Table des matières




Mercredi 12 novembre 2003

- Présidence de M. André Dulait, président -

PJLF pour 2004 - Crédits de la marine - Examen du rapport pour avis

Sur le rapport de M. André Boyer, la commission a procédé à l'examen des crédits de la marine inscrits dans le projet de loi de finances pour 2004.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a rappelé que, l'an passé, l'examen des crédits consacrés à la marine pour 2003 s'était déroulé dans le contexte de son engagement dans les opérations en Afghanistan. Cette année la marine, moins engagée dans des opérations extérieures, a été plus présente dans l'actualité au titre de ses missions de sauvegarde maritime.

Les crédits de la marine pour 2004 reflètent une volonté de maîtrise des dépenses au titre III et de poursuite de la restauration de la disponibilité des matériels et du renouvellement des équipements au titre V.

Le budget de la marine pour 2004 s'élève à 5,8 milliards d'euros, dont 1,9 milliard au titre III et 3,8 milliards aux titres V et VI, ce qui représente 18 % des crédits de la défense.

S'agissant des dépenses ordinaires, les effectifs militaires diminuent légèrement, avec 44.131 postes en 2004. Les effectifs budgétaires civils progressent de 229 postes, pour s'établir à 10.291 personnels civils. Cette progression est due au transfert du personnel de DCN, la marine ne faisant pas exception à la règle du non-remplacement systématique des départs en retraite.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a souligné que la marine conserverait en 2004 un léger sous-effectif, les crédits de rémunérations et charges sociales ayant été alignés sur les effectifs réalisés, alors que la marine n'a pas encore totalement atteint son format de professionnalisation.

Les moyens nécessaires à la fidélisation des personnels et à la poursuite du plan d'amélioration de la condition militaire représentent 15 millions d'euros. Des crédits nouveaux sont également consacrés à l'externalisation afin de poursuivre le recentrage des tâches des marins sur leur métier.

En revanche, les crédits de fonctionnement sont en baisse à périmètre constant. La marine devra compter sur ses stocks et sur une réforme de sa gestion pour parvenir à un taux d'activité satisfaisant.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a indiqué que les crédits d'investissement du titre V étaient conformes, pour la deuxième année consécutive, à l'annuité correspondante de programmation. Il a indiqué que l'enveloppe budgétaire était abondée des crédits nécessaires à la neutralisation fiscale liée au changement de statut de DCN.

Les dotations du titre V augmentent de 16,7 % en autorisations de programme, ce qui représente 4,74 milliards d'euros, et de 12,2 % en crédits de paiement, pour s'établir à 3,84 milliards d'euros.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a considéré que ces augmentations étaient tout à fait significatives, mais que les enjeux l'étaient tout autant : la marine doit investir massivement dans la disponibilité des matériels, sans que les résultats soient encore sensibles ; elle doit accompagner le changement de statut de DCN sans répercussion immédiate sur la productivité et les coûts et doit financer le renouvellement d'équipements importants en se trouvant d'ores et déjà, dans certains domaines, face à un déficit capacitaire.

Tout en notant des augmentations importantes, rapportées au contexte budgétaire du pays, M. André Boyer, rapporteur pour avis, a souligné que le calendrier des programmes n'autorisait aucune marge de manoeuvre.

La disponibilité des matériels reste un défi d'actualité, alors que l'entretien programmé des matériels classiques et nucléaires absorbe désormais plus du quart du titre V. Les taux de disponibilité moyens n'atteignent encore que 63 % pour la flotte et 54 % pour les matériels aéronautiques. S'il convient bien sûr de nuancer ces taux, les crédits d'entretien programmés sont très sollicités par le vieillissement des matériels, mais également par des matériels récents et sophistiqués, tels que le Rafale.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a indiqué que les conséquences du changement de statut de DCN se feraient durablement sentir. Sur la précédente période de programmation, l'adaptation de DCN a représenté plus de 500 millions d'euros. La marine devrait être sollicitée jusqu'en 2008 au titre du fonds d'adaptation industrielle, auquel s'ajoute un volet social pour un montant total de 147 millions d'euros en 2004. Les aspects fiscaux de la réforme avaient été correctement anticipés, mais le coût des assurances pour les bâtiments en construction, ainsi que la nécessité de solder les encours, renchérissaient notablement les coûts pour la marine. Il a regretté que le renouvellement des équipements, qui forment pour partie le contrat d'entreprise de DCN, figure au sein de la même enveloppe budgétaire que les mesures d'adaptation nécessaires au changement de statut. Ce sont autant de crédits d'équipement qui ne bénéficient pas directement à l'investissement des armées.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a indiqué que la marine était engagée dans plusieurs programmes d'importance pour la réalisation du format 2015. Dans les prochaines années, la marine attend la livraison du troisième sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), le Vigilant, à la fin de l'année 2004, de deux bâtiments de projection et de commandement en 2005 et 2006, ainsi que de deux frégates antiaériennes Horizon en 2006 et 2008. Au programme de frégate Horizon est couplé le système de lutte antiaérienne Paams qui met en oeuvre le missile Aster. Au titre des moyens de services publics, deux remorqueurs de haute mer entreront en service en 2005, alors que les livraisons de vedettes de gendarmerie maritime se poursuivent à une cadence rapide.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a alors évoqué les programmes majeurs devant être lancés dans les prochaines années. Il a évoqué le programme de frégates multi-missions qui porte sur 17 bâtiments, réalisé en coopération avec l'Italie et qui est assez largement responsable de l'augmentation des autorisations de programme sur les programmes classiques. Le programme du sous-marin nucléaire d'attaque de type Barracuda, le quatrième SNLE-NG, les futurs standards de l'avion de combat Rafale, l'hélicoptère NH 90 ainsi que les programmes d'armement associés devront également être financés dans les prochaines années.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a souligné que les financements correspondant à ces programmes nécessiteraient un effort budgétaire soutenu, ce qui a conduit la marine à s'interroger sur le recours éventuel à des financements innovants. Il a considéré que cette idée devait être abordée avec précaution, s'agissant de l'acquisition de bâtiments de guerre.

