Mercredi 1er décembre 1999

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Hommage à la mémoire d'Alain Peyrefitte

M. Xavier de Villepin, président, a tout d'abord rendu hommage à Alain Peyrefitte, ancien ministre, décédé le 27 novembre dernier ; les membres de la commission ont alors observé une minute de silence à la mémoire de leur ancien collègue.

Affaires étrangères - Coopération - Audition de M. Antoine Pouillieute, directeur général de l'Agence française de développement

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Antoine Pouillieutedirecteur général de l'Agence française de développement, sur le rôle de cet organisme à la suite de la réforme de la coopération.

M. Antoine Pouillieute a d'abord rappelé que l'Agence française de développement (AFD) bénéficiait du double statut, d'établissement public industriel et commercial et d'institution financière spécialisée, et qu'à ce titre, elle relevait du droit public et de la loi bancaire, tout en étant soumise aux contrôles parlementaire et administratifs. L'Agence, a-t-il ajouté, a pour vocation de mettre en oeuvre l'aide française au développement dans les domaines économique et social à travers différents instruments qui vont de la subvention au prêt aux conditions du marché. Il a relevé que l'action de l'AFD préservait nos liens traditionnels avec les pays de l'ancien champ de la coopération -près de 40 % des interventions se concentrent ainsi sur la zone franc- tout en s'ouvrant à d'autres pays dans le cadre fixé par le Gouvernement.

Le directeur général de l'Agence française de développement, évoquant alors l'exercice de l'année 1998, a indiqué que les engagements de l'AFD s'élevaient à 7,5 milliards de francs (4,5 milliards pour les pays en voie de développement, 0,75 milliard de francs pour l'ajustement structurel, 181 millions pour les garanties et prises de participations et le solde pour les DOM-TOM). L'institution, a-t-il précisé, dispose de 1.229 collaborateurs et d'un réseau de 45 agences dont les effectifs sont principalement composés de personnels locaux.

M. Antoine Pouillieute a alors souligné que l'AFD, dans le cadre de la réforme de la coopération, avait souhaité jouer pleinement le rôle d'opérateur principal de l'aide-projet qui lui avait été confié. Après avoir rappelé les différentes étapes de cette réforme en 1998 et 1999, il a noté que le champ d'intervention de l'AFD recouvrait désormais l'ensemble des pays de la zone de solidarité prioritaire (ZSP) et que l'Agence avait bénéficié à ce titre d'un transfert de ressources d'un montant de 75 millions de francs en 1999. L'Agence, a-t-il ajouté, avait tenu compte de la réforme en créant notamment un département géographique pour les pays du bassin méditerranéen, ainsi qu'un département des projets sociaux. Il a également souligné que les compétences de l'AFD s'étaient étendues aux infrastructures dans les domaines de la santé et de l'éducation.

Abordant alors les modalités de contrôle de l'Agence française de développement, M. Antoine Pouillieute a relevé que plus de 90 % des engagements de l'institution étaient soumis aux instances statutaires : conseil de surveillance et comités constitués en son sein. Il a ajouté que, dès cette année, les ambassadeurs étaient consultés sur les projets mis en oeuvre par l'AFD et que leurs avis étaient transmis au conseil de surveillance. Il a observé que l'effort français pour l'aide au développement, même s'il restait exemplaire, tendait à se réduire. Dans ce contexte, a-t-il estimé, l'AFD avait réussi à préserver, dans l'ensemble, ses ressources.

Le directeur général de l'Agence française de développement a enfin relevé que l'AFD s'efforçait désormais de développer des partenariats avec d'autres bailleurs de fonds. Il a ainsi relevé que l'Agence s'était vu confier la gestion d'une ligne de crédits par le groupe de la Banque mondiale. Il a également évoqué la priorité attachée par l'AFD à la mise en valeur de sa capacité d'expertise pour l'aide au développement, à la volonté d'inscrire son action au service de l'intégration régionale et au souci de se mettre à l'écoute d'autres partenaires, notamment les entreprises et les collectivités locales. Il a conclu en indiquant que l'Agence devait conserver un rôle moteur en matière de réflexion sur l'aide au développement et sur les moyens de la rendre plus efficace.

