ARTICLE  3 BIS K (NOUVEAU) : SUPPRESSION DU DROIT DE 8,84 EUROS À LA CHARGE DU JUSTICIABLE

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU VENDREDI 18 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 3

Mme la présidente. L'amendement n° I-117, présenté par Mme Klès, M. Marc, Mme M. André, MM. Frécon, Miquel, Berson, Botrel et Caffet, Mme Espagnac, MM. Germain, Haut, Hervé, Krattinger, Massion, Patient, Patriat, Placé, Todeschini, Yung et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'article L. 723-4 du code de la sécurité sociale est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. L. 723-4. - Lorsque l'avocat est désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office, les droits de plaidoirie sont à la charge de l'État. »

II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. S'il avait fallu choisir un article emblématique du projet de loi de finances pour 2011, nul doute que l'article 41, devenu l'article 74 de la loi promulguée, dissimulé au sein de la première partie du projet de loi, l'aurait emporté, pour ses « qualités » à la fois de fond et de forme.

J'évoquerai tout d'abord le fond.

Afin de réunir les 11 milliards d'euros d'augmentations d'impôts prévues dans le projet de budget pour 2011, il a été demandé aux justiciables les plus défavorisés bénéficiant de l'aide juridictionnelle de verser à leur avocat un droit de plaidoirie de 8,84 euros, cette mesure permettant de récupérer 5 millions d'euros, soit moins de 2 % des montants alloués au titre de l'aide juridictionnelle. L'objectif financier de cette mesure est modeste.

En outre, la mesure prévue à l'article 74 est contraire à un principe fondamental de notre droit, l'accès à la justice, lequel oblige l'État à assurer aux citoyens un recours juridictionnel effectif. Elle est également peut-être contraire à la Constitution ou à la Convention européenne des droits de l'homme.

Surtout, la mesure instaurée par l'article 74 concerne des personnes en situation de précarité ou de faiblesse, comme les enfants aux prises avec le divorce délicat de leurs parents. Ces enfants n'ont pas, en principe, de moyens financiers, mais ils peuvent bénéficier des services des avocats pour enfants, lesquels sont rémunérés par l'aide juridictionnelle et non par l'un des parents, la parole des enfants ne devant pas souffrir de considérations financières.

Selon l'exposé des motifs de l'article 74, il s'agissait d'instaurer une « participation financière permettant de sensibiliser les justiciables au coût de l'aide juridictionnelle et de limiter les recours abusifs ». Permettez-moi de trouver la mesure - et la formule - aussi ridicule que dérisoire !

De plus, comme les avocats ne peuvent guère récupérer auprès des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle les droits de plaidoirie qu'ils doivent, pour leur part, reverser à la Caisse nationale des barreaux français - la caisse de prévoyance et de retraite des avocats -, la suppression de la prise en charge par l'État du droit de plaidoirie revient à transférer une charge de l'État vers la profession des avocats. Le modèle de la mesure existe : c'est celui du transfert par l'État aux collectivités territoriales de charges non compensées.

J'évoquerai ensuite la forme.

Intituler l'article 41 initial : « Amélioration du recouvrement et maîtrise de la dépense d'aide juridictionnelle » et prétendre vouloir « pérenniser le dispositif d'aide juridictionnelle tout en respectant l'objectif gouvernemental de réduction des dépenses d'intervention » est d'une grande hypocrisie. Il eut mieux valu l'intituler : « Paiement par les avocats d'une partie de la prise en charge par l'État de l'aide juridictionnelle pour faire une petite "gratte" sur les dépenses ». C'est aussi hypocrite que de déclarer qu'il n'y aurait pas d'augmentations d'impôts dans le projet de loi de finances pour 2011, alors que celui-ci prévoyait 11 milliards d'euros d'augmentations !

Il est donc indispensable de supprimer le dispositif de l'article L. 723-4 du code de la sécurité sociale.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement porte sur un principe qui nous est cher : l'accès à la justice doit être le plus large possible. Dans l'esprit, il est proche de celui que la commission des finances a adopté avant-hier sur l'initiative du rapporteur spécial pour les crédits de la mission « Justice », M. Edmond Hervé, lequel tend à prévoir la suppression de la contribution de 35 euros pesant sur le justiciable au titre du financement de l'aide juridique.

La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement, qui tend à préserver le libre accès au service public de la justice.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je ne reviendrai pas sur une réforme qui a été adoptée en 2011 et dont nous avons déjà beaucoup débattu.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l'aide juridictionnelle est aujourd'hui de plus en plus coûteuse, car nous avons considérablement renforcé les droits de la défense. Nous avons notamment autorisé la présence de l'avocat au cours de la garde à vue. Les droits du justiciable sont désormais beaucoup mieux protégés.

L'aide juridictionnelle doit être de qualité et, pour cela, elle doit bien entendu être revalorisée.