En conclusion, M. André Boyer, rapporteur pour avis, a indiqué que les crédits de la marine pour 2004 étaient satisfaisants mais que, pour aboutir, l'effort de modernisation entrepris devait être soutenu. Ce soutien est d'autant plus nécessaire que la marine nationale s'est investie, depuis trois ans, dans une démarche de protection des côtes contre les risques de toute nature, qui représente désormais plus du quart de son activité, démarche qui renforce la légitimité d'un effort budgétaire soutenu. En conséquence, M. André Boyer, rapporteur pour avis, a indiqué que l'examen des crédits de la marine conduisait à recommander un vote favorable sur les crédits de la défense.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Xavier de Villepin s'est interrogé sur le choix de propulsion du second porte-avions. Le choix de l'énergie nucléaire semble actuellement l'emporter alors que la commission, dans un précédent rapport, avait envisagé une coopération avec le Royaume-Uni sur ce programme. Il a interrogé le rapporteur sur l'opportunité du rachat du chantier naval allemand HDW qui permettrait de renforcer la place de DCN sur le marché des sous-marins diesel.

M. André Dulait, président, a interrogé le rapporteur sur les conclusions du rapport d'information de l'Assemblée nationale relatif à la propulsion du porte-avions.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a rappelé qu'il avait été l'auteur, en 2000, d'un rapport sur le groupe aéronaval. Tout en concluant à la nécessité d'un second porte-avions, il résultait de ce rapport l'absolue nécessité de la modernisation de la flotte de surface. Cette priorité reste d'actualité tout comme la restauration de la disponibilité des matériels. Il a considéré que le rapport d'information de l'Assemblée nationale était plus équilibré que les comptes rendus qu'en a faits la presse. L'opportunité d'une coopération avec les Britanniques reste intéressante, même si ceux-ci ont fait des choix d'aviation embarquée et de mode de propulsion qui ne permettraient pas de retenir une solution proche du Charles-de-Gaulle. La question des capacités d'emport d'avions pour des hangars qui devraient abriter le Rafale se pose également. La réalisation, vingt ans après, d'un bâtiment similaire au Charles-de-Gaulle, n'est pas envisageable, de nombreux éléments devant être modernisés. La propulsion nucléaire confère au bâtiment à la fois l'autonomie et la rapidité d'intervention mais pose le problème de la durée et du coût des entretiens périodiques. Les porte-avions américains sont certes nucléaires mais d'un tonnage beaucoup plus important et font appel à une énergie nucléaire qui ne nécessite pas le renouvellement périodique des coeurs. La révision des choix auxquels procèdent actuellement les Britanniques sur les caractéristiques de leurs futurs porte-avions est une autre source de complication dans un débat qui doit également intégrer des considérations industrielles. S'agissant du chantier naval allemand HDW, l'opportunité d'un rachat était intéressante mais n'est aujourd'hui plus d'actualité, le fonds de pension américain qui en détient la propriété ne souhaitant plus le mettre sur le marché.

M. André Dulait, président, a fait part de son inquiétude sur l'évolution des normes de sécurité nucléaire qui pourrait peser, à terme, sur les coûts d'entretien du second porte-avions. Il a indiqué que le nucléaire pourrait également constituer une difficulté pour les populations riveraines des installations de la marine.

M. André Boyer, rapporteur pour avis, a précisé que l'accueil du porte-avions en escale était également lié à des considérations de politique internationale et pas seulement aux normes de sécurité.

PJLF pour 2004 - Crédits de l'armée de l'air - Examen du rapport pour avis

Puis la commission a procédé, sur le rapport de M. Xavier Pintat, à l'examen des crédits de l'armée de l'Air pour 2004.

M. Xavier Pintat,
rapporteur pour avis, a tout d'abord rappelé que le budget de la défense pour 2004 augmentait de 4,29 % par rapport à 2003, avec un total de 32,403 milliards d'euros. Le projet de budget destiné à l'armée de l'air est encore plus favorable, puisqu'il augmente, en crédits de paiement, de 9,03 %, avec un total de 6,070 milliards d'euros pour 2004.

M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis, s'est félicité de cette évolution positive, d'autant plus appréciable qu'elle se situe dans un contexte de stabilité des dépenses publiques. Il a salué la concordance entre ce projet de budget et la deuxième annuité de la loi de programmation militaire 2003-2008, qui prévoit une notable progression de 6,5 % des crédits de paiement affectés à la défense.

Ce projet de budget, a-t-il estimé, permettra à l'armée de l'air d'assurer son fonctionnement, d'améliorer l'entraînement des pilotes ainsi que la maintenance du matériel, de poursuivre les investissements requis par les grands programmes en cours en matière d'avions de combat et de transport, et enfin de construire un démonstrateur de drones de combat.

M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis, a ensuite présenté la situation des personnels de l'armée de l'air, dont le recrutement est satisfaisant, tous grades confondus. Il a évoqué le recours à l'externalisation des tâches d'entretien non militaires, qui permet d'affecter pleinement le personnel de l'armée de l'air à ses fonctions essentielles.

Puis le rapporteur pour avis s'est félicité de l'arrivée des cinq premiers Rafale au standard F2, qui seront expérimentés à Mont-de-Marsan, puis basés à Saint-Dizier, où seront constitués ultérieurement, en 2006 et 2008, deux escadrons opérationnels. Il a fait valoir que cette expérimentation permettrait à cet appareil de révéler son véritable potentiel, permettant à la flotte de combat d'être à terme réduite de 330 à 300 appareils, tout en accroissant ses capacités d'intervention et de combat.

La flotte de transport militaire sera elle aussi marquée par une réduction de son format, en raison du retrait progressif des Transall les plus obsolètes, qui ne seront dans l'immédiat que partiellement remplacés par l'achat de deux nouveaux avions cargos CASA 235. En effet, l'avion européen de transport A 400 M, qui fournira des capacités bien supérieures, ne sera disponible qu'après 2010.

Pour les transports à longue distance, il conviendra également de remplacer, comme le prévoit le projet de loi de programmation militaire 2003-2008, les deux DC 8 vieux de 40 ans, par de nouveaux appareils dits TLRA (très long rayon d'action) dont la nature n'est pas encore déterminée.

M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis, a ensuite rappelé la décision prise par le ministre de la défense, lors du Salon du Bourget de juin dernier, de faire construire un démonstrateur de drones de combat, alors que la France envisageait antérieurement de se limiter aux drones d'observation.

En matière de munitions, 110 missiles de croisière SCALP-EG (Emploi général) s'ajouteront en 2004 aux 60 déjà livrés cette année. Ce missile arme aujourd'hui les Mirage 2000 D et équipera les Rafale F2.

