Table des matières




Mercredi 13 mars 2002

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Traités et conventions - Protection du Rhin - Examen du rapport

La commission a tout d'abord examiné le rapport de M. André Boyer sur le projet de loi n° 251 (2001-2002) autorisant l'approbation de la convention pour la protection du Rhin (ensemble une annexe et un protocole de signature).

M. André Boyer, rapporteur, a retracé l'historique de la Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR), fondée en 1950 par la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et le Luxembourg, en vue de coopérer dans la lutte contre la pollution du fleuve, de l'aval du lac de Constance jusqu'à la mer du Nord. Deux conventions, l'une contre la pollution chimique, l'autre contre la pollution par les chlorures, ont été adoptées en 1976 sous l'égide de la CIPR, qui a également élaboré, en 1987, le « plan d'action Rhin », vaste programme de dépollution, assorti d'objectifs concrets. Aujourd'hui, la qualité des eaux du Rhin s'est notablement améliorée, même s'il reste difficile de lutter contre les sources diffuses de pollution. Une large partie de la faune et de la flore typiques du Rhin s'est reconstituée, comme en témoigne le retour du saumon, qui avait disparu durant près de quarante ans. L'alimentation en eau potable à partir des eaux du fleuve est possible sur la quasi-totalité de son cours.

M. André Boyer, rapporteur, a précisé qu'au cours des vingt dernières années, la politique mise en oeuvre par la CIPR avait évolué, dépassant la simple lutte contre la pollution d'origine industrielle pour viser à la restauration de l'écologie du Rhin.

Cette évolution est consacrée par la nouvelle convention pour la protection du Rhin signée à Berne le 12 avril 1999, qui actualise ou complète les dispositions existantes concernant l'organisation et le fonctionnement de la CIPR, notamment en ce qui concerne la reconnaissance de sa personnalité juridique, la définition de ses missions, l'usage du néerlandais comme troisième langue de travail avec le français et l'allemand, la participation aux travaux d'observateurs, ou encore l'instauration de comptes rendus réguliers des Etats membres sur la mise en oeuvre des décisions et recommandations de la Commission. L'innovation principale de la convention de 1999 tient cependant surtout à une extension du champ d'application de la coopération, qui concerne également les eaux souterraines et l'ensemble du bassin versant. De même, les objectifs de la coopération sont élargis, puisqu'ils visent, outre l'amélioration de la qualité des eaux, la protection contre les inondations, la production d'eau potable, la protection de la diversité des espèces et la restauration des habitats naturels de la faune et de la flore sauvages.

En conclusion, M. André Boyer, rapporteur, a évoqué la directive-cadre européenne sur la politique de l'eau, publiée en décembre 2000, qui prévoit la gestion des bassins hydrographiques dans le cadre d'un district international lorsqu'ils s'étendent sur le territoire de plusieurs Etats membres. Il a souligné que l'action de la CIPR s'inscrivait pleinement dans cet esprit et qu'elle avait même, dans une certaine mesure, inspiré la directive européenne. Il a ensuite proposé à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi relatif à la convention pour la protection du Rhin.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Christian de La Malène a formulé des observations sur la tendance naturelle des organisations internationales à rechercher un élargissement de leur champ de compétences.

La commission a ensuite émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

Traités et conventions - Accord France-RFA relatif à la coopération dans l'exercice des missions de police de la navigation - Examen du rapport

Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de Mme Jacqueline Gourault sur le projet de loi n° 167 (2001-2002) autorisant l'approbation d'un accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à la coopération dans l'exercice des missions de police de la navigation dans le secteur franco-allemand du Rhin.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a rappelé que le principe de la liberté de navigation sur les cours d'eau internationaux avait été fixé par l'Acte final du congrès de Vienne de 1815, et a souligné que cette date témoignait de l'ancienneté de la prise de conscience de l'importance politique et économique de la navigation sur les grands fleuves comme le Rhin. Puis elle a évoqué les dispositions contenues dans le projet de loi portant sur la coopération entre les polices fluviales allemande et française. Estimant que l'apport juridique majeur du texte est de permettre à ces autorités de police d'intervenir sur toute la largeur du Rhin, alors que la frontière physique qui sépare les deux pays passe au milieu du fleuve et n'est donc pas matérialisée, elle a fait valoir que, désormais, les services de police fluviale, qu'ils soient allemands ou français, auront compétence sur la partie du Rhin qui sépare les deux pays sur une longueur de 182 km de Bâle au sud à Lauterbourg au nord. La France dispose, pour faire respecter la réglementation en matière de navigation, seule visée par le texte, d'un ensemble de trois brigades territoriales de gendarmerie, soit 32 hommes disposant de 4 vedettes d'intervention. D'ores et déjà la coopération est passée dans les faits ; le texte de l'accord lui confère donc une base juridique précise.

