Travaux de la délégation aux droits des femmes



DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 3 mai 2005

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Nomination d'un rapporteur

La délégation a tout d'abord procédé à la nomination d'un rapporteur sur le projet de loi n° 2214 (AN - XIIe législature) relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a fait part de sa candidature.

Mme Gisèle Printz s'est déclarée également candidate.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a été désignée comme rapporteur par 5 voix contre 2 voix à Mme Gisèle Printz, et une abstention.

Mme Gisèle Printz a regretté que « l'alternance » entre majorité et minorité sénatoriale ne soit plus du tout pratiquée, au sein de la délégation, pour l'attribution des rapports, faisant valoir qu'une telle alternance permettrait de stimuler la participation de chacun.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a répondu qu'elle comprenait la préoccupation ainsi exprimée et qu'elle se rapprocherait des présidents des groupes de la majorité afin d'évoquer cette question et de mieux connaître les pratiques et usages en la matière.

Situation des droits des femmes dans les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne - Audition de Mme Tanja E. J. Kleinsorge, secrétaire de la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

La délégation a tout d'abord entendu Mme Tanja E. J. Kleinsorge, secrétaire de la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Mme Tanja E. J. Kleinsorge, notant que le but premier du Conseil de l'Europe est de sauvegarder la démocratie, les droits de la personne humaine et l'Etat de droit, a indiqué que le droit à l'égalité des chances pour les femmes et les hommes est considéré comme un droit fondamental de la personne humaine. Elle a rappelé que la commission avait mis l'accent sur deux thèmes en 2004, le combat de la violence à l'encontre des femmes et la participation paritaire des femmes et des hommes à la prise de décision, et que, suite à des débats sur des rapports soumis par la commission, l'Assemblée avait adopté, au cours des douze derniers mois, des recommandations aux gouvernements des Etats membres sur une campagne pour lutter contre la violence domestique à l'encontre des femmes en Europe, sur la participation des femmes aux élections, sur les discriminations à l'encontre des femmes parmi les demandeurs d'emploi et sur le lieu de travail, et sur la discrimination à l'encontre des femmes et des jeunes filles dans les activités sportives. L'Assemblée a aussi adopté un avis sur le projet de convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, actuellement en cours de finalisation.

Elle a fait observer que les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne étaient loin de constituer un groupe homogène, la situation des femmes étant très différente dans les pays du Sud, comme Malte ou Chypre, dans les trois pays baltes et dans les pays d'Europe centrale.

Mme Tanja E. J. Kleinsorge a, dans un premier temps, abordé la question de l'accès au marché du travail, regrettant que, même dans l'Union européenne, les femmes continuaient d'être victimes de multiples discriminations. Elle a indiqué que le premier problème que rencontrent les femmes est la difficulté d'accès au marché de l'emploi, et que, dans la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe, le taux d'activité professionnelle des femmes est inférieur à celui des hommes, tandis que le taux de chômage des femmes est en revanche supérieur à celui des hommes, même s'il existe de fortes variations d'une région à l'autre.

Citant le projet de rapport conjoint sur l'emploi 2004/2005 de la Commission européenne, elle a noté que le taux d'activité professionnelle des femmes dans les 25 Etats membres de l'Union européenne avait continué de progresser en 2003, mais à un rythme plus lent. Seuls huit pays avaient enregistré un taux d'activité des femmes supérieur à 60 % en 2003, dont seulement un nouvel Etat membre, Chypre, tandis que neuf pays n'avaient même pas réussi à atteindre 55 %, dont quatre nouveaux Etats membres, Malte, la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie. Elle a considéré que l'objectif consistant à atteindre une moyenne d'au moins 60 %, que s'est fixé l'Union européenne pour 2010 dans « l'Agenda de Lisbonne », serait difficile à atteindre, sauf si l'augmentation annuelle moyenne du taux d'emploi des femmes observée depuis 1997 se maintenait au cours des cinq prochaines années.

Elle a indiqué que, dans la plupart des pays européens, les femmes étaient également davantage menacées par le chômage, et a rappelé qu'en décembre 2004, 9,8 % des femmes en moyenne étaient recensées comme étant au chômage dans les 25 Etats membres de l'Union européenne, contre 8,2 % des hommes. Dans la majorité de ces pays, a-t-elle ajouté, le taux de chômage des femmes est supérieur de quelques points à celui des hommes (République tchèque : 2,2 %, Chypre : 2,3 %, Lettonie : 1,3 %, Lituanie : 2,2 %, Hongrie : 0,1 %, Malte : 0,9 %, Pologne : 1,8 %, Slovénie : 0,8 %, Slovaquie : 3,4 %), seule l'Estonie présentant un taux de chômage des femmes plus faible que celui des hommes.