Enfin, les capacités de commandement et de communication continueront à être modernisées, pour réduire la « boucle » de décision qui sépare l'ordre initial de son exécution. Le rapporteur pour avis a salué le rôle de « nation-cadre » occupé par la France lors de l'opération multinationale Artémis, qui s'est déroulée, en application de la résolution 1484 de l'ONU, de juin à septembre 2003, en République démocratique du Congo. Il a souligné la réussite de cette opération, dont les troupes sont aujourd'hui relayées par celles de la MONUC (Mission de l'ONU pour le Congo).

En conclusion, le rapporteur pour avis a proposé d'adopter les crédits de l'armée de l'air pour 2004.

Un débat s'est alors instauré au sein de la commission.

M. Xavier de Villepin s'est interrogé sur la pertinence de l'objectif retenu par le modèle d'armée 2015 d'une flotte de combat composée de 300 avions. Il a fait valoir que ce chiffre lui semblait peu élevé au regard de celui en vigueur dans d'autres pays proches de la France, comme l'Algérie ou l'Egypte. Il a souhaité également obtenir des informations sur les nouveaux missiles utilisés par l'armée de l'air.

M. André Dulait, président, a évoqué le futur coût d'entretien du standard F2 du Rafale, rappelant que celui du standard F1, déjà en service dans la Marine, s'est révélé sensiblement supérieur aux estimations initiales.

En réponse, M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis, a souligné que le caractère opérationnel d'une flotte de combat tenait beaucoup plus aux capacités de chacun des appareils utilisés qu'à leur nombre global.

Il a rappelé que la composante nucléaire aéroportée bénéficierait, en 2007, de l'ASMP-A (Air Sol Moyenne Portée Amélioré) et que, s'agissant d'armement conventionnel, l'armée de l'air disposerait notamment du missile de croisière de grande précision SCALP-EG. Par ailleurs, à partir de 2005, commencera la livraison de l'armement air-sol modulaire (AASM). Enfin, il a fait valoir que les coûts d'entretien du Rafale F2 ne se révéleront qu'à l'occasion de l'expérimentation de cet avion, qui débutera en 2004.

Présidence de M. André Dulait, président et de M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne -

Conférence intergouvernementale - Etat des négociations - Audition de M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, sur l'état des négociations au sein de la Conférence intergouvernementale, conjointement avec la délégation pour l'Union européenne.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a indiqué que la Conférence intergouvernementale sur la réforme des traités européens abordait une nouvelle phase de ses travaux. A l'issue de consultations bilatérales, la présidence italienne doit proposer un projet de compromis final lors d'une réunion ministérielle prévue à la fin du mois de novembre.

Il a indiqué que les sessions de la Conférence n'avaient permis que peu de progrès, les lignes de clivage et les points de blocage n'ayant pas évolué. La négociation oppose les Etats qui souhaitent préserver le résultat de la Convention à ceux, plus nombreux, qui veulent reconsidérer les innovations et les progrès auxquels la Convention est parvenue. La ligne de partage ne recouvre en rien la distinction artificielle entre petits et grands Etats.

Les difficultés portent sur trois domaines : les institutions, les politiques et la défense.

S'agissant des institutions, les deux points de blocage portent sur la réduction de la taille de la Commission et le système de la double majorité au Conseil. Sur ce dernier point, le dernier Sommet franco-espagnol du 6 novembre n'a pas permis d'avancer. Concernant les politiques, de très nombreux amendements ont été proposés qui visent notamment à revenir sur l'extension du champ de la majorité qualifiée en matière de droit pénal, dans le domaine social et en matière fiscale. La France ne peut accepter ces retours en arrière. En matière de défense, certaines dispositions rencontrent des oppositions. Au titre des avancées qui font l'objet d'un consensus, figurent la clause de solidarité, la création d'une agence de l'armement, l'élargissement des missions de Petersberg ainsi que l'extension des coopérations renforcées au domaine de la défense. En revanche, les critiques se focalisent sur la coopération structurée et la coopération plus étroite en matière de défense mutuelle. Le principe de la coopération structurée est généralement admis mais il convient de lever certains malentendus qui conduisent des Etats à craindre d'en être exclus. La Conférence intergouvernementale doit maintenant s'attacher à rédiger le protocole qui définit les critères de participation à cette coopération. En ce qui concerne la coopération en matière de défense mutuelle, les critiques portent sur son principe même compte tenu de l'existence de l'OTAN. La France est très attachée à cette proposition qui revêt une forte dimension symbolique sans porter atteinte à la solidarité atlantique.

Face à ces difficultés, la France soutient la présidence italienne et adopte une approche ouverte.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a rappelé que la France souhaitait que la Conférence s'écarte le moins possible du projet adopté par la Convention. Celui-ci, au terme d'un exercice démocratique, répond pleinement à l'objectif d'efficacité et de transparence et constitue un équilibre qui apparaît, au demeurant, difficile à modifier. La France plaide pour que tout changement ne soit accepté que s'il a fait l'objet d'un consensus.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a rappelé que la France proposait quelques clarifications et ajustements sur deux sujets institutionnels et sur les politiques. La France souhaite ainsi que les principes de la présidence du Conseil des ministres soient mieux définis, ainsi que le rôle et les attributions du ministre des affaires étrangères de l'Union. La Conférence intergouvernementale devra définir le bon équilibre sur la position de ce futur ministre au sein du Conseil comme de la Commission. Concernant les politiques, la France a proposé que soit renforcée la capacité décisionnelle de la zone euro, que soit élargi le champ de la majorité qualifiée en matière de politique sociale et de fiscalité liée au marché intérieur et qu'un meilleur équilibre des pouvoirs entre le Conseil et le Parlement européen soit assuré dans la procédure budgétaire. La France souhaite également que la spécificité des régions ultra-périphériques soit mieux prise en compte.

S'agissant de la référence à la religion chrétienne dans le préambule du projet de constitution, sujet qui est revenu au coeur des discussions, le ministre a estimé que la rédaction proposée, qui fait référence à l'« héritage culturel religieux et humaniste de l'Europe », représentait un bon équilibre entre des positions très diverses.