En conclusion, Mme Jacqueline Gourault, après avoir précisé que l'accord était conclu sans limitation de durée, mais avec une possibilité de dénonciation par écrit avec un préavis de six mois, a proposé d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

La commission a ensuite adopté le projet de loi.

Nomination d'un rapporteur

Puis la commission a désigné M. André Dulait comme rapporteur sur le projet de loi n° 258 (2001-2002) autorisant la ratification de la convention européenne pour la protection des animaux de compagnie.

Situation au Proche-Orient - Audition de M. Dominique Moïsi, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI)

Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Dominique Moïsi, directeur-adjoint de l'Institut français des relations internationales (IFRI), sur la situation au Proche-Orient.

M. Dominique Moïsi
a tout d'abord commenté les événements les plus récents ayant marqué la situation au Proche-Orient et tout particulièrement l'adoption, par le Conseil de sécurité des Nations unies, à l'initiative des Etats-Unis, d'une résolution appelant à la coexistence de deux Etats et à l'arrêt des hostilités. Il a mis en relation l'escalade de la violence sur le terrain et la décision tardive des Etats-Unis de promouvoir une solution diplomatique, chaque partie au conflit voulant se trouver en position de force au moment où débuteront des négociations. Il a ainsi estimé que l'objectif des Palestiniens était de démontrer leur capacité à infliger des dommages inacceptables à Israël, alors que le gouvernement israélien cherche, au contraire, à rétablir un rapport de forces témoignant d'une supériorité incontestée.

Selon M. Dominique Moïsi, le plan de paix proposé par le prince héritier saoudien, Abdallah, illustre la volonté de Riyad d'améliorer son image internationale après les événements du 11 septembre et d'éviter que l'instabilité ne se propage dans tout le Moyen-Orient. Ce plan doit toutefois être considéré comme un aboutissement, et non un point de départ, pour de futures négociations. Lors de leur dernier sommet, les pays arabes se sont d'ailleurs tenus légèrement en retrait par rapport aux propositions du prince Abdallah, préférant évoquer une paix globale plutôt qu'une normalisation pleine et entière avec Israël.

S'agissant de l'évolution de la position américaine, M. Dominique Moïsi a souligné qu'elle ne remettait pas en cause la priorité accordée par Washington au traitement de la question irakienne, les Etats-Unis ayant, sur ce point, une appréciation différente de celle de l'Union européenne, qui privilégie le règlement du conflit israélo-palestinien. Pour M. Dominique Moïsi, le pas effectué par Washington au Conseil de sécurité rend encore moins probable un quelconque assouplissement de sa position à l'égard de l'Irak et renforce l'hypothèse d'une option militaire, si Saddam Hussein persistait dans son refus de se soumettre aux inspections internationales. La forme d'une éventuelle intervention militaire ne semble pas, aujourd'hui, arrêtée et l'on peut envisager aussi bien une invasion du territoire irakien que des frappes chirurgicales ou encore des actions militaires ciblées, s'appuyant sur des mouvements intérieurs hostiles à Saddam Hussein.

M. Dominique Moïsi a ensuite exposé les différents facteurs expliquant, selon lui, l'impasse dans laquelle se trouve le conflit du Proche-Orient.

Il a estimé que les positions de la partie arabe et palestinienne étaient influencées par trois facteurs principaux :

- un sentiment d'injustice profonde face au sort de la Palestine qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, et au moment où débutait la décolonisation, s'est vu imposer la création de l'Etat d'Israël par une Europe soucieuse de se racheter après la tragédie de la Shoah ;

- un sentiment d'humiliation face au déclin historique du monde arabe et à la réussite de l'Etat d'Israël du point de vue du développement économique ;

- l'utilisation, par un certain nombre de régimes arabes, de l'existence d'Israël comme alibi pour refuser toute évolution démocratique.

