Table des matières

  • Mardi 6 juillet 1999
    • Nomination de rapporteur
    • Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères

Mardi 6 juillet 1999

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Nomination de rapporteur

La commission a tout d'abord désigné M. Hubert Durand-Chastel comme rapporteur sur le projet de loi n° 479 (1998-1999) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis du Mexique sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.

Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères

Elle a ensuite entendu M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Le ministre des affaires étrangères s'est d'abord félicité de la désignation de M. Bernard Kouchner à la tête de l'administration civile internationale transitoire du Kosovo, qui constitue, tout à la fois, un hommage à l'action accomplie par la France dans le déroulement de la crise et une reconnaissance des qualités propres de M. Kouchner. Il a souligné l'importance d'une mise en oeuvre rapide de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, afin de restaurer un climat de sécurité au Kosovo et de permettre aux différentes communautés de cohabiter. Il a précisé que la France serait très attentive à l'évolution de la situation politique et diplomatique, qui continuait d'être suivie de près par le ministère des affaires étrangères, et il a indiqué qu'une coordination était sur le point d'être mise en place au plan interministériel dans le domaine de l'aide à la reconstruction.

Evoquant alors la situation intérieure en Serbie, M. Hubert Védrine a estimé que des oppositions s'étaient manifestées localement sans toutefois s'organiser pour représenter, à ce jour, une alternative au pouvoir en place. Il a ajouté que la question de l'aide à la Serbie et des contacts politiques à nouer avec les autorités de ce pays faisait l'objet d'une concertation entre l'Europe, les Etats-Unis et la Russie. Le ministre des affaires étrangères a par ailleurs observé, s'agissant de la Russie, que celle-ci ne discutait plus, ni du principe ni de l'objectif de la présence internationale civile et militaire au Kosovo, mais seulement de la place qu'elle y occuperait. M. Hubert Védrine a rappelé que la France avait, comme ses partenaires, et ce, constamment, refusé la solution de l'indépendance du Kosovo afin de ne pas risquer de provoquer une réaction en chaîne qui déstabiliserait l'ensemble de la région.

Le ministre des affaires étrangères a alors répondu aux questions des commissaires.

M. André Rouvière s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles la France coordonnait au niveau interministériel les initiatives à prendre pour favoriser la reconstruction économique du Kosovo. M. Hubert Védrine a précisé que cette coordination portait notamment sur ces questions économiques et viserait à obtenir une vue d'ensemble sur les besoins de la province, ainsi que sur l'aide qui pouvait être apportée par les bailleurs de fonds internationaux. Il a toutefois observé que l'effort de reconstruction ne susciterait pas de très grands contrats, dans la mesure où les destructions d'infrastructures au Kosovo avaient revêtu, pour l'essentiel, un caractère ponctuel. S'agissant de la Serbie, le ministre des affaires étrangères a relevé qu'un consensus s'était établi de manière implicite au sein du G8 pour accorder une aide humanitaire sans condition et pour rejeter, en revanche, toute perspective d'investissement économique d'avenir avec le régime politique en place ; la discussion portait toutefois sur les conditions de reconstruction des infrastructures économiques de ce pays, pour lesquelles la France préconisait un examen au cas par cas.

M. Hubert Védrine a indiqué, à l'intention de M. Robert del Picchia, que les forces russes au Kosovo devaient prendre place dans les secteurs français, américain et allemand. Il a observé que la France avait eu pour souci d'éviter qu'une politique différente soit conduite dans les différents secteurs et précisé qu'à cette fin des officiers de liaison assuraient la coordination entre les responsables des différents secteurs. Il ajouté que les Russes étaient complètement intégrés à ce dispositif.

