Table des matières


Mercredi 27 juin 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition du Général Jean-Pierre Kelche, chef d'Etat-major des armées

La commission a tout d'abord procédé à l'audition du général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées.

Abordant tout d'abord le bilan de l'exécution de l'actuelle loi de programmation militaire, à un an et demi de son terme, le général Jean-Pierre Kelche a souligné que les budgets annuels étaient restés en cohérence avec l'objectif à long terme de réalisation du nouveau modèle d'armée, même si des retards sont enregistrés. Il a indiqué que le passage de l'armée mixte vers l'armée professionnelle était en voie d'achèvement, les recrutements étant bons, malgré certaines difficultés ponctuelles, et leur niveau, aussi bien au plan qualitatif que quantitatif, devant cependant être maintenu dans les années à venir. L'augmentation des crédits d'activité devrait également être poursuivie pour permettre à nos armées de bénéficier d'un niveau d'entraînement équivalant à celui de nos principaux partenaires, notamment l'armée britannique. Il a rappelé que l'engagement en opérations extérieures pour des missions de maintien de la paix ne dispensait nullement du nécessaire entraînement au combat de haute intensité. Enfin, en matière d'équipement, il a constaté un glissement dans le temps de certains programmes, tout en remarquant que la « revue de programme » avait permis de gérer ces retards afin d'en minimiser les conséquences.

Le chef d'état-major des armées a ensuite évoqué les enjeux de la loi de programmation à venir. Il a souligné qu'elle devrait permettre la consolidation de l'armée professionnelle en stabilisant son format et en assurant la qualité du recrutement, de l'entraînement et des matériels. A ses yeux, l'effort devra porter sur l'activité des forces, le recrutement dans certaines spécialités déficitaires, la reconversion des personnels à travers un fonds de consolidation et les conditions de travail et de vie des militaires. En matière d'équipement, il a estimé que les dotations devraient augmenter, en cohérence avec la poursuite de la réalisation du modèle 2015.

A propos de l'évolution de la condition militaire, le général Jean-Pierre Kelche a estimé que le passage à l'armée professionnelle avait entraîné un changement de la sociologie des personnels de la défense. Il a indiqué qu'un certain nombre de décisions étaient à l'étude, ou avaient été prises, d'ores et déjà, pour favoriser la représentation et la participation des personnels et afin d'alléger les astreintes de travail. Il a rappelé que la professionnalisation, qui constitue un profond bouleversement, ne pouvait réussir sans l'adhésion des personnels au projet de modernisation des armées, projet qu'il appartenait aux autorités politiques de préserver. Il a convenu que certaines attentes ou insatisfactions pouvaient toutefois se manifester dans les armées lorsque les déficiences en personnels civils ou en appelés conduisent à une surcharge de travail pour les militaires ou que certaines unités sont mises en sommeil. Le niveau de rémunération des militaires lui a semblé, globalement, conforme aux rémunérations des autres personnels de la fonction publique, bien qu'il soit souhaitable de prendre certaines mesures spécifiques comme l'amélioration de la couverture accident-décès en opérations extérieures. Il a précisé, à cet égard, le régime de rémunération en opérations extérieures en vigueur depuis ces dernières années.

Répondant à une question de M. Xavier de Villepin, président, sur le lien armées-nation, le chef d'état-major des armées a insisté sur le bien-fondé de la professionnalisation des forces au regard des missions de gestion de crise. Il a jugé, par ailleurs, que l'armée n'était pas coupée de la nation, les unités maintenant un étroit tissu de relations avec leur environnement régional.

Au sujet de la situation au Kosovo, le général Jean-Pierre Kelche a évoqué les conditions de vie très difficiles dans les enclaves serbes, alors que la situation est relativement plus satisfaisante dans la région de Mitrovica où des progrès sont enregistrés dans la cohabitation avec les Kosovars albanais. L'absence d'interlocuteurs représentatifs de la communauté serbe et les importantes difficultés de la MINUK pour rétablir le bon fonctionnement des services publics et relancer l'économie continuent néanmoins de peser sur l'avenir de la région.