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a précisé que la France était à l'écoute des préoccupations de ses partenaires en prenant toute sa part à la recherche de solutions. Sur la composition de la Commission, la plupart des Etats-membres contestent l'idée d'une Commission restreinte en réclamant un commissaire par Etat. La présidence n'exclut pas de faire une proposition sur ce point dans son prochain compromis. Si un recul était envisagé sur l'accord de Nice qui prévoit le plafonnement à terme du collège, il ne faut pas exclure que les Etats qui en bénéficient demandent à conserver leur deuxième commissaire. Sur la question du vote au Conseil, la France a accepté le système de la double majorité. Il n'est donc pas question de retourner à la pondération de Nice et d'autres solutions doivent être examinées pour régler les difficultés de l'Espagne et de la Pologne.

Dans la recherche des solutions, il faut bien considérer que l'Europe élargie a besoin d'être efficace et qu'il convient de s'entendre sur une approche ambitieuse ; elle doit pouvoir agir de façon souple et diversifiée, ce que visent à apporter les coopérations renforcées. Le primat des intérêts nationaux fait courir le risque de la paralysie et de l'échec.

Il appartient à la présidence italienne de proposer les éléments d'un compromis global. Un échec de la Conférence inter-gouvernementale ne peut être exclu si l'on devait revenir aux arrangements institutionnels de Nice et renoncer à certaines des avancées de la Convention. A cet égard, le ministre a affirmé que la France préfèrerait un constat d'échec clair à un affadissement du niveau d'ambition qui résulterait d'un détricotage du projet de la Convention.

Cependant, les éléments d'un accord existent dès lors que la volonté d'aboutir est présente chez tous les partenaires. Il convient de faire confiance à la capacité de la présidence italienne de créer les conditions d'un consensus. Chacun des membres de l'Union mesure les enjeux de la négociation et les conséquences d'un échec sur l'avenir de la construction européenne.

En conclusion, M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, a affirmé que la France devait faire le pari de la raison pour apporter la preuve que l'Europe peut parvenir à des accords ambitieux et des décisions courageuses.

Un débat a suivi l'exposé du ministre.

M. Hubert Haenel, président de la Délégation pour l'Union européenne, a considéré que la composition de la Commission figurait au nombre des ouvertures possibles, dans la perspective du débat sur la ratification. Evoquant la procédure de révision du futur traité constitutionnel, qui requiert l'unanimité, il s'est interrogé sur la possibilité de la modifier au cours de la Conférence intergouvernementale. Il a considéré que la remise en cause par certains pays de la possibilité de créer un parquet européen et de promouvoir une justice pénale et civile au niveau européen constituait un mauvais signal à l'égard des opinions publiques. S'agissant de la question de l'héritage religieux de l'Europe, il a considéré que la formule actuelle du préambule était satisfaisante et qu'un consensus ne pourrait être obtenu sur une autre formulation. L'article 51 du texte, qui laisse à chaque Etat le soin de régler ses rapports avec les religions, doit suffire à satisfaire les demandes. M. Hubert Haenel a interrogé le ministre sur le calendrier de ratification et sur la possibilité d'une coopération plus étroite avec l'Allemagne qui pourrait aller jusqu'à l'intégration dans certains domaines.

M. Robert Badinter a évoqué la question de la révision du traité. Il a estimé que la procédure de révision conduisait à figer la Constitution alors même que sa troisième partie, sur les politiques communautaires, n'était que la reproduction de traités existants. Il convenait de définir quelles devaient être les matières-clés qui resteraient soumises à l'unanimité. M. Robert Badinter a considéré que la révision constituait un enjeu politique essentiel et a souhaité savoir si la question avait déjà été abordée au sein de la Conférence intergouvernementale.

M. Jean François-Poncet s'est inquiété de l'issue des négociations devant la « levée de boucliers» contre les conclusions de la Convention. Dans ce contexte, il s'est interrogé sur la stratégie de négociation envisagée par la France pour isoler ou diviser les opposants. Quelle serait par ailleurs la situation si les négociations n'étaient pas conclues avant la prochaine présidence au premier janvier prochain ? Estimant que les initiatives prises par la France et l'Allemagne suscitaient parfois l'irritation mais étaient aussi un « aiguillon », M. Jean François-Poncet a considéré qu'il était possible d'avancer, le cas échéant, en dehors du traité. Il a proposé que la France et l'Allemagne disposent d'une représentation conjointe au FMI ainsi que de représentations diplomatiques conjointes, notamment à Washington et à Londres, ce qui constituerait un signal fort.

S'agissant de la composition de la Commission, M. Pierre Fauchon a estimé que la demande d'un commissaire par Etat était légitime. Il a considéré que la proposition de la Commission, tendant à créer des commissaires sans droit de vote serait difficile à appliquer. Certains grands pays pourraient ainsi se trouver dépourvus d'un commissaire avec droit de vote. Si les commissaires n'ont pas vocation à représenter les intérêts de leur pays d'origine, l'absence de droit de vote pourrait en revanche les conduire à un repli sur des positions nationales. Avec ce type de solution, la capacité d'action de la Commission serait compromise et elle ne se trouverait pas en situation de jouer le rôle moteur qui est le sien.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est inquiétée de l'absence de disposition pour faciliter la révision du traité. Elle a souhaité savoir si des compromis se dégageaient sur ce point au sein de la Conférence intergouvernementale. Elle a exprimé son inquiétude sur les évolutions qui affectent les dispositions relatives à la coopération judiciaire et policière, point sur lequel, dans la perspective de la ratification, il aurait été possible de conquérir l'opinion publique.

M. Lucien Lanier a considéré qu'une rupture des négociations serait préférable à un mauvais compromis.

M. Pierre Mauroy a fait part d'une grande inquiétude quant à l'absence de progrès substantiels en matière de gouvernance économique et d'Europe sociale dans le climat économique actuel. Il a considéré qu'il convenait de préserver les coopérations renforcées. En cas d'échec, il conviendra de poursuivre la construction européenne et, dans cette hypothèse, la coopération franco-allemande pourrait permettre des avancées.

M. Pierre Biarnès a considéré que la volonté de créer à tout prix un cadre institutionnel avait conduit la France dans une impasse. Il convenait désormais de se préparer à progresser avec les pays les plus volontaristes.

