Composition Bureau Compte rendus Rapport               

Composition

Dans sa séance du mercredi 9 février 2005, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration a procédé à la désignation des membres de la mission d'information «  Nouvelle génération de documents d'identité et fraude documentaire  » constituée en son sein.

Ont été désignés :

MM. Nicolas Alfonsi, Philippe Arnaud, Mmes Eliane Asassi, Alima Boumédiene-Thiery, MM. Christian Cointat, Jean-Patrick Courtois, Charles Gautier, Philippe Goujon, Mme Jacqueline Gourault, M. Charles Guené, M. Jean-René Lecerf, Jacques Mahéas, Henri de Richemont, Alex Türk, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Bureau

 Président : M. Charles Guené

Vice-Présidents : MM. Nicolas Alfonsi, Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Alex Türk, Richard Yung

Secrétaires : Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Philippe Goujon

Rapporteur : M. Jean-René Lecerf

Compte rendu

Compte rendu de la semaine du 27 juin 2005

Compte rendu de la semaine du 7 février 2005

Mardi 28 juin 2005

- Présidence de M. Charles Guené, président

Examen du rapport d'information

Après avoir rappelé que la mission d'information, constituée au mois de février dernier, avait pu effectuer un grand nombre d'auditions et de déplacements pour éclairer ses travaux, M. Charles Guené, président, a observé qu'elle avait été d'autant plus intéressante qu'elle n'avait pas été limitée au seul projet de carte d'identité nationale électronique sécurisée (projet INES).

Il a indiqué que le rapport présenté par M. Jean-René Lecerf consistait en une analyse objective des diverses possibilités de titres d'identité sécurisés avec leurs inconvénients et leurs avantages.

Il a souligné que la sécurisation de l'identité était aujourd'hui un enjeu majeur et que les réflexions en la matière ne devaient pas rejeter par principe les progrès techniques comme la biométrie.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a souhaité attirer l'attention sur plusieurs points essentiels de nature à alimenter la réflexion sur le projet de création d'une carte nationale d'identité électronique.

Il a toutefois rappelé que le périmètre de la mission était plus large et portait sur l'ensemble de la chaîne de l'identité et sur les titres valant justificatifs d'identité.

Il a indiqué s'être efforcé de formuler un certain nombre de recommandations consensuelles. En revanche, il lui a semblé préférable de ne pas proposer un système parfait « clés en main », en indiquant que la mission avait souhaité jouer le rôle d'aide à la décision et présenter un inventaire des solutions envisageables, avec leurs avantages et leurs inconvénients.

Il a indiqué qu'il aborderait les quatre points suivants :

- l'état de la fraude documentaire et les suggestions pour la réduire ;

- les différents systèmes biométriques, leurs forces et leurs faiblesses ;

- les fonctions d'authentification à distance et de signature électronique de la carte d'identité ;

- la protection des libertés individuelles et le respect de la vie privée.

Concernant l'évaluation de la fraude, il a fait le constat d'une fraude significative avérée en dépit de l'absence d'une évaluation globale.

Remarquant qu'aucun texte énumérant les documents valant pièce justificative d'identité n'existait, il a indiqué qu'outre la carte d'identité et le passeport, bien d'autres pièces administratives pouvaient être acceptées comme justificatif d'identité, notamment le permis de conduire, la carte du combattant, la carte d'invalidité civile ou militaire, la carte professionnelle ou le permis de chasse. Il a noté que le faible niveau de protection de ces documents ne saurait surprendre, dans la mesure où ces pièces ont été créées pour d'autres fonctions que la preuve de l'identité de leur titulaire.

Il a expliqué que la fraude aux titres d'identité constituait le plus souvent un sas pour commettre d'autres infractions telles que l'ouverture d'un compte bancaire sous une fausse identité, l'entrée et le séjour irrégulier sur le territoire français ou des activités terroristes.

Il a ensuite affirmé que le caractère lucratif de cette activité criminelle avait favorisé le développement d'une véritable industrie de production de faux papiers employant des instruments perfectionnés.

Bien que par nature difficiles à évaluer, il a jugé que la réalité et l'importance du phénomène ne pouvaient être contestées au vu des informations recueillies par la mission.

Il a notamment indiqué que toutes pièces confondues, le ministère de l'intérieur avait relevé le vol de 84.464 titres vierges (passeports, permis de conduire, cartes grises, visas...) dans les préfectures ou lors de leur transport entre 1999 et 2004.

