Table des matières


Mercredi 20 juin 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Traité de Nice - Audition de M. Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission, élargie aux membres de la délégation pour les affaires européennes, a procédé à l'audition de M. Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, sur les perspectives de l'Union européenne après le traité de Nice.

M. Jacques Delors, en préambule, a souligné qu'au regard de la réunification de l'Europe, qui représente aujourd'hui le principal défi pour l'avenir de la construction européenne, le traité de Nice apportait peu de réponses satisfaisantes. La question : « Que voulons-nous faire ensemble ? », bien que majeure, a malheureusement été occultée par celle du « Comment faire ? », et de ce point de vue, après l'application du traité de Nice, la prise de décision par les institutions de l'Union européenne sera rendue plus difficile qu'aujourd'hui.

M. Jacques Delors a, en revanche, estimé que le traité de Nice avait eu un impact positif sur les pays candidats, qui abordent désormais la perspective de l'élargissement avec un nouvel état d'esprit. C'est pour cette seule raison, a-t-il poursuivi, qu'il aurait voté en faveur de la ratification du traité s'il avait été parlementaire.

M. Jacques Delors a considéré que les difficultés actuelles de la construction européenne ne devaient pas masquer les avancées importantes réalisées ces dernières années : l'instauration de la monnaie unique, même si la coopération monétaire n'a pas été accompagnée par la nécessaire coordination des politiques économiques, la mise en oeuvre, en matière de défense et dans le cadre d'un processus intergouvernemental, d'une force de réaction rapide, et enfin, le renforcement de la sécurité maritime et de la sécurité alimentaire, pour ne citer que trois exemples.

Il a, ensuite, indiqué, qu'à ses yeux, la poursuite du débat sur l'avenir de l'Union exigeait une clarification des concepts utilisés par les différents intervenants.

Rappelant que l'on avait eu tendance à opposer les méthodes communautaire et intergouvernementale, il a souligné que la construction européenne ne pouvait reposer sur la seule approche communautaire, aujourd'hui quelque peu paralysée par la production d'un trop grand nombre de textes, alors que le Conseil européen, incarnation de la méthode intergouvernementale, avait permis -sur proposition de la Commission- les principales avancées réalisées au cours des dix dernières années. Pour autant, il importe d'améliorer le fonctionnement du Conseil européen, vers lequel remontent beaucoup trop de sujets.

S'agissant du principe de subsidiarité, il a jugé cette notion plus philosophique que véritablement juridique. Contestant vivement que les nations soient appelées à disparaître, il a estimé que la globalisation les rendait au contraire plus utiles et qu'elles devaient garder la maîtrise de tous les éléments qui forgent la cohésion nationale.

Il a également évoqué les réactions hostiles ou réservées que rencontraient souvent les partisans d'une approche différenciée de la construction européenne lorsqu'ils parlaient de coopérations renforcées, de groupes pionniers ou d'avant-garde. Pourtant, les avancées réalisées sur la base du traité de Maastricht et de l'Union économique et monétaire ont bien relevé de la différenciation à laquelle se rattache la notion de coopération renforcée.

Enfin, il s'est inquiété des illusions que renferme le projet de constitution européenne dans lequel certains voient une « potion magique » de nature à résoudre toutes les difficultés. Il a, au contraire, souligné toute l'importance qui s'attache au respect des compétences des parlements nationaux, tout en indiquant qu'il était disposé à se rallier à la dénomination « constitution » si elle permettait aux citoyens de s'approprier la construction de l'Europe politique.

M. Jacques Delors s'est ensuite interrogé sur la nature même du projet politique susceptible de fédérer une Europe élargie. Il a estimé qu'en cette matière, il importait de distinguer l'idéal et le bon sens et il a cité, à ce propos, le Président Valéry Giscard d'Estaing, selon lequel il serait irréaliste de rechercher entre 27 pays un niveau d'intégration élevé.

Pour M. Jacques Delors, une Union européenne comportant une trentaine d'États membres, devrait concentrer son projet sur trois priorités :

- faire de l'Union un espace de paix, en réglant, en particulier, la situation dans les Balkans et en assurant la sécurité aux frontières et la protection des minorités ;

- établir un cadre pour un développement durable et soutenable garantissant l'équilibre entre le jeu du marché et les régulations nécessaires, entre la compétition, la coopération et la solidarité entre États ;

- perpétuer le modèle de société européen, centré autour de nos valeurs communes et caractérisé par une vision spécifique de la place de l'individu dans la société, héritage d'une longue tradition philosophique et spirituelle.

Estimant qu'il ne serait pas réaliste, dans le cas d'une Europe à trente, de vouloir aller beaucoup plus loin, il a souligné qu'il serait néanmoins nécessaire, dans le même temps, de veiller à ne pas vider de son contenu le volet politique de la construction européenne et à ne pas laisser l'Union dériver vers une simple zone de libre-échange.

M. Jacques Delors a, ensuite, abordé les questions institutionnelles, soulignant qu'il était nécessaire de renforcer la transparence des institutions, l'efficacité des prises de décision et la clarté des responsabilités démocratiques.

Appelant à une rénovation de la méthode communautaire, il a plaidé en faveur d'un meilleur équilibre entre le parlement européen, le conseil des ministres et la Commission européenne, cette dernière devant retrouver toute sa place dans le fonctionnement des institutions, sans abuser pour autant de son droit d'initiative. Il a également souhaité une revitalisation du conseil des ministres, proposant que le conseil « affaires générales » se limite désormais aux ministres des affaires européennes et assure une véritable fonction de filtrage des dossiers et de préparation du conseil européen, auquel serait laissée la responsabilité des grandes options, conformément au traité.

S'agissant de la répartition des compétences entre l'Union et les États membres, il a estimé que ces derniers devaient conserver leurs responsabilités en matière d'éducation, de culture, de santé ou de sécurité sociale. Il a précisé qu'à ses yeux, la politique étrangère et de sécurité commune n'avait en aucun cas vocation à se substituer aux politiques étrangères nationales, mais qu'il était nécessaire, en revanche, chaque fois qu'il y va de l'intérêt de l'Union, de pouvoir mettre en place des actions communes. Il a souligné que la notion de Fédération d'États nations permettait de concilier la clarté résultant, en matière de répartition de compétences, de l'approche fédérale, et la nécessité de conserver aux États certaines de leurs attributions.

