Table des matières


Mercredi 31 janvier 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Jean-Michel Blanquer, directeur de l'Institut des Hautes études d'Amérique latine

La commission a tout d'abord entendu M. Jean-Michel Blanquer, directeur de l'Institut des Hautes études d'Amérique latine.

M. Jean-Michel Blanquer
a indiqué, en premier lieu, que l'une des ambitions de l'Institut des Hautes études d'Amérique latine était de contribuer à la reconnaissance, par les pouvoirs publics, de l'importance stratégique de l'Amérique latine, trop souvent considérée, en France et en Europe, comme une région périphérique. Il a également indiqué que la réalisation de cet objectif impliquait le resserrement des liens entre l'université et les pouvoirs publics, et notamment le Parlement, à l'instar de ce qui se fait souvent aux Etats-Unis.

M. Jean-Michel Blanquer a ensuite présenté la situation de l'Amérique latine sous deux aspects. Ce sous-continent s'inscrivait, selon lui, dans le cadre d'un " triangle Atlantique " réunissant l'Amérique latine, les Etats-Unis et l'Union européenne. La fin de la guerre froide et la consolidation de la démocratie sur l'ensemble du continent, ainsi que la volonté des pays de la région de contrebalancer leur relation privilégiée avec les Etats-Unis, ont conduit l'Union européenne à établir de nouvelles relations avec l'Amérique latine, longtemps considérée comme le champ d'intervention privilégié de Washington. Les Etats-Unis n'entendaient cependant pas abandonner leurs prérogatives traditionnelles dans cette région et M. Jean-Michel Blanquer a évoqué la dépendance économique de certains Etats, comme le Mexique, à l'égard de leur voisin du nord.

Les relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine se développaient dans le cadre d'un dialogue institutionnel initié lors du Sommet de Rio, qui avait rassemblé, en juin 1999, les quinze pays membres de l'Union européenne et 34 pays de l'Amérique latine et des Caraïbes. Ce dialogue concernait trois domaines : les échanges économiques et commerciaux, les relations politiques et stratégiques et enfin les relations culturelles.

S'agissant des échanges économiques et commerciaux, M. Jean-Michel Blanquer a tout d'abord souligné la faible part du Mercosur dans le commerce mondial (1,3 %), et de l'Amérique latine en général (2,5 %-3 %) en comparaison de celle de l'Union européenne (19 %). Ce déséquilibre était accentué par l'absence, dans le sous-continent américain, de structures institutionnelles symétriques à celles de l'Union européenne, le Mercosur constituant l'entité qui s'en rapprochait cependant le plus. Un agenda de discussion avait été fixé, fondé sur une ouverture réciproque des deux marchés : exportations de produits agricoles et de produits industriels à faible valeur ajoutée pour le Mercosur : production agricole et industrielle à forte valeur ajoutée pour l'Union européenne. Au total, les structures économiques des deux ensembles étaient complémentaires, sauf sur certains produits sensibles.

M. Jean-Michel Blanquer a rappelé que la France avait été à l'origine du Sommet de Rio, né d'une initiative du Président de la République lors de son voyage dans les pays du " Cône sud ". Notre pays avait été cependant considéré avec suspicion, par les pays de la zone, qui voyaient en lui le défenseur d'une certaine forme de protectionnisme de l'Union européenne, notamment sur le plan agricole. Les propositions concrètes énoncées par les autorités françaises avaient permis de clarifier la position de la France, désormais reconnue comme un interlocuteur privilégié dans le dialogue Europe-Amérique latine.

M. Jean-Michel Blanquer a ensuite souligné que cette revitalisation des relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine s'opérait au moment de la montée en puissance du projet de zone de libre échange des Amériques (ZLEA), défini lors du Sommet de Miami de 1994, prévoyant, à l'horizon 2005, une totale union douanière du continent, de l'Alaska à la Terre de Feu. Pour la nouvelle administration américaine, ce projet constituait un objectif prioritaire. Une sorte de " course à l'Agenda " était ainsi engagée entre les deux projets. Le Brésil, pour sa part, avait élaboré un contre-projet tendant à constituer un ensemble commercial spécifiquement sud-américain, réunissant le Mercosur élargi au Chili et à la Bolivie, et les pays andins. Ce projet traduisait la volonté de constituer un groupe Sud autonome, en position de force par rapport à l'ALENA (accord de libre-échange nord-américain réunissant le Mexique, les Etats-Unis et le Canada), stratégie justifiant la conclusion d'accords avec l'Union européenne.

