ARTICLE 52 TER (DEVENU ARTICLE 133 DE LA LOI DE FINANCES POUR 2012)
ENCADREMENT DU SURPLUS DE RECETTES PUBLICITAIRES DE FRANCE TÉLÉVISIONS

II. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE (1ÈRE SÉANCE DU LUNDI 7 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 52

M. le président. L'amendement n° 343 présenté par M. Martin-Lalande, M. Carrez, M. Mancel, M. de Courson et M. Michel Bouvard, est ainsi libellé :

Après l'article 52, insérer l'article suivant :

Mission Médias, livre et industries culturelles

Le dernier alinéa du VI de l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le cas échéant, le montant de cette compensation est réduit à due concurrence du montant des recettes propres excédant le produit attendu de ces mêmes recettes tel que déterminé par le contrat d'objectifs et de moyens ou ses éventuels avenants conclus entre l'État et la société mentionnée au I de l'article 44. »

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Patrice Martin-Lalande, rapporteur spécial . C'est un amendement que nous avons déposé avec Gilles Carrez, Jean-François Mancel, Charles de Courson et Michel Bouvard. Il avait déjà été examiné l'an dernier, adopté par la commission des finances mais repoussé en séance publique.

Il s'agit d'inscrire dans la loi des dispositions encadrant les cas fort heureux où France Télévisions dépasse ses objectifs de recettes publicitaires.

La loi que nous avons votée en 2009 prévoit une compensation des pertes de recettes publicitaires. Lorsque, comme cela a été le cas ces dernières années, la régie publicitaire de France Télévisions - félicitons-la - dégage des excédents de recettes par rapport aux prévisions, il nous paraît utile d'inscrire dans la loi que la compensation des pertes est ajustée au niveau réel de celles-ci, avec une dérogation pour les cas où les besoins excèdent ce qui est inscrit dans le contrat d'objectifs et de moyens, cas dans lesquels subsisterait la possibilité de ne pas réduire la compensation, pour permettre d'atteindre ces objectifs supplémentaires.

C'est ainsi qu'a procédé jusqu'à présent le Gouvernement, sans s'appuyer sur aucune base légale, puisque les surplus de recettes publicitaires ont notamment été affectés au désendettement de France Télévisions, ce qui permet aujourd'hui à l'entreprise d'être dans une meilleure situation qu'il y a trois ou quatre ans.

Nous vous proposons donc d'inscrire cette règle dans la loi, le principe étant que la compensation de la perte de recettes est ajustée à la perte réelle et que, en cas d'excédent de recettes, une part ou la totalité de ce surplus est affecté soit à un objectif ajouté, sous forme d'avenant, au contrat d'objectifs et de moyens, soit à un objectif optionnel figurant dès l'origine dans le COM.

J'ajoute que nous sommes sous la surveillance de Bruxelles, qui nous contraint à n'utiliser les recettes publiques que pour financer des missions de service public.

Je précise enfin que la commission était partagée sur cet amendement, qu'elle n'a pas adopté : il y a eu égalité de voix.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Frédéric Mitterrand, ministre. Nous avons déjà beaucoup débattu de cette question et je vous ai dit mon sentiment. Je suis très conscient de la forte contrainte qui s'exerce sur le budget de l'État. Je sais aussi que le niveau de recettes prévu par le contrat d'objectifs et de moyens est élevé et que le financement de France Télévisions sera donc assuré.

Je m'en remets donc, comme je l'ai dit, à la sagesse de l'Assemblée. Je tiens toutefois à préciser que, si cet amendement devait être adopté, il faudrait qu'il s'accompagne d'un assouplissement des conditions de rédaction et d'adoption d'un avenant au contrat d'objectifs et de moyens, car la procédure actuelle serait trop lourde au regard des enjeux que nous évoquons.

M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont.

M. Marcel Rogemont. Si j'ai bien compris l'amendement, il ne s'agit pas de combler le déficit de l'État mais d'organiser les rapports entre l'État et France Télévisions. Cet amendement propose en effet, en cas de recettes supplémentaires, soit de les reverser à l'État, soit de renégocier le COM.