Enfin, M. Jacques Delors a insisté sur la nécessité de définir franchement et clairement les attributions qui pourront relever d'une Union comportant une trentaine d'États membres, et de mettre en oeuvre, pour les autres domaines, des coopérations renforcées. Comprenant que les gouvernements cherchent à éviter une crise au sein de l'Union, il a considéré que si une telle crise devait néanmoins survenir, il serait plus utile que ce soit à propos du contenu même du projet européen qu'en raison d'un manque de clairvoyance sur les défis futurs de la construction européenne.

A la suite de l'exposé de M. Jacques Delors, M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour les affaires européennes, s'est demandé si l'Union européenne pouvait aller de l'avant sans une coopération très étroite entre la France et l'Allemagne. Il s'est interrogé sur l'organe qui serait en mesure de faire respecter le principe de subsidiarité, évoquant à ce propos l'idée de deuxième chambre européenne, récemment proposée par M. Daniel Hoeffel. Enfin, il a souhaité savoir si la méthode qui avait conduit à l'élaboration de la charte sur les droits fondamentaux, à savoir la réunion d'une convention représentative des diverses sources de légitimité, au sein de l'Union et des différents États membres, pouvait être transposée en vue de la préparation d'une prochaine réforme des institutions.

En réponse à ces questions, M. Jacques Delors a remarqué qu'au-delà de la France et de l'Allemagne, d'autres États membres, comme l'Espagne ou les pays du Bénélux, avaient grandement contribué aux avancées de la construction européenne entre 1985 et 1995. Il s'est néanmoins félicité des contributions, à ses yeux très utiles, que MM. Lionel Jospin et Gerhardt Schroeder apportaient au débat. Il a remarqué l'influence des contraintes de politique intérieure sur ces prises de position, ce qui lui paraît normal. S'agissant du respect du principe de subsidiarité et de la répartition des compétences entre l'Union et les États membres, il a estimé que deux organes pourraient être chargés d'y veiller : soit le Conseil européen lui-même, soit une seconde chambre qui devrait alors pouvoir voter à la majorité, au besoin renforcée, et ne pas être paralysée par un pays qui déférerait systématiquement devant elle toutes les décisions communautaires. Soulignant que, seule, une conférence intergouvernementale pouvait, in fine, réaliser une modification des traités existants, il a souhaité qu'à l'issue du Conseil européen de Laeken à la fin de l'année, la présidence belge soit en mesure d'arrêter un nombre limité de sujets ouverts au débat. Il a suggéré que soit alors désigné le président de la future convention qui serait chargé de définir les différentes questions soumises à cette dernière et à la CIG. S'agissant de la phase actuelle, consacrée au débat national dans chaque Etat membre, il a regretté que le gouvernement français n'ait pas trouvé d'autre solution que d'en confier la responsabilité aux préfets. Il aurait fallu un système plus ouvert.

M. Christian de La Malène a estimé que le traité de Nice n'échappait pas à la tendance constante de la construction européenne, qui voit la dynamique de l'élargissement l'emporter systématiquement sur celle de l'approfondissement. Soulignant que la Grande-Bretagne pouvait se réjouir des infortunes de l'approfondissement et que l'Allemagne pouvait se féliciter de voir son poids une nouvelle fois renforcé dans les institutions de l'Union, il s'est demandé en quoi le traité pouvait se traduire par la moindre satisfaction pour les conceptions françaises.

M. Jacques Delors a répondu que dans l'histoire de la construction européenne, la volonté commune affichée par la France et l'Allemagne n'excluait pas d'intenses négociations entre les deux pays, chacun ayant obtenu des contreparties lorsque les exigences de l'autre étaient satisfaites. Il a regretté à ce propos que, lors du Conseil européen de Berlin en 1999, la France n'ait pas été, sous forme d'un geste, même symbolique, suffisamment attentive aux préoccupations allemandes concernant sa contribution nette au budget communautaire, la déception du gouvernement allemand à la suite de cette réunion ayant pesé lourdement sur le climat de Nice.

Illustrant son propos par les exemples du succès de la monnaie unique européenne à laquelle la Grande-Bretagne ne manquera pas, selon lui, de se rallier, et des progrès de l'Europe de la défense en matière institutionnelle et industrielle, M. Pierre Biarnès s'est déclaré fondamentalement optimiste sur l'avenir de la construction européenne. Au vu des grands progrès accomplis au cours des dernières années, il a jugé que l'Europe, déchirée par deux guerres civiles au cours du XXe siècle, était désormais plus que jamais en mesure de retrouver la maîtrise de son destin, à travers la construction de ce qui ressemble de plus en plus à un Etat. Il s'est, en revanche, interrogé sur les perspectives d'élargissement en soulignant la nécessité de définir les frontières de l'Union au terme de celui-ci. Il a précisé, qu'à ses yeux, l'Ukraine, la Turquie ou encore le Maroc et les pays qui l'entourent pouvaient difficilement avoir vocation à entrer dans l'Union.

M. Jacques Delors s'est félicité des progrès de l'Europe de la défense à travers la création d'une force de réaction rapide et le développement de la coopération en matière d'armement, soulignant que cette dernière serait probablement une source de tensions avec les États-Unis, mettant ainsi à l'épreuve la cohésion communautaire. Jugeant inapproprié le terme d'Etat, pour caractériser l'Union européenne telle qu'elle doit se dessiner, il a qualifié cette dernière « d'objet politique identifié et agissant ». Il a estimé, s'agissant des frontières de la future Union, que le premier critère à respecter par les États candidats était d'être reconnus comme des démocraties ouvertes, pluralistes et respectueuses des droits de l'homme. Il a évoqué la proximité de l'Ukraine par rapport à l'Union européenne, justifiant qu'une attention particulière soit portée à ce pays. Il a estimé que la Turquie ne pouvait continuer à formuler des exigences sans apporter en contrepartie un certain nombre de garanties et de preuves de bonne volonté, notamment sur la condition évoquée plus haut.