A la suite de l'exposé du directeur général de l'Agence française de développement, Mme Paulette Brisepierre s'est d'abord félicitée des progrès accomplis par l'AFD au regard de la rapidité de ses interventions. Elle s'est ensuite interrogée sur les critères d'exclusion de certains pays du champ d'action de l'AFD, ainsi que sur les risques soulevés par l'extension de la zone de solidarité prioritaire, sans que les moyens financiers nécessaires aient été dégagés.

M. Paul Masson, après avoir observé que la réforme de la coopération répondait à des préoccupations exprimées de longue date, a souhaité connaître la position de l'AFD sur la réflexion conduite à l'échelle de l'Union européenne sur le lien entre l'aide au développement et l'immigration dans le cadre de la politique de codéveloppement.

M. André Dulait a interrogé M. Antoine Pouillieute sur le rôle de l'Agence dans les pays d'Europe centrale et orientale, ainsi que sur le nombre des personnels expatriés de l'AFD.

M. Hubert Durand-Chastel a souhaité obtenir des précisions sur le financement du secteur éducatif, qui ne bénéficiait pas toujours de ressources suffisantes.

M. Xavier de Villepin, président, s'est d'abord interrogé sur la possibilité, pour le Parlement, de disposer de données chiffrées plus précises à la suite de la réforme de la coopération, en particulier sur la répartition géographique de l'aide, pays par pays. Il a souhaité connaître, par ailleurs, les réactions des pays africains à la mise en place de la réforme, ainsi que les conditions d'intervention de l'AFD hors de la zone de solidarité prioritaire. Enfin, il a demandé l'appréciation du directeur général sur l'évolution générale de l'aide au développement dans le monde, sur l'avenir de la convention de Lomé, ainsi que sur la situation actuelle de l'Agence en Algérie et en Angola.

En réponse aux questions des commissaires, M. Antoine Pouillieute a apporté les précisions suivantes :

- la définition de la ZSP relève du Gouvernement qui se prononce en fonction de trois critères principaux : le revenu par habitant, les conditions d'accès aux marchés de capitaux et la prise en compte des progrès de l'Etat de droit ; l'AFD prend également, pour sa part, en considération, au sein de la ZSP, l'existence d'impayés des pays bénéficiaires de l'aide au développement ; une information plus précise pourrait être apportée aux parlementaires sur ce sujet, comme l'a souhaité M. Xavier de Villepin, président, lorsqu'ils se déplacent dans les pays concernés ;

- les engagements de l'AFD bénéficient d'une visibilité certaine dans la mesure où ils mettent en oeuvre des montants relativement importants ; par ailleurs, le maintien, pour l'essentiel, des ressources de l'AFD permet, dans une certaine mesure, de limiter le risque de dispersion que pourrait entraîner l'extension de la ZSP ;

- s'agissant du codéveloppement, l'AFD s'efforce, par une politique d'aide adaptée, de permettre aux populations de continuer à vivre sur place sans chercher à émigrer dans des pays plus riches ;

- l'AFD a vocation à intervenir dans les pays de la ZSP, mais les statuts de l'Agence lui permettent de répondre à une demande du Gouvernement pour assurer une mission spécifique, comme c'est aujourd'hui le cas dans les Balkans, sur des ressources qui lui sont allouées à cet effet ;

- sur l'effectif total de 1.229 agents de l'AFD, 560 sont employés dans le réseau outre-mer et à l'étranger ; sur ce total, 140 appartiennent au cadre général recruté à Paris et 420 ont été recrutés localement ;

- en matière d'éducation et de santé, l'AFD s'efforce de répondre aux besoins des populations, tout en marquant un souci constant pour la défense de la francophonie ;

