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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 14 janvier 2003

- Présidence de Mme Françoise Henneron, vice-présidente.

Bioéthique - Examen du rapport d'information

Sous la présidence de Mme Françoise Henneron, la délégation a examiné le rapport d'information de Mme Sylvie Desmarescaux sur le projet de loi n° 189 (2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique.

A titre liminaire, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a souhaité rappeler les principes édictés en matière de bioéthique, et a insisté sur la nécessité de parvenir à l'interdiction absolue du clonage reproductif au plan international, en soulignant que celui-ci requiert l'usage d'ovocytes, dont le marché risque de s'organiser. Elle a ensuite regretté que la place de la femme dans ces débats soit encore trop souvent occultée.

Abordant la question de l'assistance médicale à la procréation, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a souligné que celle-ci n'était pas seulement une « médecine du désir », les femmes étant engagées dans un parcours long et souvent douloureux et soumises à des traitements très contraignants.

Elle a estimé indispensable, sans freiner le progrès scientifique, de protéger les femmes contre d'éventuels risques pour leur santé, ou pour celle de l'enfant à naître. Evoquant le parcours des couples, elle a également souligné la nécessité de s'attacher aux implications humaines et psychologiques des décisions, et à l'accompagnement personnalisé des couples. Enfin, elle a indiqué que la réflexion sur l'assistance médicale à la procréation devait être guidée par le souci de l'intérêt de l'enfant à naître, et prendre en compte la responsabilité des couples au regard de leur projet commun.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a brièvement rappelé les grands principes qui encadrent l'assistance médicale à la procréation. Elle a notamment rappelé que le législateur avait eu la préoccupation, en 1994, de ne pas entraver le développement des techniques médicales de lutte contre la stérilité, tout en posant des limites raisonnables à ce développement.

En premier lieu, l'assistance médicale à la procréation n'est ni un dû, ni l'expression d'un « droit à l'enfant », ce qui implique de prendre en compte l'intérêt de l'enfant à naître.

En second lieu, ces activités sont strictement encadrées par un agrément des praticiens, et par une autorisation des activités pratiquées dans des établissements et laboratoires satisfaisant à un certain nombre de conditions.

Abordant les principaux problèmes posés par le développement de l'assistance médicale à la procréation, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a d'abord mentionné les risques pour la santé des femmes et des enfants.

D'une part, elle a attiré l'attention sur les traitements inducteurs de l'ovulation, en précisant que les prescriptions auraient décuplé en dix ans et en rappelant que des risques sérieux étaient liés aux stimulations ovariennes. D'autre part, elle a fait part de son inquiétude au sujet du développement de l'injection intra-cytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI). Elle a précisé que cette technique n'avait pas été préalablement expérimentée sur l'animal, et que des études montraient qu'il existe un risque de transmission aux enfants de l'infertilité, voire d'autres anomalies génétiques. Or, l'ICSI représente aujourd'hui 40 % des fécondations in vitro.

Parmi les questions soulevées par l'assistance médicale à la procréation, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a également cité l'insuffisance de l'information et de l'accompagnement des couples. La fécondation in vitro avec transfert d'embryons est une technique lourde, a-t-elle indiqué. Or, il semble que beaucoup de patientes ne découvrent toutes les contraintes liées aux traitements qu'au fur et à mesure du processus, ce qui est tout à fait anormal. Seule une information complète et transparente peut garantir un consentement libre et éclairé des couples. Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a également souligné que l'insuffisance de la prise en charge psychologique pouvait déboucher sur quelques cas « d'acharnement procréatique ».

Evoquant ensuite le manque de sensibilisation du public aux enjeux de l'assistance médicale à la procréation, elle a relevé que l'information relative aux problèmes liés à la stérilité émanait essentiellement des centres médicaux et des associations. Les couples risquent d'avoir accès à une information biaisée ou tronquée, notamment celle qu'ils trouvent sur Internet. Beaucoup de sites consacrés à la description des techniques d'assistance médicale ne mentionnent pas les risques liés à la fécondation in vitro ou à la technique de l'ICSI. Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a noté que la concurrence économique entre les centres pouvait aboutir à une certaine obscurité des résultats affichés par ceux-ci. Ils indiquent, par exemple, le nombre de grossesses obtenues, sans mentionner qu'elles n'arrivent pas toutes à terme. Il serait beaucoup plus pertinent de donner des indications sur le nombre d'enfants nés.