Je rappellerai ici que la compensation décidée par le Parlement ne concerne que la publicité au-delà de vingt heures, et l'on ne peut en permanence tout mélanger, sinon on finit par ne plus savoir de quoi on parle. Si, avant 20 heures, les recettes publicitaires sont meilleures que celles escomptées, tant mieux : saluons le travail de la régie. Je ne vois pas pourquoi il faudrait modifier cette mesure, d'autant plus que France Télévisions est une entreprise publique qui travaille bien et dégage parfois des recettes publicitaires supérieures aux prévisions. Revenir sur son financement de cette manière reviendrait à ce que, quels que soient les efforts fournis, l'entreprise n'en retire aucun bénéfice financier. Vous voulez, ni plus ni moins, décourager toute initiative de France Télévisions pour améliorer ses recettes. C'est dommage.

Avec mes collègues socialistes, nous sommes bien évidemment défavorables à cet amendement, et la sagesse à laquelle s'en remet le Gouvernement appelle un vote défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Gaultier.

M. Jean-Jacques Gaultier. La commission des affaires culturelles n'a pas examiné cet amendement mais il a été tellement évoqué qu'il me semble nécessaire de vous faire part du sentiment qui s'est dégagé de nos travaux.

Je rappellerai au passage que la commission des finances, comme la commission des affaires culturelles, a émis un avis favorable sur le contrat d'objectifs et de moyens le 5 octobre. Si ce COM, sur lequel j'ai travaillé quelques mois en tant que rapporteur d'information, venait à être remis en cause, il me semble, sans pour autant vouloir graver un texte dans le marbre pour plusieurs années, qu'il faudrait travailler plus longuement sur ce sujet, aussi bien sur les recettes et les moyens que sur les objectifs, et avoir le courage de préciser les objectifs sur lesquels on veut revenir partiellement.

La commission des affaires culturelles s'est montrée défavorable à cet amendement qui pourrait entraîner plusieurs effets pervers pour France Télévisions.

Il pourrait tout d'abord la décourager de rechercher des recettes commerciales. Or, il serait dommage de pénaliser la réussite économique d'une entreprise. J'ai moi-même plaidé pour que l'on flèche les éventuels surplus publicitaires, très virtuels au demeurant, soit sur la création - l'aide à l'audiovisuel, au cinéma -, soit sur le numérique - 150 millions iront ainsi au numérique. Quand on sait que la BBC y consacre 300 millions, on réalise que nos chiffres ne sont pas excessifs.

Si je ne souhaite pas que ces éventuels surplus publicitaires viennent abonder des recettes de fonctionnement, il me semble important en revanche de les utiliser pour l'investissement.

Le dispositif que vous proposez réduirait considérablement, voire anéantirait, l'intérêt de développer un pôle commercial sur France Télévisions - rappelons qu'il s'agissait là d'une proposition majeure du groupe de travail constitué au sein de notre commission.

Par ailleurs, cette mesure fausserait totalement la négociation du COM en incitant les deux parties, dès le départ, à surévaluer ou minorer les prévisions de recettes commerciales.

En deuxième lieu, l'amendement nous paraît inutile puisqu'il correspond à la pratique actuelle qui consiste à ajuster chaque année la dotation inscrite en loi de finances initiale afin de tenir compte de la sur-performance publicitaire de France Télévisions. Cela s'est déjà fait en 2009, 2010, 2011. Ces chiffres ne sont pas gravés dans le marbre et des corrections peuvent y être apportées en lois de finances.

Enfin, il ne serait pas pertinent de mettre en place un dispositif pérenne, figé dans le marbre, pour répondre à une situation conjoncturelle d'excédent de recettes publicitaires.

Au nom de tous mes collègues de la commission, nous sommes défavorables à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, rapporteur général.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . J'ai accepté tout à l'heure de retirer mon amendement n° 362 au profit de celui de M. Martin-Lalande. J'ai particulièrement apprécié que le ministre s'en remette à la sagesse de l'Assemblée - c'est ce qui m'a conduit à modifier ma décision.

Lorsque j'ai présenté mon amendement, je n'ai pas voulu donner de chiffres, mais je vais le faire à présent.

L'ensemble des recettes de France Télévisions se montait à 2,7 milliards en 2008. Il approchera des 3 milliards en 2012.

En juillet 2007, les effectifs s'élevaient à 10 500, tous confondus. Ils sont aujourd'hui de 10 300.

