (1998-1999) portant organisation de la réserve militaire et du service de défense.

M. Guy Tessier a d'abord relevé que le projet de loi sur les réserves constituait le dernier pilier de la professionnalisation de nos armées. Il a observé que la suspension du service national obligatoire avait fait entrer notre système de défense dans une ère nouvelle, dont toutes les conséquences n'avaient pas encore été mesurées. Il a jugé qu'il fallait concevoir, pour les réserves, un nouveau concept d'emploi et des modalités d'organisation et de gestion adaptées. Il a rappelé, qu'à la demande du premier ministre et du ministre de la défense, il avait préparé, en 1996, un rapport sur la réforme des réserves.

M. Guy Tessier a alors insisté sur la nécessité de revenir aux sources de la notion de défense globale contenue dans l'ordonnance de 1959 qui prévoit notamment d'associer toutes les forces, militaires et civiles, qui concourent à la sécurité du pays. Il a estimé que le recours à la réserve permettait de disposer des moyens adaptés aux besoins sans qu'il soit nécessaire d'entretenir en permanence les personnels intéressés qui doivent les mettre en oeuvre.

M. Guy Tessier a ensuite évoqué l'inadaptation du système des réserves tel qu'il se présentait au début de la présente décennie, en rappelant notamment que 4 millions de réservistes étaient répertoriés et gérés dans les bureaux du service national et les centres mobilisateurs, sans que la situation personnelle de ces personnes soit véritablement connue. Il a par ailleurs noté que, dans le cadre de la réforme de nos armées, la réduction des effectifs professionnels rendrait nécessaire le recours à la réserve qui devait donc être parfaitement identifiée et instruite.

Abordant ensuite le projet de loi sur les réserves, M. Guy Tessier a considéré que ce texte s'inspirait sur plusieurs points de la proposition de loi qu'il avait lui-même présentée à l'Assemblée nationale. Il s'est notamment félicité de la mention faite du lien entre l'armée et la nation, ainsi que des dispositions relatives à l'accès à la qualité de réserviste, au principe de l'honorariat du grade, à la qualité militaire du réserviste, à l'emploi des spécialistes ou encore aux relations avec les employeurs. Il a en revanche regretté que le Gouvernement n'ait pas retenu la suggestion qu'il avait faite de distinguer une réserve hautement disponible et une réserve à l'organisation plus traditionnelle. Revenant sur l'accord que le réserviste et l'employeur doivent donner pour que la durée dans la réserve puisse être, en cas de nécessité, prolongée au-delà des limites normales, il a estimé qu'il devait être donné non pas a posteriori comme c'est le cas dans le projet de loi actuel, mais a priori, dans le cadre d'un accord préalable de disponibilité. Il a déploré en outre que le Gouvernement ait écarté le principe d'une obligation de disponibilité pour le personnel des entreprises civiles oeuvrant dans le secteur de la défense. Il a ainsi jugé que le projet de loi ne répondait pas aux ambitions affichées par le Gouvernement et contenues dans l'exposé des motifs du texte. Il a attiré l'attention sur les défis que représenterait la nécessité de susciter des adhésions volontaires à servir dans la réserve en nombre suffisant, ainsi que la mise en place indispensable d'un véritable partenariat entre la défense et le monde de l'entreprise.

M. Guy Tessier a craint, en conclusion, que le projet de loi ait été élaboré à partir de contraintes budgétaires fixées par le ministère de l'économie et des finances.

A la suite de l'exposé de M. Guy Tessier, M. Serge Vinçon, rapporteur, a souhaité connaître son sentiment sur l'équilibre réalisé par le projet de loi entre l'intérêt des réservistes et celui des entreprises, s'agissant notamment de l'autorisation d'absence de droit d'une durée de cinq jours actuellement prévue par le texte. Il a également interrogé M. Guy Tessier sur le rôle de la deuxième réserve, sur l'opportunité de reconnaître dans la loi la possibilité pour les réservistes de participer à des opérations extérieures et, enfin, sur les perspectives de recrutement de réservistes pour occuper des emplois de militaire du rang.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé M. Guy Tessier sur les moyens financiers prévus pour les réserves dans la loi de programmation et sur les délais de convocation des réservistes de la gendarmerie.

M. Robert Del Picchia a souhaité connaître le sentiment de M. Guy Tessier sur les leçons à tirer de la pratique suisse des réserves.

M. Guy Tessier, en réponse aux commissaires, a apporté les précisions suivantes :

- le système des réserves suisses, issu d'une armée de conscription, présentait une forte spécificité et paraissait difficilement transposable dans notre pays ;

- la mise en place d'une réserve hautement disponible, dont l'équipement et l'entraînement seraient alignés sur les pratiques de l'armée d'active, apparaissait indispensable et ne pouvait pas s'appuyer sur la distinction faite dans le projet de loi entre première et deuxième réserves ;

- le recrutement de réservistes appelés à occuper des postes de militaires du rang se présentait sous des auspices peu favorables ; toutefois, les volontaires qui ont fait le choix de s'engager dans les armées sur la base d'un contrat de courte durée représentaient un vivier utile pour la réserve et l'un des instruments indispensables à même de faire perdurer le lien armée-nation ; il restait cependant aux pouvoirs publics à engager un véritable effort de sensibilisation pour encourager le volontariat dans la réserve ;

