Travaux de la commission des affaires étrangères



Mardi 19 octobre 2004

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

PJLF pour 2005 - Audition du général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre

La commission a procédé à l'audition du général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre sur les crédits des forces terrestres inscrits dans le projet de budget de la défense pour 2005.

En premier lieu, le général Bernard Thorette a tenu à souligner les différents défis que devait relever l'armée de terre.

Le premier défi est celui de l'engagement opérationnel, dont le rythme demeure soutenu puisque l'armée de terre contribue à hauteur de 80 % aux forces françaises déployées à l'extérieur, soit en permanence 18 000 hommes engagés dans la durée hors du territoire métropolitain. À cela s'ajoute une participation active aux missions de sécurité en métropole, dans le cadre d'évènements ponctuels, comme la commémoration des débarquements de Normandie et de Provence, ou du plan Vigipirate. De ce point de vue, l'armée de terre participe pleinement à la prévention du risque terroriste et, si le besoin s'en faisait sentir, elle pourrait déployer à très courte échéance jusqu'à 15 000 hommes en métropole pour des missions de sécurité.

Le deuxième défi réside dans la réalisation du modèle d'armée 2015, dont les engagements et conflits récents confirment la pertinence. Il repose sur une gamme équilibrée et très large de moyens comprenant une composante lourde (blindés, appuis, hélicoptères), des forces légères à base d'infanterie, mais également des forces médianes. L'accent doit être mis sur la protection des forces, d'où l'importance du futur véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) et du système FELIN d'équipement du fantassin, sur les moyens de renseignement, de reconnaissance, de commandement et de communication, avec par exemple la numérisation des grandes unités de l'armée de terre, qui sera effective pour deux brigades en 2009, et enfin sur le maintien d'une capacité aéromobile significative. Le maintien d'effectifs militaires en nombre et qualifications suffisants est essentiel, dans la mesure où les progrès technologiques ne remplaceront jamais les troupes au sol, seules capables de contrôler l'espace terrestre et les populations dans la durée.

Le chef d'état-major de l'armée de terre a ensuite évoqué le défi de la performance opérationnelle, qui suppose une préparation garantissant l'instruction et les savoir-faire indispensables, y compris en ce qui concerne la préparation au combat de haute intensité. Il a rappelé à ce propos que la participation aux opérations extérieures ne saurait en aucun cas être assimilée à de l'entraînement, des troupes ne pouvant raisonnablement être engagées en opérations sans avoir été suffisamment entraînées au préalable. Les conditions de la préparation opérationnelle doivent être réalistes et, au besoin, durcies, en alliant les exercices sur le terrain et la simulation. À cet effet, la création d'un centre d'entraînement en zone urbaine est dans un état d'avancement satisfaisant, en vue d'une mise en service en 2006. De même est-il nécessaire de participer à des entraînements interalliés pour préparer les engagements dans un cadre multinational. La création du PC de corps de réaction rapide, qui dotera l'armée de terre de capacités de commandement d'une coalition et d'entrée en premier sur un théâtre, participe du même objectif. Elle se poursuit comme prévu, au prix d'efforts significatifs internes à l'armée de terre, en termes de ressources humaines, de qualification et d'investissement.

Le quatrième défi réside dans la consolidation de l'armée professionnelle. Il s'agit ici de renforcer l'attractivité des carrières et de fidéliser les personnels disposant de compétences dans des spécialités critiques.

Enfin, l'armée de terre s'inscrit pleinement dans la stratégie de réforme du ministère de la défense et dans l'effort d'optimisation des ressources. La déconcentration de certaines responsabilités, la rationalisation des soutiens, en particulier dans le domaine de la maintenance, ou encore la restructuration du commissariat vont dans ce sens. De même, le recours à l'externalisation se développe. Outre le projet ministériel concernant les véhicules de la gamme commerciale, l'armée de terre a déjà procédé à quelques expérimentations concluantes, par exemple pour le soutien complet du camp de Mourmelon. La location d'heures de vol pour la formation des pilotes d'hélicoptère à Dax est également engagée, dans le cadre d'un financement innovant.

Le général Bernard Thorette a ensuite présenté le projet de budget 2005 de l'armée de terre, en soulignant qu'il traduisait un effort financier indéniable en faveur de la consolidation de l'outil de défense, même s'il sera difficile d'éviter une tension sur les effectifs.

En ce qui concerne les équipements, les autorisations de programme s'élèveront à 2,6 milliards d'euros pour 2005 et seront complétées, à hauteur de 700 millions d'euros, par les autorisations de programme antérieures encore disponibles. Le montant total des engagements pourra donc atteindre 3,3 milliards d'euros, ce qui devrait permettre de passer les commandes prévues par la loi de programmation militaire, notamment les véhicules blindés longs légers, les engins porte-chars, les postes radio de 4e génération, les systèmes de défense sol-air Martha 2 et les équipements FELIN. Les crédits de paiement, globalement conformes à l'annuité de la loi de programmation militaire 2003-2008, s'élèveront à 3 milliards d'euros ce qui correspond au flux de factures raisonnablement attendues en 2005, en particulier pour les livraisons de chars Leclerc, de véhicules de l'avant blindé, d'automoteurs d'artillerie AUF1 valorisés, d'obus antichar à effet dirigé et des premiers hélicoptères Tigre. Le report de charges constaté à la fin de la précédente loi de programmation n'a toutefois pas pu être résorbé et il devrait représenter, en fin d'exercice 2004, environ 500 millions d'euros pour l'armée de terre. Cette situation justifie un plan de commandes prudent pour 2005. La modernisation des équipements de l'armée de terre n'est pas fondamentalement remise en question et pourra être poursuivie en 2005, mais le décalage des commandes par rapport à l'échéancier de la loi de programmation militaire pourrait s'accentuer.

En ce qui concerne la capacité opérationnelle des forces, le général Bernard Thorette a estimé que les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2005 permettraient d'atteindre les 100 jours d'activité prévus par la loi de programmation militaire. Il a précisé qu'en raison d'un report sur 2004 d'une partie de la charge des opérations extérieures de 2003, incomplètement compensée, il avait été amené à réduire d'environ 10 jours le niveau des activités cette année. Cette situation ne devrait pas se reproduire en 2005, les surcoûts en fonctionnement des opérations extérieures de 2004 devant normalement être intégralement couverts par un tout prochain décret d'avance. En tout état de cause, priorité sera donnée, en matière d'activités, à la préparation opérationnelle immédiate des forces pour les opérations en cours.

S'agissant du fonctionnement courant, le général Bernard Thorette a souligné que l'accroissement soutenu depuis trois ans des prix des services nécessaires à l'armée de terre engendrait une contrainte persistante sur les crédits, avec des risques de tension dans des domaines tels que les transports, les changements de résidence et l'entretien de l'infrastructure.

Le chef d'état-major de l'armée de terre a ensuite abordé les moyens dévolus aux personnels, en se félicitant que le projet de loi de finances pour 2005 soit conforme à l'annuité prévue du plan d'amélioration de la condition militaire. Il a en revanche indiqué que le niveau retenu pour la masse salariale attribuée à l'armée de terre, tel qu'il figure au projet de budget, risquait d'engendrer une baisse très importante des effectifs réalisés, l'ordre de grandeur de ce sous-effectif pouvant être de plusieurs milliers d'hommes en fin d'année 2005. La capacité d'engagement opérationnel de l'armée de terre pourrait donc être sensiblement amoindrie et un tel sous-effectif pourrait conduire, notamment à partir du second semestre 2005, à réétudier précisément avec l'état-major des armées le dispositif de chacune des opérations en cours.

Le général Bernard Thorette a précisé qu'il avait déjà fait prendre des dispositions pour limiter les conséquences du sous-effectif et préserver les capacités. Les effectifs disponibles seront positionnés en fonction des impératifs de la planification opérationnelle et des priorités d'entraînement. Les plans de recrutement et de gestion seront adaptés en conséquence. Ils seront mis en oeuvre avec autant de souplesse que possible et pilotés localement.

Le chef d'état-major de l'armée de terre a poursuivi en évoquant la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances. Il a souligné à cet égard qu'il souhaitait être en mesure d'assurer la cohérence de l'organisation et de la préparation des forces terrestres, en disposant du volet budgétaire de l'action. Ainsi, le chef d'état-major des armées, qui conduit les opérations, aurait la garantie que l'armée de terre agira, sous la responsabilité de son chef d'état-major, de façon cohérente pour atteindre les objectifs de préparation et d'engagement des forces.

Le général Bernard Thorette a conclu en assurant que l'armée de terre était consciente de l'importance des moyens consentis par la Nation pour la consolidation de l'outil de défense et qu'elle était mobilisée pour rendre cet outil encore plus efficace et efficient. Il a également salué l'intérêt manifesté par la commission pour les forces terrestres, notamment au travers des visites dans les unités.

