ARTICLE  4 BIS F (NOUVEAU) : MODIFICATIONS DES RÈGLES DE NEUTRALISATION DES QUOTES-PARTS DE FRAIS ET CHARGES DANS LE RÉGIME DE L'INTÉGRATION FISCALE

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU VENDREDI 18 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 4

Mme la présidente. L'amendement n° I-9, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° L'article 223 B est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le résultat d'ensemble est majoré de 5 % de la fraction excédant un million d'euros du montant des produits de participations mentionnés aux deuxième et troisième alinéas dont la société mère n'apporte pas la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice ou par une société intermédiaire et provenant de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice. Le montant ajouté au résultat d'ensemble en application du présent alinéa ne peut toutefois excéder, pour chaque période d'imposition, le montant total des frais et charges de toute nature exposés par les sociétés du groupe au cours de la même période pour l'acquisition et la conservation des participations dont sont issus ces produits. » ;

2° Au deuxième alinéa de l'article 223 F, après les mots : « afférente à », sont insérés les mots : « la fraction inférieure à un million d'euros de ».

La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement vise à encadrer les règles de neutralisation des quotes-parts pour frais et charges dans le régime de l'intégration fiscale et donc à restreindre l'emploi d'un avantage non justifié de ce régime.

Il suit en cela une recommandation de la Cour des comptes, laquelle estime que certains avantages outrepassent la simple compensation des résultats bénéficiaires et déficitaires, en l'état actuel du droit du régime de l'intégration fiscale.

Ainsi, les transferts de dividendes sont considérés comme des mouvements de trésorerie et ne sont donc pas imposés. Or, dans un autre régime du groupe dit « mère-filles », que nous avons déjà évoqué, les dividendes sont imposés à hauteur de 5 %.

Par exemple, une société qui reçoit 10 millions d'euros de dividendes d'une filiale n'acquittera pas d'impôt sur les sociétés sur ce montant dans le régime de l'intégration fiscale, tandis qu'elle versera 160 000 euros dans le régime mère-filles.

À mes yeux, il convient de mettre un terme à cet avantage inconsidéré ; en outre, cette mesure permettrait de faire revenir au moins 1 milliard d'euros dans les caisses de l'État - ce ne serait pas inutile, par les temps qui courent -, sachant que le régime de l'intégration fiscale coûte chaque année près de 15,8 milliards d'euros à celui-ci.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement. En effet, le régime de l'intégration fiscale doit permettre à des groupes de se créer en France et d'y conserver leur centre de gravité : nous ne souhaitons pas bouleverser cet équilibre.

J'ajoute que nous avons déjà augmenté la fiscalité sur les frais et charges dans le cadre de la loi de finances pour 2011, que ce soit au titre du régime mère-filles ou du régime des plus-values de cession des titres de participation.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Madame la ministre, un amendement identique a été déposé par MM. Carrez et Cahuzac à l'Assemblée nationale.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je le sais, et le Gouvernement y a été défavorable !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Absolument et, pour le justifier. Si, au sein du Parlement français, on ne peut plus formuler la moindre proposition sous prétexte qu'il existe des groupes de travail constitués notamment entre les ministères de l'économie et des finances allemand et français...

Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais nous ne pouvons pas déstabiliser la France !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. ... nous pouvons légitimement nous interroger sur le rôle des parlementaires ! Eux aussi ont le droit à l'innovation et à la créativité !

Mme Valérie Pécresse, ministre. C'est vrai !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Madame la ministre, vous avez souligné qu'il convenait de traiter ce sujet dans le cadre de l'harmonisation fiscale franco-allemande, en concluant qu'il s'agissait d' « un amendement excellent, mais prématuré ».

Eh bien, je reprends le texte de l'amendement déposé à l'Assemblée nationale !