M. Paul Masson s'est pour sa part déclaré convaincu que l'Union européenne, telle qu'elle évolue, finira par se briser et que le projet d'une Europe unie, puissante, indépendante et prospère, s'évanouira. Il a jugé révélateur qu'aucun grand pays européen n'ait souhaité consulter son peuple sur le traité de Nice, comme l'a fait l'Irlande, et a estimé que les peuples demeuraient à l'écart d'une construction européenne de plus en plus intellectuelle, technocratique et perfectionniste. Reconnaissant la logique profonde des institutions européennes telles que les concevait Jean Monnet, c'est-à-dire organisées autour d'un pouvoir législatif -le Parlement européen- et d'un pouvoir exécutif -la Commission européenne- il a estimé que le système actuel, organisé autour de trois pôles, ne pouvait fonctionner. Selon lui, c'est au Conseil européen d'assurer clairement la fonction exécutive, la Commission ne faisant que l'alimenter en propositions.

M. Jacques Delors a récusé la vision d'une Commission européenne toute puissante, et a rappelé que les gouvernements avaient toujours le dernier mot, conformément au traité. Il a ajouté que, selon lui, la Commission avait pour vocation de favoriser des compromis dynamiques entre gouvernements et de proposer innovations et pas en avant. Son fonctionnement collégial doit être préservé afin d'éviter une dérive vers la multiplication des textes et l'absence de cohérence. Enfin, il faut que le Conseil européen soit en mesure de se prononcer sur un ordre du jour clair et moins chargé, correctement préparé par le conseil des ministres.

Évoquant le récent référendum en Irlande, M. Jacques Delors a considéré que trois facteurs avaient pu jouer en faveur du succès du non et de l'abstention : les réticences à s'engager dans tout projet de défense européen, la crainte d'un affaiblissement des politiques de cohésion économique et sociale au terme des élargissements, et la remise en cause, par ces derniers, de l'attractivité du cadre fiscal irlandais au regard des conditions d'implantation des entreprises.

M. André Rouvière a interrogé M. Jacques Delors sur les incidences du référendum irlandais pour l'avenir des coopérations renforcées et sur les effets du renforcement du poids de l'Allemagne dans les institutions européennes.

M. Jacques Delors a estimé qu'en excluant la défense des coopérations renforcées et en renvoyant la discussion sur la cohésion économique et sociale à 2006, les décisions de Nice avaient, paradoxalement, rendu plus difficile la réponse aux inquiétudes irlandaises. S'agissant de l'Allemagne, il a jugé indispensable qu'elle clarifie sa vision des futures politiques communes et de leurs implications budgétaires. Il lui a paru impossible de mener à bien l'élargissement sans réévaluer le niveau du budget de l'Union européenne.

M. Michel Caldaguès a estimé que si l'euro, en tant que monnaie commune, peut être considéré comme un succès, il risquait de ne pas en être de même dans sa dimension de monnaie unique, compte tenu du trouble profond qui risque de toucher la France et les autres pays européens lors de la disparition, l'année prochaine, des monnaies nationales. Il s'est demandé si les pays qui restaient aujourd'hui en dehors de l'euro, en premier lieu la Grande-Bretagne, pouvaient escompter rallier la monnaie commune sans pour autant abandonner leur devise nationale.

M. Jacques Delors a souligné que l'euro constituait un symbole fort, qu'il faciliterait les paiements au sein des pays qui l'ont adopté et qu'il fournirait un élément de comparaison des prix très appréciable dans la perspective de l'unification du marché. Il a reconnu qu'à la différence de la France, l'opinion publique allemande était, au départ, majoritairement hostile à l'instauration d'une monnaie unique et donc que son adoption avait exigé un grand courage politique. De même, l'adoption de l'euro ne semble pas répondre au sentiment profond de l'opinion britannique dont la préférence irait sans doute à une zone de libre-échange disposant d'une monnaie commune, mais pas d'une monnaie unique.

Évoquant le ralentissement quasi général de la croissance dans le monde, M. Xavier de Villepin, président, a déploré que des mesures adaptées n'aient pas été prises de manière coordonnée à l'échelle européenne, comme ont su le faire les États-Unis.

M. Jacques Delors a confirmé que les États-Unis parvenaient à combiner la politique économique et fiscale définie par leur gouvernement et la politique monétaire de la Réserve fédérale. Il n'en va malheureusement pas de même au sein de l'Union européenne, où seule joue la politique monétaire de la Banque centrale européenne, faute de coordination des politiques économiques qui est pourtant dans l'esprit du rapport Delors sur l'UEM et du traité de Maastricht. Si une telle coordination avait été effective au cours des dernières années, la croissance économique en Europe, qui s'est établie entre 2,6 et 3 %, aurait probablement pu atteindre près de 4 % par an.

Conseil européen de Göteborg - Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué des affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen de Göteborg.

M. Pierre Moscovici a tout d'abord déploré les incroyables violences qui avaient entouré le sommet de Göteborg. Ces manifestations contre la mondialisation, devenues coutumières lors de ce type de réunion internationale depuis la réunion de l'OMC à Seattle, devaient être fermement condamnées. Il convenait cependant de distinguer ceux des manifestants qui ont trouvé là un nouveau terrain pour donner libre cours à la violence gratuite de ceux qui y exprimaient une inquiétude sincère. Contre les premiers, un plan anti-casseurs comparable à ce qui avait été fait dans le domaine du football devait être mis en place dans le cadre d'une concertation européenne afin d'éviter le renouvellement de tels actes. En revanche, les gouvernements devaient s'efforcer d'apporter des réponses aux manifestants pacifiques en rendant plus visible l'action de l'Union européenne contre les inégalités, pour le progrès social, et d'une manière générale, pour une meilleure régulation de la mondialisation.