M. Jean-Michel Blanquer, retraçant les étapes des négociations commerciales entamées depuis novembre 1999 sur les obstacles non tarifaires, a souligné les enjeux des prochaines discussions sur les barrières tarifaires qui débuteront en juillet 2001. L'Union européenne, dans la négociation, se heurterait à un triple problème : l'existence des obstacles tarifaires de la PAC, l'indifférence des opinions publiques européennes, à l'exception de leurs fractions qui avaient des intérêts défensifs, enfin une mobilisation politique et administrative bien moindre qu'aux Etats-Unis.

M. Jean-Michel Blanquer a ensuite abordé le volet politique et stratégique de la relation entre l'Union européenne et les pays d'Amérique latine, définie lors du sommet de Rio. Après avoir évoqué le traditionnel interventionnisme de Washington en Amérique latine, il a fait observer qu'aucune des cent cinquante interventions directes réalisées par les Etats-Unis depuis le XIXe siècle n'avait concerné un Etat situé au sud du Panama. L'influence des Etats-Unis dans la région était liée à la défense de leurs intérêts pendant la guerre froide. Depuis la fin de cette période, les choses avaient évolué et Cuba demeurait un cas isolé. Cependant, la lutte contre la drogue était devenue le nouveau paradigme de la politique étrangère des Etats-Unis, permettant le maintien de leur influence politique et militaire dans la région. Dans ce contexte, la Colombie est devenue un élément essentiel dans la relation de l'Union européenne et des Etats-Unis avec l'Amérique latine.

M. Jean-Michel Blanquer a relevé les disparités régionales affectant le continent sud-américain, dont les pays de la zone andine constituaient le " ventre mou " en raison de graves difficultés économiques. Cette appréciation concernait particulièrement la Colombie, malgré ses richesses naturelles et la qualité de ses élites économiques, où l'Etat était inexistant en dehors des grandes villes. La France, initialement encline à s'en remettre à la seule responsabilité des Etats-Unis, avait, au cours de sa présidence de l'Union européenne, évolué positivement en proposant une aide concrète à la mise en oeuvre du " plan Colombie ". Une contribution européenne de 300 millions d'euros avait été décidée, qui avait permis d'asseoir la visibilité européenne en Colombie et, au-delà, à l'ensemble du continent. Il a enfin rappelé que la situation de la Colombie était, selon le nouveau secrétaire d'Etat américain, M. Colin Powel, le " problème majeur du continent ".

M. Jean-Michel Blanquer a ensuite rappelé que les relations culturelles constituaient, conformément au souhait de la France, un élément fondamental du processus de coopération élaboré au Sommet de Rio, placé au même niveau que les volets politique et commercial. Les élites latino-américaines avaient longtemps été tournées vers l'Europe, mais cette tendance en venait à s'émousser, comme l'illustrait l'évolution des flux d'étudiants sud-américains, de plus en plus attirés par les Etats-Unis. Le développement des échanges entre l'Amérique latine et l'Europe, dans l'enseignement supérieur, devenait donc un enjeu essentiel. Dans ce domaine, la France tenait encore la première place pour l'accueil d'étudiants sud-américains, mais immédiatement devant la Grande-Bretagne et l'Espagne. A l'initiative de la France, un sommet avait réuni, à Paris, en novembre 2000, les ministres de l'enseignement supérieur des 49 pays de l'Union et d'Amérique latine pour réfléchir aux modalités de cette coopération fondée sur une harmonisation progressive des diplômes.

Concluant, M. Jean-Michel Blanquer a estimé que, dans ses relations avec l'Amérique latine, la France devait prendre en compte les orientations de trois pays " concurrents " : les Etats-Unis, en premier lieu, à l'égard desquels l'Amérique latine et l'Union européenne pouvaient adopter des positions communes, notamment en ce qui concerne la question de l'exception culturelle dans le cadre des négociations commerciales internationales ; l'Allemagne ensuite, dont l'orientation prioritaire en faveur de l'Europe centrale et orientale la conduisait à privilégier les concours financiers de l'Union européenne en faveur de cette région, de préférence au continent sud-américain ; l'Espagne enfin, avec qui la France démontrait une même sollicitude à l'égard de l'Amérique latine, qui devait conduire notre pays à inscrire son action dans un cadre de partenariat, et non de rivalité, avec Madrid.

A la suite de l'exposé de M. Jean-Michel Blanquer, un débat s'est instauré entre les commissaires.