Du reste, sur le fond, cette initiative ne préjuge en rien des négociations avec l'Allemagne au sujet d'une éventuelle harmonisation de nos impôts respectifs sur les sociétés. Outre-Rhin, le régime de l'intégration fiscale est fondé sur une logique différente de la nôtre : il existe donc des questions de fond bien plus importantes celle que je viens de poser, madame la ministre ! Le seuil d'entrée dans le régime est ainsi de 50 % en Allemagne contre 95 % en France : résolvez d'abord ce problème avant de vous réfugier derrière l'argument de l'harmonisation fiscale !

De plus, madame la ministre, vous savez pertinemment que cette harmonisation ne pourra être opérée que si nous n'entamons pas, pour notre part, une révision profonde de notre législation fiscale. Et tous les sujets devront être mis sur la table !

Dès lors, l'amendement n° I-9 a, selon moi, deux vertus.

Premièrement, il permet d'accroître les recettes de l'État en mettant un terme à un avantage non justifié. Il est possible de mettre en oeuvre cette mesure dès à présent, sans attendre les conclusions des travaux aux quels vous vous êtes référée, qui nous semblent encore lointaines.

Deuxièmement, cet amendement a une vertu diplomatique : il donne le ton de la négociation franco-allemande telle que nous, représentation nationale, entendons la voir mener. Si nous négocions avec nos partenaires allemands sans disposer d'une base législative correcte, nous serons nécessairement placés dans une position d'infériorité ! Je ne suis certes pas diplomate de profession, mais, pour aboutir à un résultat concret et durable, il me semble nécessaire de s'appuyer sur les principes les plus solides possibles.

Madame la ministre, en matière d'harmonisation franco-allemande, le Gouvernement n'a pas jugé nécessaire de consulter le Parlement : permettez que le Sénat expose et défende ses propres conceptions ! Du reste, comme je l'ai déjà souligné lors de la discussion générale, il faut que les parlementaires se rapprochent de leurs collègues des parlements étrangers et, en l'occurrence, du Bundestag . De fait, cette question ne peut être l'apanage du seul Gouvernement !

C'est pourquoi j'invite le président de notre commission à se tourner vers son homologue du Bundestag , comme il avait commencé à le faire - et toute la commission avec lui - dès le mois d'avril dernier.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame Bricq, je ne nie absolument pas la légitimité du Parlement français à tracer les lignes directrices de la convergence franco-allemande, ni même à voter aujourd'hui une réforme de l'impôt sur les sociétés.

Toutefois, à mes yeux, nous ne pouvons pas engager cette négociation franco-allemande en accrochant des boulets aux pieds de nos chefs d'entreprise, c'est-à-dire en les imposant dix fois plus lourdement que les patrons allemands ! En effet, une telle mesure rendrait de facto toute harmonisation impossible, d'autant que notre situation budgétaire actuelle est déjà très contrainte.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je le conçois !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame Bricq, ce soir, vous nous avez proposé de créer une bonne demi-douzaine de taxes sur les entreprises ! Or, une fois ces dispositions votées, leur suppression deviendrait très difficile au regard du coût très élevé que cela représenterait pour les finances publiques.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Non !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Si, madame Bricq !

Je suis tout à fait prête à travailler avec la commission des finances sur cette convergence, y compris pour évoquer des pistes d'évolution de la législation française qui vous paraîtraient justifiées. Mais le Gouvernement ne saurait d'arriver pieds et poings liés à la table des négociations : de fait, tel serait le cas si la fiscalité des entreprises françaises était singulièrement accrue !

Au reste, celle-ci a déjà subi de fortes hausses, et j'ai récapitulé les augmentations d'impôts sur les sociétés que nous avons opérées depuis un an : ces hausses représentent 4 milliards d'euros depuis le seul mois de septembre ! Ce n'est pas négligeable !

La prudence s'impose donc à nous. Nous devons ménager la compétitivité de nos entreprises, y compris à l'exportation.

Il s'agit d'une question majeure, et tous les dossiers doivent effectivement être mis sur la table : il ne s'agit d'aborder le problème taxe par taxe. Il est certain qu'en procédant taxe par taxe on peut toujours trouver des dispositifs à améliorer !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-9.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4.