Citant d'autres chiffres, il a relevé que 11.603 porteurs de faux documents avaient été interpellés en 2003 par les agents de la police aux frontières et que 2.835 fausses cartes d'identité avaient été interceptées par ces mêmes services en 2002. Enfin, il a indiqué que plus de 90.000 passeports avaient été déclarés perdus ou volés par leurs titulaires entre 1999 et 2004 et que 527.000 cartes d'identité avaient été déclarées perdues ou volées pour la seule année 2003.

Considérant que le coût de cette fraude documentaire restait largement ignoré, il a toutefois souligné que pour la seule RATP, les pertes dues aux infractions non recouvrées en raison d'une usurpation d'identité s'élevaient en 2003 à 15 millions d'euros.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a expliqué que la fraude documentaire exploitait les faiblesses de chaque maillon de la chaîne de l'identité et que la fraude à l'identité était souvent en amont une fraude à l'état civil. Il a ajouté que cette fraude permettait d'obtenir de vrais titres d'identité au moyen de pièces justificatives fausses ou obtenues indûment.

Il a enfin noté la validité incertaine des actes de l'état civil établis à l'étranger, les actes irréguliers, falsifiés ou inexistants représentant plus de 60 % des actes présentés aux agents diplomatiques et consulaires de certains pays d'Afrique.

Il a estimé qu'il était encore trop tôt pour apprécier l'impact de la modification de l'article 47 du code civil par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration sur ce type de fraude.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a ensuite proposé une série de solutions simples pour réduire la fraude :

- confier à l'Observatoire national de la délinquance la mission d'élaborer un outil performant d'évaluation de la fraude à l'identité ;

- renforcer la formation et l'équipement des agents chargés du contrôle de premier degré. Il a indiqué que la mission avait appris que certaines sécurités des titres d'identité étaient inutiles pour la vérification de leur régularité, faute de matériel adapté pour les exploiter dans les services de police et les préfectures ;

- intensifier la coopération internationale, en particulier avec Interpol ;

- créer un fichier centralisé des titres d'identité délivrés précisant leur statut (valide, perdu ou volé) ;

- centraliser la production des passeports sur un site unique.

Par ailleurs, le répertoire national d'identification des personnes physiques tenu par l'INSEE pourrait être utilisé pour vérifier l'exactitude des informations relatives à l'état civil fournies par les demandeurs de titres et pour éviter ainsi la délivrance indue de copies intégrales et extraits d'actes de l'état civil ;

La délivrance de la carte nationale d'identité devrait également être assujettie au paiement d'une somme, même modique, et des pénalités devraient être instituées pour le renouvellement d'un titre d'identité en cas de vols ou de pertes répétés.

Enfin, la carte d'identité et le passeport devraient être retenus comme les seuls documents valant justificatif d'identité pour l'ensemble des démarches administratives tant que d'autres documents, notamment le permis de conduire, n'offrent pas un niveau de sécurité équivalent.

Concernant les différents systèmes biométriques, il a expliqué leurs forces et leurs faiblesses.

Il a tout d'abord rappelé que les données biométriques étaient de plusieurs types : morphologie du visage, empreintes digitales ou palmaires, forme de la main, reconnaissance de l'iris, empreintes génétiques, dessin du réseau veineux de la main, voire cartographie intracorporelle comme celle des circonvolutions du cerveau.

Toutefois, il a précisé que les empreintes digitales étaient les seules à bénéficier d'un siècle d'expérience.

Après avoir remarqué que la police scientifique restait le principal champ d'utilisation de la biométrie, il a expliqué que ces techniques tendaient à se diffuser dans de nouveaux domaines.

Avec le projet INES annoncé par le ministre de l'intérieur, il a estimé que la carte nationale d'identité changerait de nature en recourant à un usage intensif de la biométrie pour garantir l'identité des citoyens. Il a déclaré que l'alternative majeure résidait dans le type de biométrie qui serait choisi : une biométrie pour authentifier ou une biométrie pour identifier.

Il a expliqué que la biométrie pour authentifier consistait en une recherche dite « un contre un », visant à prouver que le porteur d'un titre en est le titulaire légitime.

Il a distingué trois solutions permettant d'améliorer la qualité de l'authentification :

- une carte à puce biométrique sans fichier central ;

- une carte à puce biométrique avec un fichier unidirectionnel dans le sens identité vers biométrie ;

- une carte à puce biométrique avec un fichier central dit à « liens faibles ».