M. Pierre Moscovici a ensuite indiqué que le sommet de Göteborg avait été l'occasion d'engager un dialogue constructif avec le nouveau président américain, Georges W. Bush dont les premières décisions avaient pu faire craindre des tentations unilatéralistes. Il est apparu que, sur les principaux problèmes internationaux du moment, Macédoine, Proche-Orient, péninsule coréenne, des actions communes de l'Europe et des États-Unis étaient possibles. Pour ce qui est du programme de défense anti-missiles, le président américain s'était engagé dans une démarche d'explication et de clarification du projet aussi bien sur ses aspects politiques que militaires ou technologiques. Pour sa part, l'Union européenne avait adopté, à Göteborg, une position commune afin de mettre en place une action préventive contre la prolifération balistique ayant pour but l'universalisation du code de conduite établi par les États membres du régime de contrôle de cette technologie (MTCR) et visant à proposer la tenue d'une conférence internationale sur le sujet.

En matière commerciale, l'Union européenne a accepté l'ouverture d'un cycle global de négociations multilatérales qui se tiendront à Doha en novembre 2001, et qui porteront sur l'ensemble des questions ayant trait à l'exigence de régulation. S'agissant des relations commerciales bilatérales, la préférence à un règlement négociée des différends entre l'Union européenne et les États-Unis a été réaffirmée, ces contentieux ne concernant au demeurant pas plus de 2 % de la totalité des échanges bilatéraux.

Enfin, sur le climat, si le Sommet de Göteborg a confirmé les divergences profondes entre l'ensemble des pays européens, d'une part, et la nouvelle administration américaine, d'autre part, M. Pierre Moscovici a estimé qu'il avait été l'occasion, pour le président Bush, de prendre conscience de l'ampleur du défi que constitue le changement climatique dont il ne nie plus la réalité ainsi que de la cohésion des positions européennes. L'Union européenne a par ailleurs réaffirmé à Göteborg qu'il était exclu de renégocier le protocole de Kyoto, unique instrument efficace pour lutter contre le réchauffement climatique, mais qu'il importait plutôt d'assurer son entrée en vigueur d'ici 2002.

M. Pierre Moscovici a ensuite évoqué les autres résultats du sommet de Göteborg, notamment l'intégration du développement durable dans toutes les politiques de l'Union, comme un enrichissement de la stratégie de développement économique et social, définie à Lisbonne en mars 2000. Il a également souligné les progrès accomplis, à l'initiative de la France, en matière d'information et de consultation des travailleurs, d'harmonisation fiscale et de prise en compte des difficultés propres aux régions ultra-périphériques.

M. Pierre Moscovici a, par ailleurs, fait remarquer que les résultats les plus remarquables du sommet de Göteborg avaient trait à l'élargissement de l'Union européenne. Certains pays candidats, comme la Hongrie, Chypre ou la Slovénie, avaient beaucoup progressé dans la voie de l'adhésion et près des deux tiers des chapitres de la négociation étaient refermés. Le sommet de Göteborg a délivré un message politique fort en affirmant le caractère irréversible du processus d'élargissement, en annonçant que les négociations avec certains pays pourraient être achevées à la fin 2002 et que ceux-ci pourraient alors participer aux élections du Parlement européen dès 2004. Les conclusions du Sommet précisent bien que seuls les pays qui seront prêts pourront adhérer si les progrès enregistrés dans les négociations d'adhésion se confirment. Les principes de différenciation et de globalité qui sous-tendent ces négociations ont donc été confirmés.

M. Pierre Moscovici a ensuite abordé la ratification du traité de Nice et l'avenir de l'Union européenne. Évoquant le refus irlandais du traité, il a rappelé que le Premier ministre de l'Eire avait indiqué à ses partenaires qu'il souhaitait prendre le temps d'analyser les raisons de ce vote, tout en réaffirmant l'engagement de son pays dans la construction européenne. M. Pierre Moscovici a souhaité que les Européens puissent aider les Irlandais dans cette démarche, notamment en menant à bien la ratification du traité dans les quatorze autres États. Le sommet de Göteborg a confirmé à la fois la poursuite de la ratification du traité de Nice et exclu toute renégociation. Il était toujours plus facile, a estimé M. Pierre Moscovici, de mobiliser contre l'Europe qu'en sa faveur, en raison de la complexité de la construction européenne. Il convenait donc de se garder de toute démagogie pour mener le nécessaire débat sur l'avenir de l'Europe.

Abordant le débat sur l'avenir de l'Union européenne, M. Pierre Moscovici a souligné que la conclusion du traité de Nice avait lancé le débat sur les questions fondamentales touchant aux valeurs et aux objectifs de l'Europe. Il a indiqué que plusieurs initiatives avaient été prises en France pour que s'élabore la réflexion dans le cadre de réunions tant locales que nationales.

Il reviendrait, a poursuivi le ministre, au sommet de Laeken concluant à la présidence belge, de décider de la création probable d'une Convention, sur le modèle de celle qui a élaboré la charte des droits fondamentaux, pour préparer la conférence intergouvernementale de 2004. Cette convention, qui devrait pouvoir décider sur la base du consensus, pourrait, dans sa composition, associer les pays candidats ou certains membres de la société civile. Saluant les travaux déjà effectués, notamment par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, sur l'idée d'une Constitution de l'Union et d'une seconde chambre européenne, M. Pierre Moscovici a souhaité que les parlementaires puissent participer aux forums locaux qui se dérouleront dès le mois de juillet, afin d'illustrer l'engagement des élus en faveur d'une Europe transparente et démocratique.

A la suite de l'exposé du ministre, M. Hubert Haenel a exprimé le souhait que les pays candidats puissent être associés à la convention qui pourrait être organisée dans le cadre du grand débat sur l'avenir de l'Union européenne. Il s'est demandé par ailleurs si les représentants de la société civile, qui ne pouvaient pas se prévaloir d'une légitimité comparable à celle dont bénéficiaient les élus participeraient à cette enceinte avec le statut de membres à part entière.

M. Pierre Mauroy a d'abord fait part de sa surprise devant les débordements auxquels avaient donné lieu les manifestations organisées à l'occasion du Sommet de Göteborg. Il a noté que la rencontre entre le président Bush et les Européens avait permis d'atténuer, dans une certaine mesure, la circonspection que pouvaient initialement inspirer les positions du nouveau chef d'Etat américain. Il s'est félicité en outre des conclusions du Conseil sur les régions ultra périphériques. Si l'élargissement, a-t-il par ailleurs souligné, représente pour l'Union une nécessité, ce processus ne manquera pas de susciter de nombreuses difficultés. Il a enfin estimé que les coopérations renforcées ouvraient une voie très intéressante, et a insisté dans ce cadre sur le rapprochement indispensable entre la France et l'Allemagne, condition de véritables progrès pour l'Union. Il a interrogé le ministre sur le moyen de renforcer encore les liens entre nos deux pays.