M. Xavier de Villepin, président, s'est inquiété sur ce point de la viabilité économique d'un Kosovo coupé de la Serbie et des incertitudes qui pèsent sur l'avenir de la province, compte tenu des aspirations de plus en plus fortes à une indépendance, que la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies n'a pas envisagée.

S'agissant de la situation en Macédoine, le général Jean-Pierre Kelche a rappelé que l'OTAN s'était déclarée prête à fournir une assistance pour le désarmement des groupes armés albanophones agissant dans le nord du pays, à condition qu'un accord politique intervienne entre les différentes parties et qu'un cessez-le-feu soit instauré. Il a ajouté que, dans cette hypothèse, une force équivalant à une brigade pourrait être déployée pour une durée relativement brève d'un mois, voire de deux mois au maximum. La responsabilité pourrait en être confiée au Royaume-Uni. La France serait en mesure de participer à cette opération.

Le général Jean-Pierre Kelche a ensuite évoqué la révision de la politique de défense américaine. Il a souligné la vaste ambition des revues stratégiques en cours, qui ne laissaient de côté aucun aspect de la politique de défense et qui s'appuyaient tout autant, sinon plus, sur les réflexions des « think tanks » que sur celles du Pentagone. Considérant qu'il était prématuré de tirer aujourd'hui les conclusions d'un exercice qui se poursuivra jusqu'à l'automne, il a cité plusieurs inflexions possibles de la politique américaine de défense : une réorientation des objectifs vers les opérations d'une certaine intensité au détriment des opérations de maintien de la paix, la création d'unités permanentes interarmées vouées à la projection, l'abandon probable de l'ambition de pouvoir traiter simultanément deux conflits de haute intensité, une priorité stratégique pour l'Asie et un effort particulier dans les domaines de l'information, de la défense antimissiles et des « systèmes de systèmes ».

Il a considéré que, face aux différents objectifs affichés, les autorités américaines seraient amenées à effectuer des choix. Il s'est déclaré convaincu que les Européens n'avaient pas à redouter une rupture en matière d'interopérabilité avec les Etats-Unis, à condition de faire porter leur effort sur les domaines essentiels. Il a également estimé que les Européens s'étaient sans doute plus rapidement adaptés que les Américains aux nouvelles formes de crises et à leurs implications, en termes de matériels et d'organisation.

Abordant la politique de défense britannique, le général Jean-Pierre Kelche a rappelé l'augmentation continue des dépenses d'équipement du Royaume-Uni, qui se donnait ainsi les moyens de jouer un rôle de premier plan en matière militaire en Europe. Il a souligné l'importance de l'entente franco-britannique pour faire progresser la politique européenne de sécurité et de défense.

Un débat s'est ensuite engagé avec les membres de la commission.

M. Serge Vinçon s'est demandé si la prochaine loi de programmation permettrait de couvrir les besoins croissants en matière de moyens de fonctionnement et de crédits d'équipement. Il a demandé des précisions sur le rôle et les moyens futurs de l'aviation légère de l'armée de terre, et sur l'évolution des crédits de recherche. S'agissant de la condition militaire, il a rappelé que les armées avaient connu une profonde restructuration et que se posait désormais de plus en plus ouvertement la question de l'évolution de la situation de ses personnels, comparée à celle du secteur civil.

M. André Dulait a souhaité connaître la place qu'occuperaient, au sein de la prochaine loi de programmation, les forces nucléaires et le renseignement.

M. Michel Caldaguès, après avoir observé qu'une armée professionnelle semblait mieux répondre qu'une armée mixte aux besoins liés aux opérations extérieures, a souligné que la révision du mode de rémunération des personnels participant aux dites opérations et l'évolution de leur nature même, les avaient rendues, sans doute, moins gratifiantes que par le passé, surtout pour les unités qui, traditionnellement, étaient les plus sollicitées pour ces missions. Il a estimé qu'il fallait, à cet égard, observer si les départs d'officiers supérieurs vers des carrières civiles s'amplifieraient, ces départs pouvant constituer un indicateur du maintien ou, au contraire, de la détérioration de l'attractivité des carrières militaires.

M. Guy Penne a interrogé le chef d'état-major des armées sur les accords de défense avec les pays africains et sur l'évolution de notre dispositif en Afrique.