M. André Rouvière s'est interrogé sur la place que les pays d'Amérique latine entendaient accorder à l'euro. Il a, par ailleurs, demandé des éclaircissements sur les relations entre le Mexique et le Canada au sein de l'ALENA, ainsi que sur l'évolution des courants migratoires du Mexique vers les Etats-Unis. Il s'est interrogé sur les perspectives ouvertes au Parti révolutionnaire institutionnel mexicain (PRI) et sur la perspective de règlement pacifique de la situation au Chiapas après l'élection du Président Fox.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a demandé des précisions sur l'influence de la religion en Amérique latine. Il s'est, par ailleurs, interrogé sur la rentabilité des investissements français réalisés dans certains pays de la zone, ainsi que sur la position du Japon dans cette région.

M. André Dulait a interrogé M. Jean-Michel Blanquer sur l'atout que constituaient nos départements d'outre-mer comme " porte d'entrée " sur le continent sud-américain.

M. André Boyer s'est interrogé sur le rôle de l'espace Caraïbes dans les relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Il a, par ailleurs, demandé des précisions sur la situation actuelle de Cuba dans la région.

M. Christian de La Malène s'est étonné de la situation économique défavorable des Etats andins, compte tenu de leurs ressources naturelles, alors qu'on avait espéré, pour eux, une évolution comparable à celle des pays émergents d'Asie.

M. Xavier de Villepin, président, a évoqué la " course à l'Agenda " entre le projet européen d'un partenariat avec le Mercosur d'ici 2003 et la réalisation, soutenue par Washington, d'une Union douanière commune à l'ensemble des Amériques pour 2005. Il s'est inquiété du récent ralliement du Chili, membre associé du Mercosur, à ce projet de zone de libre-échange des Amériques. Il a également souligné que la politique agricole commune, représentant près de 54 % du budget de l'Union, constituait un facteur de dissension entre les Quinze, et risquait de fragiliser la position de l'Europe lors des négociations avec ses partenaires sud-américains. Il a relevé, à cet égard, que le Président Bush ne manquerait pas de bénéficier, en raison du soutien du Congrès, de la procédure de négociation rapide (fast track) pour réaliser l'union douanière projetée pour 2005. Il s'est enfin interrogé sur le rôle des militaires dans l'évolution institutionnelle du continent.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Michel Blanquer a apporté les précisions suivantes :

- la dollarisation est très développée dans la plupart des économies du continent sud-américain, y compris à Cuba. L'Argentine a choisi, pour sa monnaie, la parité absolue avec le dollar, au prix de coûts sociaux importants, afin de lutter efficacement contre l'inflation. Les limites de la dollarisation des économies sont également politiques, comme l'illustre la réaction de l'opinion publique équatorienne au projet de substituer le dollar à la devise nationale. Rappelant que la dollarisation conduisait à l'abandon de la dévaluation comme instrument de politique monétaire, il a indiqué que le refus du Brésil d'une telle parité témoignait de sa volonté d'indépendance. Compte tenu de cette prééminence du dollar, l'euro ne serait pris en compte qu'à titre secondaire dans les économies sud-américaines ;

- le Mexique et le Canada entretenaient des relations privilégiées, destinées à limiter l'hégémonie des Etats-Unis sur l'ALENA. La présence de fortes minorités, francophones au Canada et hispanophones aux Etats-Unis, incitait à mettre à jour la complexité de l'Amérique du Nord. L'ALENA n'a pas eu de sensible conséquence sur les flux migratoires, la croissance économique des Etats-Unis ayant contribué à l'essor économique du nord du Mexique au détriment du sud, toujours en proie à des revendications identitaires. A cet égard, les prochaines concertations entre le Président Fox et le sous-commandant Marcos devraient bientôt apaiser la situation au Chiapas ;

- le Parti révolutionnaire institutionnel, devenu le principal parti d'opposition de gauche au Mexique, pouvait faire l'objet d'une refondation, compte tenu de l'appareil politique qu'il a préservé ;

- on assiste à une certaine " protestantisation " de l'Amérique latine et à une " catholisation " des Etats-Unis. Les vingt dernières années, marquées par l'abandon progressif des régimes concordataires, auparavant en vigueur sur l'ensemble du continent sud-américain, ont modifié l'influence politique de l'église. Cela étant, en Colombie, si l'Église catholique a perdu son pouvoir temporel, elle reste considérée, par l'opinion publique, comme l'institution la plus crédible. Au total, en dépit d'une influence accrue des églises protestantes, la remise en question du rôle de l'église en Amérique latine est loin de correspondre à une quelconque déliquescence ;

- les craintes, exprimées l'an passé par Peugeot et Renault, d'un surinvestissement dans la région ne se sont pas vérifiées et les investisseurs français, notamment au Brésil et en Argentine, retirent une appréciation positive de leur engagement.