M. Robert Del Picchia a d'abord exprimé sa crainte que les manifestations violentes de Göteborg ne conduisent à une confusion sur les aspirations réelles de la société civile. Celle-ci, a-t-il observé, a d'abord pour premiers représentants légitimes les élus locaux et nationaux. Il a souhaité que les gouvernements des États membres prennent une position plus claire afin de condamner les excès d'une « fausse société civile ». Il s'est demandé, par ailleurs, si le dialogue franco-allemand portait notamment sur la politique agricole commune et le budget communautaire. Enfin, il a interrogé le ministre délégué sur les perspectives d'évolution des positions américaines.

M. Xavier de Villepin, président, s'est d'abord interrogé sur les moyens de surmonter les oppositions exprimées par la Turquie sur l'accord, en négociation, entre l'Union européenne et l'OTAN. Il a également souhaité obtenir des précisions sur les conditions permettant de rapprocher les positions de la France et de l'Allemagne dans le cadre du débat sur l'avenir de l'Union européenne. Enfin, il s'est demandé si la Pologne pourrait être prête à adhérer à l'Union à l'horizon 2003 et si les positions de notre pays à l'égard du triangle de Weimar justifiaient les appréhensions dont la presse polonaise s'était fait l'écho.

En réponse aux commissaires, M. Pierre Moscovici a apporté les précisions suivantes :

- le Conseil européen de Göteborg propose, pour l'organisation du débat sur l'avenir de l'Union européenne, un cadre évolutif qui pourrait prendre la forme d'une convention ; l'association des pays candidats à une telle instance, avec un statut qui restait à déterminer, apparaissait indispensable ; les conditions de la nécessaire ouverture de la convention à la société civile devaient faire l'objet d'une réflexion approfondie ;

- les manifestations violentes dont la ville de Göteborg avait été le théâtre constituent un phénomène totalement étranger à la culture suédoise ; les mobiles de ces mouvements ne sont ni pacifiques, ni démocratiques ; l'inadaptation des dispositifs de sécurité habituels impose une réflexion sur les moyens de prévenir de tels troubles en utilisant, le cas échéant, les dispositions des accords de Schengen ; par ailleurs, la mobilisation considérable des moyens officiels mis en oeuvre pour l'organisation de ces sommets ne donne pas une image toujours favorable de l'Union européenne ; le format des délégations des États membres, en particulier, pourrait être réduit ; enfin, le transfert progressif de l'organisation des conseils européens à Bruxelles prévu par le traité de Nice pourrait participer à ce travail de simplification ;

- le dialogue engagé entre Européens et Américains, notamment sur les Balkans et le Proche-Orient, témoigne d'une véritable capacité d'écoute de la part du président Bush ; cependant, les positions américaines n'ont pas pour autant évolué sur le fond ;

- les négociations d'adhésion connaissent aujourd'hui une accélération, mais des difficultés réelles sont prévisibles ; le processus d'élargissement apparaît irréversible ; dans cette perspective, les coopérations renforcées constituent sans doute la formule la plus adaptée pour permettre à l'Europe d'avancer, même si le débat reste ouvert sur les formes possibles de différenciation au sein de l'Union européenne ;

- le rapprochement franco-allemand engagé depuis la conclusion du traité de Nice constitue une priorité, même s'il importe de montrer aux autres États membres que cette relation ne présente pas de caractère exclusif ;

- les mouvements qui se sont exprimés avec violence lors du conseil européen de Göteborg ne peuvent en aucun cas, malgré les amalgames fâcheux entretenus par les médias, s'identifier aux représentants de la société civile avec lesquels, en revanche, il convient de maintenir le dialogue ;

- les désaccords entre la France et l'Allemagne demeurent sur la politique agricole commune et le budget communautaire ; le cadre fixé par le Conseil européen de Berlin ne saurait en aucun cas être remis en cause jusqu'en 2006 ; il existe en revanche de réelles convergences sur les questions liées à l'avenir de l'Union européenne ; il convient de noter, à cet égard, les réactions très positives du ministre des affaires étrangères allemand au discours du Premier ministre français sur l'avenir de l'Europe, ainsi que les ouvertures récemment exprimées par le Chancelier allemand ;

- la position turque sur l'accord entre l'Union européenne et l'OTAN est vraisemblablement appelée à s'assouplir d'ici l'automne prochain ;

- la Pologne pourrait être prête à entrer dans l'Union européenne à l'horizon 2003 si ce pays inscrit dans la durée l'effort engagé jusqu'à présent.

Jeudi 21 juin 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Traité de Nice - Examen du rapport

La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Xavier de Villepin, président, sur le projet de loi n° 373 (2000-2001) adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de Nice modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes annexes.

M. Xavier de Villepin, président, a d'abord observé que si le traité de Nice avait suscité de nombreuses critiques, une analyse sereine et objective permettait de reconnaître dans cet accord, malgré ses insuffisances, de réels mérites. Les États membres, a-t-il noté, étaient parvenus à Nice à un accord sur les trois « reliquats » d'Amsterdam (la composition de la commission, la repondération des voix au sein du Conseil, l'extension du vote à la majorité qualifiée), ainsi que sur les coopérations renforcées. Ce résultat qui n'était pas acquis par avance a été salué par les États candidats à l'adhésion car il a permis d'ouvrir la voie à l'élargissement.