M. Emmanuel Hamel a interrogé le ministre sur le coût prévisible de l'opération au Kosovo sur l'année, ainsi que sur les conditions dans lesquelles serait pris en charge dans le budget le financement d'opérations appelées à perdurer sur plusieurs années. Il s'est inquiété par ailleurs des conséquences, pour le budget de la défense, de la charge financière que représenterait cette opération militaire. M. Hubert Védrine a indiqué que l'effort de restructuration ferait intervenir l'Union européenne et d'autres bailleurs de fonds internationaux, tels que la Banque mondiale. Il a précisé que, s'agissant de l'administration civile, les contributions nationales reposeraient sur le budget des opérations de maintien de la paix des Nations unies. Il a toutefois estimé qu'il était difficile d'établir, dès aujourd'hui, une évaluation précise du coût financier de l'ensemble de l'opération internationale au Kosovo.

Le ministre des affaires étrangères a précisé, à l'intention de Mme Paulette Brisepierre, que les effectifs des forces russes au Kosovo s'établiraient entre 3.000 et 3.500 hommes. Il a également indiqué à M. Hubert Durand-Chastel, qui s'interrogeait sur la présence de la gendarmerie française au Kosovo ainsi que sur l'envoi d'un bataillon du Génie français dans la province, que la gendarmerie nationale avait principalement pour vocation la formation de forces de police, ainsi que la responsabilité d'opérations de police judiciaire et de missions de prévôté, et que le bataillon du Génie limiterait son intervention à des opérations ponctuelles de reconstruction.

M. Aymeri de Montesquiou a souhaité savoir si le renforcement apparent des relations de la France avec l'OTAN n'avait pas limité la marge de manoeuvre de la diplomatie française et altéré notamment la qualité de la relation franco-russe. M. Hubert Védrine a estimé que la spécificité de la position française vis-à-vis de l'OTAN avait été préservée et que notre pays ne pourrait se trouver engagé malgré lui dans une opération décidée par cette organisation. Il a relevé, par ailleurs, que le recours nécessaire à des capacités militaires américaines n'avait pas affecté la capacité d'initiative de la France. Il a souligné en outre que les relations avec la Russie avaient été préservées, notamment à travers le recours à une instance telle que le G8. Il a ajouté que le souci de la France de réaffirmer le rôle du Conseil de sécurité avait finalement prévalu, comme le soulignait l'adoption de la résolution 1244.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité savoir si les accords de Rambouillet n'avaient pas posé des conditions très difficiles à accepter par les Serbes. Il s'est inquiété en outre du rôle joué par l'UCK au Kosovo. M. Hubert Védrine a d'abord observé que les accords de Rambouillet résultaient de plusieurs mois de négociations. Il a relevé que le groupe de contact s'était accordé, d'une part, pour reconnaître la nécessité d'une autonomie substantielle pour le Kosovo et, d'autre part, sur la mise en place d'une force internationale pour permettre la coexistence entre les communautés. Il a précisé qu'il n'existait pas de force internationale qui puisse constituer une alternative à l'OTAN et que, de toute manière, toute présence militaire était en soi récusée par les Serbes. M. Hubert Védrine a estimé que les accords de Rambouillet auraient représenté le seul moyen de sauvegarder l'intégrité de la Yougoslavie en organisant une coexistence entre les communautés et que la responsabilité de l'échec de ces accords et de l'intervention militaire qui avait suivi était à mettre au compte des autorités serbes. Le ministre des affaires étrangères a par ailleurs noté que la mise en place d'une administration civile internationale au Kosovo visait en particulier à encadrer dans des bornes très étroites le rôle de l'UCK, qui allait par ailleurs être désarmée.

M. Michel Caldaguès, évoquant le volet diplomatique de la crise du Kosovo, a déploré un certain manque de transparence et a demandé des clarifications sur les clauses de l'accord de Rambouillet et sur la réalité de la position russe au cours de la crise. S'agissant de l'accord de Rambouillet, il s'est étonné qu'aucune autorité française n'ait jamais signalé qu'il contenait des clauses de libre déplacement des forces de l'OTAN sur le territoire yougoslave extrêmement sévères pour la Serbie. De même, il a relevé que la Russie ne s'était pas montrée aussi proche des vues occidentales que l'avaient prétendu les autorités françaises.

