ARTICLE  4 BIS E (NOUVEAU) : ÉLARGISSEMENT DE L'ASSIETTE DE LA QUOTE-PART DE FRAIS ET CHARGES DANS LE RÉGIME D'EXONÉRATION DES PLUS-VALUES DE CESSION DE TITRES DE PARTICIPATION

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU VENDREDI 18 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 4

Mme la présidente. L'amendement n° I-8, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans la seconde phrase du deuxième alinéa du a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts, les mots : « portée au taux de 10 % » sont remplacés par les mots : « portée à 10 % du prix de cession des titres ».

La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. S'agissant du coût de la niche Copé, je reconnais qu'il y a eu une erreur de calcul. Cependant, hors élasticité éventuelle, on peut lire dans le document « Voies et moyens » que le coût estimé de cette niche, en 2011, s'élève à 3,5 milliards d'euros. Si l'on refait le calcul après rectification de l'erreur méthodologique, on obtient tout de même un coût cumulé de 19,6 milliards d'euros.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Depuis combien d'années ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Depuis que ce dispositif existe et produit des effets, c'est-à-dire depuis 2007. Ce n'est tout de même pas un coût négligeable !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Parce qu'il y a une base taxable !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cette niche coûte cher à nos finances...

Mme Valérie Pécresse, ministre. Cette niche ne coûte rien, et elle peut nous rapporter beaucoup !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Pour l'instant, madame la ministre, elle nous coûte cher. Or, dans la période présente, il convient de veiller à l'état de nos finances publiques.

De quelque niche qu'il s'agisse, je commence toujours par chercher à savoir pourquoi elle a été créée ; je veux en examiner la genèse, en quelque sorte.

En 2004, M. Marini et M. Copé, de concert, ont justifié l'existence de ce dispositif en invoquant le fait que nos partenaires européens en disposaient et qu'il fallait s'aligner sur la norme communautaire. Dont acte. Ils le présentaient en outre comme un instrument de compétitivité.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Eh bien oui !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Alors, nous ne devons pas avoir la même idée de ce qu'est la compétitivité !

Selon moi, il y a un paramètre décisif : si un pays dispose d'entreprises compétitives, son commerce extérieur n'est pas déficitaire. Or celui de la France l'est assez lourdement ! Être compétitif, cela signifie vendre des produits et des services partout dans le monde. Manifestement, aujourd'hui, pour la France, la compétitivité soit au rendez-vous.

Par ailleurs, cette exonération a certainement suscité un effet d'aubaine au cours des deux premières années de son application, et c'est la raison pour laquelle, madame Escoffier, le rétablissement du taux de 19 % ne comblerait pas la perte de recettes fiscales. Voilà pourquoi je pose, au travers de cet amendement, le problème de l'assiette.

Je ne détaillerai pas toutes les options envisageables. La commission a décidé, de façon rationnelle, en se référant à l'économie du système, de modifier l'assiette en prenant comme référence le prix de cession. Ce choix permet de résoudre un problème de cohérence économique et fiscale et, en même temps, ce qui ne manque pas d'intérêt, de dégager du rendement.

Nous agissons donc sur l'assiette de la quote-part.

La raison d'être de cette quote-part réside dans le principe général suivant : les charges encourues par une société pour l'acquisition, la gestion et la conservation de ses titres de participation, par exemple des intérêts d'emprunt, sont déductibles pour la détermination de son résultat. L'imposition de ces charges a donc pour objet d'éviter que cette déduction soit suivie d'une exonération. C'est pourquoi nous souhaitons réintégrer ces charges dans l'assiette et les taxer forfaitairement à 10 %.

L'assiette logique, pour des charges afférentes à des actifs, c'est le prix de cession, la valeur des actifs, et non la plus-value nette, qui relève d'une autre logique puisque les moins-values en sont soustraites.

Je n'ai pas inventé cette idée : Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, a lui-même défendu cette modification de l'assiette de la quote-part dans son rapport de juillet dernier sur l'application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances. Permettez-moi de le citer : « On pourrait, en revanche, s'interroger sur les conditions de calcul de la quote-part pour frais et charges de 5 %. Celle-ci a, en effet, pour pendant l'autorisation de la déductibilité des charges supportées au titre des participations concernées, dont on verra ci-après qu'elle représente un enjeu budgétaire très significatif ». C'est exactement ce que je viens de dire, certainement moins bien qu'il ne l'écrit.

M. Carrez ajoute : « Cette assiette n'est pas nécessairement la plus fidèle pour approximer forfaitairement (ce qui est l'objet de la quote-part) le montant des charges déductibles.

« Rien ne permet, en effet, de penser que l'acquisition et la gestion d'une participation soit plus onéreuse lorsque celle-ci donne lieu, à la cession, à une plus-value que lorsqu'elle est cédée en moins-value ».

M. Carrez estime donc « que la priorité doit être de s'interroger sur les conditions de la déductibilité des charges. [...] À défaut, ou dans l'attente d'une évolution sur cette question, on peut toutefois estimer qu'il y aurait une certaine logique à ce que la quote-part soit calculée sur le prix de cession et non sur le montant de la plus-value [...] et, à tout le moins, qu'elle soit calculée sur le montant (brut) des plus-values, sans compensation avec les éventuelles moins-values ».