Elle a expliqué que ces statistiques ne reflétaient pas totalement la réalité puisque ce sont les femmes qui sont surtout employées dans le secteur informel et qui supportent l'essentiel des responsabilités familiales. Elle a ajouté que de nombreuses femmes étaient, selon l'expression de l'Organisation internationale du travail (OIT), des « travailleurs découragés », et qu'elles n'entraient donc pas dans les statistiques nationales du chômage pour plusieurs raisons : elles ne recherchent pas activement un emploi, même si elles ont une réelle volonté de travailler, parce qu'elles ont le sentiment qu'elles n'en trouveront pas, elles ne sont pas très mobiles professionnellement, ou subissent des discriminations ou encore font face à des barrières structurelles, sociales ou culturelles. Elle a indiqué que cette thèse était confirmée par une récente étude du Fonds de développement des Nations unies pour la femme (UNIFEM) sur les femmes et l'emploi en Europe centrale et orientale et dans la Communauté des Etats indépendants (CEI). Selon cette étude, même dans les pays où le taux de chômage féminin est statistiquement inférieur de quelques points, comme c'est le cas en Estonie, les femmes peuvent être davantage touchées que les hommes, en raison des différences entre les sexes quant à l'appréciation du chômage et le processus de classification et d'autoclassification dans la catégorie des chômeurs, les femmes acceptant plus facilement que les hommes de se définir comme « personne au foyer », même si elles préféreraient avoir un emploi. Elle a ajouté que les femmes étaient bien plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois à temps partiel, avec les désavantages liés à cette situation, et que, du fait de divers stéréotypes, cette forme d'emploi était exclusivement associée aux femmes et ne s'inscrivait que rarement dans le cadre d'une politique visant à aider les femmes à concilier vie privée et vie professionnelle.

Concernant le problème de la disparité salariale, Mme Tanja E. J. Kleinsorge a noté que les femmes étaient souvent moins bien rémunérées que les hommes pour le même travail ou un travail de valeur égale, soit 15 % de moins en moyenne mais jusqu'à 25 à 30 % de moins dans certains cas. Elle a cité l'étude de l'UNIFEM de 2004 qui montre que la rémunération annuelle moyenne des femmes en 2000 était égale à 73,28 % de celle des hommes en République tchèque, 79,96 % en Pologne, 75,01 % en Slovaquie et 88,82 % en Slovénie. Elle a souligné que le fait d'avoir un haut niveau d'études n'était aucunement une garantie et que, dans de nombreux pays, le différentiel des salaires se creusait d'autant plus que les femmes avaient un degré d'instruction élevé.

Elle a ensuite évoqué ce que l'on appelait le « plafond de verre », notant que, plus un poste était élevé, moins une femme aussi, voire plus qualifiée qu'un collègue masculin, avait de chances de l'obtenir. Elle a estimé que les femmes qui parvenaient à franchir ce « plafond de verre » et à obtenir des fonctions décisionnelles restaient l'exception, un nombre disproportionné d'hommes s'élevant aux plus hautes fonctions même dans les secteurs qui emploient majoritairement des femmes.

Mme Tanja E. J. Kleinsorge a ensuite abordé la question de la participation des femmes à la prise de décision. Elle a rappelé la part des femmes siégeant dans leur Parlement national : 22 % en Lituanie, 21 % en Lettonie, 20,2 % en Pologne, 18,8 % en Estonie, 17 % en République Tchèque, 16,7 % en Slovaquie, 16,1 % à Chypre, 12,2 % en Slovénie, 9,2 % à Malte, et 9,1 % en Hongrie. Elle a fait observer que les pays dont la proportion des femmes représentées dépassait le seuil minimal requis avaient pour la majorité d'entre eux mis en oeuvre une action dite positive pour y parvenir, des quotas par exemple, soit lors de l'élection, soit dans la loi électorale ou dans les procédures de sélection des partis politiques.