À la suite de cet exposé, M. André Dulait, rapporteur des crédits des forces terrestres, a interrogé le général Bernard Thorette sur les conséquences du report de charges persistant en termes de retards ou décalages dans les programmes, en souhaitant connaître ceux pour lesquels les difficultés étaient les plus sensibles. Il a demandé si le projet de loi de finances pour 2005 poursuivait l'effort financier engagé en faveur des réserves et permettrait d'accroître l'effectif de réservistes, notamment pour les militaires du rang. Enfin, il a demandé si des améliorations étaient intervenues en matière de soutien médical des forces, notamment par une résorption du déficit en médecins des armées.

S'agissant des retards sur les programmes, le chef d'état- major de l'armée de terre a tout d'abord évoqué ceux qui affectent le char Leclerc. Les livraisons se sont limitées à 23 au lieu des 50 prévues en 2003 et devraient s'élever à 20, dont 10 seulement déjà effectives, pour l'année 2004, au lieu des 50 prévues. L'armée de terre n'aura pas reçu ses 406 exemplaires avant la fin 2006, soit deux ans après l'échéance initialement prévue. Un retard de 24 mois est également enregistré pour les dépanneurs Leclerc. Si ces décalages sont imputables à des défaillances de production chez GIAT-Industries, on peut en revanche se féliciter que ce dernier poursuive dans de bonnes conditions le programme VBCI, dans le respect de l'échéance de 2008 pour la livraison des premiers véhicules. La rénovation des blindés à roues AMX10RC prend elle aussi du retard, en raison des difficultés pour certains sous-traitants anciens à répondre à la demande. Un décalage est intervenu dans la livraison de l'hélicoptère de combat Tigre. L'insertion de l'Espagne dans le programme a en partie modifié le calendrier d'industrialisation.

En ce qui concerne les réserves, le général Bernard Thorette a estimé que le nombre de réservistes devrait passer de 13 000 à 15 000 au cours de l'année 2004, conformément à l'objectif prévu, et que les crédits permettraient de financer 19 jours d'activité. Il a rappelé que l'objectif final, à l'horizon 2012, était d'atteindre une réserve de 29 000 hommes effectuant 1 mois d'activités chaque année. Tout en jugeant que la montée en puissance de la réserve s'effectuait de la manière la plus satisfaisante possible, il a estimé que le projet de loi en préparation au ministère de la défense apporterait sans doute des améliorations sensibles, particulièrement pour lever certains obstacles au recrutement de militaires du rang, actuellement très insuffisant.

Il a d'autre part constaté l'effet positif des mesures prises depuis deux ans au profit du service de santé des armées pour résorber le déficit en médecins généralistes et spécialistes et pour recruter du personnel paramédical. Il s'est déclaré satisfait des conditions actuelles du soutien médical des forces en opérations.

M. Didier Boulaud s'est étonné que l'année 2002, dernière annuité de la précédente loi de programmation militaire, puisse être rendue responsable des reports de charges actuellement constatés alors que le gouvernement actuel avait assuré que les besoins des armées étaient pleinement satisfaits par la loi de finances rectificative pour 2002. Il a demandé des précisions sur le sous-effectif déjà constaté en 2004 dans l'armée de terre, dans la mesure où une suspension des recrutements serait intervenue en milieu d'année. Il s'est demandé si les dispositions prévues pour 2005 ne traduisaient pas une discrète et progressive diminution des effectifs, et donc une remise en cause du format de l'armée de terre. Il a souhaité des précisions sur les « réserves de précaution » de l'ordre de 900 millions d'euros réalisées au cours de la gestion de l'exercice 2004 sur le budget de la défense, notamment sur les éventuelles conséquences pour l'armée de terre et sur une éventuelle levée de ce gel. Il a fait état d'informations attestant d'une « baisse de moral » dans l'armée de terre et a demandé au général Bernard Thorette s'il la confirmait. Il a souhaité recueillir ses impressions sur l'opération Licorne à la suite de sa récente visite en Côte d'Ivoire. Enfin, il a demandé s'il était exact que la rénovation des blindés à roues AMX10RC prenait du retard , 7 engins seulement ayant été livrés cette année au lieu des 52 prévus.

Le chef d'état-major de l'armée de terre a apporté les précisions suivantes :

- les effectifs budgétaires de l'armée de terre, tels qu'inscrits au projet de loi de finances pour 2005, sont conformes, à quelques nuances près, à ceux prévus par la loi de programmation militaire ; si le niveau de la masse salariale prévue pour 2005 risque de conduire à une diminution des effectifs réalisés, il ne s'agit en aucun cas d'une remise en cause de principe du format de l'armée de terre ;

- la loi de finances rectificative pour 2002 a fourni les ressources indispensables pour le maintien en condition opérationnelle des matériels et pour effectuer les réparations les plus urgentes ; le report de charges devrait atteindre 500 millions d'euros en fin d'exercice 2004 ;

- s'agissant des « réserves de précaution » sur l'exercice 2004, tous les crédits de l'armée de terre gelés ou mis en « réserve de précaution » ont été débloqués, à l'exception des 178 millions d'euros prévus à titre de gage pour le décret d'avances ;

- une distinction pourrait être opérée entre la « tonalité », c'est-à-dire l'état d'esprit de l'armée de terre, qui demeure bon, sur le territoire national comme en opération, et son « moral », qui reste fragile et conditionné par des éléments objectifs tels que la disponibilité des matériels et la réalisation des effectifs ; les mesures touchant à la condition militaire ont toutefois incontestablement un effet bénéfique sur ce moral ;

- s'agissant de l'opération Licorne, on doit constater, du point de vue militaire, que les choses évoluent dans le bon sens depuis un an ; une zone de confiance s'est substituée à une ligne de séparation et de confrontation ; les forces des Nations unies, placées sous l'autorité du général sénégalais Fall, assument pleinement les missions qui leur ont été confiées ; les combattants ivoiriens des deux camps semblent gagnés par une certaine lassitude ; ce sont désormais des évolutions politiques qui conditionnent le retour définitif à la paix ;

- l'armée de terre a prévu de rénover 256 de ses 337 blindés à roues AMX10RC ; des difficultés industrielles sont effectivement survenues ; une action coordonnée de l'industriel, GIAT-Industries, de la délégation générale pour l'armement et de la direction centrale du matériel de l'armée de terre est nécessaire ; fin 2005, 32 blindés à roues rénovés devraient être livrés.

En réponse à Mme Maryse Bergé-Lavigne, qui l'interrogeait sur la présence de sociétés militaires privées en Irak, le général Bernard Thorette a souligné les risques de dérives inhérents à ce type d'activités, essentiellement proposées par des groupes anglo-saxons, en confirmant que de telles orientations ne correspondaient pas à la politique du ministère français de la défense.

Mme Hélène Luc a interrogé le chef d'état-major de l'armée de terre sur la situation des effectifs, sur les difficultés de GIAT-Industries et sur le projet de révision du statut général des militaires.

Le général Bernard Thorette a rappelé que devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, le 5 octobre, la ministre de la défense avait évoqué, à propos des difficultés que pourrait rencontrer l'armée de terre dans la gestion de ses effectifs en 2005, la possibilité de prendre des mesures visant à atténuer cette contrainte ; le chef d'état-major des armées s'est exprimé dans le même sens, ce qui démontre que cette préoccupation est prise en compte au niveau du ministère de la défense.

En ce qui concerne la restructuration de GIAT-Industries, l'armée de terre apporte sa contribution en reclassant des personnels de l'entreprise ; les difficultés rencontrées sur le programme Leclerc ne sont en rien liées à une insuffisance de crédits, puisque les commandes ont été passées, mais à une impossibilité, de la part de l'industriel, à respecter les échéances de livraison des chars.

Enfin, le projet de loi révisant le statut général des militaires apporte de nombreuses améliorations sur des points importants pour l'armée de terre, comme l'équilibre entre les droits civils et politiques et le respect des exigences de la fonction militaire, ou encore les garanties et protections offertes aux militaires.

En réponse à deux questions de MM. Jean-Pierre Fourcade et Charles Pasqua sur le plan Vigipirate d'une part et sur l'externalisation d'autre part, le chef d'état-major de l'armée de terre a apporté les précisions suivantes :

- le plan Vigipirate représente une réserve disponible de 1.500 hommes ; actuellement, 600 hommes sont déployés en permanence, dont plus de 90 % à Paris ; les 900 hommes restant sont en alerte permanente et pourraient être déployés sous 24 heures ; l'autorité militaire conserve le commandement organique des personnels qui agissent sur instruction des préfets ou du préfet de police ;

- par ailleurs, le volume des forces placées sous alerte « Guépard » et déployables sous très faible préavis pour des opérations extérieures a été porté à 5 000 hommes ;

- si l'on ajoute à ces deux réserves de personnels d'autres effectifs disponibles à bref délai, ce sont environ 15 000 hommes qui pourraient être déployés sur le territoire métropolitain en cas de risque grave pour la sécurité ;

- les actions d'externalisation de l'armée de terre représentent une dépense de l'ordre de 170 millions d'euros par an ; le montant des crédits et la nature des activités constituent deux limites à l'extension de cette politique ;

- les entreprises qui concourent à l'activité de la défense dans le cadre de l'externalisation, tout comme leurs personnels appelés à travailler dans les enceintes militaires, font l'objet d'une procédure d'accréditation par la direction de la protection et de la sécurité de la défense.