M. Pierre Biarnès a souligné qu'à ses yeux, les Etats-Unis, bien plus que l'ONU, et grâce à l'OTAN, exerçaient une influence majeure sur l'évolution des Balkans et sur la recomposition de la région. Il s'est interrogé sur l'origine des affrontements apparus, il y a quelques mois, dans la vallée de Presevo, qui se déplacent désormais sur le territoire de la Macédoine, en remarquant que les zones concernées étaient contiguës au secteur contrôlé par les Américains au sein de la KFOR.

M. Christian de La Malène s'est demandé quelle priorité serait réservée à l'OTAN par l'actuelle administration américaine dans le cadre des choix qu'elle sera appelée à effectuer dans sa politique de défense.

M. Xavier de Villepin, président, a demandé des précisions sur la concrétisation des intentions allemandes pour la commande et le financement d'avions de transport militaire A 400 M.

En réponse à ces différentes interventions, le général Jean-Pierre Kelche a apporté les précisions suivantes :

- la marche vers le modèle d'armée 2015 impose, dans le cadre de la prochaine loi de programmation, un effort financier supérieur à celui opéré par les dernières lois de finances, tant en ce qui concerne le titre III, pour redresser le niveau des activités et améliorer les conditions de vie des personnels, que le titre V ;

- le maintien des objectifs assignés à nos forces nucléaires, c'est-à-dire une garantie de crédibilité dans le cadre d'une stricte suffisance, se traduira, dans la prochaine loi de programmation, par un relèvement des crédits de paiement, notamment pour mener à bien la construction des 3e et 4e sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération, la poursuite des programmes M51 et ASMP amélioré et la construction du laser mégajoule ;

- pour la Marine, la cohérence du groupe aéronaval constituera la priorité de la prochaine loi et visera à doter le porte-avions Charles de Gaulle de l'environnement indispensable à son déploiement ;

- la coopération européenne en matière de renseignement connaît des progrès notables, notamment grâce à la volonté commune de la France, de l'Allemagne et de l'Italie, d'édifier un système européen de détection satellitaire ;

- le vieillissement du parc d'hélicoptères de l'armée de terre, qui engendre des besoins accrus de maintenance, explique, pour une part, la détérioration de la disponibilité technique opérationnelle des appareils ; les mesures de redressement seront poursuivies et amplifiées afin de revenir à une situation plus satisfaisante ;

- la prochaine loi de programmation verra un renforcement des crédits de recherche ; le développement de recherches communes à l'échelle européenne devra être encouragé ;

- la révision du mode de rémunération des opérations extérieures, décidée il y a cinq ans, répondait à un souci d'équité ; elle n'aboutit pas à placer les personnels dans une situation objectivement défavorable eu égard aux contraintes de ces missions ;

- l'état actuel de nos accords de défense et de nos implantations en Afrique n'a pas lieu d'être modifié ; il permet à la France de jouer un rôle utile de prévention des conflits et d'appui aux armées africaines ; le concept « Recamp » (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) peut être considéré comme un succès, compte tenu de la crédibilité qu'il a acquise auprès des pays africains, des organisations sous-régionales et de l'OUA ;

- l'OTAN exerce une indiscutable attraction auprès des pays d'Europe centrale et orientale, certains d'entre eux ayant même tendance à renforcer leur effort d'équipement militaire au détriment de la stabilisation de leurs équilibres économiques financiers ;

- la France maintient son souhait d'un meilleur équilibre des responsabilités au sein de l'OTAN tout en souscrivant aux objectifs de renforcement des contributions européennes ;

- l'Allemagne semble fermement décidée à confirmer sa commande d'avions de transport militaire A 400 M.

Déplacement - Japon (16 au 19 juin 2001) - Communication

Puis M. Xavier de Villepin, président, a exposé les principales conclusions qu'il avait tirées de son récent déplacement au Japon effectué du 16 au 19 juin 2001.

Dans un propos liminaire, le président a rappelé que le continent asiatique était marqué par d'importants facteurs d'instabilité, et que la coexistence, dans cette zone, de trois pays à l'avenir, pour des raisons diverses, incertain -la Corée du Nord, Taïwan et la Chine continentale-, contribue à l'imprévisibilité de l'évolution asiatique.