- les pays africains ont, dans l'ensemble, réagi de manière plutôt positive à la réforme de la coopération, dont le dispositif présente une logique certaine ;

- les ressources dont dispose l'Union européenne pour l'aide au développement représentent un montant important ; elles pourraient être parfois utilisées de manière plus efficace dans un cadre bilatéral par le biais d'agences de développement nationales ;

- l'AFD a toujours été présente en Algérie ; les opérateurs privés dans ce pays inscrivent de plus en plus leur démarche dans une perspective régionale ;

- enfin, l'Angola dispose d'un potentiel économique considérable, mais le poids des impayés a conduit l'AFD à fermer son agence à Luanda.

Défense - Exportations françaises d'équipements militaires - Audition de M. Jean-Bernard Ouvrieu, représentant personnel du ministre de la défense

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Bernard Ouvrieureprésentant personnel du ministre de la défense, sur les exportations françaises d'équipements militaires.

M. Jean-Bernard Ouvrieu
 a tout d'abord effectué une présentation de l'évolution du marché mondial de l'armement, en soulignant les caractéristiques suivantes :

- une contraction de 50 % en dix ans du marché, revenu de 80 à 40 milliards de dollars par an, cette contraction étant en partie liée à l'effacement de la Russie ;

- la concentration de la demande sur un nombre limité de pays, 12 d'entre eux, situés en Asie du nord et dans le Golfe, représentant 65 % des importations mondiales ;

- la concentration sur un petit nombre d'équipements vendus dans le cadre de gros contrats ;

- l'émergence d'un marché de la modernisation et de la vente d'occasion ;

- la concentration de 70 à 80 % des exportations entre trois acteurs principaux : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France ;

- le développement de la technique de l'offset, consistant pour le pays acheteur, à faire réaliser chez lui, en contrepartie du contrat, des investissements, ou à augmenter la part locale dans la fabrication des matériels, tout ceci conduisant à un fort durcissement de la concurrence.

M. Jean-Bernard Ouvrieu a alors évoqué les mesures prises par les Etats-Unis afin de mettre en place un dispositif de soutien aux exportations, " l'advocacy ", associant l'ensemble des partenaires administratifs ou économiques en vue de l'obtention de marchés jugés stratégiques et prioritaires. Il a ajouté que le Royaume-Uni possédait, avec la " Defence Export Service Organisation " (DESO), le même type de structure.

Il a enfin souligné l'incidence, pour les exportations d'armements, de la restructuration européenne des industries de défense, qui imposait de trouver de nouveaux mécanismes d'autorisation des exportations adaptés aux sociétés transnationales. Il a évoqué, à ce propos, l'exemple de la promotion de l'hélicoptère Tigre en Turquie, qui avait nécessité des consultations approfondies entre l'Allemagne et la France.

M. Jean-Bernard Ouvrieu a ensuite présenté la place des exportations d'armement dans l'économie française, en soulignant que, si l'industrie d'armement représentait moins de 2 % de la production industrielle, elle contribuait chaque année sur la décennie, à hauteur d'environ 20 à 25 milliards de francs, au solde positif de la balance commerciale. Il a également insisté sur l'apport de ces industries en matière de maîtrise des hautes technologies et sur le caractère hautement politique de l'exportation d'armements.

S'agissant du dispositif d'exportation, il a souligné que le ministère de la défense s'employait à favoriser une coordination beaucoup plus forte entre les différentes structures qui interviennent à l'extérieur, notamment chacune des armées, l'état-major des armées, la délégation générale pour l'armement (DGA), et la délégation aux affaires stratégiques (DAS). Il a également indiqué qu'un comité international avait été récemment mis en place par le ministre, M. Alain Richard, notamment pour définir les grandes orientations des exportations d'équipements militaires et mieux assurer, précisément, cette conduite coordonnée de l'action du ministère.