Elle a relaté une anecdote significative qui s'est déroulée en janvier 2004, après l'entrée en vigueur des modifications du règlement de l'Assemblée consécutives à l'adoption de la résolution 1348 (2003) sur la représentation paritaire au sein de l'Assemblée parlementaire. Selon le nouveau règlement, « les délégations nationales doivent comprendre un pourcentage de membres du sexe sous-représenté au moins égal à celui que compte actuellement leur Parlement et, en tout état de cause, un représentant de chaque sexe », tandis que « les pouvoirs non encore ratifiés des délégations nationales qui ne respectent pas la règle consistant à compter, en tout état de cause, un représentant de chaque sexe peuvent être contestés par tout membre de l'Assemblée présent dans la salle des séances ». Elle a indiqué qu'au début de la session de janvier 2004, l'Assemblée avait été invitée à ratifier les pouvoirs de toutes les délégations nationales, et que seulement deux pays, l'Irlande et Malte, avaient présenté les pouvoirs de leurs délégations nationales respectives, composées uniquement de parlementaires masculins, ce qui était contraire au règlement modifié, les deux délégations ayant fait valoir que leur composition exclusivement masculine s'expliquait par le faible nombre de femmes parlementaires au sein de leur Parlement national. Elle a expliqué que la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes avait alors décidé de contester les pouvoirs des délégations nationales de Malte et de l'Irlande en séance, et que l'Assemblée, souscrivant à la proposition de la commission du règlement, avait décidé de ratifier les pouvoirs des délégations de ces deux Etats mais de suspendre le droit de vote de leurs membres à l'Assemblée et dans ses organes, jusqu'à ce que la composition de ces délégations fût conforme au règlement. Elle a noté que les Parlements irlandais et maltais avaient rapidement inclus une femme au sein de leur délégation et que leur droit de vote avait été réinstauré respectivement le 2 mars 2004 et le 26 avril 2004. Elle a néanmoins indiqué que Malte continuait de poser des problèmes pour l'Assemblée car, si sa délégation parlementaire comportait désormais une femme, ce pays éprouvait des difficultés pour trouver une candidate féminine pour la Cour européenne des droits de l'Homme.

Elle a rappelé que l'Assemblée parlementaire avait recommandé au comité des ministres d'élaborer une Charte de l'égalité électorale dans laquelle les États membres du Conseil de l'Europe souscriraient à une action concertée ayant pour but de garantir les droits électoraux des femmes et d'accroître la participation de celles-ci aux élections. Elle a précisé que cette Charte devrait prévoir toutes les mesures nécessaires pour rendre illégal et éliminer le « vote familial », et fixer l'objectif de porter à 40 % d'ici 2020 le taux minimum de représentation des femmes au sein du Parlement et des autres assemblées élues.

Puis Mme Tanja E. J. Kleinsorge a évoqué la question de la violence à l'encontre des femmes. Elle a fait observer que ce phénomène était en progression et que, selon certaines estimations, chaque jour, une Européenne sur cinq est victime d'actes de violence commis par son partenaire, des membres de sa famille ou de sa communauté, des étrangers, voire parfois par des autorités publiques ou des institutions coercitives. Rappelant que la violence domestique était un phénomène touchant tous les pays, quels que soient la classe sociale, la race ou le niveau d'éducation des personnes concernées, elle a indiqué que l'Assemblée parlementaire s'attachait à intensifier ses efforts de lutte contre la violence faite aux femmes dans le cadre familial comme à l'extérieur.

Elle a indiqué que, dans la recommandation qu'elle avait adoptée sur la violence domestique à l'encontre des femmes, l'Assemblée parlementaire avait dénoncé le fait que la violence perpétrée au sein de la famille continuait d'être considérée comme une question d'ordre privé. Elle a rappelé que plusieurs recommandations de l'Assemblée avaient encouragé les Etats membres à prendre des mesures relatives aux victimes et à la prévention de la violence domestique, et que l'Assemblée parlementaire avait aussi identifié des bonnes pratiques développées dans différents pays européens, l'Autriche et la France par exemple, et préconisé la condamnation pénale des actes de violence domestique, une meilleure protection judiciaire, psychologique et financière aux victimes et le lancement d'une année européenne contre la violence domestique afin que ce phénomène ne demeure plus tabou.