Évoquant alors les quatre grands sujets à l'ordre du jour de la conférence intergouvernementale (CIG), M. Xavier de Villepin, président, a d'abord relevé que le vote à la majorité qualifiée avait été étendu à une trentaine de nouvelles dispositions, même s'il revêtait encore une portée limitée pour les cinq sujets considérés comme prioritaires -la fiscalité, la politique sociale, la politique de cohésion, la libre circulation des personnes et la politique commerciale commune. S'agissant de la pondération des voix, il convenait de rappeler que la majorité qualifiée représentait 70 % de la population dans l'Europe des Dix, 58 % dans l'Europe des Quinze et, si le système n'était pas modifié, moins de 50 % dans une Union élargie à 27 États membres en raison de la surreprésentation traditionnelle des pays les moins peuplés, dont le nombre s'était accru au fil des adhésions successives. La remise en cause des règles de pondération risquait toutefois de créer des tensions entre les pays dont le poids démographique différait. Au regard de ces difficultés prévisibles, les résultats obtenus à Nice sur la repondération apparaissaient plutôt satisfaisants : si l'ensemble des voix des États membres avait été augmenté, le coefficient multiplicateur appliqué aux « grands » pays était supérieur à celui utilisé pour les États moins peuplés et l'Allemagne avait renoncé à « décrocher » du groupe des pays les plus peuplés. Par ailleurs, le nombre de voix des pays candidats avait aussi été déterminé pour l'avenir, ce qui permettait de désamorcer un sujet possible de tension dans les négociations d'adhésion. Toutefois, a souligné le rapporteur, la repondération des voix avait eu pour contrepartie la mise en place, à partir de 2005, d'un système de décision plus complexe : le seuil de la majorité qualifiée serait relevé (73,9 % contre 71,3 % aujourd'hui) ; la majorité qualifiée devrait désormais représenter, d'une part, une majorité d'États membres, et, d'autre part, si un gouvernement en faisait la demande, 62 % de la population de l'Union.

M. Xavier de Villepin, président, a relevé que, même si le plafonnement du nombre de commissaires avait été différé au moment où l'Union compterait 27 membres, l'efficacité de la Commission dépendait peut-être moins, in fine, du nombre de ses membres que de son organisation intérieure et de la capacité de son président à garantir la cohérence de son action. Or, de ce point de vue le traité avait apporté des avancées significatives en permettant que le président soit désigné à la majorité qualifiée et en lui donnant la possibilité de décider de l'organisation interne de la Commission.

Par ailleurs, a ajouté M. Xavier de Villepin, président, le mécanisme des coopérations renforcées avait bénéficié de trois assouplissements significatifs : il pourrait s'appliquer à la politique étrangère commune, à l'exclusion des questions comportant des implications dans le domaine de la défense ; le nombre d'États nécessaires pour déclencher ce dispositif, défini aujourd'hui comme la majorité des États membres, a été fixé à huit ; enfin, le droit de veto a été supprimé pour les premier et troisième piliers.

Le traité avait, en outre, a poursuivi le rapporteur, apporté plusieurs séries d'adaptations complémentaires qui contribuaient à préparer les institutions de l'Union au défi de l'élargissement : l'introduction d'un mécanisme d'alerte en cas de risque de violation des droits fondamentaux qui constituent le ciment de la construction européenne ; l'adaptation de la composition du Parlement européen dans la perspective des futures adhésions ; l'amélioration de l'organisation de la Cour de justice afin de surmonter l'engorgement de cette institution ; enfin, l'institutionnalisation des instances en charge de la politique européenne de sécurité et de défense.

M. Xavier de Villepin, président, a alors estimé que la déception provoquée par le traité de Nice, en particulier dans les rangs des partisans de la construction européenne, s'expliquait peut-être moins par le contenu de cet accord que par le contexte général qui avait présidé à sa négociation. A cet égard, il a d'abord remarqué que l'adaptation des institutions aux élargissements impliquait nécessairement la remise en cause du poids respectif des États membres actuels. Ce sujet, particulièrement sensible, qui n'avait jamais véritablement été discuté depuis le traité de Rome, avait été abordé à Nice au moment où les dirigeants européens considéraient la construction européenne avec réalisme, et n'hésitaient pas à faire prévaloir les intérêts nationaux sur les intérêts communautaires. Or, le débat sur la repondération avait fragilisé la solidarité habituelle des États les plus engagés dans la construction européenne, d'une part, en suscitant un clivage entre « grands » et « petits » pays, d'autre part, en divisant le couple franco-allemand qui, dès lors, n'avait pu réellement jouer un rôle moteur dans la négociation.

S'il portait la marque de ces tensions, le traité, a estimé M. Xavier de Villepin, donnait aussi les moyens de les dépasser. En effet, dans le cadre de la déclaration sur l'avenir de l'Union européenne, il ouvrait la voie à un débat qui pourrait se conclure par une nouvelle CIG à l'horizon 2004. Cette déclaration, a-t-il précisé, retenait quatre grands thèmes -la subsidiarité, le statut de la charte des droits fondamentaux, la simplification des traités et la définition du rôle des parlements nationaux- qui n'avaient toutefois pas de caractère exclusif. Ce débat, qui était déjà engagé, pourrait se prolonger, éventuellement, sous la forme d'une convention, à l'exemple de la procédure utilisée pour l'adoption de la charte des droits fondamentaux. S'il était naturel que s'expriment à ce stade des positions différentes, M. Xavier de Villepin, président, a estimé qu'aucune avancée significative n'interviendrait dans la perspective de la future CIG sans une initiative franco-allemande. C'est pourquoi il a appelé de ses voeux la formation d'un groupe de travail permanent entre nos deux pays afin de surmonter les divergences et de former une plate-forme commune que les deux parties pourraient soumettre à leurs partenaires.

Le rapporteur a ensuite évoqué les conséquences du résultat négatif du référendum irlandais sur le traité de Nice. Il a d'abord observé que si le traité ne pourrait entrer en vigueur s'il n'était pas ratifié par l'ensemble des États membres, les Quinze s'étaient toutefois fixé pour objectif d'achever la procédure de ratification avant la fin de l'année 2002. Ce délai laissait le temps nécessaire pour tenter de trouver une solution qui permette à la fois d'assurer l'entrée en vigueur indispensable de l'accord dans la perspective de l'élargissement et de prendre en considération les préoccupations manifestées par les électeurs irlandais. Un nouveau référendum sur le traité de Nice, assorti d'une déclaration de l'Union, pourrait constituer une formule possible. La forte abstention qui s'était manifestée à l'occasion du référendum du 7 juin 2001, témoignait de la démobilisation de l'opinion publique et traduisait ainsi le décalage croissant, qu'on observait aussi dans d'autres pays de l'Union, entre les citoyens et la construction européenne.