En réponse à une question de M. Josselin de Rohan sur le devenir professionnel des Saint-cyriens, le général Bernard Thorette a précisé qu'à de très rares exceptions près, les anciens élèves de l'école spéciale militaire atteignaient le grade de lieutenant-colonel ; chaque année, une centaine d'officiers accèdent à l'enseignement militaire du second degré, c'est-à-dire l'ancienne école de guerre, qui les dirige vers le grade de colonel, à travers le commandement d'une unité ou l'exercice de responsabilités particulières ; ce chiffre, qui comprend également d'anciens élèves de l'école militaire inter-armes, est à rapprocher de l'effectif d'une promotion de Saint-cyriens, soit 180 officiers environ.

En réponse à une question de M. Serge Vinçon, président, sur les conclusions de l'étude menée sur un éventuel avancement de la livraison de l'hélicoptère de transport NH90, grâce à des financements innovants, le chef d'état-major de l'armée de terre a mentionné les différents obstacles financiers et industriels, qui rendaient difficilement compatible une telle solution et les contraintes de l'armée de terre en ce qui concerne le maintien d'un seuil de capacité aéromobile d'ici 2011 ; aussi la rénovation de 24 Cougar et 45 Puma a-t-elle été confirmée, pour un montant de 350 millions d'euros, prévu par la loi de programmation militaire, et à raison de 4 Puma et 3 Cougar rénovés en 2007, puis de l'ordre de 10 Puma et 6 Cougar par an ensuite.

Enfin, M. Serge Vinçon, président, l'ayant interrogé sur une éventuelle réduction des effectifs engagés en Côte d'Ivoire en 2005, le général Bernard Thorette a estimé que la montée en puissance des forces de l'ONU devrait logiquement favoriser une telle perspective qui devra en tout état de cause être appréciée par les autorités politiques et le chef d'état-major des armées.

Mercredi 20 octobre 2004

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

PJLF pour 2005 - Audition de l'Amiral Jean-Louis Battet, Chef d'état-major de la marine, sur les crédits de la marine pour 2005.

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de l'amiral Jean-Louis Battet, Chef d'état-major de la marine, sur les crédits de la marine pour 2005.

L'amiral Jean-Louis Battet a tout d'abord exposé le bilan des activités de la marine pour l'année 2004. Il a rappelé les termes du concept de sauvegarde maritime développé depuis trois ans, qui consiste en la protection de nos côtes depuis la haute mer contre tous les troubles à l'ordre public, principalement par une réorganisation des priorités de la marine. Cette mission traditionnelle a connu un élargissement récent de son champ sous l'effet de menaces directes perceptibles sur les approches maritimes, l'immigration illicite, le trafic de stupéfiants ainsi que le pillage des ressources halieutiques. Ce dernier a désormais été considérablement réduit dans les terres australes et antarctiques françaises, il est sous contrôle en Guyane et fait l'objet d'un accroissement de la surveillance en Polynésie et à la Réunion. Le déroutement de navires se livrant à des dégazages en mer est également de plus en plus fréquent grâce aux repérages effectués par les avions de la patrouille maritime ainsi que par ceux des douanes. Aujourd'hui la sauvegarde maritime représente plus du quart des activités de la marine française sans qu'aucun moyen budgétaire supplémentaire n'ait été mobilisé. La « garde-côte à la française » est aussi efficace que peu coûteuse.

La marine poursuit parallèlement ses autres missions. Dans le cadre de la coalition déployée dans le nord de l'Océan indien, son action vise au contrôle des bâtiments destiné à lutter contre les trafics et empêcher le déplacement de terroristes. L'amiral Jean-Louis Battet a souligné l'originalité de la Task force 150 dont l'ossature est constituée par l'Euromarfor, constituée de la France, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal, à laquelle s'est jointe l'Allemagne.

La disponibilité de la flotte reste l'un des enjeux majeurs et l'objet d'efforts soutenus du Service de soutien de la Flotte et de DCN, les achats de rechanges ont doublé. Ces actions ont permis à la disponibilité opérationnelle de progresser de près de huit points. La situation actuelle en termes de disponibilité est la plus favorable depuis plus de cinq ans. Les délais d'entretien sont respectés, alors qu'ils accusaient précédemment des retards de l'ordre de 2 à 3 mois.

Abordant les questions budgétaires, le chef d'état-major a indiqué que le projet de loi de finances pour 2005 allouait à la marine un total de crédits de paiement de 5 774 millions d'euros. Le projet de budget reste marqué par la prépondérance des investissements, qui représentent les deux tiers des crédits.

Avec 1 976 millions d'euros, le titre III enregistre une contraction apparente des ressources destinées aux dépenses ordinaires, de l'ordre de 1 %, mais reste stable en volume à périmètre constant. En 2004, en raison de la hausse des cours du pétrole, les économies de fonctionnement ont dû porter en priorité sur la gestion des approvisionnements en produits pétroliers. La marine a privilégié la mobilisation des stocks précédemment constitués par la direction du commissariat de la marine et a limité les achats en métropole comme à l'étranger. Si la situation présente perdure, le niveau des stocks actuels devrait revenir de 120 000 tonnes à 93 000 tonnes fin 2005, niveau qui reste satisfaisant. Ces mesures ont permis de maintenir globalement l'activité des bâtiments au niveau prévu, mais n'ont pu empêcher une légère réduction de l'activité aéronautique pour rester dans l'enveloppe de ressources allouées. En 2005, 452 millions d'euros seront prévus pour assurer le fonctionnement courant et l'activité de l'ensemble des unités de la marine, ce qui représente une augmentation de 2 % à périmètre constant. La dotation destinée à l'achat des combustibles progresse de 2 millions d'euros.

Avec 10 064 personnes, les personnels civils de la marine diminueront de 227 postes, à la suite de transferts vers d'autres services de la défense ou de non-remplacements des départs en retraite. Les effectifs budgétaires de personnels militaires baisseront de 936 postes, par suite notamment de transferts des infirmiers vers le service de santé des armées et d'autres effectifs vers les structures interarmées récemment mises en place, pour atteindre 43 195 personnes.

La diminution de 3 % de la masse salariale entre 2004 et 2005 résultera du solde net entre, d'une part, la baisse d'effectifs, les mesures d'externalisation et le transfert de prestations familiales vers les caisses d'allocations familiales et, d'autre part, la revalorisation indemnitaire liée à la poursuite du plan d'amélioration de la condition militaire et l'augmentation des crédits consacrés à la réserve. A périmètre constant, la masse salariale augmentera de 0,7 %, la réalisation des effectifs sera, cependant, comme en 2004, sous forte contrainte dont il sera souhaitable d'atténuer les effets en cours de gestion.

Au titre V, la part réservée aux investissements dans le projet de loi de finances pour 2005 est conforme à l'annuité correspondante de la loi de programmation militaire, soit 3 799 millions d'euros de crédits de paiement. La part destinée aux programmes classiques s'élèvera à 1 387 millions d'euros, dont 1 007 millions d'euros pour les fabrications. Le projet de budget 2005 inclut également les charges issues de la transformation du statut de DCN, le budget de la marine prévoyant à ce titre 379 millions d'euros, dont 144 millions d'euros pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) aux prestations de DCN.

L'admission au service actif, fin 2005, du premier bâtiment de projection et de commandement, le Mistral, marquera le renouvellement attendu des moyens de projection de forces à partir de la mer et améliorera également la capacité de la marine à accueillir sur une plate-forme navale un état-major de commandement international. Le Mistral remplacera l'Ouragan lancé il y a quarante et un ans, pour un coût comparable à celui du TCD Foudre, d'un tonnage pourtant inférieur. L'amélioration des capacités de projection se poursuivra avec le lancement effectif du programme du second porte-avions, la fabrication du Rafale au standard F 2 à capacité air-sol, en remplacement du Super-étendard, et la poursuite de la construction des frégates antiaériennes Horizon.

L'année 2005 sera également marquée par le renouvellement des frégates et des sous-marins d'attaque Barracuda. Réalisées en coopération avec l'Italie, les huit premières frégates multimissions devraient faire l'objet d'un financement « innovant », avec un paiement sur 15 ans à compter de la livraison des bâtiments, ce qui explique qu'aucun crédit de paiement ne soit inscrit au budget sur ce programme. Un arbitrage du premier ministre est attendu pour la confirmation du projet. Le niveau de convergence avec le partenaire italien est, quant à la définition du programme, très important et, par ailleurs, l'effet de série d'une commande de huit bâtiments devrait permettre de compenser le paiement d'intérêts grâce à un coût unitaire contenu à 280 millions d'euros.

Enfin, les quatre derniers chasseurs de mines tripartites modernisés seront livrés en 2005, ainsi que huit avions Super Etendard, aptes aux attaques air-sol, tout temps, le premier hélicoptère NH 90 dans sa version navale et cinquante torpilles MU 90.

Par ailleurs, la force océanique stratégique sera dotée de 837 millions d'euros de crédits de paiement, montant identique à celui de 2004. L'admission au service actif du troisième sous-marin nucléaire lanceur d'engins, le Vigilant, sera prononcée à la fin de l'année 2004, tandis que la construction du quatrième, le Terrible, se poursuit à Cherbourg, en vue d'une admission au service actif en 2010.