A M. Xavier de Villepin, président, qui s'inquiétait des stratégies monétaires différentes suivies par le Brésil et l'Argentine, M. Jean-Michel Blanquer a indiqué que le Brésil représentait, à lui seul, un facteur de stabilité et constituait 90 % du Mercosur. Il a par ailleurs indiqué que le solde des échanges commerciaux entre l'Union et l'Amérique latine nous était très favorable, à l'exception du Mexique ;

- le Japon est un investisseur très important en Amérique latine et se classe comme second contributeur, après l'Union européenne et avant les Etats-Unis, au développement du continent. L'action de ce pays est en outre relayée par la présence d'une forte communauté asiatique dans la région ;

- la création, en Guyane, d'un pôle de développement universitaire, au carrefour des influences amazoniennes et latino-américaines, constituerait un atout majeur pour notre pays. Il est regrettable que la création de centres de formation, en Guadeloupe et en Martinique, demeure, pour l'heure, à l'état de projets ;

- les Etats de l'Espace Caraïbes révèlent une diversité culturelle liée aux composantes anglo-saxonne, francophone, hispanophone et créole. Ils ont en commun la volonté de se différencier du reste du continent sud-américain. Ces pays doivent faire face à des difficultés économiques et sociales et présentent un enjeu stratégique dans la lutte contre les narcotrafics et le blanchiment d'argent ;

- Cuba n'a pas participé au dernier sommet des Amériques. L'inclusion de Cuba dans la zone de solidarité prioritaire (ZSP) témoigne du souci des autorités françaises de préparer l'" après-Castro " ;

- la situation économique des pays andins est liée à leur spécificité géographique, à l'hétérogénéité de leurs populations et aux conséquences de l'exploitation incontrôlée de leurs ressources naturelles. Les rares investissements qui y sont réalisés sont souvent accaparés par des réseaux illégaux. Une réflexion s'impose sur les questions de la drogue. La destruction réussie de certaines cultures, comme celle de la coca en Bolivie et au Pérou, s'avère préjudiciable pour les populations rurales dont elles constituent le moyen de subsistance, faute d'une réelle gestion de l'impact social de telles mesures ;

- répondant à M. Charles-Henri de Cossé-Brissac, qui rappelait l'émergence progressive des drogues d'origine synthétique sur le marché mondial, M. Jean-Michel Blanquer a reconnu que ce phénomène risque d'affecter l'économie de certains pays producteurs ;

- le volontarisme des Etats-Unis dans la mise en oeuvre du projet de ZLEA ne rendait que plus nécessaire l'émergence du Mercosur comme partenaire solide de l'Union européenne, ce qui impliquait, de la part de cette dernière, la mise en oeuvre des moyens politiques dont elle dispose ;

- les militaires ne sont plus en situation d'agir politiquement comme ce fut le cas par le passé, d'autant que les difficultés économiques souvent insurmontables ne contribuent pas à rendre attractif l'exercice du pouvoir. Les mécanismes de la communauté internationale, qui prévoient des sanctions à l'égard des régimes autoritaires, sont un autre élément dissuasif, comme l'a illustré l'échec du récent coup d'Etat en Uruguay. De même, en Équateur, l'armée est, depuis trois ans, pressée en vain par la population de prendre le pouvoir. L'influence des militaires demeure cependant, mais elle est également confrontée, dans la plupart des pays, à la réduction des budgets de défense, à l'exception de la Colombie, ainsi que du Guatemala et du Chili, où la stabilité des crédits militaires est garantie par des dispositions constitutionnelles spécifiques.

Mission d'information à l'étranger - Djibouti et Erythrée - Communication

La commission a ensuite entendu une communication de M. André Dulait, à la suite d'un déplacement qu'il a effectué, du 5 au 14 janvier, à Djibouti et en Erythrée, avec M. Jean Faure.

Présentant tout d'abord la situation de Djibouti, M. André Dulait a indiqué que ce pays avait une superficie de 23.000 km², soit environ celle de deux départements français, et une population de 620.000 habitants, dont 400.000 pour la seule capitale. Dernier territoire français devenu indépendant en 1977, la République de Djibouti est, actuellement, dirigée par le Président Ismail Omar Guelleh et dispose d'une seule Chambre, composée de 65 députés. Sa situation économique et sociale est difficile, en raison d'une nature particulièrement hostile, les terres cultivables ne représentant que 0,2 % de la superficie du pays, et de l'absence d'infrastructures en dehors de la voie de chemin de fer qui relie Djibouti à Addis-Abeba. La modernisation de cette liaison ferroviaire assurant 10 % seulement du transport des marchandises vers l'Ethiopie est soutenue financièrement par la France, qui a accordé une aide à Djibouti de 45 millions de francs pour la première tranche des travaux ; elle est destinée à renforcer le rôle du port de Djibouti comme " porte d'entrée " de l'Éthiopie. M. André Dulait a également insisté sur l'impact économique négatif de la consommation, très répandue, du " Khat ", une drogue traditionnelle anorexigène ayant des effets comparables aux amphétamines.