Enfin, au sujet de la situation actuelle du don d'ovocytes, « très préoccupante », Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a indiqué que la raréfaction du don d'ovocytes en France entraînait une augmentation excessive des délais d'attente pour les couples (plus de deux ans). De ce fait, ceux-ci décident souvent de partir à l'étranger, accompagnés d'une donneuse parente ou amie afin d'y bénéficier d'un don direct. Cette pénurie est également porteuse d'un risque de commercialisation du don.

Elle a également noté que, pour lutter contre la pénurie actuelle d'ovocytes, certains centres faisaient passer en priorité les couples demandeurs qui se présentent accompagnés d'une donneuse. Cette situation est source de discriminations, a-t-elle poursuivi, et engendre des risques de pressions affectives, voire financières, sur les éventuelles donneuses.

Procédant ensuite à l'examen des dispositions du projet de loi relatives à l'assistance médicale à la procréation, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, s'est d'abord félicitée des avancées de celui-ci concernant l'encadrement des stimulations ovariennes, l'amélioration de l'information des couples, et le dispositif spécifique pour les donneuses d'ovocytes.

Elle a ensuite estimé très regrettable que l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines (APEGH) ne soit chargée explicitement d'aucune mission d'information du public, alors que toutes les agences créées ces dernières années pour encadrer des secteurs intéressant la santé publique ont un rôle d'information et de contribution au débat public. En Angleterre, a-t-elle rappelé, l'Autorité de la fécondation et de l'embryologie humaine (HFEA) a des missions de conseil aux établissements, aux patients et aux donneurs, et d'organisation de consultations des citoyens sur l'évolution des pratiques d'assistance médicale à la procréation.

Abordant enfin les dispositions contestables du projet de loi, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a déploré la suppression de la condition de deux ans de vie commune pour le recours à l'assistance médicale à la procréation des couples non mariés, notamment au regard de l'intérêt de l'enfant. Elle a estimé que ce délai de deux ans était nécessaire pour s'assurer de la réalité et de la stabilité du couple.

A propos de l'autorisation du transfert d'embryons post mortem, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a indiqué que cette question soulevait des interrogations profondes, complexes, touchant au vécu le plus intime des femmes, à travers le deuil. Il apparaît humainement très difficile d'accepter que la femme dont le mari décède soit obligée de consentir soit à la destruction de ses embryons, soit à leur accueil par un autre couple, et de la contraindre ainsi à vivre un double deuil.

Toutefois, a poursuivi le rapporteur, l'autorisation du transfert post mortem, telle qu'elle est prévue par l'actuel projet de loi, pose aussi des problèmes sérieux. D'une part, l'enfant naîtra orphelin et occupera une position sans doute difficile à vivre d'enfant du deuil ; d'autre part, les femmes n'ont droit, en raison des délais posés par la loi, qu'a une tentative de transfert. Or les risques d'échec de celui-ci sont importants et apparaissent, dans cette circonstance, particulièrement difficiles à accepter. Pour cette raison, l'issue du processus peut s'avérer extrêmement douloureuse. Enfin, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a indiqué qu'une telle autorisation soulevait des questions très délicates concernant le droit de la filiation et de la succession, et s'est interrogée sur la nécessité de modifier le code civil, texte fondamental qui concerne les structures fondamentales de la société, pour seulement quelques cas particuliers.

Pour toutes ces raisons, elle a indiqué n'être pas favorable, à titre personnel, à l'autorisation du transfert d'embryons post mortem, mais ne pas vouloir engager la délégation sur une question aussi complexe.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a estimé nécessaire, dans l'hypothèse d'une interdiction du transfert, de mentionner celle-ci explicitement aux couples dès le premier entretien, afin que ceux-ci soient pleinement conscients que le parcours devra être interrompu en cas de décès du père.