Concluant alors son exposé, M. Xavier de Villepin, président, a souligné qu'il convenait de ne pas se tromper de cible : ce n'était pas un traité certes, imparfait, qu'il convenait de viser, mais le climat de scepticisme européen qu'il fallait, aujourd'hui, surmonter. Le traité de Nice, qui constituait un signal essentiel à l'égard des pays candidats engagés dans le délicat processus des négociations d'adhésion, et qui fixait également les grandes étapes du débat sur l'avenir de l'Union européenne, méritait d'être approuvé.

A la suite de cet exposé, M. Claude Estier a exprimé son accord avec les analyses du rapporteur. Il a, d'abord, observé que les résultats obtenus à Nice reflétaient un équilibre difficile entre des intérêts nationaux, souvent contradictoires, et que dans ces conditions les critiques adressées à la présidence française apparaissaient souvent injustes. Il a rappelé, ensuite, que la conclusion du traité avait permis d'éviter une crise majeure en Europe et de préserver la perspective de l'élargissement dans les délais prévisibles. En outre, de réels progrès avaient pu être obtenus sur les « reliquats » d'Amsterdam, ainsi que sur les coopérations renforcées. Il a également observé que, lors de son audition devant la commission, M. Jacques Delors, bien que critique sur le contenu de l'accord, avait jugé sa ratification opportune. Un rejet du traité, a poursuivi M. Claude Estier, serait incompréhensible et dommageable pour l'Union. Il a, toutefois, fait part de deux sujets d'inquiétude : en premier lieu les divergences entre la France et l'Allemagne ne pouvaient que freiner la construction européenne ; ensuite la démobilisation des opinions publiques, pour lesquelles le système européen apparaissait de moins en moins compréhensible, devait conduire les parlementaires, mais aussi les médias, à engager un véritable effort pour rapprocher les citoyens de l'Union. Il a conclu en souhaitant que la France puisse être l'un des premiers pays à ratifier le traité de Nice et il a indiqué que le groupe socialiste, pour sa part, approuverait cet accord.

M. Michel Caldaguès a estimé que la tâche de la présidence n'avait jamais, sans doute, été aussi difficile que lors des négociations du traité de Nice, qui avait été l'occasion privilégiée, pour les États, de faire valoir leurs préoccupations nationales respectives. Il ajouté que plusieurs de nos partenaires avaient également éprouvé quelque amertume à l'égard des positions défendues par la France, caractérisées parfois par un certain systématisme institutionnel. En outre, certains États, comme l'Italie, avaient pu prendre ombrage de la priorité affichée à la relation franco-allemande. Il convenait, a-t-il poursuivi, de prendre en compte ce contexte difficile avant de porter un jugement sur le traité. Celui-ci, a-t-il souligné, avait pour mérite d'ouvrir la voie à l'élargissement ; alors que les pays d'Europe centrale et orientale s'étaient libérés du joug soviétique sans le soutien de leurs voisins occidentaux, l'Union aurait pris une grave responsabilité en refusant de s'ouvrir à l'Est. Dans ces conditions, M. Michel Caldaguès a indiqué que, pour sa part, il choisirait, sans doute, de s'abstenir lors du vote en séance publique.

M. Serge Vinçon a relevé que le traité de Nice avait permis de répondre aux questions laissées en suspens par le traité d'Amsterdam, même si les résultats pouvaient paraître en retrait des espérances, parfois excessives, qui s'étaient manifestées lors de la CIG. Le traité, a-t-il poursuivi, permettrait de favoriser l'élargissement de l'Union qui représentait une exigence à la fois morale et politique. Il a souligné, par ailleurs, les avancées obtenues, sous la présidence française, dans le domaine de l'Europe de la défense. Compte tenu du rôle particulier de la France dans la conclusion du traité, le rejet de cet accord par le parlement français constituerait un signal très négatif vis-à-vis des pays candidats. Il a conclu en indiquant qu'une majorité des membres du groupe RPR se prononcerait pour l'adoption du traité.

M. Robert Del Picchia est revenu, pour sa part, sur les conséquences très graves qu'impliquerait la non-ratification du traité de Nice. Cet accord répondait à une très forte attente de la part des États candidats et il ne serait pas de notre intérêt politique et économique de le rejeter.

Mme Paulette Brisepierre a insisté, pour sa part, sur la solidarité particulière qui prévalait entre les pays du bassin méditerranéen.

Selon M. Jean Bernard, il convenait de ne jamais oublier que la construction européenne avait permis d'instaurer une paix durable entre des États qui s'étaient autrefois déchirés. Elle constituait un processus progressif dont le traité de Nice représentait une nouvelle étape. Il a ajouté que le concept de subsidiarité méritait encore d'être éclairci.

La commission a alors adopté le projet de loi.

Défense - Situation actuelle de la condition militaire dans l'armée de terre - communication

Après que M. Xavier de Villepin, président, eut rappelé l'importance qui s'attache au suivi du moral de nos armées à la suite de la mise en oeuvre de la professionnalisation, la commission a entendu une communication de M. Serge Vinçon sur les problèmes posés par la condition militaire dans l'armée de terre.

Se référant à de récents articles de presse, ainsi qu'aux propos de plusieurs responsables du commandement, M. Serge Vinçon a tout d'abord souligné que la question du moral et de la condition des armées devenait aujourd'hui de plus en plus souvent directement abordée.

Il a rappelé les inquiétudes exprimées, sur ce point, lors de la discussion de la loi de finances pour 2001, par la commission. Celle-ci avait en effet souligné, au-delà des problèmes liés à la réalisation des effectifs, à l'insuffisance des crédits de fonctionnement et à la dégradation de la disponibilité des matériels, le risque d'une évolution divergente, voire d'une rupture entre l'évolution des rémunérations et des conditions de vie dans les armées et dans le secteur civil.

Il a précisé que depuis lors, en sa qualité de rapporteur des crédits de l'armée de terre, il s'était attaché à porter une attention soutenue aux problèmes de la condition militaire. Il a notamment assisté à une réunion régionale de préparation du Conseil de la Fonction Militaire Terre (CFMT) et s'est rendu à l'inspection de l'armée de terre qui, au travers de ses multiples investigations, suit au jour le jour la situation et l'état d'esprit dans l'armée de terre.