M. Jean-Bernard Ouvrieu a ensuite estimé que la difficulté essentielle que rencontraient les exportations françaises concernait les grands programmes relatifs à des équipements hautement performants et sophistiqués, qui n'intéressaient qu'un nombre limité de pays et qui étaient souvent plus coûteux que ceux proposés par les entreprises américaines, produits en plus longues séries. Il a alors évoqué les principaux pays qui pourraient s'intéresser à l'avion de combat Rafale, aux hélicoptères Tigre et NH 90, aux corvettes et frégates et aux systèmes d'observation spatiale.

Il a alors souligné la part significative que pourrait espérer obtenir la France sur le marché des équipements confirmés, tels que le Mirage 2000 ou le Cougar, plus adaptés aux besoins et aux capacités financières des pays émergents.

Enfin, M. Jean-Bernard Ouvrieu a précisé que la préparation des décisions d'exportation soumises à la commission interministérielle pour l'étude des exportations des matériels de guerre (CIEEMG) sera désormais confiée, avec l'appui technique de la DGA, à la délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la défense, afin de mieux prendre en compte la dimension politique des exportations.

A la suite de cette intervention, M. Christian de La Malène s'est déclaré très préoccupé par l'avenir des exportations françaises d'armement, dans un marché en contraction, alors que l'européanisation des industries d'armement multipliera les problèmes politiques liés à ces exportations. Il a également rappelé les inquiétudes et les réserves manifestées par le Sénat lors de l'examen de la convention de l'OCDE relative à la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales.

M. Hubert Durand-Chastel, intervenant au nom de M. Serge Vinçon, a interrogé M. Jean-Bernard Ouvrieu sur les difficultés de réalisation des contrats d'armement passés avec le Pakistan et sur le rôle des armées, en particulier par l'intermédiaire d'organismes tels que NAVFCO ou la COFRAS, dans les exportations d'équipements militaires.

M. Xavier de Villepin, président, a demandé des précisions sur le code de bonne conduite européen en matière d'exportation d'armements, sur les perspectives d'exportations en Inde, sur les raisons de l'échec enregistré sur les récents contrats en Afrique du Sud et sur l'état des réflexions en France sur le développement des systèmes antimissiles.

M. Jean-Bernard Ouvrieu, en réponse à ces interventions, a apporté les précisions suivantes :

- le renforcement des relations avec l'Inde et l'efficacité reconnue des Mirage 2000 ouvrent de réelles perspectives pour l'acquisition, par les armées indiennes, d'avions de combat. Par ailleurs, des occasions apparaissent dans le domaine des sous-marins ;

- il est courant que les livraisons d'armement soient affectées par des embargos décidés dans le cadre de résolutions de l'ONU ou unilatéralement par un pays ; s'agissant du Pakistan, un certain nombre de livraisons ont été effectuées. Dans l'hypothèse où un tel contrat n'arriverait pas à son terme, un difficile problème de finances publiques serait alors posé ;

- l'implication des armées dans l'exportation s'est considérablement développée, que ce soit au travers des relations opérationnelles entre les états-majors ou par la participation de militaires aux organismes spécialisés dans la formation, dont les prestations apparaissent néanmoins sensiblement plus coûteuses que celles de leurs concurrents ;

- l'échec rencontré sur les contrats d'armement sud-africains peut être imputé à des prix souvent plus élevés que ceux de la concurrence et à une mauvaise évaluation des besoins réels du client ainsi que des circuits de décision ; il ne doit pas occulter la percée de Thomson-CSF sur le marché sud-africain ;

- enfin, des pays comme le Japon et la Corée du sud sont intéressés par les systèmes de défense antimissiles développés par les Etats-Unis. Quelle que soit sa position sur cette question stratégique, la France, en tout cas, possède avec le missile Aster, un équipement doté d'une capacité d'évolution permettant, si elle le souhaitait, d'assurer une défense contre les missiles de théâtre.