L'instauration d'un droit de timbre de 35 euros dont doivent s'acquitter les justiciables qui ne bénéficient pas de l'aide juridictionnelle à taux plein ainsi que la perception des quelques droits supplémentaires ne sont pas de nature à priver les Français de l'accès à la justice, bien au contraire ! Il s'agit de mesures de responsabilisation, comme il en existe dans le domaine de l'accès à la santé avec les franchises sur les médicaments ou le ticket modérateur.

On ne saisit pas la justice sans concourir un peu aux frais qu'elle occasionne, d'autant que le montant réclamé est faible en comparaison du coût d'un avocat ou d'une aide juridique, par exemple. Ces frais représentent donc un effort soigneusement dosé afin qu'ils ne pèsent pas excessivement sur le justiciable.

En outre, quand un justiciable gagne son procès, il obtient le remboursement de l'intégralité des frais de justice engagés. Cela dit, je ne sous-estime pas le fait que certains justiciables peuvent perdre tout en étant de bonne foi, mais il s'agit tout de même d'une minorité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je voterai cet amendement des deux mains.

Remettons les choses dans leur contexte : de plus en plus de gens rencontrent des difficultés pour accéder à la justice, notamment en raison de la nouvelle carte judiciaire. Dans le département de l'Orne, certaines communes n'ont plus de juges aux affaires familiales. Cela peut paraître peu de chose, mais les justiciables doivent attendre six mois avant d'obtenir une audience de non-conciliation. Certains n'ont pas non plus les moyens de se payer les services d'un avocat.

Cette disposition avait déjà été présentée l'année dernière dans le cadre de l'examen du programme « Accès au droit et à la justice », dont Yves Détraigne était rapporteur pour avis. À ce moment-là, la discussion s'était résumée à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Ce n'est pas une méthode pour réconcilier les Français avec leur justice, dont nous examinerons d'ailleurs les crédits dans quelques jours.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Depuis 2002, les crédits budgétaires consacrés à l'aide juridictionnelle n'ont cessé d'augmenter. Ils sont passés de 220 millions d'euros à 312 millions d'euros en 2011. Dans le projet de loi de finances pour 2012, la dotation prévue est en hausse de 8 %, passant à 336 millions d'euros, ce qui montre l'intérêt que le Gouvernement porte à ce dispositif primordial pour l'accès au droit et à la justice.

Le champ des contentieux couverts par l'aide juridictionnelle a été élargi. Le nombre de bénéficiaires est passé de 688 000 à 900 000.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C'est aussi l'effet d'une répression plus lourde !

Mme Catherine Procaccia. Étant donné le contexte budgétaire actuel, où priorité est donnée aux réductions des déficits, il est nécessaire de trouver des financements nouveaux pour faire face à une partie de l'accroissement du coût.

Le groupe de l'UMP ne souhaite pas que soit remis en cause l'équilibre auquel nous sommes parvenus. Or, une nouvelle fois, la majorité sénatoriale veut revenir sur des dispositions que nous avons adoptées. C'est à se demander si ce n'est pas par manque d'imagination qu'ils cherchent à défaire ce que nous avons fait. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C'était mal fait !

M. Jean-Marc Todeschini. Ces arguments sont un peu courts !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. C'est la deuxième fois que j'interviens après vous, madame Procaccia.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Il n'y a que des femmes dans cet hémicycle ! (Sourires.)

Mme Marie-France Beaufils. Cela me donne l'occasion de vous rappeler que quelqu'un a dit ici qu'il fallait déconstruire ce qui avait été réalisé en 1945 !

Mme Catherine Procaccia. 1945 n'est pas 2011 !

Mme Marie-France Beaufils. Pour notre part, nous ne nous inscrivons pas dans la même démarche. Lisez le rapport d'Edmond Hervé, qu'il nous a présenté l'autre jour en commission des finances, qui établit un constat très clair des difficultés de la justice.

Vous parlez de la hausse des crédits de l'aide juridictionnelle et de l'augmentation du nombre de bénéficiaires, mais ce ne sont que des chiffres. Vous n'expliquez pas que, si le montant alloué à l'aide juridictionnelle a augmenté, c'est aussi parce que le pouvoir d'achat d'un certain nombre de justiciables a baissé. Il faut regarder les choses en face !

Je suis particulièrement choquée par l'idée de payer une franchise pour avoir droit à un jugement équitable. C'est contraire aux principes de notre République, notamment à l'égalité de tous devant la justice.

De plus, avec la baisse des moyens alloués aux tribunaux depuis quelques années, on s'aperçoit que les affaires traînent souvent en longueur, ce qui empêche qu'elles se déroulent dans de bonnes conditions.

Placer un obstacle supplémentaire sur la route de celui qui demande justice va encore créer plus de difficultés. C'est pourquoi, au nom du groupe CRC, je voterai l'amendement proposé par le groupe socialiste-EELV.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-117.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 3.

http://www.senat.fr/seances/s201111/s20111118/s20111118005.html#par_735