Puis M. Xavier de Villepin, président, a souligné le contraste apparu ces dix dernières années entre la Chine, marquée par une croissance de son produit intérieur brut (PIB) de 10 % par an, et le Japon, qui peine à sortir d'une longue récession. Pour illustrer ses propos, le président a rappelé que les échanges commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis étaient passés de 20 milliards de dollars en 1990 à 116 milliards de dollars en l'an 2000, et cela, alors même que les Etats-Unis ne représentent que 20 % des ventes chinoises à l'étranger. Cette croissance s'accompagne d'une « explosion » des investissements étrangers qui, pour l'essentiel, transitent par Hong-Kong ou proviennent des Etats-Unis. L'attraction économique, déjà vive, exercée par le marché chinois, va croître avec la prochaine entrée de la Chine au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce, ce qui entraînera notamment une forte baisse de ses droits de douane, particulièrement sur les produits agricoles.

Evoquant ensuite le cas du Japon, le président a rappelé que ce pays était affecté, quasiment depuis dix ans, par une longue crise économique, mais qu'un changement politique important était intervenu au mois d'avril dernier avec l'accession au pouvoir d'une fraction minoritaire du Parti Libéral Démocrate. Le nouveau Premier ministre, M. Koizumi, est animé par un fort esprit de réforme, qui vise à assainir le secteur bancaire, à privatiser les services postaux et, enfin, à remettre en cause le traité militaire qui unit le Japon aux Etats-Unis. Cette remise en cause devrait également porter sur l'article 9 de la Constitution, qui limite considérablement les capacités militaires du Japon. Le président a relevé à cet égard qu'une majorité significative de Japonais (60 %) sont favorables à cette révision constitutionnelle.

Puis M. Xavier de Villepin, président, a évoqué les principaux facteurs d'inquiétude du Japon. Le premier d'entre eux est constitué par la surchauffe économique enregistrée en Chine, qui devrait entraîner de fortes tensions sociales internes, ainsi que des pénuries d'eau et d'énergie. Le Japon a également observé avec inquiétude la récente croissance de 17 % du budget militaire chinois, le conduisant à s'interroger sur la nature de l'adversaire potentiel contre lequel la Chine se prépare ainsi. Par ailleurs, les capacités balistiques de la Corée du Nord, démontrées par un tir qui aurait pu affecter le Japon en 1998, sont également source de préoccupation.

En conclusion, le président a rappelé que les dépenses militaires japonaises étaient plafonnées à 1 % de son produit intérieur brut, mais qu'elles se montaient néanmoins à 50 milliards de dollars par an. A cela s'ajoute une population à fort niveau d'éducation et un taux d'épargne élevé qui constitue autant d'atouts pour ce pays.

A l'issue de cet exposé, M. Philippe de Gaulle s'est interrogé sur le régime fiscal des investissements au Japon. En réponse, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que ce pays restait protectionniste, mais néanmoins très demandeur d'investissements étrangers, comme l'illustre le récent rachat de Nissan par Renault. En revanche, le Japon mène une politique d'immigration très stricte, considérant que les 800.000 Coréens présents sur son sol suffisent largement à répondre aux besoins du marché du travail japonais.

Rectification au bulletin n° 29 du 20 juin 2001

A la page 4368 - dernier paragraphe - lire :

« Puis M. Michel Caldaguès a attiré l'attention des membres de la commission sur la polémique née des accusations « ignobles » de torture portées par une ancienne militante du FLN à l'encontre du général Maurice Schmitt, ancien Chef d'Etat-major des Armées lorsque celui-ci était, en 1957, lieutenant dans un régiment de parachutistes, lors de la bataille d'Alger. M. Michel Caldaguès a rappelé que le général Schmitt avait vivement démenti ces accusations, qualifiées de pure affabulation. M. Michel Caldaguès a estimé inadmissible qu'une chaîne de télévision publique serve de support à de telles allégations et a fait valoir que de telles attaques portaient un préjudice moral considérable à l'ensemble des armées. »