Elle a ensuite illustré son propos sur la base de plusieurs chiffres. En ce qui concerne la situation dans les dix nouveaux Etats membres, elle a indiqué que des informations récentes n'existaient que pour la République tchèque, où la commission a organisé une audition sur ce thème en 2004. Elle a précisé que, lors de cette audition, la coordinatrice de la campagne contre la violence domestique avait indiqué que toute campagne devait se fonder sur deux axes essentiels, la prévention et l'information du grand public, et que 38 % des femmes tchèques disaient avoir subi la violence conjugale. Elle s'est félicitée des résultats très positifs de la campagne de sensibilisation conduite dans ce pays, qui s'est traduite par une prise de conscience du phénomène par l'opinion publique, par l'augmentation de la fréquentation des centres d'accueil, et sur le plan législatif, par la révision du code pénal.

Elle a noté que, lorsque des Etats menaient des campagnes de sensibilisation nationale et adoptaient des mesures législatives, judiciaires et financières appropriées, la lutte contre la violence domestique progressait car les victimes étaient mieux informées de leurs droits, et l'opinion publique prenait davantage conscience de la gravité du phénomène. C'est pour cette raison, a-t-elle précisé, que l'Assemblée, sollicitant l'appui du comité des ministres, avait insisté sur la nécessité d'organiser une campagne paneuropéenne en 2006 pour lutter efficacement contre les violences domestiques. Elle a ajouté que la question de la violence domestique figurait d'ailleurs à l'ordre du jour du Troisième Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des 46 Etats membres, qui se réuniront à Varsovie, les 16 et 17 mai 2005.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a fait observer que certains phénomènes concernant la situation des femmes, les violences au sein du couple par exemple, se rencontraient à la fois dans les nouveaux Etats membres de l'Union européenne et dans les « anciens ». Elle s'est interrogée sur les pouvoirs de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour améliorer la situation des femmes et a voulu savoir si elle disposait de pouvoirs coercitifs pour faire respecter ses décisions.

Mme Tanja E. J. Kleinsorge a indiqué que les juges à la Cour européenne des droits de l'Homme étaient élus par l'Assemblée parlementaire sur une liste de trois candidats devant obligatoirement comporter au moins une femme. Elle a estimé qu'il s'agissait d'une avancée réelle et fait observer que certains Etats membres éprouvaient parfois des difficultés à respecter cette contrainte au moment de présenter des candidatures. Elle a néanmoins rappelé que le véritable pouvoir décisionnel, quand il s'agissait de l'élaboration des conventions, appartenait au comité des ministres du Conseil de l'Europe. Elle a néanmoins indiqué que l'Assemblée parlementaire avait toujours oeuvré pour développer le droit conventionnel et a cité l'exemple de la Charte de l'égalité électorale, dont elle est à l'origine, qui a reçu un avis favorable de la commission de Venise et qui est actuellement en attente d'une décision du comité des ministres. Elle a expliqué que l'Assemblée parlementaire disposait de pouvoirs coercitifs pour ce qui concerne son fonctionnement et son organisation. Elle a ainsi précisé que les représentants d'Etats membres avaient pu voir leur droit de vote suspendu au sein de l'Assemblée, voire être interdits de siéger dans les cas les plus graves de violation des libertés fondamentales.

Mme Gisèle Printz a voulu savoir si la France occupait une place privilégiée en matière de respect de l'égalité entre les hommes et les femmes parmi les Etats membres du Conseil de l'Europe et a fait observer que les fonctions les plus élevées étaient très majoritairement occupées par des hommes.

Mme Tanja E. J. Kleinsorge a indiqué que la situation de la France en matière de respect de l'égalité des sexes était mitigée. Elle a ainsi noté que la délégation française à l'Assemblée parlementaire ne comportait que deux femmes sur 36 membres. En revanche, elle a souligné les avancées récentes observées en France en matière d'accès au marché du travail et de lutte contre les violences domestiques. Elle a également estimé que la France avait un comportement plus égalitaire que d'autres Etats membres. D'une manière générale, elle a fait observer que le « plafond de verre » avait été brisé par peu de femmes et que la situation dans les pays d'Europe de l'Est et du Sud était encore moins satisfaisante.

Mme Christiane Kammermann, remerciant l'intervenante pour la richesse des informations apportées, s'est félicitée de l'engagement pris par le Président de la République en matière d'égalité salariale et du dépôt d'un projet de loi en ce sens. Elle s'est interrogée sur l'ampleur du phénomène de la surqualification professionnelle des femmes. Elle a exprimé son inquiétude sur la situation professionnelle des Françaises vivant à l'étranger qui peuvent gagner jusqu'à dix fois moins que les expatriés. Enfin, elle s'est dite sceptique sur l'emploi du terme « rapporteuse ».