Le ministre des affaires étrangères a apporté les précisions suivantes :

- un format resserré de la Commission a pour but de préserver l'efficacité de cet organisme sans porter atteinte au principe d'égalité entre les Etats, mais les pays candidats restent attachés au schéma institutionnel ancien et souhaitent disposer d'un commissaire par Etat. La proposition du Luxembourg d'une commission comprenant dix-huit membres, avec un système de rotation, et permettant que deux-tiers des Etats soient représentés pourrait être une solution de compromis. Enfin, l'établissement d'un lien entre les commissaires et leur pays d'origine n'est pas conforme à notre vision de l'Europe ;

- les conditions de révision du traité seront un des sujets de la prochaine session de la CIG. La France souhaite que la troisième partie du traité concernant les politiques communes puisse être modifiée sans recourir systématiquement à l'unanimité. Il existe déjà des clauses « passerelles » permettant l'extension du recours à la majorité qualifiée par une décision unanime du Conseil européen ;

- le projet de Constitution mentionne un parquet européen, ce qui constitue un réel progrès par rapport au traité de Nice, tout en l'encadrant par des conditions encore trop restrictives ;

- une date de ratification ne pourra être fixée qu'une fois le traité finalisé. La ratification, quelle que soit la procédure, devra être l'occasion d'un véritable débat sur l'Europe ;

- la stratégie de négociation de la France se fonde sur plusieurs principes : ne pas précipiter la formulation d'un projet de compromis et faire trancher les décisions les plus importantes par le Conseil européen afin d'obtenir un équilibre global. Il importe aussi d'éviter de remettre en cause les principaux acquis du texte de la Convention  et de distinguer les revendications d'ordre national de celles qui contribuent à la réforme des institutions. Cette ligne de conduite visant à préserver un équilibre constructif devrait permettre d'éviter une crise et d'arriver à un accord satisfaisant. La France souhaite, dans ce cadre, garder un lien très fort avec l'Allemagne et les pays fondateurs de l'Union européenne.

La création d'ambassades conjointes avec l'Allemagne ou de représentations communes dans les institutions financières internationales pose des difficultés juridiques. Celles-ci ne font toutefois pas obstacle à des implantations conjointes et à une recherche systématique d'harmonisation de nos positions :

- le président de la Commission doit avoir une grande liberté d'organisation du travail du collège des commissaires. Il est donc souhaitable de préserver une certaine flexibilité dans le traité sur ce point ;

- la lutte contre la criminalité et l'immigration illégales sont parmi les sujets où les décisions pourront être prises à la majorité qualifiée et qui font l'objet de coopérations privilégiées avec certains Etats membres ;

- la Constitution européenne ne saurait marquer un recul par rapport aux traités existants. Une fois adoptée, elle sera un cadre de référence propice au développement d'une Europe plus proche des citoyens, prenant en compte leurs besoins de sécurité, de développement économique et de protection sociale, et où les décisions seront plus souvent prises à la majorité qualifiée. Ces évolutions doivent s'accompagner d'un degré d'efficacité et de progression de l'Union qui, s'il n'était pas atteint, pourrait conduire la France à approfondir sa coopération avec ses principaux partenaires en dehors des traités ;

- la construction européenne représente une évolution qui ne peut être arrêtée car elle répond, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, à de nouvelles demandes des populations qui impliquent de nouvelles règles de fonctionnement institutionnel.

Enfin, M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, répondant à M. André Dulait, président, sur l'évolution de la situation en Irak et de la position des Etats-Unis, a rappelé que la position de la France se fondait sur une analyse prenant en compte la complexité et la fragilité de la région ainsi que le sentiment d'injustice ressenti par de larges pans des populations. Le recours à la force en Irak semble avoir enclenché un cercle vicieux favorisant le développement du terrorisme et les risques de prolifération. Face à une telle situation, l'unité de la communauté internationale est un élément-clé pour contrer l'extension d'une violence asymétrique combinant revendications religieuses et politiques, dans un mouvement anti-occidental, et s'appuyant sur des éléments identitaires pour asseoir sa légitimité et trouver un plus large écho auprès des populations. L'appui à la démocratisation et le soutien aux organismes multilatéraux de sécurité collective est le meilleur outil pour apporter des solutions à ces crises. La restauration rapide de la souveraineté irakienne et le rassemblement de tous ceux qui s'opposent à la violence sont également essentiels. La France entend poursuivre un dialogue constructif avec les Etats-Unis afin de les amener à réévaluer leur action en Irak, tout en les dissuadant d'un retrait précipité. Il s'agit également de trouver collectivement des réponses pacifiques aux autres crises de la région, notamment le conflit israélo-palestinien.

Union européenne - Elargissement et futures frontières de l'Union européenne - Audition de M. Günter Verheugen, commissaire européen à l'élargissement

La commission, conjointement avec la délégation pour l'Union européenne, a procédé à l'audition de M. Günter Verheugen, commissaire européen à l'élargissement.

M. Günter Verheugen a souligné la dimension historique de l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays, dont le développement a été lourdement hypothéqué par les institutions communistes qui y prévalaient antérieurement à 1989. Cette perspective d'intégration dans l'Union européenne a conduit ces dix Etats à réaliser une transformation sans précédent de leurs institutions politiques et économiques pour pouvoir intégrer l'Union, au prix de nombreuses difficultés. Aujourd'hui, ces nouveaux membres ont une économie de marché fondée sur des objectifs de croissance économique élevée, qui aura des répercussions positives pour les membres actuels. Avec cet élargissement, l'Europe atteindra un degré d'unification sans précédent dans son histoire.

La ratification de cet élargissement ne devrait pas poser de problème majeur. Déjà, chacun des dix futurs membres a été consulté sur sa future intégration dans l'Union européenne, et les taux d'approbation à chacun des référendums ont été élevés, allant de 70 % à 92 %.

Cet élargissement s'est effectué sur la base de nouvelles techniques de négociations, engagées parallèlement à la préparation à l'adhésion. L'évaluation effectuée par la Commission, la semaine dernière, a montré à quel point cette méthodologie nouvelle avait été positive, puisque seulement 39 cas problématiques sur plus d'un millier avaient été identifiés, la plupart pouvant être réglés avant le 1er mai 2004. A défaut, la Commission mettrait en oeuvre des mesures de sauvegarde. Les problèmes rencontrés concernent en particulier l'agriculture, et notamment les agences nationales chargées de la gestion des aides communautaires : si ces organismes ne s'avéraient pas prêts au 1er mai 2004, les aides communautaires ne leur seraient pas versées. En matière phytosanitaire, tout produit ne répondant pas aux normes fixées par l'Union ne pourra entrer dans le marché unique. Dans le domaine du marché intérieur, certaines difficultés concernent la reconnaissance des diplômes portant essentiellement sur les métiers d'infirmière ou de sage-femme, élément qui n'est pas déterminant pour le fonctionnement de l'Union. A titre de comparaison, il convient de rappeler les quelque 2.228 procédures d'infraction engagées par la Commission à l'encontre des Etats membres actuels pour non-respect de la législation communautaire. Au total, M. Günter Verheugen a souligné que le présent élargissement avait été le mieux préparé de toute l'histoire de l'Union européenne, et que, de surcroît, la Commission a veillé scrupuleusement à ce que ces procédures soient réalisées sans heurts.