Si l'on pense que l'assiette des frais et charges n'est pas pertinente, et que nous sommes en réalité, comme vous l'avez dit en commission, monsieur le président, dans une logique de ticket modérateur, on entre alors dans le cadre d'un droit d'enregistrement. Or un tel droit est dû sur la valeur des actifs au moment de la transaction. Cette modification de l'assiette présente donc l'avantage supplémentaire de freiner les optimisations qui tendent à sélectionner les titres à céder, pour compenser les plus-values par les moins-values.

Cette nouvelle assiette me semble cohérente économiquement et intéressante budgétairement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. J'avoue, madame la rapporteure générale, que votre calcul me laisse perplexe. Si vous décidez de taxer le prix de cession, ou plus exactement la transaction sur la base du prix de cession, vous admettez qu'il est possible de taxer une cession ayant donné lieu à une moins-value.

La Bourse de Paris a perdu beaucoup de sa valeur au cours des six derniers mois. Supposez qu'une entreprise française ait besoin de céder, aujourd'hui, une participation qu'elle détient dans une autre entreprise ; il est évident que la moins-value sera énorme, pouvant atteindre plusieurs millions d'euros. Il s'agira donc d'une opération qui peut être lourdement déficitaire pour cette entreprise. Et vous voulez, en plus, la taxer sur la valeur de la participation ! Je ne peux pas vous suivre...

Je ne prendrai pas d'exemples pour ne pas citer d'entreprises françaises qui ont subi récemment une très forte décote à la Bourse, mais je vous soumets l'hypothèse suivante. Supposez qu'une entreprise détienne 5 % du capital d'un grand groupe, dont la valeur a perdu 20 % à 30 % au cours des derniers mois. Allez-vous taxer cette vente, alors qu'elle s'est traduite par une moins-value ? En fiscalité française, le principe est de taxer la création de valeur !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. L'entreprise ne vendra pas...

Mme Valérie Pécresse, ministre. Sauf si elle y obligée, monsieur Marini, par exemple parce qu'elle est liée par des accords industriels ou d'entreprises.

Si le dispositif proposé est adopté, non seulement l'entreprise considérée fera une moins-value à l'occasion de cette vente, mais elle sera en outre taxée sur cette moins-value ! Encore une fois, madame la rapporteure générale, je ne peux pas vous suivre !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mme Bricq a bien voulu me citer. Il est vrai que la commission des finances du Sénat avait, en son temps, beaucoup travaillé sur ce dispositif.

Si nous l'avions imaginé, à l'époque, c'est parce que les responsables des entreprises nous disaient que les holdings actives en matière de cession de participations étaient à Luxembourg.

M. Jean-Marc Todeschini. Un pays où l'on vous aime sans doute beaucoup ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mon cher collègue, je ne veux pas revenir sur ces propos qui avaient suscité quelques remous. Le Luxembourg existe : tant mieux pour lui ! (Nouveaux sourires.)

Nous avions voulu rapatrier des holdings,...

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Sans succès !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. ... et c'est pour cette raison que nous avions invoqué l'argument de la compétitivité.

Ne pourrions-nous pas, en envisageant des moyens plus proches de la réalité économique que ceux qui sont utilisés par le Conseil des prélèvements obligatoires, instance très administrative et peu immergée dans ces problématiques, débattre de l'application de cette mesure ? Ce serait pleinement légitime.

Il faut garder deux éléments à l'esprit.

Il convient, premièrement, de ne pas mettre en place un régime qui détruirait l'assiette d'une éventuelle contribution.

Je rappelle, deuxièmement, que cette contribution est bien une taxation des plus-values. Or qui dit plus-values dit comparaison entre un prix de revient et un prix de cession. Je ne parviens pas à comprendre comment l'on pourrait passer d'une taxation de plus-values à une taxe flat , en quelque sorte, qui s'appliquerait comme un droit d'enregistrement à toute cession de participation.

J'entends bien que l'on intègre au raisonnement la quote-part pour frais et charges, ce qui est tout à fait légitime. Mais si l'on vous suit, madame le rapporteur général, ne risque-t-on pas de doubler cette charge de gestion par une charge fiscale ?

En théorie, un groupe qui gère sa participation et la suit sur les plans comptable et fiscal doit s'acquitter de quelques frais de siège et de gestion. Faut-il doubler cette charge de gestion par un prélèvement fiscal, quel que soit le résultat financier de la transaction ?

Ce sujet s'étant désormais imposé dans le débat public, il faudra le traiter.

Moi, j'ai tendance à préconiser la méthode du « rabot ». Il me semble possible de décider d'une taxation modérée, mesurée, concertée avec des partenaires. Nous pourrions, madame le ministre, envisager un groupe de travail sur la question...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. On va créer une commission ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mme le rapporteur général souhaite légitimement traiter ce sujet, mais je ne crois pas que les modalités qu'elle propose puissent être acceptées. Je pense même qu'elles iraient à l'encontre, si elles étaient appliquées, du résultat budgétaire souhaité.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Lorsqu'un particulier détient des titres, la banque qui les gère prélève des droits de garde, sans savoir s'il réalise des plus-values ou des moins-values.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C'est un élément du prix de revient !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Elle rémunère ainsi sa prestation professionnelle !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je propose le même système. Ce n'est pas très compliqué à comprendre !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-8.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4.

II. TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (PETITE LOI)

Article 4 bis E (nouveau)

À la seconde phrase du deuxième alinéa du a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts, les mots : « au taux de 10 % » sont remplacés par les mots : « à 10 % du prix de cession des titres ».