Mme Tanja E. J. Kleinsorge a indiqué que le terme « rapporteuse » avait été officiellement choisi par la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Elle a noté que, dans les nouveaux Etats membres de l'Union européenne qui avaient appartenu, dans le passé, au bloc socialiste, les femmes avaient généralement reçu une éducation de haut niveau, mais que leur embauche n'était pas corrélée à leur qualification, et a toutefois rappelé que ce phénomène existait également en Europe occidentale, par exemple en France. Elle a fait état d'une étude conduite en Allemagne sur le déroulement des négociations salariales, selon laquelle les hommes auraient des exigences en termes de rémunération initialement élevées puis négocieraient à la baisse, alors que les femmes auraient tendance à sous-estimer le montant des rémunérations auxquelles elles auraient droit.

Mme Yolande Boyer s'est interrogée sur les effets réels sur la situation des droits des femmes de l'adhésion à l'Union européenne de dix nouveaux Etats membres. Elle s'est également enquise de la perception de la reconnaissance de la valeur juridique de la Charte des droits fondamentaux opérée par le traité constitutionnel.

Mme Tanja E. J. Kleinsorge a indiqué que les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne avaient tous ratifié le protocole n° 12 de la Convention européenne des droits de l'Homme, relatif à l'interdiction des discriminations, dont la valeur juridique est contraignante, ce qui n'est pas encore le cas de la Charte des droits fondamentaux, tant que le traité constitutionnel n'est pas entré en vigueur.

Audition de Mme Anna Záborská, présidente de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen

Puis la délégation a procédé à l'audition de Mme Anna Záborská, présidente de la commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen.

Mme Anna Záborská s'est tout d'abord félicitée de cette rencontre avec la délégation sénatoriale qui témoigne ainsi de son intérêt à l'égard d'une partie de l'Europe qui était composée, il y a 15 ans encore, des Etats satellites de Moscou. Elle a rappelé que, lorsqu'elle était parlementaire slovaque, elle avait pu nouer des contacts précieux en tant que présidente du groupe d'amitié entre la France et la Slovaquie au Parlement de Bratislava. Elle a souhaité organiser son propos en témoignant, tout d'abord, d'expériences vécues sous l'ancien régime communiste avant d'apporter des précisions sur la situation actuelle et le rôle des femmes dans les nouveaux Etats membres de l'Europe de l'Est : elle a souligné que celles-ci sont les premières à souffrir de la misère et aussi à devoir en affronter les difficultés.

Puis, Mme Anna Záborská a rappelé que, l'an dernier, son pays natal, la Slovaquie, avait retrouvé sa famille naturelle, l'Union européenne, et s'est félicitée qu'aujourd'hui on ne confonde plus la Slovaquie avec la Slovénie ou la République tchèque. Elle a ensuite noté que, grâce à l'Union européenne, les conditions de vie s'étaient améliorées en Europe de l'Est et, en particulier, que les fonds structurels avaient contribué à y relocaliser des activités économiques.

Au-delà de ces observations, elle s'est néanmoins dite étonnée de « l'insoutenable légèreté de l'insouciance qui caractérise l'Europe de l'Ouest » et qui différencie assez nettement les attitudes et les conceptions des deux parties de l'Europe. Se référant à son expérience de parlementaire européenne, elle a fait observer qu'il existait encore bien souvent une plus grande complicité entre les élus d'Etats membres de l'Europe de l'Est, pourtant membres de groupes politiques opposés, qu'entre collègues du même groupe politique, mais marqués par les traditions culturelles différentes de l'Est et de l'Ouest, tout en indiquant que cette diversité faisait la richesse de l'Europe réunifiée.

Pour mieux faire comprendre l'espoir suscité à l'Est par l'élargissement de l'Union européenne, elle a ensuite fait référence à la conception des droits de l'Homme formulée par Andréï Sakharov qui dénonçait déjà, en 1968, dans ses « Réflexions sur le progrès, la coexistence pacifique et la liberté intellectuelle », l'envahissement du dogmatisme bureaucratique, la diffusion des mythes qui favorisent le pouvoir des démagogues ou la dégradation des conditions de vie provoquée par l'application de législations inadaptées.