Le chef d'état-major de la marine a souligné le montant élevé des autorisations de programme, 5 955 millions d'euros. Il a précisé qu'elles comprenaient notamment 1 700 millions d'euros pour la commande des frégates multimissions et 904 millions d'euros pour le programme des sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda. En outre, le niveau des autorisations de programme du service de soutien de la flotte a été relevé, afin de lui permettre de poursuivre sa contractualisation pluriannuelle avec DCN et de préparer la première indisponibilité programmée d'entretien majeur du porte-avions Charles de Gaulle, prévue en 2006.

En conclusion, l'amiral Jean-Louis Battet a considéré que le titre V permettait d'engager le renouvellement du noyau dur de la flotte de surface et sous-marine et qu'il était satisfaisant. La marine cherche à améliorer l'environnement de travail et les profils de carrières de ses personnels mais elle participe également, comme l'ensemble des administrations de l'Etat et conformément aux engagements de la ministre de la défense, à l'effort général de maîtrise des dépenses publiques.

M. André Boyer, rapporteur pour avis des crédits de la marine, a souhaité un rappel des termes du débat relatif au second porte-avions et s'est interrogé sur la probabilité d'une coopération avec le Royaume-Uni. S'interrogeant sur les charges d'ores et déjà prévisibles qui pèseront sur la loi de programmation à venir, il a souhaité savoir quels seraient les équipements qui devront être programmés sur la période. Il a enfin sollicité des précisions sur le recrutement des personnels.

L'amiral Jean-Louis Battet a rappelé que la vocation océanique de la France était partagée en Europe avec le Royaume-Uni. Celle de l'Union européenne devrait se développer à mesure de la prise de conscience de ses intérêts et devoirs. La marine est l'instrument essentiel d'une présence durable et lointaine et le porte-avions est l'outil privilégié de la projection de puissance. La France a toujours eu le souci de maintenir deux porte-avions pour garantir la permanence de la présence à la mer d'un groupe aéronaval. La décision de restaurer cette permanence peut largement être imputée au succès de l'opération Héraclès lors des événements d'Afghanistan en 2001-2002. S'agissant des options en débat quant au mode de propulsion, les différences ne se sont pas révélées décisives en termes de coût mais le poids du porte-avions, alourdi dès son admission au service actif, a démontré la nécessité de retrouver des marges de manoeuvre pour garantir la mise en oeuvre du groupe aérien avec une vitesse suffisante, ce que permettait la propulsion conventionnelle.

L'amiral Jean-Louis Battet a exprimé sa conviction qu'une coopération avec le Royaume-Uni sur le dossier du porte-avions se réaliserait, mais qu'elle n'aurait peut-être pas l'ampleur initialement espérée. Le dossier comportait encore d'importantes incertitudes quant aux choix des Britanniques ; un bilan des convergences possibles entre les deux industries devrait être effectué à la mi-2005.

Il a souligné que, dans l'hypothèse d'un effort budgétaire soutenu, la préparation des programmes futurs était garantie. Les programmes qui pèseront sur la loi de programmation à venir sont notamment les frégates multimissions, le second porte-avions, les sous-marins nucléaires d'attaque Baraccuda, les pétroliers ravitailleurs ainsi que le renouvellement des moyens de sauvegarde maritime, notamment les bâtiments outre-mer, les patrouilleurs et les avions de surveillance. Sur les bases budgétaires actuelles, ces objectifs sont accessibles.

Le chef d'état-major de la marine s'est félicité des effectifs et de la qualité des personnels recrutés tout en soulignant la nécessité pour la marine de fidéliser ces recrues que leur formation rend attractif pour l'industrie civile. A cet égard, le renouvellement des équipements et les mesures sociales ont un impact décisif. L'amiral Jean-Louis Battet a ainsi souligné que la marine avait créé des pôles d'accueil dans les ports pour les familles et modernisé ses instances de concertation, notamment par la mise en place d'un réseau efficace de correspondants des personnels officiers et non-officiers. Elle a en outre fourni un effort important en matière de communication interne.

M. Didier Boulaud s'est associé aux propos du chef d'état-major relatifs à la qualité des personnels de la marine. Il a constaté que deux des principaux programmes d'équipements pèseraient, pour l'essentiel, sur la loi de programmation à venir, les frégates multimissions et le deuxième porte avions. Evoquant le rapprochement entre DCN et Thalès, il a souhaité savoir comment se présentaient les mouvements de rapprochement industriel au niveau européen. Il a en outre noté la diminution des effectifs, s'interrogeant sur le point de savoir si elle s'inscrivait dans un mouvement de décroissance programmée des effectifs des armées.

L'amiral Jean-Louis Battet a précisé que le programme du second porte-avions pesait à hauteur de 600 millions d'euros sur la période de programmation en cours. Le rapprochement entre DCN et Thalès s'inscrit dans une logique industrielle. En matière de rapprochement industriel européen, les sous-marins diesel, où excelle le chantier allemand HDW sont le domaine le plus prometteur à l'export.

Il a réaffirmé l'absence de marge de manoeuvre de la marine en matière d'effectifs. Une décroissance programmée qui rendrait nécessaire de réduire le format et les missions n'est pas à l'ordre du jour. La comparaison avec la réduction de format actuellement opérée dans la marine britannique n'est pas pertinente dans la mesure où cette dernière n'avait pas connu de révision de son format après la Guerre froide. Il n'est donc pas légitime de vouloir en tirer des enseignements pour la marine française qui a déjà, quant à elle, procédé à une réduction de son format de plus de 20 %.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits d'équipements de la défense, a souhaité des précisions sur la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances dans le cadre de laquelle les chefs d'état-major de chaque armée devraient se voir confier la gestion d'un budget opérationnel de programme.

L'amiral Jean-Louis Battet a souligné que la mise en oeuvre de la LOLF avait été, pour le ministère de la défense, l'occasion de mener de véritables réformes. Il a estimé que la tendance au renforcement de la coordination et de l'interarmisation devrait aller de pair avec une déconcentration importante pour l'exécution vers les structures de proximité. Les chefs d'état-major d'armées ont apporté, lors de la réforme de la professionnalisation, la preuve de leur crédibilité en tant que structure de gestion. Il s'est déclaré favorable à un découpage du programme 2 « préparation et emploi des forces » en budgets opérationnels de programmes par armée. Quant au pilotage du programme 3 « Equipement des forces », il importe de préserver la place des chefs d'état-major d'armée dans l'expression du besoin opérationnel.

Mme Hélène Luc a regretté le non-remplacement de certains départs en retraite. Elle s'est félicitée de l'appréciation positive portée sur la réforme de DCN et s'est enquise de l'appréciation des marins sur le projet de réforme du statut général des militaires.

L'amiral Jean-Louis Battet a considéré que les réformes et les gains de productivité demandés à la marine n'étaient pas inaccessibles et qu'ils constituaient une participation à la réforme de l'Etat. La fongibilité asymétrique des crédits, prévue par la LOLF est en outre une forte incitation aux gains de productivité. La réforme du statut général n'appelle pas de remarques spécifiques de la part de la marine dont les personnels sont attachés au maintien des valeurs particulières qui caractérisent la fonction militaire.

M. Josselin de Rohan s'est interrogé sur la stratégie navale américaine et sur la coopération de la Navy avec la marine française.

L'amiral Jean-Louis Battet a souligné que la coopération entre les deux marines restait excellente. Le déploiement du porte-avions Charles de Gaulle dans l'océan atlantique, prévu l'année prochaine, devrait fournir l'occasion de renforcer l'interopérabilité des moyens aéronautiques. La marine américaine consent des efforts très importants pour le recrutement de ses personnels, qui reste problématique. La stratégie navale reste axée sur les moyens de projection de puissance. En matière d'équipements, l'effort se concentre sur la sécurisation des zones, notamment à l'égard des menaces sous-marines par petits fonds, sur la mise en réseau des capteurs (NCW) et sur le débit des informations provenant des satellites et des réseaux de communication. En ce qui concerne la démarche de « Homeland security », la marine nationale a opéré un mouvement similaire depuis plus de 3 ans.

M. Jean-Pierre Fourcade a souhaité savoir dans quelle mesure l'externalisation pouvait représenter une source d'économies et comment la marine gérait la coexistence de personnels civils et militaires, avec un ratio de personnels civils particulièrement élevé.

L'amiral Jean-Louis Battet a rappelé que la marine avait une pratique ancienne de l'externalisation avec l'affrètement de remorqueurs de haute mer et de bâtiments de lutte anti-pollution. L'externalisation de certaines fonctions peut se révéler moins coûteuse. Il convient cependant de conserver en propre la maîtrise des activités proches des fonctions de combat.

En ce qui concerne les personnels civils, leur effectif peut atteindre le tiers de l'effectif total dans certains ateliers de bases aéronavales. Il semble que la coexistence soit désormais bien gérée. Il convient néanmoins que les relations avec des organisations professionnelles entrent dans la culture des personnels militaires, notamment par la voie de formations dans les écoles.