Parallèlement, a-t-il poursuivi, l'attitude israélienne présente trois caractéristiques :

- une certaine ignorance vis-à-vis de la population palestinienne, en particulier de la part des juifs venus d'Europe de l'est ;

- un fort sentiment d'insécurité fondé sur les données démographiques et sur la sensibilité à l'antisémitisme ;

- un complexe de supériorité typique des relations nord-sud ou colonisateurs-colonisés.

Revenant sur l'évolution du conflit, M. Dominique Moïsi a estimé que le processus d'Oslo, qui témoignait d'une certaine résignation de chaque partie, aurait pu aboutir si Yitzhak Rabbin n'avait pas été assassiné et si Yasser Arafat n'avait pas fait prévaloir sa survie politique personnelle. La situation actuelle s'apparente à celle de 1947, quand les Israéliens menaient une lutte existentielle pour leur survie même. Les Palestiniens se trouvent, quant à eux, dans une situation d'humiliation et de désespoir.

Pour M. Dominique Moïsi, le niveau de violence actuelle ne pourra perdurer et l'espoir peut venir de la lassitude de chacune des deux parties. Aujourd'hui, les bases de négociations existent sous la forme des propositions Mitchell. Parmi les éléments susceptibles de faire évoluer les positions, on peut citer le plan proposé par M. Sari Nusseibeh, président de l'université palestinienne de Jérusalem, et visant à démanteler l'ensemble des colonies en contrepartie de l'abandon, par les Palestiniens, du principe du droit au retour des réfugiés. Enfin, le plan saoudien peut constituer un aboutissement des négociations, avec la reconnaissance de deux Etats ayant pour capitale Jérusalem et l'internationalisation du contrôle des Lieux saints.

M. Dominique Moïsi a souligné l'importance de l'engagement concerté des Etats-Unis, de l'Union européenne et de la Russie pour dégager une solution diplomatique qui devra nécessairement être soutenue par les Nations unies.

A la suite de cet exposé, un débat s'est engagé avec les membres de la commission.

M. Michel Pelchat s'est interrogé sur les raisons de l'abstention de la Syrie lors du vote de la résolution 1397 du Conseil de sécurité des Nations unies. Il a contesté l'opportunité d'une action militaire contre l'Irak, estimant que l'ouverture des frontières et le rétablissement de la liberté de circulation et des échanges permettraient bien mieux de faire évoluer le régime, tout en améliorant le sort de la population.

M. Louis Mermaz a, lui aussi, évoqué l'attitude de la Syrie au Conseil de sécurité. Par ailleurs, il s'est interrogé sur la signification exacte de l'évolution de la position américaine en faveur de la création d'un Etat palestinien, en se demandant si elle ne visait pas à compenser les effets d'une future intervention contre l'Irak.

M. Christian de La Malène a souligné le caractère tragique d'une situation dans laquelle le seul espoir résidait dans la lassitude des deux parties face à l'escalade de la violence. Par ailleurs, il s'est vivement inquiété des répercussions considérables que pourrait avoir, dans le monde musulman, une intervention américaine contre l'Irak.

Mme Jacqueline Gourault a demandé dans quelle mesure les Etats-Unis pouvaient s'appuyer sur une opposition interne au régime irakien. Par ailleurs, se référant à l'époque précédant la première guerre israélo-arabe, elle a estimé qu'il fallait sans doute nuancer l'idée selon laquelle la population juive avait toujours ignoré la population palestinienne.

Mme Danielle Bidard-Reydet a souligné l'impasse dans laquelle menait la solution militaire mise en oeuvre par Ariel Sharon et la nécessité de l'implication d'un médiateur extérieur pour trouver une issue diplomatique. Elle a demandé, sur ce point, quel pouvait être le rôle des pays arabes et quelle initiative concrète pouvait enclencher une véritable logique de négociation.