Soulignant l'importance de l'évolution historique, elle a rappelé que, pour un grand nombre d'Européens de l'Est, la libération du camp d'Auschwitz n'avait pas été suivie de lendemains marqués par la paix et la démocratie, comme certains l'espéraient. En effet, a-t-elle indiqué, les régimes totalitaires ont largement perduré sous d'autres formes, et se sont même développés, les peuples perdant le pouvoir de disposer d'eux-mêmes, enfermés à l'intérieur des frontières oppressantes d'un empire qui s'efforçait de détruire, non seulement les traditions littéraires, religieuses et philosophiques, mais aussi la mémoire et les racines culturelles séculaires. Evoquant notamment le cas de sa propre famille, elle a rappelé que de nombreuses personnes avaient continué à être emprisonnées, au mépris de tout droit humain élémentaire, simplement pour avoir réclamé la liberté de pensée, de conscience et de religion.

Aujourd'hui, en tant que membre du Parlement européen, elle a souligné le sens de son engagement en faveur d'une Europe qui puisse fonctionner en évitant non seulement la guerre mais aussi  une forme de « lutte pour la paix » parfois tout aussi destructrice. Redoutant les travers parfois dénoncés d'un certain dogmatisme bureaucratique communautaire, elle s'est félicitée qu'à l'axe européen Berlin/Paris/Londres/Bruxelles, se superpose désormais une autre configuration politique, économique et intellectuelle qui englobe Prague et Varsovie, Bratislava et Budapest, Vilnius, Sofia et Bucarest.

Mme Anna Záborská s'est également inquiétée des conséquences néfastes qui résulteraient du maintien d'un déséquilibre socio-économique durable dans l'Union européenne, en soulignant que la volonté de protéger la libre concurrence de toute atteinte était susceptible d'aggraver les inégalités économiques entre les régions de l'Europe et d'introduire un facteur de déstabilisation de la démocratie. Elle a cité, pour illustrer le sens de son propos, l'examen par la Commission européenne de la législation fiscale allemande qui accorde des avantages fiscaux à ses entreprises d'économie sociale comme les hôpitaux, les maisons de retraite ou encore les colonies de vacances pour les familles nombreuses, en déplorant que de telles actions socialement bénéfiques puissent être ainsi contestées au nom du principe de la libre concurrence. Rappelant que le salaire minimum s'élève en Slovaquie à 130 euros par mois et que néanmoins le coût de la vie se rapproche à Bratislava de celui des capitales occidentales, elle s'est inquiétée des conséquences, notamment pour les petits épargnants de son pays, de l'entrée en vigueur de la monnaie unique, prévue en 2007, avant de s'interroger plus globalement sur le processus selon lequel la croissance économique pourrait permettre de réduire la pauvreté dans les pays d'Europe centrale et orientale.

En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente, Mme Anna Záborská a estimé que, pour comprendre la situation des femmes dans les pays de l'Est, il lui avait semblé essentiel de présenter le contexte général de précarité et de pauvreté dans lequel elles vivent. S'agissant des conditions de travail des femmes dans ces nouveaux Etats membres, elle a tout d'abord rappelé qu'à l'époque du communisme il n'existait aucune définition de la notion de pauvreté et, qu'officiellement, le chômage n'existait pas. Elle a fait observer que cette période avait accoutumé les femmes et les hommes à une certaine passivité économique en ne les préparant guère à conduire des stratégies actives de recherche d'emploi.

Mme Christiane Kammermann s'est demandé si, dans ces conditions, certains ne regrettaient pas le régime communiste.

Mme Anna Záborská a répondu par la négative, en insistant sur le caractère intolérable du manque de libertés et sur l'aspect factice des données économiques officielles. Relatant son expérience de présidente de la commission de la santé au Parlement slovaque, elle a évoqué, pour illustrer la gravité de la situation, la pénurie de moyens médicaux qui engendrait, même pour les patients atteints de maladies graves nécessitant des soins urgents, des listes d'attente interminables qui se traduisaient parfois par l'obtention d'un rendez-vous après la mort du malade.

Abordant le thème de l'emploi des femmes, elle a fait observer que, sous le régime communiste, les taux d'activité affichés de 80 % s'accompagnaient en réalité de contraintes extrêmement fortes comme l'obligation d'aller travailler et de confier ses enfants à des dispositifs de garde ne prenant pas suffisamment en considération leur bien-être.