Evoquant ensuite les étapes à venir, M. Günter Verheugen a abordé l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie. Ces deux pays intégreront l'Union probablement en 2007, ce qui suppose l'achèvement des négociations à mi-2005 et la signature du traité à la fin de cette même année. Le travail préparatoire incombant à chacun de ces deux pays se poursuit sur un nombre de chapitres de négociation différent pour chacun d'eux. La Bulgarie peut se prévaloir d'une certaine avance, mais la négociation, ou la clôture de certains chapitres, reposant sur des engagements à respecter l'acquis communautaire dans un délai précis, entraîne des obligations contraignantes. Ainsi, la Roumanie et la Bulgarie auront ensemble beaucoup à faire, pendant les deux années à venir, pour atteindre les normes de gouvernance correspondant aux standards européens.

S'agissant de la Turquie, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne ont, depuis le Conseil européen d'Helsinki en décembre 1999, reconnu à ce pays un statut de candidat et ont ainsi consacré le principe de son adhésion à l'UE. Mais celle-ci, pour devenir effective, suppose que ce pays remplisse les critères de Copenhague, ce qui n'est pas le cas à ce jour. Ces critères portent notamment sur un réel fonctionnement démocratique, l'Etat de droit, un respect effectif des droits de l'homme et une protection efficace des minorités. La Commission doit présenter un rapport exhaustif sur ce point d'ici à la fin 2004 ; si ses conclusions sont positives, les négociations pourront s'engager. D'importants progrès ont été accomplis, mais il existe encore un écart important entre les réformes constitutionnelles et législatives et la réalité pratique. Une amélioration de la situation concrète doit intervenir rapidement, notamment en matière de droit des minorités, de la liberté d'expression et de rassemblement, ou sur la pratique de la torture.

Par ailleurs, si la décision d'engager des négociations avec la Turquie en vue de son adhésion devait être prise par les pays membres, la Commission examinera avec attention les conséquences pour l'Union elle-même. Il conviendra ainsi, au moment d'accepter la Turquie en tant que membre, que l'Union ait réalisé certaines réformes préalables et, en l'espèce, l'approfondissement devra avoir précédé l'élargissement. En effet, au regard de la situation régionale instable autour de ce pays, l'Union devra alors s'être dotée d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune, faute de quoi elle risquerait de ne pas être en mesure d'exercer ses responsabilités internationales.

Un autre aspect du dossier de la candidature de la Turquie concerne Chypre, qui deviendra membre de l'Union européenne le 1er mai 2004, indépendamment de la résolution du problème de la partition de l'île. La Commission considère cependant qu'il existe un lien politique clair entre le désir de la Turquie d'intégrer l'Europe et la résolution de la question chypriote. L'absence de règlement de cette question constituerait un obstacle important à l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie : on serait alors confronté à une situation extraordinaire où un pays candidat refuserait de reconnaître un de nos Etats membres (en l'occurrence la République de Chypre) et exercerait, sur une partie de cet Etat membre (en l'occurrence le Nord de l'île), un contrôle effectif par l'entreprise du stationnement sur place de troupes, considéré comme illégal par la communauté internationale.

La perspective d'une adhésion a également été ouverte pour les pays des Balkans occidentaux sous réserve qu'ils remplissent des conditions politiques, économiques et de stabilité régionale, ce qui est encore loin d'être le cas. La stratégie de l'Union européenne est de les soutenir dans cette voie. Il est à noter que les dépenses par habitant de l'Union européenne dans cette région sont supérieures à celles consenties chez les futurs membres. Dans cette région, il convient d'isoler le cas particulier de la Croatie, qui a présenté sa demande d'adhésion au sujet de laquelle la Commission présentera un avis au mois de mars 2004. Si l'avis est positif et que le Conseil européen le décide, les négociations pourront démarrer et la Croatie ne devra pas attendre que les autres Etats des Balkans soient prêts pour pouvoir adhérer à l'Union.

S'agissant des futurs voisins de l'Union, M. Günter Verheugen a indiqué que la Commission avait soumis au Conseil, en février 2003, une proposition dite « l'Europe élargie-un nouveau voisinage », qui définit la stratégie de l'Union à l'égard de ses nouveaux voisins. Il s'agit de nouer des contacts étroits dans les domaines politique et économique avec les Etats situés à l'Est de l'Europe élargie et ceux de la Méditerranée, du Liban au Maroc, et de mettre au point, pour chaque pays, des plans d'action pour une intégration économique, l'établissement d'une zone de libre-échange et l'intégration éventuelle au marché intérieur ; une politique intérieure et juridique fondée sur des intérêts partagés, comme la lutte contre la criminalité et l'immigration clandestine ; une politique de l'environnement ; des réseaux transfrontaliers de communication, de transports et d'énergie.

L'objectif pour l'Union est d'être entourée de pays disposant du même degré de stabilité que ses membres et de créer un grand espace économique, l'Union européenne et ses voisins représentant alors une population d'un milliard d'habitants.

M. Günter Verheugen a précisé que, pour ces pays, l'adhésion n'était pas à l'ordre du jour, ce qui dessine les frontières orientales de l'Union sur l'ancienne frontière occidentale de l'ex-Union soviétique, à l'exception des Etats baltes qui furent partie intégrante de l'URSS. Le Commissaire européen a indiqué qu'au printemps 2004, après des contacts avec les dirigeants de chacun des pays concernés, la Commission serait en mesure de proposer une initiative au Conseil. L'objectif est d'éviter, à mesure des élargissements successifs, la constitution d'un nouveau « rideau de fer » plus à l'Est et de faciliter la coopération et la vie en commun des populations. Cette conception d'une Europe qui dépasse l'Union européenne stricto sensu et coopère dans les domaines les plus importants offre la vision fascinante d'une Europe qui dispose d'une véritable stratégie sur son avenir.