M. André Dulait a ensuite souligné l'importance de la présence militaire française à Djibouti, forte de 2.500 hommes environ, la professionnalisation des armées ayant entraîné une diminution de l'effectif de 600 hommes, partiellement compensée par le développement des régiments " tournants ". Les conditions climatiques extrêmes de Djibouti sont propices à l'entraînement et l'aguerrissement de nos forces en zone désertique. Cette base offre en outre un point d'appui important, en cas de crise, pour la projection de nos forces vers le Moyen-Orient ou l'Afrique. Enfin, la base française de Djibouti gardera un grand intérêt stratégique pour la future force de réaction rapide européenne, a observé M. André Dulait, aucun de nos partenaires ne disposant d'une telle implantation.

M. André Dulait a par ailleurs fait remarquer que la présence de la France était indispensable à ce pays, aussi bien au niveau économique, représentant 60 % du PIB de ce pays, que politique, en assurant la pérennité de l'Etat et la stabilité de la région.

Abordant ensuite l'Erythrée, M. André Dulait a noté qu'avec M. Jean Faure, ils avaient été les premiers parlementaires français à se rendre dans ce pays depuis son indépendance en 1993. D'une superficie équivalante à un quart de la France et peuplé de 3,5 millions d'habitants, l'Erythrée doit historiquement son existence à la colonisation italienne engagée en 1885. Il a souligné que près d'1,5 million d'Erythréens vivaient à l'étranger en raison de la crise économique qui touche ce pays, en guerre depuis plus de trente ans. Grâce toutefois aux revenus procurés par cette diaspora, l'Erythrée, dont le PIB par habitant est de 210 dollars, a pu créer, en 1998, sa propre monnaie, le Nakfa, pour remplacer la monnaie éthiopienne, le Birr, utilisé jusqu'alors. La nouvelle indépendance monétaire de l'Erythrée a été l'un des facteurs déclenchants du conflit opposant les deux pays, avec pour enjeu la délimitation de la frontière. Le processus de paix, désormais engagé sous l'égide de l'ONU, a conduit au déploiement d'une mission d'interposition de l'ONU (MINUE), composée de contingents italien et néerlandais, la France offrant l'appui sanitaire de l'hôpital militaire de Djibouti. La conclusion de la paix n'est toutefois pas sans poser des difficultés économiques et sociales importantes, 250.000 hommes et femmes restant mobilisés, dans ce pays où le taux de chômage est élevé. M. André Dulait a néanmoins indiqué qu'elle devrait favoriser la poursuite du processus de démocratisation des institutions, des élections étant prévues à la fin de l'année 2001.

M. Jean Faure, évoquant le coût, pour la France, du maintien de la base militaire de Djibouti au regard des possibilités d'entraînement qu'elle offre et de son importance stratégique, a estimé que l'intérêt de cette base était encore renforcé par la perspective de la construction de l'Europe de la défense, les partenaires européens de la France pouvant y recourir pour l'entraînement de leurs propres forces armées, démarche qui pourrait, selon lui, contribuer à un partage de la charge financière.

M. Xavier de Villepin, président, a souligné l'importance de la présence de notre pays à Djibouti, qui constitue un point d'appui dans une zone stratégique essentielle et offre une capacité d'observation régionale privilégiée. Il s'est également interrogé sur le moral des militaires déployés sur place, la professionnalisation et le régime de rotation des personnels conduisant à un accroissement du nombre de situations de " célibat géographique ". Il s'est enfin demandé si l'accord conclu entre l'Erythrée et l'Ethiopie était durable.

M. André Dulait a alors indiqué qu'il n'avait observé ni lassitude, ni inquiétude chez les militaires rencontrés et a souligné, au contraire, leur professionnalisme et leur dynamisme. Il a, de plus, jugé indispensable le maintien de la présence française à Djibouti pour préserver la stabilité de ce pays divisé entre deux ethnies rivales, les Afars et les Issas, et dont la position stratégique suscite les convoitises, et, au-delà, pour la stabilité de l'ensemble de la Corne de l'Afrique.

Le déploiement de la MINUE offre un réel espoir de paix, mais sa présence devra être maintenue sur le long terme afin d'éviter toute résurgence du conflit. Il a également fait remarquer que des signes de détente étaient perceptibles : les relations aériennes ont repris entre Djibouti et Asmara et le conflit entre le Yémen et l'Erythrée, à propos de la souveraineté sur les îles Anish, semble aplani.