Nomination de rapporteurs

La commission a ensuite désigné comme rapporteurs :

- M. André Vantomme sur leprojet de loi n° 429 (2003-2004) autorisant l'approbation de l'annexe V au protocole au traité sur l'Antarctique, relatif à la protection de l'environnement, protection et gestion des zones ;

- M. Michel Guerry sur le projet de loi n° 430 (2003-2004) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure ;

- M. Daniel Goulet sur le projet de loi n° 443 (2003-2004) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Bosnie-Herzégovine sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ;

- M. Robert Del Picchia sur le projet de loi n° 444 (2003-2004) autorisant l'approbation de l'amendement à l'accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, signé à Paris le 29 mai 1990, en vue d'admettre la Mongolie comme pays d'opérations, adopté à Londres le 30 janvier 2004 ;

- M. Didier Boulaud sur le projet de loi n° 15 (2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Djibouti relative à la situation financière et fiscale des forces françaises présentes sur le territoire de la République de Djibouti.

PJLF pour 2005 - Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le projet de budget pour 2005.

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que notre environnement dangereux et instable exigeait la poursuite de l'effort de défense engagé depuis 2002. Les enjeux sont en effet importants : la sécurité des Français, la crédibilité de la France en Europe et dans le monde, sans oublier la dimension économique et sociale à travers un fort potentiel de recrutement, d'investissement et d'innovation.

La ministre de la défense a indiqué que le budget de son ministère s'élèvera en 2005 à 32,82 milliards d'euros (en hausse de 1,6 % par rapport à 2004), auxquels s'ajouteront 9,5 milliards d'euros pour les pensions.

Des choix sont opérés dans le souci d'une meilleure gestion humaine et financière. Ils portent sur l'organisation du ministère, ses ressources humaines, les programmes d'armement et l'industrie de défense. Ainsi les réorganisations de services seront effectives au 1er janvier 2005, comme les services d'infrastructures et ceux des archives. Des mesures de restructuration visent à la modernisation du ministère avec, au plan opérationnel, la création d'un régiment NRBC ou la dissolution d'un régiment d'hélicoptères consécutive à l'arrivée du Tigre. En matière de soutien des forces est prévue la réorganisation des établissements du commissariat et du matériel de l'armée de terre. Par ailleurs, 2005 verra l'externalisation de la gestion des véhicules de la gamme commerciale et des logements domaniaux de la gendarmerie aboutissant au redéploiement de plus de 1.000 emplois civils et militaires. Toutes ces mesures engendrent parfois des contraintes fortes pour les personnels ; la ministre a indiqué qu'elle veillerait à ce que la dimension sociale de ces adaptations soit prise en compte avec attention.

Mme Michèle Alliot-Marie a relevé que le projet de budget pour 2005 respecte la Loi de programmation militaire pour la troisième année consécutive, performance inédite dans notre pays. La disponibilité des matériels est accrue. Le redressement se traduit dans les faits : il est de plus de 8 % pour la flotte de surface, de plus de 5 % pour les avions de combat ; quant à la disponibilité des équipements en OPEX, elle est supérieure à 90 % pour l'Armée de terre.

Le projet de budget pour 2005, a poursuivi la ministre, contribuera également au renouvellement des équipements. 15,2 milliards d'euros de crédits de paiement (+ 2 %) seront consacrés à cette fin en 2005. Ainsi la fonction de communication sera renforcée avec la mise en orbite du premier satellite Syracuse III ; l'arrivée de dix Rafale dans l'armée de l'air en 2005 s'ajoutera aux cinq livrés en 2004, en vue de l'aptitude opérationnelle du premier escadron en 2006 ; le premier hélicoptère NH90 sera mis en service dans la marine ; huit hélicoptères Tigre seront livrés à l'armée de terre. Par ailleurs, un premier avion de transport à long rayon d'action est attendu en 2005 et la capacité de projection sera accrue avec la livraison du premier bâtiment de projection et de commandement. La frappe dans la profondeur sera renforcée avec 70 missiles de croisière SCALP-EG et 30 missiles AS30 laser. Enfin, les forces de gendarmerie seront mieux équipées et protégées (livraison de la totalité des gilets pare-balles).

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que 15,3 milliards d'autorisations de programme permettront de passer de nouvelles commandes de matériel : elles concerneront la poursuite du développement du missile M51, huit frégates multi-mission, 2 avions de transport à long rayon d'action et 1 100 systèmes FELIN pour améliorer la protection des fantassins. De même sera poursuivie la modernisation de l'équipement des forces de gendarmerie.

Afin de préparer l'avenir, un crédit de 1,34 milliard d'euros est consacré à la recherche et technologie, soit une hausse de 8 %. Mme Michèle Alliot-Marie a insisté sur la pertinence de la politique des démonstrateurs, qui permet de valider les technologies du futur et de fédérer l'industrie européenne comme pour le programme UCAV. Dans le même souci, la « bulle opérationnelle aéro-terrestre » offrira une vision homogène de la protection des troupes terrestres et l'Euromale permettra de rationaliser les programmes de drones aux plans opérationnel et industriel. Enfin, les ressources études amont augmenteront de 100 millions d'euros en 2005. La ministre a relevé qu'une part croissante de l'effort de recherche et technologie était désormais menée en coopération européenne à plus de 20 %, tendance qu'allait renforcer l'Agence européenne de défense et d'armement.

Mme Michèle Alliot-Marie a ensuite abordé les capacités d'entraînement des forces. La dotation de fonctionnement de 3,55 milliards d'euros (+ 3,4 %) permettrait de respecter les objectifs d'activité de la loi de programmation militaire (LPM). La ministre a reconnu que l'activité des forces avait souffert en 2004 du remboursement partiel des OPEX de 2003 et de leur non-budgétisation, obligeant les armées à en assurer la trésorerie au détriment de son fonctionnement courant. Pour 2005, la situation sera améliorée grâce à un abondement des crédits de carburant (20 millions d'euros) et surtout à la budgétisation initiale de 100 millions pour les OPEX.

Abordant la situation des personnels, Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que le projet de budget pour 2005 prévoyait une masse salariale de 14,2 milliards d'euros, en augmentation de 2,5 %. Une partie de ces crédits est cependant absorbée par des mesures incontournables comme la réforme des retraites (79 millions d'euros). Des créations d'emplois sont prévues dans les domaines prioritaires : 700 gendarmes au titre de la LOPSI, 58 médecins pour le service de santé et 20 postes pour la DGSE. Par ailleurs, des mesures sont prises en faveur du personnel militaire et civil : 43 millions d'euros pour le plan d'amélioration de la condition militaire, 11 millions d'euros pour le fonds de consolidation de la professionnalisation et 20 millions d'euros pour le plan d'adaptation des grades aux responsabilités dans la gendarmerie. Enfin, 12 millions d'euros bénéficieront au personnel civil pour la troisième année consécutive.

Une meilleure prise en compte de l'apport de la réserve permettra d'accroître de 6 000 personnes le nombre des réservistes. Cet effort en faveur des réserves sera complété prochainement par un projet de loi spécifique.

S'agissant des effectifs, la ministre a indiqué que des problèmes étaient apparus dans certaines armées, notamment dans l'armée de terre, où la consommation trop rapide des crédits de recrutement l'avait conduite à stabiliser les effectifs à la mi-2004. Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que l'armée de terre était engagée dans le cadre des OPEX sur des théâtres nombreux et particulièrement difficiles : Kosovo, Afghanistan, Côte d'Ivoire. Constatant les efforts considérables demandés à ces personnels, la ministre a indiqué qu'elle veillerait, en cours de gestion, à obtenir les marges d'action supplémentaires.

A la suite de cet exposé, un débat s'est engagé avec les membres de la commission.

M. André Dulait a demandé des précisions sur les perspectives de GIAT-Industries, sur le bilan de l'instauration des communautés de brigades dans la gendarmerie ainsi que sur l'intégration des personnels civils au sein de cette dernière, et enfin sur le déroulement du programme d'avions de transport A-400M.

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé les étapes de la concertation conduite, deux années durant, autour du plan de renouveau de GIAT-Industries. Elle a reconnu que les restructurations engagées avaient pu s'accompagner de perturbations affectant les calendriers de livraison de certains matériels, en particulier les chars Leclerc. Elle a souligné que les engagements pris par le gouvernement concernant l'implantation de nouvelles activités sur les différents sites industriels avaient été tenus, et qu'ainsi de nouveaux emplois allaient pouvoir se créer dans les régions touchées par ces restructurations. Elle a estimé qu'il fallait désormais travailler sur les nouvelles perspectives de l'entreprise, l'objectif constant du gouvernement ayant été de préserver une industrie de l'armement terrestre en France. Elle a ajouté que les efforts entrepris permettaient d'envisager, dans le futur, des regroupements avec d'autres industriels européens de l'armement terrestre.

Mme Michèle Alliot-Marie a jugé satisfaisantes les conditions d'intégration des personnels civils dans la gendarmerie et elle s'est montrée très favorable à l'établissement d'un bilan sur la mise en place des communautés de brigades, en souhaitant que les élus y soient associés.

Enfin, s'agissant du programme A-400M, elle a indiqué que les crédits de paiement avaient été mis en place à la hauteur voulue pour que cet avion de transport indispensable aux armées soit livré à compter de 2009.