M. Hubert Védrine a précisé qu'à aucun moment les Serbes n'avaient soulevé la question des clauses de libre circulation des troupes de l'OTAN sur leur territoire, le désaccord étant plus fondamental et provenant du refus, catégoriquement exprimé par M. Milosevic lui-même, de toute force internationale, quelle qu'elle soit, au Kosovo, y compris d'une force relevant des Nations unies. Il a donc estimé qu'il était erroné de prétendre que cette question de libre circulation des troupes de l'OTAN sur le territoire de la Serbie avait pu jouer un rôle dans l'échec des négociations de Rambouillet.

Après que M. Michel Caldaguès eut souligné l'importance que revêtait néanmoins une telle clause et rappelé que le général de Gaulle avait décidé le retrait de notre pays de l'organisation militaire intégrée de l'OTAN pour une raison comparable, M. Hubert Védrine a considéré que ce retrait de la France répondait à des motifs profondément différents, liés au fonctionnement de l'OTAN, même si la question de la présence sur notre territoire d'armes nucléaires tactiques avait pu fournir l'occasion de marquer ces désaccords. Il a précisé que la clause prévue à Rambouillet sur la libre circulation des troupes de l'OTAN en territoire serbe était rigoureusement identique à celle figurant, pour la Bosnie-Herzégovine, dans l'accord de Dayton. Il a alors confirmé que l'échec des négociations de Rambouillet résultait du refus constant des autorités de Belgrade de toute force internationale au Kosovo, cette opposition de principe ayant d'ailleurs empêché l'examen des aspects relatifs à la composition ou au commandement de la force et, a fortiori, au statut des troupes de l'OTAN sur le territoire yougoslave.

S'agissant de la position des autorités russes, le ministre des affaires étrangères a reconnu que, tout en condamnant le régime serbe, celles-ci étaient défavorables à l'intervention de l'OTAN et très préoccupées par ses répercussions sur la situation politique intérieure russe. Il a toutefois estimé que la diplomatie française ne s'était pas trompée en faisant le pari stratégique que la politique étrangère russe garderait pour objectif majeur la préservation de la coopération avec les Occidentaux. Il a ajouté que c'était bien cette ligne qui avait finalement prévalu.

M. Hubert Védrine a ensuite évoqué les derniers développements du conflit indo-pakistanais au Cachemire. Il a rappelé les conditions historiques dans lesquelles, après l'indépendance, l'Inde avait tenté de conserver la souveraineté sur le Cachemire, région musulmane à 80 %. Il a précisé que le conflit actuel résultait de l'infiltration, depuis le Pakistan, d'éléments " incontrôlés " qui avaient franchi la ligne de contrôle établie entre les zones sous administration indienne et pakistanaise.

Indiquant que les pays occidentaux avaient appelé les deux pays à la retenue et plaidaient pour un retour à la situation antérieure aux infiltrations en zone sous administration indienne, le ministre des affaires étrangères a estimé que le conflit semblait désormais en phase de désescalade. Il a évoqué la récente rencontre entre le président Clinton et le premier ministre pakistanais, au cours de laquelle ce dernier semblait avoir annoncé un retrait des forces infiltrées, et a espéré que cet engagement soit tenu.

Le ministre des affaires étrangères a rappelé l'ancienneté des relations entre la France et le Pakistan qu'il convenait de préserver et la qualité des relations franco-indiennes. Il a déclaré que la diplomatie française s'attachait à maintenir le dialogue avec l'une et l'autre parties.

M. Hubert Védrine a alors indiqué qu'il suivrait avec attention la question de la situation des communautés chrétiennes en Inde, soulevée par M. Emmanuel Hamel, qui s'inquiétait des persécutions dont ces communautés étaient actuellement victimes.