A la suite de l'exposé du commissaire, un débat s'est instauré avec les commissaires.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, a souligné la portée symbolique et historique de l'élargissement, qui unifie le continent européen de façon volontaire et pacifique. Ce processus devrait permettre la stabilité politique de l'Europe, la prospérité économique et peut-être même un nouvel épanouissement culturel pour ses peuples. Il a fait part de sa perception, lors de réunions publiques d'information sur l'élargissement, d'un sentiment de fuite en avant, d'un processus à « marche forcée ». La Commission européenne est rassurante mais l'élargissement suscite des peurs, sur les limites de l'Europe et la nature de ses frontières, géographique, historique, religieuse ou autre. Il a rappelé qu'un article du projet de traité institutionnel portait sur les relations de voisinage avec les Etats de l'Est et de la Méditerranée. Par le nombre des pays concernés, leur hétérogénéité, le rythme du processus et les conditions de sa réalisation, l'élargissement est d'une tout autre nature et d'une autre ampleur que ceux qui l'ont précédé.

M. Hubert Haenel a alors interrogé le Commissaire sur la question sensible de la sécurité alimentaire, en souhaitant connaître les éventuelles mesures de sauvegarde que la Commission pourrait prendre afin qu'elle soit assurée lors de l'élargissement prochain.

M. Xavier de Villepin a souligné qu'à l'exception de la Slovénie, de la Slovaquie et de la République tchèque, les revenus au sein des nouveaux membres étaient de 50 % inférieurs à la moyenne des revenus dans les quinze Etats membres. En se déclarant convaincu de la nécessité de l'élargissement, il s'est cependant inquiété de l'incidence de ces disparités sur l'avenir de l'Europe, s'interrogeant sur l'opportunité d'une augmentation des ressources européennes pour combler progressivement ces inégalités.

M. Jean François-Poncet a constaté que, si les Etats membres considéraient que la Turquie constituait un candidat possible, cette position était contestée par les opinions publiques et pouvait même faire peser un risque en cas de référendum sur la Constitution. Il a souhaité savoir si une solution intermédiaire, entre l'association et l'adhésion, pourrait permettre de trouver une issue à cette question. Il a souligné la crainte de nombreux Européens d'une dilution de l'Union qui ne lui permettrait pas de devenir un acteur de plein exercice sur la scène internationale. Faisant ensuite référence à un article de presse co-signé par le commissaire Günter Verheugen et son collègue Pascal Lamy sur les perspectives d'une union plus étroite entre la France et l'Allemagne, il a souhaité savoir si cette idée était toujours d'actualité et si elle avait été bien accueillie en Allemagne, l'Europe élargie ayant besoin d'un groupe moteur, dont le coeur est traditionnellement constitué par le couple franco-allemand.

M. Robert Badinter a salué le travail effectué par la Commission, mais s'est déclaré moins optimiste quant au résultat. Tout en soulignant que, pour la première fois de l'histoire du continent, l'Europe s'unifiait par la volonté des peuples et non par la force des armes, il a regretté une absence de maîtrise du processus, qualifiant d'« erreur historique » un élargissement réalisé sans avoir approfondi les questions institutionnelles. Il s'est interrogé sur une intégration plus rapide de la Roumanie par rapport à la Croatie et sur l'opportunité d'intégrer Chypre dont il a douté qu'elle soit un Etat doté d'une véritable Constitution reconnue par tous. Il a par ailleurs considéré que la question de la Turquie était majeure, dans la mesure où les peuples européens ne sont pas prêts à son intégration dans l'Europe. Il a précisé que si l'adhésion de la Turquie ne dépendait plus que de la satisfaction des conditions habituelles demandées aux candidats, il s'agissait, de la part des Européens, d'un engagement sous conditions à l'adhésion de la Turquie, à charge pour celle-ci de les lever. Dans ce cas, tout se passerait comme si l'intégration de ce pays s'était faite sans débat. La question turque devra être posée lors du débat parlementaire sur l'élargissement. Sans les peuples européens, il ne pourrait y avoir ni démocratie, ni Union européenne.

M. Pierre Fauchon a relevé une tendance de la Commission à se satisfaire des engagements pris par les administrations des pays candidats de se conformer aux principes européens et de considérer dès lors les problèmes comme résolus. Dans les faits, la réalité était bien différente, notamment hors des capitales des nouveaux adhérents où les décalages que l'on peut constater restent immenses. Serait-il possible de les dépasser à bref délai, fût-ce au nom d'une vision historique optimiste ? Il a enfin considéré que l'élargissement devait inciter à s'interroger sur la nature d'un véritable traité pour l'Union européenne.

M. Günter Verheugen, commissaire européen à l'élargissement, a apporté les éléments de réponse suivants :

- l'élargissement ne peut être considéré comme précipité s'agissant d'un processus engagé il y a quatorze ans. Le premier gouvernement démocratique, élu en Pologne à l'été 1989, s'est engagé dans une politique très volontaire de réformes économiques et politiques. Les adhérents considèrent au demeurant que ce processus a été trop long : les critères pour l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale ont été définis dès le sommet de Copenhague en 1993. Des accords intérimaires ont permis une intégration économique et des négociations ont ensuite été engagées en 1998 avec six pays, puis en 2000 avec six autres. Il ne s'agit donc pas d'une démarche hâtive et elle a en outre obéi à une méthodologie spécifique ;

- sur les sujets de sécurité alimentaire, la Commission distingue trois types d'entreprises : celles dont les normes sont identiques à celles de l'Union européenne et qui peuvent exporter sur le marché intérieur, celles qui peuvent continuer à produire sous réserve d'effectuer les investissements nécessaires dans les 2-3 ans à venir et enfin celles qui devront fermer à la date de l'adhésion. Les bases juridiques et techniques existent pour empêcher l'entrée de produits non conformes sur le marché intérieur : le traité prévoit des mesures de sauvegarde, notamment l'interdiction d'importation. Le traité d'adhésion fournit à la Commission un instrument supplémentaire en la dispensant de la procédure habituelle pour la fermeture d'entreprises en cas de non-respect de leurs obligations en matière de sécurité alimentaire ;