Sachant que nous, députés, sommes ici pour défendre l'intérêt général et que nos finances publiques sont au bord du précipice, nous devons impérativement nous poser cette question fondamentale : lorsqu'un euro supplémentaire de recette se dégage, qu'il provienne de la publicité ou d'une taxe au profit du centre national du cinéma, des agences de bassin, de tel ou tel organisme, cet euro doit-il être automatiquement transformé en dépense publique supplémentaire ou doit-il servir à réduire le déficit d'un pays au bord du précipice ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

J'espère que cet amendement, très judicieux et équilibré, sera voté, car il exprime l'intérêt général que nous devons défendre.

Plusieurs députés UMP. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Martine Martinel, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles.

Mme Martine Martinel, rapporteure pour avis. Il faut assumer ou pas la suppression de la publicité. Cet amendement repose sur une logique quelque peu perverse qui pourrait décourager toute recherche de ressources nouvelles.

Poussons le raisonnement jusqu'à l'absurde : pourquoi ne pas faire de même pour toutes les entreprises publiques ayant des ressources propres ?

Voulez-vous vraiment que, dès que France Télévisions dégage des recettes, l'État se désengage ?

Il faut voter contre cet amendement qui a été repoussé en commission.

M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande, rapporteur spécial.

M. Patrice Martin-Lalande, rapporteur spécial. Ce qui me semble pervers, à moi, c'est qu'un dispositif destiné à compenser une perte de recette s'applique de la même façon lorsque la perte est inférieure aux prévisions surtout au moment où, comme l'a très bien dit Gilles Carrez, les finances publiques sont telles que nous devons systématiquement nous demander comment employer au mieux pour notre pays un euro supplémentaire de recettes : pour accroître les actions de France Télévisions ou pour désendetter l'État ?

La perversion n'est pas forcément là où vous le croyez, chère Mme Martinel, mais plutôt du côté de ceux pour qui le désendettement de l'État n'est pas la règle - quitte à poser des exceptions.

Notre amendement tend simplement à attribuer à l'État le bénéfice de recettes supplémentaires par le jeu des compensations, sans interdire de faire de nouveaux efforts, quand ils sont justifiés, par rapport au contrat d'objectifs et de moyens, grâce à un avenant. Il peut être assez rapide de faire un avenant, par une procédure allégée, surtout lorsque l'on sait, au milieu de l'année, où nous en sommes des recettes publicitaires.

Cet amendement va dans le sens d'un respect du contrat et de la priorité accordée au désendettement de l'État. Il est cohérent avec la loi de 2009 et la logique des COM.

M. le président. M. Michel Françaix va nous faire sortir du débat sur la perversité.

M. Michel Françaix, rapporteur pour avis. J'ai l'impression que l'on mélange plusieurs choses. Quand le rapporteur général nous enjoint de faire des économies, même si chacun peut avoir sa propre idée des secteurs sur lesquels il faut économiser et des nouvelles recettes à dégager, nous pouvons entendre son discours. Peut-être qu'au final, en effet, le budget de la culture, ou un autre, devra être réduit de 2 %. Nous le comprenons car nous sommes en période de crise.

Prendre en revanche une telle décision parce que la régie publicitaire a bien travaillé n'a pas de sens. Que lui dirons-nous l'année prochaine ? De se reposer ? Qu'ils seront pénalisés parce qu'ils ont bien fait le travail pour lequel ils étaient payés ?

M. Jean-Pierre Schosteck. Mais non !

M. Michel Françaix, rapporteur pour avis. Cher collègue, vous avez travaillé dans des entreprises privées comme moi et vous savez à ce titre qu'en général il est plutôt positif d'obtenir des résultats !

On pourrait très bien expliquer au contraire au ministre que son budget, trop important, sera réduit de 3 % l'année prochaine. Je ne suis pas sûr qu'il sera d'accord et je ne le serai sans doute pas davantage.

M. Bernard Carayon. C'est de la logique libérale.

M. Michel Françaix, rapporteur pour avis. Cela n'a rien à voir. Quand des gens sont efficaces et obtiennent de l'argent, il n'est pas normal de le leur reprendre. Si vous voulez que demain le service public soit rentable, c'est le contraire qu'il faut faire.

M. Jean-Pierre Schosteck. C'est de l'argent public !

(L'amendement n° 343 est adopté.)