Selon M. Serge Vinçon, les armées, et en particulier l'armée de terre, ont le sentiment que les considérables efforts de transformation imposés par la professionnalisation et les restructurations ne sont pas suffisamment connus et reconnus et ont été menés à bien dans une grande indifférence de la part de la communauté nationale.

Il a souligné que la motivation des personnels restait le métier de soldat, ajoutant que les actions d'aide à la population étaient bien acceptées, à condition qu'elles restent limitées dans la durée. Il a estimé que les personnels voulaient disposer des moyens matériels pour exercer leur mission.

Il a considéré que les sous-effectifs encore très importants influaient directement sur le fléchissement du moral. Il manquera, fin 2002, environ 2.000 personnels civils par rapport aux effectifs prévus et leurs emplois seront tenus par des militaires engagées volontaires, ce qui obligera l'armée de terre à mettre 70 unités élémentaires en sommeil. Au-delà de ses conséquences opérationnelles, cette mesure temporaire aura, selon M. Serge Vinçon, un impact psychologique fort, et bien entendu très négatif sur le moral.

M. Serge Vinçon a également souligné la lenteur de l'avancement du plan de modernisation des logements pour les engagés, le nombre élevé de matériels indisponibles, qui crée un véritable sentiment de paupérisation et, d'une manière générale, les insuffisances touchant aux moyens matériels, qui n'apparaissent pas à la hauteur des missions confiées, laissant aux militaires le sentiment que les arbitrages financiers sont systématiquement défavorables aux armées, parent pauvre des choix budgétaires.

M. Serge Vinçon a insisté sur les sujétions croissantes pesant sur la condition militaire, du fait de la réduction du format des armées, des opérations extérieures et des interventions sur le territoire national, qui ne sont pas suivies des compensations nécessaires au plan de la rémunération, des aides au logement ou de la prise en compte du célibat géographique. Il a évoqué les états d'âme suscités par l'application des 35 heures dans le secteur civil, alors que la charge horaire des militaires de l'armée de terre reste beaucoup plus élevée.

Quant à la révision de la rémunération en opération extérieure, qui s'est traduite par une diminution du montant des indemnités, elle constitue, avec la limitation de la couverture invalidité-décès lors de ces missions, un autre motif d'insatisfaction, donnant l'impression que l'on cherche à tout prix à « rogner » systématiquement les compensations liées à ces missions pourtant très contraignantes.

Constatant que l'absence de progrès sur une multitude de points de détails crée un sentiment d'injustice et d'irritation, M. Serge Vinçon, rappelant la discipline et la discrétion propres aux militaires, s'est demandé si certains d'entre eux ne viendraient pas à conclure qu'il faut « faire du bruit » pour être entendus.

Il a estimé que l'incertitude sur la prochaine loi de programmation militaire renforçait ce climat de morosité dont on pouvait craindre qu'il provoque deux types de réactions : un abattement, néfaste pour la dynamique de l'engagement et la fidélisation des engagés, ou le départ des meilleurs éléments vers le secteur civil.

En conclusion, M. Serge Vinçon s'est inquiété de voir se développer une certaine indifférence du pays et des dirigeants politiques à l'égard des armées.

M. Robert Del Picchia, évoquant la forte motivation des jeunes élèves sous-officiers, telle que la commission avait pu l'apprécier lors de sa visite à l'école de Saint-Maixent, a souligné le risque de démobilisation lié à l'insuffisance des efforts en direction de la condition des personnels et des moyens de fonctionnement des armées. Il a par ailleurs demandé des précisions sur l'origine des sous-effectifs de personnels civils et sur la création récente, par un ancien officier, d'une association de défense des droits des militaires.

M. Michel Caldaguès a estimé que si certaines carences évoquées par M. Serge Vinçon présentaient un caractère conjoncturel, d'autres risquaient de perdurer et témoignaient de difficultés plus profondes. Il a souhaité qu'à travers des visites sur le terrain, la commission continue à assurer un suivi attentif de la situation des armées.

M. Claude Estier s'est interrogé sur les incidences, pour les armées, de la suspension prochaine du service national.

En réponse à ces interventions, M. Serge Vinçon a apporté les précisions suivantes :

- le sous-effectif en personnels civils provient pour une large part de la volonté de pourvoir les postes par redéploiement de personnels des arsenaux, alors que ceux-ci ne sont guère disposés à opérer une mobilité interne au sein du ministère de la défense ;

- au-delà du niveau global des rémunérations se pose un problème particulier d'écrasement de la hiérarchie entre les rémunérations des engagés volontaires et celles des sous-officiers en début de carrière ;

- l'armée de l'air et la Marine ont arrêté les incorporations, l'armée de terre s'étant pour sa part préparée à fonctionner sans appelés dès 2002.

M. Xavier de Villepin, président, a estimé qu'il appartiendrait à la commission d'étudier, dans la perspective de la loi de finances pour 2002 et de la future loi de programmation militaire, les mesures répondant aux problèmes liés à la condition militaire. Plus généralement, il a souhaité le renforcement de la réflexion sur la préservation du lien entre les armées et la nation.

Puis M. Michel Caldaguès a attiré l'attention des membres de la commission sur la polémique née des accusations « ignobles » de torture portées par une ancienne militante du FLN à l'encontre du général Maurice Schmitt, ancien Chef d'Etat-major des Armées lorsque celui-ci était, en 1957, lieutenant dans un régiment de parachutistes, lors de la bataille d'Alger. M. Michel Caldaguès a rappelé que le général Schmitt avait vivement démenti ces accusations, qualifiées de pure affabulation. Il était indispensable, a estimé le sénateur, que l'émission de télévision de FR3 consacrée à cette affaire prenne en compte les dénégations de l'intéressé et il a fait valoir que de telles attaques portaient un préjudice moral considérable à l'ensemble des armées.

M. Xavier de Villepin, président, a alors indiqué qu'il avait pu lui-même mesurer le trouble suscité au sein des armées par ces accusations, ayant été alerté par les associations défendant l'intérêt moral des armées.