M. Jean Bernard a insisté sur l'importance qu'avait eue la base de Djibouti dans le soutien des forces françaises déployées en Arabie Saoudite et au Koweït lors de l'opération Daguet en 1990.

En réponse à une question de M. Xavier de Villepin, président, M. André Dulait a indiqué qu'Israël entretenait des relations diplomatiques soutenues avec l'Éthiopie et l'Erythrée et que Tel Aviv avait assuré le rapatriement d'une partie des populations juives d'Ethiopie dans les années 1980.

M. Jean Faure a alors précisé que, lors de leurs contacts avec les officiers supérieurs des forces françaises de Djibouti, il avait été frappé par leur haut niveau de motivation et de professionnalisme. Il a ensuite relevé que les États-Unis ne paraissaient pas soucieux de se substituer à la France dans l'hypothèse -qu'il écartait pour sa part- d'un retrait de notre pays. Un tel retrait entraînerait d'ailleurs vraisemblablement un véritable embrasement de la région.

Jeudi 1er février 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Antoine Pouillieute, directeur de l'Agence française de développement

La commission a entendu M. Antoine Pouillieute, directeur général de l'Agence française de développement.

Evoquant d'abord les conséquences positives de la réforme de la coopération pour l'Agence française de développement (AFD), M. Antoine Pouillieute a souligné, en premier lieu, la concentration de l'aide publique gérée par l'AFD sur l'ensemble des pays compris dans la zone de solidarité prioritaire (ZSP) et noté que les interventions conduites par l'AFD hors de cette zone reposaient sur des ressources supplémentaires. Il a ajouté que la réforme avait également permis de mieux coordonner les différents instruments de l'aide au développement et de les spécialiser. Il a indiqué ensuite que le réseau d'agences de l'AFD constituait un atout essentiel et indiqué à cet égard la volonté de l'Agence de renforcer de nouvelles approches régionales, afin de prendre en compte les nouveaux pays intégrés dans la ZSP. Il a observé, par ailleurs, que la présence d'agents sur place constituait le gage d'une meilleure compréhension, d'une plus grande transparence et d'un contrôle plus rigoureux de l'aide publique.

M. Antoine Pouillieute s'est félicité ensuite que les ressources en subvention mises en oeuvre par l'AFD au titre de l'aide au développement proviennent désormais d'un chapitre budgétaire unique. Il a observé, en outre, que l'AFD avait pu mener ses activités sur la base de moyens constants. Il a rappelé également que le statut d'institution financière spécialisée de l'Agence lui permettait de donner un effet multiplicateur aux moyens engagés -un euro d'aide budgétaire permettait ainsi d'obtenir 2,5 euros d'aide au développement. Il a relevé l'intérêt, pour l'agence, de pouvoir mettre en oeuvre des crédits délégués par d'autres bailleurs de fonds et cité, à cet égard, les expériences particulièrement utiles conduites avec la Banque mondiale, la Banque européenne d'investissement et certains pays comme l'Allemagne. Il a souligné la volonté de l'Agence de participer, dans le cadre de mandats extérieurs de l'Union européenne, à la mise en oeuvre des fonds européens.

Le directeur général, après avoir évoqué, s'agissant des activités de l'Agence dans le secteur privé, le doublement des fonds propres de Proparco, filiale de l'Agence, a observé à propos de l'aide-projet qu'il était important, pour la France, de se positionner sur des projets visibles et axés non seulement sur la lutte contre la pauvreté, mais aussi sur les facteurs de croissance du sous-développement. Il a également mentionné l'effort de notre pays en faveur de l'annulation de la dette des pays les plus pauvres, en indiquant que l'AFD était appelée à jouer un rôle essentiel pour assurer la conversion de nos créances en projets sociaux. Il a noté, en outre, que l'Agence pourrait également être appelée à intervenir dans les situations de sortie de crise afin de favoriser les opérations de reconstruction, qui seraient financées non pas sur les ressources destinées aux pays de la ZSP, mais sur des crédits particuliers.

M. Antoine Pouillieute a alors fait état des résultats financiers positifs de l'Agence française de développement et de sa filiale Proparco -qui versera, pour la troisième année consécutive, un dividende. Sur le plan social, il a souligné la stabilité des effectifs de l'Agence et la conclusion d'un accord de réduction du temps de travail. Il a également rappelé l'importance des contrôles auxquels l'activité de l'Agence s'était soumise ainsi que la confiance qu'inspirait l'AFD comme en attestait le succès d'une récente émission de 300 millions d'euros sur les marchés, lancée sans garantie de l'Etat. Enfin, il a souligné l'effort de transparence de l'Agence et sa volonté d'ouverture vis-à-vis des autres acteurs de l'aide au développement : les ONG, les collectivités locales et, naturellement, le secteur privé.