En dernier lieu, à propos du dispositif d'évaluation des nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation prévu par le projet de loi, elle a fait valoir qu'en dépit de son objectif légitime, ce dispositif apparaissait profondément choquant, dans la mesure où il aboutissait à créer des embryons uniquement en vue de la recherche, en dehors d'un projet de naissance.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a ensuite présenté ses propositions de recommandations à la délégation.

En premier lieu, elle a rappelé les principes consacrés par le législateur en matière de bioéthique et condamné vigoureusement le clonage reproductif.

Elle a ensuite souligné que l'assistance médicale à la procréation doit être considérée comme une réalité médicale à part entière, et s'est félicitée des dispositions du projet de loi visant à renforcer l'encadrement des stimulations ovariennes, à améliorer l'information des couples, et à prévoir un dispositif spécifique pour les donneuses d'ovocytes (articles 8 et 18 du projet de loi).

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a suggéré de renforcer ce dispositif d'information et d'accompagnement, par l'attribution à l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines d'une mission d'information sur la stérilité, par l'harmonisation des résultats affichés par les centres d'assistance médicale à la procréation, par l'offre systématique d'entretiens psychologiques aux couples avant, pendant, et après leur engagement dans un processus de fécondation in vitro, et par le renforcement de la pluridisciplinarité des équipes d'assistance médicale à la procréation.

Elle a également constaté que la situation actuelle de pénurie d'ovocytes est porteuse de dangers pour les femmes, en raison des pressions, affectives ou financières auxquelles elles peuvent être soumises. A cet égard, elle a réaffirmé les principes de volontariat, d'anonymat, et de gratuité du don de gamètes et a condamné vigoureusement le don relationnel, source de discriminations et de pressions sur les éventuelles donneuses. Elle a également préconisé le lancement de campagnes d'information au niveau national, afin de développer le don de gamètes, et a recommandé une révision du décret n° 96-993 du 12 novembre 1996, afin de donner aux femmes le choix entre un transfert d'embryons frais et un transfert d'embryons congelés.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a souhaité le rétablissement de la condition de deux ans de vie commune pour le recours à l'assistance médicale à la procréation des couples non mariés, supprimée par le projet de loi.

Après avoir recommandé la suppression du dispositif d'évaluation des nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation prévu par le projet de loi, conduisant à créer des embryons à des fins de recherche, elle a toutefois affirmé que l'évaluation préalable des nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation est indispensable, et fait les propositions suivantes : intégrer, à l'avenir, la mise en oeuvre des nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation dans le champ de la loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale, rappeler l'importance du consentement éclairé des couples, et la nécessité de leur exposer clairement les contraintes et les risques prévisibles des méthodes utilisées, mettre en place un suivi des enfants nés des nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation, sur la base du volontariat des couples.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Après avoir exprimé son approbation à l'égard d'une large partie des réflexions et des propositions de recommandations formulées, Mme Danièle Pourtaud a souhaité attirer l'attention sur ce que devrait être, selon elle, le double objectif des travaux de la délégation : protéger les femmes, tout en restant fidèle à la volonté du législateur de permettre la recherche. Elle a ensuite émis deux réserves sur le projet de recommandations. Tout en estimant la pratique du don relationnel insatisfaisante, elle a rappelé que certains pays voisins ne soumettaient pas le don d'ovocytes au principe de gratuité, et souligné qu'en durcissant trop ce point dans la législation, on risquait d'accentuer la pénurie d'ovocytes en France, et d'inciter les couples à recourir au don à l'étranger. Au sujet du dispositif d'évaluation des nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation prévu par l'actuel projet de loi, elle a fait valoir que, si le clonage reproductif devait être fermement condamné, en revanche, la recherche sur l'embryon était nécessaire à l'avancée de la science.

Evoquant le don relationnel, M. Patrice Gélard a également mis en garde contre une interdiction trop radicale de celui-ci, en dressant un parallèle avec le don d'organe.

Après avoir félicité Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, pour la clarté de son rapport et de ses propositions de recommandations, M. Francis Giraud, rapporteur au nom de la commission des Affaires sociales, a précisé la différence entre la recherche sur les embryons surnuméraires, encadrée par le projet de loi, et la création d'embryons à des fins de recherche, prohibée. Il a également suggéré une réécriture du projet de recommandation relatif au don relationnel, tout en reconnaissant la réalité du problème soulevé.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a alors proposé une nouvelle rédaction de cette recommandation, évoquant les dérives auxquelles pourrait conduire la pratique du don relationnel. La délégation a approuvé cette modification.