A M. André Dulait qui l'interrogeait sur le refus du premier ministre indien de se rendre à Washington, il a répondu que la tension militaire entre l'Inde et le Pakistan avait diminué, mais que les autorités indiennes refusaient catégoriquement toute internationalisation de la question du Cachemire.

M. Hubert Durand-Chastel s'étant interrogé sur la validité des accords indo-pakistanais de 1972, M. Hubert Védrine a estimé que ces accords demeuraient valables pour le tracé de la ligne de contrôle entre les zones administrées par les deux pays et le recours au dialogue bilatéral pour régler le conflit du Cachemire.

M. Philippe de Gaulle a alors interrogé le ministre des affaires étrangères sur la libéralisation de l'octroi des visas sollicités par des ressortissants algériens. M. Hubert Védrine a rappelé que les mesures générales de sécurité et de contrôle de l'immigration prises par les gouvernements précédents s'étaient avérées trop restrictives et avaient conduit à des situations préjudiciables au rayonnement de la France. Aussi, a-t-il ajouté, le Gouvernement, dès son entrée en fonctions, avait souhaité aménager cette politique afin d'éviter autant que possible ce type de difficultés. Il a précisé que, s'agissant de l'Algérie, le nombre de visas accordés était passé en quelques années de 900.000 en moyenne annuelle à moins de 50.000 en 1997. Il a indiqué qu'en raison de la fermeture des consulats sur place, la procédure d'attribution des visas aux ressortissants algériens relevait toujours directement des services de son ministère en France, et que les nouvelles orientations gouvernementales s'étaient traduites par une remontée du nombre de visas attribués, qui avaient atteint 95.000 en 1998 et pourraient passer à 150.000 en 1999. Il a alors précisé que cet assouplissement n'avait provoqué, pour le moment, aucun problème de retour des intéressés ou de sécurité.

Après que M. Michel Caldaguès eut demandé si les étudiants vietnamiens, qui avaient, eux aussi, rencontré des difficultés pour se rendre en France, bénéficieraient des mêmes assouplissements que les étudiants algériens, M. Hubert Védrine a indiqué qu'une procédure de visa pour les étudiants étrangers avait été définie pour faciliter leur accès en France. Cette mesure s'inscrivait dans une démarche plus générale, à laquelle participait notamment le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, tendant à promouvoir l'enseignement supérieur français auprès des pays étrangers. Il a considéré qu'il s'agissait là d'un impératif pour le renforcement de l'influence culturelle de notre pays.

Mme Paulette Brisepierre s'est inquiétée des conséquences de la suspension de toute aide technique, économique et militaire française au Niger depuis l'assassinat du président Ibrahim Baré Maïnassara. Elle a indiqué que les nouvelles autorités de Niamey s'étaient engagées à organiser une élection présidentielle au mois d'octobre prochain. Elle a souligné que l'arrêt de l'aide française apparaissait, aux yeux de la population locale, comme un facteur d'aggravation de la situation économique. Elle a également émis des craintes quant aux répercussions d'une telle situation sur la communauté française du Niger.

M. Hubert Védrine a estimé que la France avait dû marquer très fermement sa désapprobation face aux événements intervenus ces derniers mois au Niger et qu'elle avait en conséquence suspendu une partie de sa coopération, notamment militaire, à l'exception des services de santé, en maintenant pourtant tous les programmes destinés directement aux populations.

En réponse à M. Robert del Picchia, il a estimé que la décision de la Mauritanie de renvoyer les coopérants français paraissait disproportionnée au regard de la mise en examen, par un juge français, d'un officier mauritanien suspecté d'avoir commis des actes de torture, d'autant que le Gouvernement français ne pouvait en aucun cas agir sur une décision relevant entièrement des autorités judiciaires.

Enfin, il a également répondu à M. Robert del Picchia, qui l'interrogeait à ce sujet, que le transfert de Bonn à Berlin du Gouvernement allemand, bien qu'abondamment commenté, ne constituait en rien une difficulté, ni même un sujet de discussion, dans les relations entre la France et l'Allemagne.