- les adhérents représentent 23 % du territoire de la future Union, 19 % de la population mais seulement 5 % de son potentiel économique. Ces pays dépendront donc, pendant quelque temps, de la solidarité européenne. Cependant, les transferts du budget européen vers les pays membres - actuels comme futurs - ne peuvent excéder 4 % du produit intérieur brut de chaque pays, ce qui permet de contrôler les montants alloués. Le besoin éventuel de recettes additionnelles fait actuellement, au sein de la Commission, l'objet d'une réflexion menée par M. Michel Barnier. Cette question ne sera cependant d'actualité qu'en 2007, l'élargissement étant financé sur une rubrique spécifique du budget jusqu'en 2006, année où les contributions de la France à l'Union européenne seront inférieures à celles de 1999, grâce aux économies réalisées par les réformes engagées par l'Union. Pour le moment, l'élargissement n'appelle pas de contributions supplémentaires. Sur ce sujet, le débat actuellement en cours au sein de la Commission sépare ceux qui souhaitent porter les contributions nationales au taux maximum de 1,27 % du PIB communautaire contre 0,98 % aujourd'hui, de ceux qui considèrent qu'il ne faut pas demander des efforts supplémentaires à des Etats-membres par ailleurs soumis aux rigueurs du pacte de stabilité. Un compromis raisonnable devrait se dégager. Au demeurant, les besoins supplémentaires seront très limités et les régions qui sont financièrement soutenues actuellement devraient l'être également à l'avenir ;

- la Turquie est membre associé de l'Union européenne depuis 40 ans. Elle est aussi le seul pays avec lequel la communauté a constitué une union douanière. L'accord d'association conclu avec ce pays en 1963 prévoit que la Turquie a vocation à adhérer, une perspective qui a toujours été confirmée depuis lors par tous les gouvernements de l'Union européenne. En 1997, l'Union européenne a voulu offrir à la Turquie une procédure différenciée, ce qui a provoqué une crise grave avec ce pays. En 1999, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont pris en compte sa demande, ce qui lui vaut, depuis lors, d'être reconnue comme pays candidat, soumis aux mêmes conditions que les autres candidats. A terme, ce sont les Parlements, européen et nationaux, qui décideront de son adhésion. En cas de référendum, le résultat est certes prévisible dans les circonstances actuelles. Mais sur le principe d'une possibilité d'adhésion de la Turquie, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne ont donné une réponse positive. On observe parmi ces derniers une évolution en faveur de l'adhésion turque, largement induite par les événements du 11 septembre 2001. Les chefs d'Etat et de gouvernement considèrent que pour gérer le risque de conflit entre monde musulman et monde occidental, il importe de pouvoir miser sur un grand pays musulman démontrant sa capacité à s'organiser sur des bases démocratiques conformes aux normes occidentales. Lors de la dernière conférence islamique, le ministre des affaires étrangères turc a d'ailleurs incité les pays musulmans à engager des réformes et la Turquie commence à jouer ce rôle que le monde occidental attend d'elle. Le pays doit cependant respecter des critères exigeants. La Commission doit remettre au Conseil européen un rapport indiquant s'ils sont remplis ou non, assorti d'une recommandation. S'ils sont remplis, les négociations pourraient commencer en 2005 et durer 6 à 7 ans, pour une ratification envisageable en 2012. La Turquie des années 2011-2012 sera alors vraisemblablement très différente de celle d'aujourd'hui et nombre des craintes qu'elle suscite actuellement n'auront plus d'objet. Il revient aux gouvernements de convaincre leurs opinions publiques sur ce dossier. Au demeurant, la Turquie refuse une solution de compromis qui lui conférerait un statut voisin, par exemple, de celui de la Norvège, prévoyant une seule intégration dans le marché intérieur. De plus, c'est la perspective de l'adhésion qui a déclenché l'ensemble du processus de réformes politiques en Turquie, qu'il convient de ne pas compromettre. Il est en effet de notre intérêt stratégique d'avoir une Turquie stable et démocratique.

D'une façon générale, les nouveaux adhérents ne sont pas un obstacle pour l'approfondissement de l'Union, ils confortent les partisans d'une plus grande intégration de l'Europe :

- s'agissant de l'union franco-allemande, proposition formulée conjointement avec M. Pascal Lamy, commissaire européen, les réactions ont été très favorables en France, mais quasiment inexistantes en Allemagne. La convergence de plus en plus forte entre la France et l'Allemagne est une évolution naturelle. Cette union s'imposera, sans être un risque ou une menace pour quiconque, et devrait donner un nouvel élan à l'Union européenne ;

- la question de Chypre est un problème épineux. La République de Chypre est un Etat constitutionnel mais le Gouvernement de la République de Chypre, seul reconnu internationalement, n'exerce pas le contrôle sur le territoire situé au-delà de la ligne verte. En vertu d'un protocole annexé au traité d'adhésion, le droit communautaire n'est applicable que dans la partie où s'exerce l'autorité de ce Gouvernement. La Commission a toujours espéré que l'élargissement contribuerait à faciliter la solution du problème chypriote et, dans les faits, il en ira sûrement ainsi. La France, en 1995, a soutenu la candidature chypriote afin de pouvoir appliquer l'union douanière avec la Turquie. Attendre la résolution de la question de Chypre aurait conduit de fait à retarder l'élargissement dans son ensemble en donnant à Ankara le pouvoir de décision sur le processus. La Commission a choisi une approche inverse en décidant de ne pas exiger la solution du conflit préalablement à l'élargissement. Le Gouvernement chypriote, quant à lui, s'est déclaré prêt à accepter le plan de paix des Nations unies ;

- la Croatie a une proximité historique avec l'Union européenne mais sous le Gouvernement Tudjman, la Croatie ne remplissait pas les conditions politiques d'une candidature à l'Union et a donc manqué le premier train de l'élargissement ;

- le processus d'élargissement se fonde sur une méthode nouvelle qui comprend des inspections et des « revues par les pairs ». Plus de 1.000 collaborateurs de la Commission vérifient sur place l'application des engagements pris. L'appréciation de la Commission n'est donc pas fondée sur des considérations théoriques ;

- il existe en effet des disparités très importantes parmi les nouveaux adhérents et au sein des différents territoires mais il y a 50 ans, en France ou en Allemagne, la situation était similaire. La politique européenne vise à compenser ces disparités. On ne peut opposer à ces pays le fait d'avoir subi des décennies de communisme. Sur le fondement de ce critère, l'Allemagne n'aurait pu être acceptée dans la Communauté. En 1950, elle n'était une démocratie que depuis un an. Les peuples des pays adhérents ont lutté pour leur liberté et réalisent tous l'importance de l'Etat de droit et de la bonne gouvernance. Pour ces pays, victimes d'abord du fascisme, puis du communisme, l'élargissement est une démarche de justice historique.