Mme Hélène Luc a demandé si la politique visant à isoler Yasser Arafat ne lui ôtait pas tout moyen d'agir en faveur de l'arrêt des violences. Par ailleurs, elle a souhaité savoir quel pourrait être le fait générateur d'une intervention militaire contre l'Irak.

M. Louis Moinard s'est interrogé sur les motivations d'une intervention militaire contre l'Irak à l'égard de la question, plus générale, de la lutte contre le terrorisme.

M. Xavier de Villepin, président, évoquant les Palestiniens qui se sont livrés à des attentats suicides, s'est demandé si leur profil était analogue à celui des terroristes d'Al Qaida. Il s'est interrogé sur la volonté des Etats-Unis et de l'Union européenne de s'impliquer dans une éventuelle force d'interposition. Enfin, il a demandé quel rôle pouvait, aujourd'hui, jouer la Russie, au Proche-Orient.

En réponse à ces différentes questions, M. Dominique Moïsi a apporté les précisions suivantes :

- l'abstention de la Syrie lors du vote de la résolution 1397 au Conseil de sécurité des Nations unies témoigne de la crainte de ce pays, quelque peu affaibli, de voir remis en cause son rôle au Liban et, plus généralement, son poids international acquis grâce à ses positions maximalistes ;

- le sentiment de vulnérabilité est extrêmement fort aux Etats-Unis à la suite des attentats du 11 septembre et, de ce point de vue, la détention, par l'Irak, d'armes de destruction massive, constitue une vive et réelle préoccupation ; les derniers rapports des Nations unies confirment que, si l'Irak a bien arrêté son programme nucléaire, il a, en revanche, poursuivi ses programmes d'armes chimiques et biologiques ; la France partage, sur ce point, l'analyse et les objectifs des Etats-Unis, même si elle est en désaccord sur les moyens préconisés par ces derniers ;

- l'opportunité d'une intervention militaire contre l'Irak doit être appréciée au regard de deux éléments : l'existence d'une solution politique alternative à Saddam Hussein et la possibilité de mener une offensive suffisamment rapide et décisive pour éviter un enlisement coûteux sur les plans humain et diplomatique ;

- le rôle de la Russie vis-à-vis de la situation au Moyen-Orient est beaucoup plus important qu'on ne l'estime généralement ; d'une part, avec les pays de la Caspienne et d'Asie centrale elle offre, pour l'occident, une véritable alternative d'approvisionnement énergétique par rapport au Moyen-Orient, d'autre part, 1 million d'Israéliens sont d'origine russe et la nouvelle Russie entend pleinement assumer sa charge de garante des Lieux saints orthodoxes ; pour ces raisons, la paix ne pourra pas être instaurée dans la région sans que la Russie en soit partie prenante, même si elle ne joue pas un rôle moteur ;

- comme les terroristes d'Al Qaida, les auteurs d'attentats suicides disposent d'un haut niveau d'éducation ; toutefois, la présence de femmes démontre qu'il peut s'agir aussi de réseaux strictement laïcs ;

- en voulant le marginaliser et l'immobiliser à Ramallah, les Israéliens ont renforcé la position de Yasser Arafat ;

- l'Union européenne, qui finance aux deux tiers l'Autorité palestinienne et qui a conclu des accords commerciaux avec Israël ne s'est, à l'évidence, pas assez impliquée dans la résolution du conflit ; elle s'est, en particulier, jusqu'à présent, toujours refusée à imposer des sanctions, en dépit des attitudes inacceptables constatées tant du côté palestinien que du côté israélien ;

- l'internationalisation de la résolution du conflit du Proche-Orient est indispensable ; elle est souhaitée par les Palestiniens mais refusée par l'immense majorité des Israéliens ;

- l'Europe ne pourra, à elle seule, ni même à titre principal, apporter une solution au conflit ; elle ne peut, toutefois, s'en désintéresser car, historiquement, elle porte une responsabilité dans son origine et elle doit tenir compte de la présence, sur son sol, d'importantes communautés d'origine juive et arabe.

Enfin, M. Dominique Moïsi a approuvé Mme Danielle Bidard-Reydet qui soulignait le caractère inopportun des manifestations de soutien à l'armée israélienne prochainement envisagées en France.