M. Antoine Pouillieute s'est alors interrogé sur ce qui pourrait faire l'objet d'améliorations dans les années à venir. Il a estimé que la zone de solidarité prioritaire donnait un cadre géographique indiscutable aux actions de l'AFD, mais a souligné les difficultés que pourraient entraîner trop de modifications de son contour. Il a souligné, en outre, qu'il convenait sans doute de différencier davantage notre action entre les pays bénéficiaires traditionnels de notre aide et ceux qui venaient d'être intégrés dans la ZSP, dans lesquels il importait de renforcer la visibilité de nos interventions. Il a rappelé, à cet égard, que l'intégration d'un pays dans la ZSP dépendait de la décision du Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID). Il a souhaité, par ailleurs, que les opérations en faveur du développement ne reposent pas seulement sur des subventions, mais aussi sur des prêts, et observé à ce propos que l'expérience encourageante du micro-crédit en faveur des populations les plus démunies pouvait inspirer la politique conduite vis-à-vis des Etats les plus pauvres. Il a de plus regretté que les entreprises françaises ne soient plus suffisamment présentes sur les marchés des pays en développement et estimé que notre réseau de petites entreprises, établi dans la ZSP, paraissait traverser une crise de dynamisme. Enfin, M. Antoine Pouillieute a reconnu que l'Agence ne participait peut-être pas assez au travail de réflexion et à l'élaboration des idées dominantes sur la scène internationale en matière de développement. Il a conclu que la France disposait d'un outil de développement réellement performant et efficace, mais qu'il fallait sans cesse veiller à disposer d'un corps de doctrine à la mesure des moyens qu'elle engageait.

A la suite de l'exposé du directeur général, un débat s'est engagé avec les commissaires.

M. André Dulait a d'abord souhaité obtenir des précisions sur l'effort financier consacré par la France à l'aide publique au développement. Il a par ailleurs appelé de ses voeux une meilleure coordination des contributions des collectivités locales dans le cadre de la coopération décentralisée en utilisant, notamment, les moyens de communication du réseau internet. Il s'est interrogé sur les conditions de mise en oeuvre de la remise de dette par la France et noté que les principes applicables au micro-crédit n'étaient pas nécessairement transposables aux relations entre les Etats, compte tenu de la défiance qu'inspiraient parfois les conditions de gestion des ressources publiques de certains pays. Enfin, il s'est demandé si la caution de l'Etat s'imposait vraiment pour les opérations d'emprunt de l'AFD, dans la mesure où l'Agence était perçue par le marché comme une organisation publique.

Mme Paulette Brisepierre a souligné les résultats remarquables obtenus par l'AFD dans le cadre du micro-crédit et s'est félicitée de l'effort récemment consenti par l'AFD en faveur des PME.

M. Christian de La Malène a souhaité connaître quelles étaient les enceintes en charge de la définition de notre politique d'aide au développement.

M. Hubert Durand-Chastel a évoqué le risque que les cadres des pays en développement, formés en France, demeurent dans notre pays au lieu de faire bénéficier leurs Etats d'origine de leurs compétences.

Après avoir relevé que l'AFD était un instrument au service de la politique de développement arrêtée par le Gouvernement, M. Paul Masson s'est interrogé sur la stratégie française dans ce domaine. Il a souligné que la France avait eu longtemps pour priorité la sauvegarde du monde rural, confronté, dans les pays en développement, à un phénomène d'urbanisation accélérée, et regretté que cette orientation ait été remise en cause par les méthodes défendues par la Banque mondiale. Il a déploré que le système d'aide au développement ne prenne plus suffisamment en compte la situation de la pauvreté, en particulier dans les campagnes, et contribue souvent à élargir les capacités d'intervention des grands groupes internationaux.

M. Xavier de Villepin, président, s'est demandé si la volonté de réduire de moitié, à l'horizon 2015, le nombre de pauvres dans les pays en développement, affichée par l'ONU lors du Sommet du Millénaire, pouvait être considérée comme réaliste, en l'absence d'objectifs intermédiaires et progressifs. Il s'est interrogé, par ailleurs, sur les raisons qui avaient conduit à écarter, au moment de l'élaboration de la réforme de notre système de coopération, le principe d'une grande agence de développement, telle qu'elle existait, par exemple, en Allemagne. Enfin, il a invité le directeur général à donner son sentiment sur l'axe qui semblait s'être établi entre l'Algérie, le Nigeria et l'Afrique du Sud.