A Mme Josiane Mathon, qui considérait que le délai de deux ans posé pour l'accès à l'assistance médicale à la procréation n'était pas justifié et reposait en outre sur une notion de « vie commune », assez floue et souvent difficile à prouver, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a évoqué le risque de dérive vers l'accès à l'assistance médicale à la procréation de femmes célibataires se présentant avec un compagnon occasionnel.

Répondant à Mme Gisèle Printz, qui exprimait des doutes sur la nécessité d'un tel délai, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a insisté sur le caractère dissuasif et l'importance symbolique de celui-ci, notamment par rapport aux couples mariés.

M. André Vallet ayant soulevé le problème des preuves de la vie commune, M. Patrice Gélard a mentionné les déclarations de concubinage et les certificats de PACS. Par ailleurs, il a précisé à Mme Gisèle Printz que les femmes célibataires pouvaient recourir à l'adoption, mais pas à l'assistance médicale à la procréation.

A M. Jean-Guy Branger, qui mentionnait l'existence de mères célibataires, Mme Françoise Henneron, présidente, a fait observer que l'AMP constituait un engagement très lourd et contraignant.

Evoquant le transfert d'embryons post mortem, Mme Danièle Pourtaud a fait valoir que le législateur ne devait pas se substituer au libre choix des femmes. A ce dernier titre, elle a déploré que les femmes stériles soient « doublement punies », et se retrouvent dans une situation d'inégalité par rapport aux femmes célibataires, qui peuvent donner naissance à un enfant en dehors de tout projet de couple.

Mmes Janine Rozier et Annick Bocandé, ayant attiré l'attention sur la nécessaire prise en compte de l'intérêt de l'enfant, Mme Danièle Pourtaud a insisté sur l'importance pour ce dernier d'être désiré.

Mentionnant le problème des « stérilités relatives », M. Francis Giraud, rapporteur au nom de la commission des affaires sociales, a rappelé la volonté du législateur de protéger les femmes face à des traitements extrêmement lourds en ne permettant pas le recours à ceux-ci sans aucune condition de délai.

A M. André Vallet, qui estimait inutile de mentionner dans les recommandations l'obligation d'information des médecins à l'égard des couples, en raison du caractère évident de celle-ci, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a fait valoir la nécessité de maintenir cette obligation en évoquant le manque de réceptivité des couples à l'information durant les consultations.

M. Patrice Gélard ayant observé qu'une telle obligation figurait déjà dans la loi relative aux droits des malades, Mme Danièle Pourtaud a jugé, quant à elle, nécessaire de rappeler cette obligation, de même que l'exigence de renforcement de la pluridisciplinarité des équipes d'assistance médicale à la procréation, dont l'insuffisance avait été relevée lors des auditions.

Après que M. Serge Lagauche eut exprimé ses réticences à l'égard de l'adjectif « clairement », mentionné dans le projet de recommandation relatif à l'information donnée aux couples, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a proposé de le supprimer, ce que la délégation a approuvé. Par ailleurs, M. Serge Lagauche a relevé qu'une suppression du dispositif d'évaluation prévu par le projet de loi pour les nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation conduirait à « utiliser la femme comme matériel de recherche », ce qui serait particulièrement dommageable. Il a également souligné la nécessité de ne pas freiner la recherche scientifique.

Après que Mme Danièle Pourtaud eut repris cette objection, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a soulevé le problème de l'approvisionnement en ovocytes dans un tel dispositif.

Les recommandations ont ensuite été adoptées à l'unanimité par la délégation, à l'exception de celle relative au rétablissement du délai de deux ans pour le recours à l'assistance médicale à la procréation, et de celle concernant la suppression du dispositif d'évaluation des nouvelles techniques, à l'encontre desquelles Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz et M. Serge Lagauche ont émis un vote négatif.

Le rapport d'information a ensuite été adopté par la délégation à l'exception de Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz et M. Serge Lagauche, qui se sont abstenus.