M. Xavier Pintat, rappelant les récentes déclarations de la ministre sur le rôle de notre dissuasion nucléaire aujourd'hui, lui a demandé des précisions sur les enjeux des principaux programmes en cours, en particulier le programme de simulation et le missile M51. Par ailleurs, il l'a interrogée sur la mise en place de l'Agence européenne de défense et sur le contenu de ses missions.

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que nos capacités nucléaires militaires constituaient notre ultime protection face à un pays qui viendrait à mettre en cause nos intérêts vitaux, et ce dans une logique de dissuasion et non d'emploi. Au moment où de nouveaux pays accèdent à des capacités nucléaires et où d'autres cherchent manifestement à s'en doter, il serait irresponsable de renoncer à cette ultime protection. L'adaptation de nos forces nucléaires demeure indispensable, à la fois pour remplacer des matériels qui risqueraient de devenir obsolètes, et pour donner plus de crédibilité à notre doctrine dissuasive. De ce point de vue, le nouveau contexte international et la diversification des menaces conduisent à se doter de moyens plus performants et permettant des options plus diversifiées.

S'agissant de l'agence européenne de défense, elle doit permettre d'importants progrès en coordonnant davantage les efforts de recherche des pays européens qui, pris dans leur ensemble, dépensent un montant équivalent à la moitié de l'effort américain en la matière ; elle doit également favoriser l'étude en commun de nos besoins capacitaires, la conception des programmes permettant de combler ces lacunes et la mise en place des politiques d'acquisition appropriées.

M. André Boyer a demandé des précisions sur l'évolution des discussions entre DCN et Thalès en vue de leur rapprochement, ainsi que sur les perspectives d'alliances européennes dans le domaine de la construction navale et militaire. Il a souhaité connaître le calendrier et les implications financières du renouvellement de la flotte de surface affectée aux missions de sauvegarde maritime outre-mer. Enfin, il a demandé à la ministre si, à la suite de son récent voyage, elle pensait que de nouvelles possibilités de coopération avec la Suède étaient envisageables.

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné l'intérêt que représenterait un rapprochement entre DCN et Thalès, notamment au moment où des consolidations s'effectuent également en Allemagne, dans la construction navale militaire. Elle a toutefois rappelé que les modalités d'un tel rapprochement devaient être discutées entre les entreprises concernées.

S'agissant du renouvellement des bâtiments affectés à la sauvegarde maritime, elle a estimé que le choix du mode de financement devait être effectué au cas par cas en fonction du bilan coût/efficacité des diverses solutions.

Enfin, elle a confirmé le renforcement de notre coopération avec la Suède. Cette dernière a fait le choix de l'hélicoptère de transport NH90 et elle constitue l'un de nos partenaires dans le programme de démonstrateurs d'avions de combat non pilotés (UCAV). Elle souhaite également une coopération accrue dans le domaine de la recherche et de la technologie.

M. Jean-Pierre Plancade a souhaité obtenir des précisions sur l'arrêt des recrutements qui aurait été opéré au cours de l'été et sur l'évolution des effectifs militaires en 2005. Il s'est par ailleurs étonné que la provision inscrite dans le projet de loi de finances au titre des opérations extérieures se limite à 100 millions d'euros alors que les surcoûts de ces opérations s'élèvent en moyenne à 600 millions d'euros par an.

M. Didier Boulaud a appelé à porter un regard plus nuancé sur les conditions de respect de la loi de programmation militaire, compte tenu des reports de charges importants constatés au cours des deux derniers exercices, des retards de livraison de certains équipements, de l'augmentation des intérêts moratoires à la charge du ministère de la défense et des contraintes financières ayant empêché d'atteindre les objectifs fixés en matière d'entraînement. Relevant que des difficultés en matière d'effectifs surviendraient en 2005, il s'est demandé si on n'assistait pas à une révision rampante du format des armées. Il a par ailleurs constaté que l'effort de recherche pour 2005 restait très en deçà des niveaux prévus par la loi de programmation militaire.

M. André Rouvière a souhaité savoir si les créations d'emplois dans la gendarmerie s'accompagnaient parallèlement de certaines suppressions de postes. Il a demandé à la ministre quel serait le calendrier retenu pour établir le bilan de la création des communautés de brigades. Enfin, s'agissant de l'externalisation, il s'est demandé quelles seraient les autorités responsables de la passation des marchés pour la gendarmerie.

M. Michel Guerry a demandé des précisions sur l'évolution des exportations d'armements.

Mme Hélène Luc a reconnu qu'un effort avait été réalisé au profit des matériels des armées mais s'est inquiétée des évolutions en matière d'effectifs. Se référant aux déclarations du président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, qui a souhaité une pause en matière de dépenses consacrées au nucléaire militaire, elle a souhaité qu'un débat s'engage à ce sujet. Enfin, à propos de GIAT-Industries, elle a demandé que soit abandonné le projet de mise en oeuvre de 400 mesures de suppression d'emplois qui est actuellement simplement repoussé jusqu'en octobre 2005.

M. Jean-Pierre Fourcade a demandé si des difficultés avaient été rencontrées pour la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances et si, le cas échéant, le projet de découpage entre les programmes et les actions pouvait encore être modifié. Il a également demandé quelles étaient les mesures d'amélioration prévues dans le projet de budget en faveur des services de renseignement.

Mme Paulette Brisepierre a demandé à la ministre de faire le point sur les dernières évolutions de la situation en Côte d'Ivoire.

M. Philippe Nogrix a souhaité des précisions sur le type d'avions de transport à long rayon d'action destinés à remplacer les DC8 et sur le mode de financement qui sera retenu.

A la suite de ces interventions, Mme Michèle Alliot-Marie a apporté les précisions suivantes :

- les recrutements n'ont en aucun cas été arrêtés à compter du mois de juillet, mais ils se poursuivent désormais à un rythme compatible avec l'enveloppe budgétaire inscrite dans la loi de finances pour 2004 ; les variations d'effectifs réalisés constatées d'une année sur l'autre ne constituent en rien une révision du format des armées, ce dernier n'étant absolument pas remis en cause. Par ailleurs, si des possibilités apparaissent en cours d'année 2005 pour améliorer la situation des effectifs, elles seront utilisées ;

- les mesures d'externalisation permettent des redéploiements de personnels ;

- à la suite des travaux conduits par le Contrôle général des Armées et l'Inspection des finances, l'inscription d'une provision de 250 millions d'euros en loi de finances initiale est apparue comme la solution optimale pour financer dans de bonnes conditions les surcoûts des opérations extérieures, le recours aux lois de finances rectificatives demeurant nécessaire pour ajuster aux besoins réels ; dans cette perspective, il faut considérer que la création d'une ligne budgétaire spécifique et l'inscription d'une dotation de 100 millions d'euros pour 2005 constituent un indéniable progrès par rapport à la situation passée ;

- la loi de programmation militaire 2003-2008 est jusqu'à présent intégralement respectée, ce qui n'interdit pas d'effectuer certains aménagements dans l'affectation des crédits, notamment en fonction de l'évolution des besoins opérationnels ;

- les objectifs fixés en matière d'efforts de recherche et technologie devront être atteints sur l'ensemble de la période couverte par la loi ; les premières années d'exécution concentrent l'effort sur les fabrications de matériels ;

- il serait souhaitable que le bilan de la mise en place des communautés de brigades puisse être établi au cours de l'année 2005 ;

- les réaffectations d'emplois réalisées dans la gendarmerie correspondent à l'externalisation de la gestion des logements ;

- les procédures de passation des marchés publics de la gendarmerie n'obéissent pas à un schéma unique mais, dans la mesure du possible, une limitation du nombre d'autorités responsables est recherchée ;

- un rapport sur les exportations d'armements sera prochainement présenté au Parlement ;

- dans le contexte international actuel, marqué par la prolifération, il n'est pas responsable de laisser entrevoir un affaiblissement de nos capacités de dissuasion nucléaire ;

- le ministère de la défense soutient GIAT-Industries au travers de ses commandes ; à cet égard, le programme de véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) ouvre des perspectives intéressantes, compte tenu des besoins sur ce type de matériel dans de nombreuses armées ;

- s'agissant de l'application de la loi organique relative aux lois de finances, il est indispensable d'associer les armées aux responsabilités budgétaires liées à la conduite des programmes d'équipements, c'est pour cela que le programme 3 sera co-piloté par le Délégué Général pour l'Armement et le Chef d'Etat-major des armées , chacun rendant compte pour ce qui relève de sa responsabilité ;

- le projet de budget pour 2005 prévoit la création de vingt postes au profit de la DGSE afin, notamment, de recruter des linguistes spécialisés en langues rares ;

- la situation en Côte d'Ivoire s'est améliorée sur le plan militaire mais reste suspendue aux difficultés qui persistent sur le plan politique ;

- en matière d'avions de transport à long rayon d'action, le ministère de la défense s'oriente vers le recours à des avions civils, en privilégiant la solution de la location, éventuellement assortie d'une option d'achat.

Jeudi 21 octobre 2004

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Audition de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier a souhaité concentrer son intervention sur les deux conflits qui concernent la stabilité et la sécurité du monde : le conflit israélo-palestinien et l'Irak.