- l'organisation des réserves au Canada pouvait fournir d'utiles exemples ; ainsi, le système des " cadets " destiné aux adolescents donnait à ces derniers le sens du civisme et les préparait à l'engagement au sein des réserves ; la réserve jouait dans ce pays un rôle essentiel dans la surveillance du territoire ; toutefois, les responsabilités dévolues aux réservistes pouvaient aussi présenter un caractère dissuasif vis-à-vis de l'employeur au moment de l'embauche ;

- la possibilité pour les réservistes de participer à des opérations extérieures pourrait être explicitée dans le texte même du projet de loi ;

- la durée de cinq jours pour une autorisation d'absence de droit pour participer à des activités dans les réserves représentait un minimum, quinze jours pouvant constituer une formule plus souple et plus adaptée ;

- les crédits actuellement destinés aux réserves apparaissaient très insuffisants au regard de la volonté de mettre en oeuvre une véritable réforme des réserves ;

- les délais de convocation des réserves de la gendarmerie devaient prendre en compte la nécessité pour la gendarmerie d'assumer des missions s'apparentant à la défense opérationnelle du territoire (DOT) qui n'entraient pas dans le cadre de ses responsabilités habituelles ; à cette fin, il serait sans doute d'ailleurs utile que soit créé au sein de la gendarmerie un état-major adapté à de telles missions.

Traités et conventions - Convention sur la sécurité du personnel des Nations unies - Examen du rapport

La commission a enfin examiné le rapport de M. Aymeri de Montesquiou sur le projet de loi n° 23 (1998-1999) autorisant la ratification de la convention sur la sécurité du personnel des Nations unies et du personnel associé.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur, a tout d'abord précisé que cette convention s'inscrivait dans le contexte d'un risque croissant pour les personnels de l'ONU et des organisations humanitaires engagés sur les différents théâtres opérationnels. Ces personnels font, en effet, a déploré le rapporteur, l'objet d'agressions délibérées, destinées à déstabiliser les interventions de l'ONU auxquelles ils participent. M. Aymeri de Montesquiou a, à cet égard, cité des statistiques alarmantes, attestant que la convention du 9 décembre 1994 -qui fait l'objet du présent projet de loi- répondait à un véritable besoin.

Commentant les causes de cette évolution, le rapporteur a mentionné le caractère malaisément maîtrisable des conflits de l'après-guerre froide, qui n'obéissent plus à des repères clairs ni à des chaînes de commandement structurées. Il a également rappelé l'incidence de la composante identitaire de nombreux conflits, qui tend à considérer les populations civiles comme enjeu d'affrontements et, en conséquence, à traiter comme des ennemis ceux qui s'efforcent de protéger les populations civiles.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur, a ensuite présenté une analyse du contenu de la convention du 9 décembre 1994, évoquant successivement la définition des personnels concernés, des infractions visées et des obligations souscrites par les parties. A cet égard, le rapporteur a relevé l'obligation, pour les personnels, de respecter le caractère impartial de leur mission et de porter sur eux des documents d'identification. Il a souligné l'obligation faite à l'Etat hôte de " relâcher promptement " les personnels de l'ONU et des organisations humanitaires associées qui auraient été capturés et détenus dans l'exercice de leur mission, et de traiter ces personnels dans l'esprit des conventions de Genève.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur, a alors mentionné les stipulations de la convention concernant la coopération pénale entre les parties, dont l'objet est d'assurer la répression des coupables des infractions visées par la convention, notamment en garantissant leur extradition.

Le rapporteur a ensuite commenté les incertitudes affectant le champ d'application de la convention du 9 décembre 1994, s'agissant, pour l'essentiel, du fondement juridique des opérations onusiennes concernées. Il s'est notamment interrogé sur l'application de la convention à des opérations fondées en partie sur le chapitre VII de la Charte des Nations unies, en contradiction apparente avec l'article 2-2 de la convention. M. Aymeri de Montesquiou a également soulevé le problème posé, selon lui, par les doutes sur l'application de la convention à un cas tel que l'enlèvement, en Ossétie, de M. Vincent Cochetel, qui dirigeait le bureau du Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés à Vladikavkaz. En effet, le Caucase n'étant pas considéré comme une région induisant un " risque exceptionnel " au sens de l'article 1er de la convention, il n'est pas établi, a regretté le rapporteur, que la convention du 9 décembre 1994 aurait pu s'appliquer en l'espèce.

En conclusion, le rapporteur a estimé qu'en dépit des ambiguïtés concernant le champ d'application de la convention sur la sécurité du personnel des Nations unies et du personnel associé, celle-ci n'en traduisait pas moins une évolution positive vers une prise de conscience vigilante des difficultés liées à une intervention internationale dans des régions sensibles.

A l'issue de cet exposé, M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur, en réponse à M. Robert Del Picchia, a jugé améliorable le texte de la convention du 9 décembre 1994, tout en relevant que l'adoption d'un éventuel avenant n'était pas, à ce jour, envisagée.

M. Hubert Durand-Chastel est alors revenu avec le rapporteur sur les progrès permis par cette convention, et a jugé que les incertitudes liées à la définition de son champ d'application pourraient être ultérieurement levées en procédant à des modifications d'un texte dont il convenait, pour l'heure, d'autoriser la ratification.

La commission a alors, suivant l'avis de son rapporteur, approuvé le projet de loi qui lui était soumis.