En réponse aux commissaires, M. Antoine Pouillieute a d'abord précisé que la France, en consacrant 0,38 % de son PIB à l'aide publique au développement, se classait au premier rang du groupe des sept pays les plus industrialisés. Il a observé que l'effort nécessaire de coordination, dans le cadre de la coopération décentralisée, s'avérait difficile compte tenu de la dispersion des projets. Il a remarqué, par ailleurs, que la mise en oeuvre, dans la durée, des projets n'était pas toujours compatible avec le principe de l'annualité budgétaire, qui s'imposait aux collectivités locales et souligné, à cet égard, tout l'intérêt d'une mutualisation des interventions.

Dans le cadre du système de remise de dettes décidé par la France, le pays débiteur qui ne ferait pas face à ses obligations, a noté M. Antoine Pouillieute, ne pourrait bénéficier de la conversion de sa dette.

Il a souligné, s'agissant du micro-crédit, le rôle très positif des femmes, compte tenu des responsabilités qui étaient les leurs dans les sociétés africaines, maghrébines et dans certains pays asiatiques. Il a rappelé cependant que les systèmes mis en place demeuraient fragiles et que le bailleur de fonds devait veiller à conforter, sur le moyen terme, les ressources nécessaires aux opérations de micro-crédit et s'assurer également de la qualité de la gestion.

Il a souligné par ailleurs que l'AFD, qui bénéficiait habituellement de la garantie de l'Etat, avait dû s'en dispenser lors de sa dernière opération d'émission obligataire, conduite avec succès, signe de la confiance qu'inspirait l'Agence sur le marché financier européen.

Il a indiqué, en outre, que l'AFD accordait des prêts aux banques locales, afin de les inciter à apporter leur soutien financier aux PME de leur pays.

M. Antoine Pouillieute a insisté de nouveau sur l'intérêt pour l'AFD de travailler davantage avec l'Union européenne. Il a regretté avec M. Xavier de Villepin, président, que l'action de l'Union ne soit pas toujours coordonnée avec celle des opérateurs bilatéraux. Il a estimé que le programme de développement en faveur de l'Afrique, présenté récemment à Davos par le Président d'Afrique du Sud au nom de son pays, de l'Algérie et du Nigeria, traduisait la volonté de trouver un terme alternatif à la mondialisation, mais devait encore être précisé. L'initiative de ces trois pays s'expliquait, dans une large mesure, par l'influence politique et économique qu'ils exerçaient dans leur environnement régional et par leur volonté de participer à part entière au dialogue entre les pays industrialisés.

Il a souligné, à propos de la formation des cadres des pays en développement, qu'il était souhaitable de faire davantage appel aux compétences locales et noté que l'AFD, pour sa part, employait 40 % de cadres locaux. M. Xavier de Villepin, président, a attiré l'attention sur une certaine dégradation du moral au sein des expatriés français en Afrique, qui connaissaient un renouvellement moindre que dans d'autres continents et se trouvaient soumis à des conjonctures politiques souvent difficiles.

M. Antoine Pouillieute a observé que l'AFD consacrait près du quart de son aide au développement rural, avec le souci notamment d'élargir les marchés des produits agricoles des pays en développement. Il a relevé que notre coopération, dans ce domaine, devait porter moins sur la production, mais davantage sur la mise en place d'un contexte favorable au monde rural, en particulier par l'encouragement aux associations de producteurs, et sur l'amélioration de la commercialisation des productions. Il a précisé, à l'attention de M. Xavier de Villepin, président, que l'ouverture du marché européen, confirmée par les récents accords de Cotonou, susciterait sûrement encore des difficultés.

Le directeur général a rappelé que l'AFD mettait en oeuvre les orientations stratégiques arrêtées par ses autorités de tutelle. Il a observé que la politique d'aide au développement s'inscrivait dans un souci de fidélité au continent africain, mais aussi d'ouverture aux autres pays en développement. Il a indiqué, par ailleurs, que l'aide allemande était organisée autour de trois pôles : le premier, chargé des projets (la Kreditanstalt für wiederaufbau), le second, de l'assistance technique (la Deutsche gesellschaft für technische zusammenarbeit), le troisième, enfin (la Deutsche entwicklung gesellschaft) du secteur privé. Il a observé que la réforme de l'aide publique avait permis de rapprocher ces organisations et de renforcer la coopération opérationnelle. Il a enfin indiqué, à l'intention de MM. Paul Masson et Xavier de Villepin, président, que l'AFD encourageait nos entreprises à renforcer leur présence dans les pays en développement et qu'elle veillait naturellement au rôle qu'elles jouaient dans la mise en oeuvre des projets d'aide.