Abordant la situation de l'Irak, il a relevé que ce pays était en proie à un nouveau cycle de dégradation sécuritaire : l'insurrection qui se développe associe sunnites et chiites radicaux, islamistes, ex-baathistes et plusieurs grandes villes sunnites restent aujourd'hui en état d'insurrection. Le ministre a souligné que même la capitale était frappée presque quotidiennement par de violents attentats y compris dans la « zone verte », alors que les prises d'otages se généralisaient.

Le gouvernement intérimaire alterne répressions militaires et négociations d'accords politiques encore peu efficaces. La reconstruction de l'Irak piétine : la production pétrolière est entravée par les sabotages mais aussi par l'inquiétude des compagnies internationales face à un contexte si instable. Sur les 18,6 milliards de dollars accordés il y a une année par le Congrès des Etats-Unis, seul un milliard a été dépensé compte tenu de la faible capacité d'absorption financière de l'Irak.

Le ministre des affaires étrangères a souligné la fragilité du processus politique : le Premier ministre Allaoui rencontre des difficultés pour consolider son assise dans la population ce qui explique vraisemblablement l'échec, en août dernier, de la Conférence nationale qui n'a pas permis d'élargir la base du processus de transition. Ce problème, aggravé par la dégradation sécuritaire, aura pour conséquence que les élections générales prévues pour janvier 2005 risquent de ne pas pouvoir se tenir dans des conditions correctes.

La France, soutenue sur ce point par la Russie, a plaidé pour que la Conférence régionale élargie, prévue pour fin novembre en Egypte, soit une étape réellement utile dans le processus en cours, et que cette réunion permette de renforcer le soutien au processus fixé par la résolution 1546 des Nations unies.

Cette Conférence doit permettre une « double inclusivité » en associant à la fois les pays de la région et les forces politiques irakiennes qui auraient renoncé à la violence ; à cette fin, on pourrait adosser à la Conférence internationale réunissant les gouvernements une réunion inter-irakienne incluant l'opposition. Par ailleurs, il a souhaité que cette Conférence réaffirme le respect du calendrier de la transition, notamment en ce qui concerne l'éventualité d'un retrait des forces étrangères.

Evoquant la situation de nos deux compatriotes et de leur accompagnateur syrien retenus en otages, le ministre a indiqué que les efforts importants consentis pour leur libération requéraient patience et discrétion, dans un contexte local de chaos et de guerre. Il s'est félicité de l'esprit de solidarité et du sens des responsabilités manifestés par l'ensemble du monde politique français. Les otages sont en vie et l'espoir de leur libération est réel.

Abordant ensuite la récente visite qu'il avait effectuée en Israël, du 17 au 19 octobre, M. Michel Barnier a relevé qu'elle s'était déroulée dans un cadre purement bilatéral. Les deux objectifs de cette visite étaient, d'une part, de continuer de travailler à l'amélioration de notre relation bilatérale, d'autre part de réaffirmer l'urgence de la paix et la nécessité d'inscrire les initiatives en cours de préparation dans le cadre de la Feuille de route, à travers un réel dialogue avec les hommes politiques israéliens.

Le ministre a souligné que ses rencontres ne s'étaient pas limitées aux seuls responsables politiques mais avaient été élargies aux membres de la société civile, afin de mieux comprendre les interrogations de ce pays sur son avenir, ainsi qu'avec des Français doubles-nationaux qui avaient eu à souffrir du terrorisme.

Il a indiqué qu'au titre du devoir de mémoire, il s'était rendu au Mémorial de la déportation des Juifs de France et qu'il s'était également recueilli à Yad Vashem, sanctuaire consacré aux victimes de la Shoah.

M. Michel Barnier a défini les trois aspects essentiels qui ont constitué le fil conducteur de son déplacement :

- le devoir des Français et Israéliens de mieux se parler, s'écouter et se comprendre, de surmonter les préjugés réciproques sans dissimuler les divergences mais en maintenant un dialogue nourri entre gouvernements, sociétés civiles et élus des deux pays. Sur ce thème, il a souligné l'intérêt du travail important effectué par le groupe franco-israélien présidé par le Pr Khayat et l'ambassadeur M. Lancry. Il a noté que cet effort était reconnu et apprécié par les interlocuteurs israéliens et que son homologue Sylvain Shalom avait souligné la volonté française, exemplaire pour tous les autres pays d'Europe, de distinguer ce qui rapproche nos deux pays au titre bilatéral de ce qui nous sépare sur les questions régionales ;

- il a constaté que, sur les questions de l'antisémitisme en France, l'attitude et le ton de ses interlocuteurs israéliens avaient clairement changé. La politique française sans concession et l'engagement personnel du Président de la République ont été rappelés avec succès auprès de ses interlocuteurs ;

- le ministre a enfin évoqué la préoccupation majeure due à l'absence de paix dans le conflit central qui oppose, depuis plus d'un demi-siècle, Israéliens et Palestiniens. Il a souligné que, dans tous ses contacts, sa volonté permanente était de convaincre qu'Israël et les Palestiniens n'avaient d'autre choix que de mettre fin à ce conflit pour vivre dans la paix et la sécurité, chacun dans un état souverain.

Le ministre des affaires étrangères a rappelé que ce conflit n'était pas seulement régional et que l'insécurité qu'il induisait concernait de très nombreux pays. Il a souligné le consensus qui existait désormais en Israël sur la notion d'Etat palestinien et, dans le même temps, la difficulté sur la manière de parvenir à ce résultat. Pour les principaux responsables israéliens, l'absence, à leurs yeux, de véritable partenaire palestinien justifie l'action unilatérale qui constitue la logique du plan de retrait de Gaza.

Le ministre a indiqué qu'il avait insisté sur plusieurs points :

- le retrait de Gaza serait un pas positif puisqu'il restituerait aux Palestiniens une partie des territoires occupés. Toutefois, ce retrait ne constituerait un succès que s'il était inscrit dans la Feuille de route comme une première étape de négociations, les Palestiniens étant mis en mesure d'établir les conditions d'un réel transfert d'autorité. Le ministre a souligné que « Gaza d'abord » ne pouvait signifier « Gaza seulement ». Le retrait devait se poursuivre en Cisjordanie afin, comme le dit textuellement la Feuille de route, de mettre fin à l'occupation qui a commencé en 1967 ;

- pour que le retrait de Gaza soit réellement réussi, la communauté internationale, et en particulier l'Union européenne, devrait être associée au processus, non seulement en termes économiques mais aussi en termes politiques : l'Europe est aujourd'hui un véritable acteur politique et l'engagement américain, même s'il est essentiel, ne suffit plus. Le rôle de l'Egypte dans le processus est également capital et doit être soutenu ;

- enfin, le ministre a rappelé que les Palestiniens avaient également des obligations à remplir, évoquant notamment la nécessaire réforme des services de sécurité et l'ouverture du système politique palestinien, qui se produirait d'autant plus vite que les élections prévues pour l'an prochain pourraient avoir lieu.

S'agissant de la focalisation légitime sur les questions de sécurité, le ministre a rappelé que la France condamnait de façon absolue le terrorisme. Il a souligné également l'illégalité du tracé de la barrière de séparation, la seule véritable garantie de sécurité pour les Israéliens étant de parvenir à la paix avec leurs voisins.

M. Louis Mermaz a souhaité des éclaircissements sur la situation en Afghanistan et en Côte d'Ivoire, pays où la France est militairement présente.

Mme Maryse Bergé-Lavigne, sans contester le bien-fondé de la résolution 1559 du Conseil de sécurité demandant le retrait des troupes syriennes du Liban, s'est demandé si elle intervenait au bon moment.

M. Jean François-Poncet a demandé au ministre des précisions sur la nature de l'opposition irakienne et sur sa disponibilité à participer à une éventuelle conférence inter-irakienne. Il s'est interrogé par ailleurs sur les modalités de fixation d'un terme à la présence des forces américaines en Irak, souhaité par la France. Il s'est félicité du déplacement du ministre en Israël. Il importait, en effet, de ne pas donner l'impression d'un soutien inconditionnel à l'une ou l'autre parties en présence. Il s'est dit pessimiste quant à la suite du processus de retrait israélien de Gaza. Par ailleurs, si un consensus existe en Israël pour un Etat palestinien, de quel Etat s'agit-il, d'un Etat réellement viable ou d'un territoire divisé et morcelé ?

M. Pierre Mauroy a critiqué la position du premier ministre israélien se refusant à rencontrer quiconque s'entretiendrait avec le président de l'Autorité palestinienne qui reste malgré tout le symbole du peuple palestinien. Il a déploré qu'Israël considère davantage l'Union européenne pour ses opportunités économiques que pour son influence politique ; si le retrait de Gaza constituait un geste politique conséquent, les récentes déclarations d'un conseiller de M. Sharon sur l'après-retrait portaient au pessimisme. Constatant par ailleurs que la situation en Irak était suspendue au résultat des élections américaines, il s'est interrogé sur les options que préparait la France en cas de victoire du candidat démocrate.