Evoquant ensuite les évolutions récentes de la vie publique dans les nouveaux Etats membres, elle a signalé une progression de l'engagement politique des femmes en estimant, notamment, que les responsabilités locales constituaient un tremplin particulièrement efficace, et en insistant sur le rôle déterminant des partis politiques pour la désignation des candidats aux mandats nationaux.

En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier, présidente, elle a indiqué que la commission des droits des femmes et de l'égalité des genres du Parlement européen était composée de soixante membres, dont cinquante-sept femmes et trois hommes. Elle a précisé que cette commission n'avait pas de pouvoir législatif et mentionné un certain nombre de thèmes d'études qu'elle avait contribué à faire inscrire à l'ordre du jour de ses travaux : les femmes face à la pauvreté, la situation des femmes en Turquie, les violences contre les femmes ou les soins médicaux et l'égalité des chances. Sur ce dernier point, elle a cité une observation qui a pu être faite dans les pays du nord de l'Europe, pourtant particulièrement avancés en matière d'égalité des sexes, selon laquelle les délais d'intervention des services d'urgence médicale paraissaient plus élevés pour venir en aide aux femmes qu'aux hommes. De manière plus générale, elle a également indiqué que, bien souvent, le coût des traitements médicaux et leur sophistication apparaissaient en moyenne plus élevé pour les hommes que pour les femmes. Elle s'est ensuite déclarée choquée que le coût de la couverture sociale, et notamment des assurances privées, puisse être plus élevé pour les femmes que pour les hommes. S'agissant des retraites, elle a estimé nécessaire de lutter contre les arguments tendant à diminuer les pensions de retraite des femmes en tenant compte de leur espérance de vie plus élevée qui seraient à la base du raisonnement suivi par certains projets de directives.

Mmes Christiane Kammermann, Gisèle Printz et Esther Sittler ont manifesté leur indignation à cet égard, et Mme Gisèle Gautier, présidente, a souhaité communication du libellé de ce projet de texte.

Mme Anna Záborská a néanmoins diagnostiqué une amélioration globale de la situation des femmes et, après avoir cité un certain nombre de situations paradoxales, parfois provoquées par l'application de normes inadaptées, s'est prononcée en faveur du maintien d'une liberté propice à l'initiative économique dans les nouveaux pays membres. Elle a également souligné le haut niveau de formation scolaire et universitaire des femmes qui dépasse en moyenne celui des hommes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est demandé si la hausse du taux d'activité féminin récemment constatée dans les pays de l'Est s'accompagnait d'une pénurie des structures de garde d'enfants.

Mme Anna Záborská a indiqué qu'après la période de transition économique au cours de laquelle ces structures s'étaient affaiblies, des efforts étaient à nouveau consentis en la matière, Mme Gisèle Printz soulignant que l'accès aux systèmes de garde d'enfants était parfois devenu assez onéreux.

Mme Christiane Kammermann a demandé des précisions sur les divers aspects de l'amélioration de la situation des femmes dans les nouveaux Etats membres issus des pays de l'Est.

Mme Anna Záborská a répondu en citant la décélération du taux de chômage, de 18 % à 13 %, notamment liée à des implantations étrangères dans les nouveaux Etats membres encouragées par une fiscalité favorable aux investisseurs. Elle a fait observer que cette limitation des ressources fiscales comportait cependant des inconvénients en termes de dépenses publiques. Elle a ensuite souligné, comme un devoir et une priorité fondamentale, les mesures de lutte contre la pauvreté qui conditionnent l'exercice des libertés fondamentales. Elle a précisé, à ce titre, qu'il convenait de se fonder sur une définition précise de la précarité et de s'efforcer de garantir aux personnes placées dans cette situation l'accès au logement, aux allocations sociales, aux soins médicaux et à la justice. Par ailleurs, elle a stigmatisé, dans la culture de l'Europe de l'Est, une certaine tendance à culpabiliser les personnes victimes de précarité. Elle a ensuite estimé nécessaire de redéfinir les indicateurs permettant de prendre en compte le travail non rémunéré des femmes afin d'éviter qu'après toute une vie consacrée à leur famille, elles se trouvent sans ressources à l'âge de la retraite.

Sur ce point, Mme Gisèle Printz a manifesté des réserves à l'égard de l'instauration d'un salaire maternel qui pourrait dissuader les femmes de travailler.

Concluant cet entretien, Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé le message fondamental de Mme Anna Záborská selon lequel la précarité porte atteinte à la dignité des personnes, à leurs droits fondamentaux et met à l'épreuve les systèmes démocratiques.