M. Jean François-Poncet s'est alors interrogé sur une éventuelle évolution de la position française sur l'envoi de troupes en Irak, dans l'hypothèse où une demande d'intervention serait formulée par un gouvernement irakien représentatif et reconnu comme tel par la communauté internationale et l'ensemble du monde arabe.

M. Michel Barnier a apporté les éléments de réponse suivants :

- en Côte d'Ivoire, le principal sujet de préoccupation est le glissement du calendrier fixé à Marcoussis et Accra. L'adoption de la révision constitutionnelle et des réformes législatives aurait dû intervenir avant le 30 septembre et le désarmement aurait dû être engagé avant le 15 octobre. La France reste vigilante pour assurer le respect du plan de paix. Dans ce contexte contrasté, le discours à la nation du président Laurent Gbagbo du 12 octobre dernier, par lequel il s'est engagé à réviser les conditions d'éligibilité à la présidence de la république en contrepartie du début du désarmement, est un élément positif. Il a également réaffirmé, dans une récente interview, que l'option militaire n'était pas de mise. Les 4 500 soldats français de l'opération « Licorne » resteront dans le pays aussi longtemps que nécessaire, notamment pour y assurer la sécurité de nos compatriotes. Les 6 500 hommes de l'ONUCI sont désormais totalement déployés pour appuyer le processus politique ;

- en Afghanistan, la France assure une présence militaire ainsi que le commandement de la Force multinationale. Le déroulement des élections peut être considéré comme un vrai succès et la France poursuit son aide, notamment pour la formation de nouveaux cadres ;

- en ce qui concerne le Liban et la résolution 1559 du Conseil de sécurité, il ne s'agit pas d'un changement de position de la part de la France qui a toujours défendu sans faiblesse le respect de la souveraineté, de l'intégrité et de l'indépendance du Liban. Les difficultés actuelles de la région et le conflit israélo-palestinien ne peuvent justifier que persiste une situation limitant la souveraineté du Liban. La France a considéré que la révision constitutionnelle qui a permis la réélection du président Emile Lahoud constituait une incitation à réaffirmer son attachement à la restauration de la souveraineté du Liban. Les relations de notre pays avec la Syrie sont anciennes, mais elles n'excluent pas que la France réaffirme ses positions quand cela est nécessaire. Le suivi de la résolution 1559, prévu par la récente déclaration présidentielle du Conseil de sécurité, qui établit le principe d'un rapport semestriel du Secrétaire général des Nations unies sur cette question, permettra de vérifier les progrès accomplis;

- en Irak, l'opposition est composée de forces de nature très différente. Il peut s'agir de groupes armés ou de mouvements politiques. Ces forces ne sont pas intégrées dans le jeu politique et il convient de les y faire entrer, dès lors qu'elles s'engagent à renoncer à la violence. La France a émis l'idée d'une conférence inter-irakienne qui serait adossée à la conférence gouvernementale de Sharm El Sheikh prévue pour la fin novembre afin d'encourager ces groupes, à la condition essentielle, une fois encore, de leur renoncement à la violence, à s'intégrer à la vie politique du pays ;

- le retrait des troupes étrangères d'Irak est prévu par la résolution 1546 et aucune unité nationale ne pourra s'affirmer si une présence étrangère demeure. Si un retrait immédiat n'est bien sûr pas concevable, il importe de fixer un horizon accessible, nécessaire à la consolidation politique ;

- l'attitude de la communauté internationale face au conflit israélo palestinien doit être volontariste et déterminée. L'Union européenne peut tenir son rôle à condition que les 25 soient unis. La réussite du retrait de Gaza, grâce à un plan d'accompagnement spécifique soutenu entre autres par l'Europe, pourrait démontrer qu'il est possible d'aller plus loin. En l'absence d'un tel plan, c'est l'ensemble du processus qui serait bloqué. Les efforts de la reconstruction politique et économique, la contribution de l'Egypte et le possible réengagement américain après les élections présidentielles sont des facteurs majeurs pour permettre demain des progrès dans une situation aujourd'hui figée. La place de l'Europe dans ce dossier dépend des européens eux-mêmes et les instruments d'un rôle politique renforcé pour l'Union européenne sont d'ailleurs présents dans le projet de traité constitutionnel ;

- l'éventualité d'un engagement de troupes françaises en Irak n'est pas à l'ordre du jour pour des raisons de principe qui tiennent aux conditions d'engagement du conflit. Pour autant, la France a fait part de sa disponibilité pour la formation des forces de sécurité ou de gendarmerie irakiennes. Au demeurant, les moyens d'aider l'Irak sont divers et la France entend être active, en particulier sur les questions de dette ou de formation.

M. Didier Boulaud a interrogé le ministre sur d'éventuels contacts avec les Américains au sujet des otages français retenus en Irak. Évoquant la situation au Darfour et la résolution 1564 du conseil de sécurité, il a souhaité que la France prenne une initiative pour mettre fin à la catastrophe humanitaire en cours dans la région.

Mme Monique Cerisier ben Guiga a souligné l'existence d'une faille africaine, allant du Darfour aux Grands lacs où les conflits sont alimentés par la compétition pour l'accès aux matières premières. La France et l'Europe ont une responsabilité dans la gestion de ces crises. Elle a en outre estimé que la bande de Gaza ne pouvait être considérée comme un espace viable et que l'envoi de policiers égyptiens à Gaza n'était pas souhaitable, compte tenu des méthodes particulières qui sont les leurs. Elle s'est enfin interrogée sur la capacité de la diplomatie française à retrouver une crédibilité à l'égard des opinions publiques du monde arabe alors que la France maintient des liens étroits avec des dirigeants dont l'impopularité va croissant.

Mme Hélène Luc a considéré que la France et l'Europe devaient faire preuve de davantage de fermeté dans le conflit israélo-palestinien. Elle a estimé que la dissociation des visites officielles en Israël et dans les territoires palestiniens, liée à l'interdit qui pèse sur la personne de Yasser Arafat, constituait une concession regrettable. Citant l'exemple du parti communiste irakien, elle a souhaité que l'ensemble des forces politiques irakiennes puissent s'exprimer.

Mme Catherine Tasca a relevé les divisions qui affectent la vie politique intérieure libanaise depuis la fin de la guerre civile en estimant que la présence syrienne n'expliquait la situation que pour partie. Elle a souhaité savoir comment pourrait évoluer la situation intérieure du pays après la démission du premier ministre, M. Rafic Hariri.

M. Yves Pozzo di Borgo a interrogé le ministre sur la politique française à l'égard des pays émergents comme la Chine, le Brésil et l'Inde. Il a souhaité savoir dans quelles mesures les services du ministère des affaires étrangères pouvaient accompagner les initiatives économiques du secteur privé à l'égard de la Chine.

M. Michel Barnier a apporté aux commissaires les réponses suivantes :

- la France travaille à la libération de ses otages avec l'ensemble des acteurs susceptibles d'y contribuer ;

- au Soudan, le déploiement de militaires français à la frontière avec le Tchad a permis de stabiliser la situation, mais le conflit a provoqué le déplacement de plus de 2 millions de personnes et 300 000 réfugiés sont massés à la frontière. L'engagement de l'Afrique elle-même sur le dossier du Darfour à travers l'Union africaine est un élément positif. Il revient à l'Union européenne de fournir des capacités logistiques et d'encadrement. D'une façon plus générale, il convient que les Européens parviennent à mutualiser leurs politiques et leurs moyens d'action en Afrique afin d'y renforcer leur influence. Le ministre a ainsi annoncé un examen des politiques bilatérales des pays du sud de l'Union européenne à l'égard des trois Etats du Maghreb en vue d'en renforcer l'efficacité ;

- le retrait de la bande de Gaza doit s'opérer en coopération avec l'autorité palestinienne, sauf à créer une situation encore plus dégradée. Un Etat palestinien ne se réduira pas à Gaza ; il devra aussi comprendre la Cisjordanie et le passage entre les deux territoires ;

- les pays du monde arabe ont besoin de démocratisation et de développement mais le rythme des changements doit prendre en compte la réalité de ces sociétés. C'est le sens du processus de Barcelone d'appui au développement économique et social de l'ensemble de la zone méditerranéenne ;

- sur le continent africain, des systèmes de régulation des ressources naturelles et d'accès à l'eau devront être mis en place, avec le soutien de la diplomatie française dont l'ambition environnementale doit être renforcée ; ce thème sera au centre des travaux de la prochaine conférence des ambassadeurs de la rentrée 2005 ;

- au Liban, la guerre civile a cessé, mais il convient de promouvoir la réconciliation interne. Le pays est affaibli par la dette et doit encourager les réformes économiques. Le retour à la souveraineté reste cependant un objectif prioritaire pour redonner aux Libanais confiance en eux-mêmes ;

- l'Asie doit bénéficier d'une réorientation stratégique des priorités de notre diplomatie. L'Inde a vocation, aux yeux de la France, à siéger au Conseil de sécurité des Nations unies. Le voyage présidentiel en Chine a permis de créer un climat favorable à la coopération. Enfin, le ministre a indiqué sa volonté de mettre en place de nouvelles modalités d'accueil des personnalités étrangères qui permettraient d'augmenter le nombre de ces séjours dans notre pays.