Dans le premier cas, il a indiqué que si les empreintes digitales figuraient sur la puce, l'on pourrait être assuré que la personne qui présente la carte est bien celle à qui elle a été délivrée.

Toutefois, il a précisé que cette utilisation de la biométrie ne permettrait pas d'assurer l'unicité de l'identité lors de la délivrance du titre, un même individu pouvant toujours disposer d'identités multiples.

Dans le deuxième cas, il a expliqué qu'il était possible, à partir de l'identité d'une personne de retrouver ses données biométriques, l'inverse étant impossible. Il a jugé que, par rapport au modèle précédent, sans fichier, ce modèle présentait trois avantages :

- si la carte à puce est muette (titre imité ou altéré), l'identité du porteur peut être vérifiée en sélectionnant son identité dans la base, puis en comparant ses empreintes avec celles contenues dans la base biométrique correspondant à l'identité affichée ;

- le renouvellement d'une carte est simplifié et sécurisé en sélectionnant par l'identité pour obtenir une caractéristique biométrique que l'on compare à celle du porteur ;

- l'unicité de l'identité est assurée à l'occasion de la délivrance du titre. En effet, si l'individu a un titre sous une autre identité, ses données biométriques sont déjà enregistrées dans la base et le système le détecte. Certes, il n'est pas possible de savoir quelle est cette autre identité, mais la tentative d'usurpation d'identité est révélée.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a estimé que bien que protecteur des libertés ce système préservait la possibilité technique de rétablir des liens en clair entre la base d'identité et la base de données biométriques.

Dans le troisième cas, il a expliqué qu'à la différence de l'hypothèse précédente où le nombre de liens entre les deux bases -base d'identité et base biométrique- est équivalent au nombre de personnes enregistrées dans la base, ce modèle réduisait le nombre de liens pour qu'à chaque valeur de lien corresponde par exemple dix mille ou cent mille entrées. Il a mis en exergue le fait que, dans ces conditions, il n'était plus possible de connaître la donnée biométrique d'une personne à partir de son identité, ni d'identifier une personne à partir d'une donnée biométrique.

Il a tenu à attirer l'attention sur ce système garantissant à la fois l'anonymat -car le choix est irrévocable et le rétablissement des liens en clair est impossible- et l'unicité de l'identité. Il a indiqué qu'en effet un fraudeur qui tenterait d'usurper une identité aurait, dans cet exemple, une chance sur 100 ou sur 1.000 que ses données biométriques se soient vu attribuer la même valeur de lien que celle des données biométriques de la personne dont il tente d'usurper l'identité.

Il a déclaré que si l'on devait s'orienter vers une biométrie pour authentifier, une étude exhaustive de ce modèle s'imposerait.

Il a ensuite expliqué que la biométrie pour identifier répondait à une autre logique, puisqu'elle consistait à comparer des données biométriques anonymes avec celles contenues dans la base afin de retrouver l'identité de la personne dans une recherche dite « un contre n ».

Il a signalé que, si les systèmes d'identification assuraient l'unicité de l'identité, ils permettaient aussi d'autres utilisations, étrangères à la simple gestion de la délivrance d'un titre d'identité, notamment :

- l'identification d'un amnésique, d'une personne désorientée, en fugue ou disparue, ou de cadavres, notamment en cas de catastrophe naturelle majeure ;

- l'identification d'une personne refusant de donner son identité lors d'un contrôle ;

- l'identification d'une personne à partir de traces retrouvées sur une scène de crime.

In fine, il a jugé que l'ensemble de ces systèmes biométriques, à l'exception du système sans fichier central, procurait une sécurité importante en éliminant l'usurpation d'identité et les risques d'alias (d'identités multiples), et pouvait donc justifier le coût supplémentaire lié à la biométrie.

Toutefois, M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a averti que pour une mise en place réussie d'un titre d'identité biométrique, des précautions étaient nécessaires.

Il a souligné qu'il convenait notamment :

- de ne pas abandonner les sécurités traditionnelles permettant une première authentification du titre en l'absence de l'équipement nécessaire à l'exploitation de la biométrie ;

- d'utiliser au moins deux éléments biométriques, à la fois pour prendre en compte des populations particulières -personnes aux doigts coupés, ayant travaillé le ciment, ou ayant les doigts abîmés par des acides- et faire face aux risques d'erreurs qui ne peuvent que s'accroître lors de la prise en compte de populations très nombreuses ;

- de maintenir une présence humaine tant dans la phase essentielle d'enrôlement des données que dans le fonctionnement du système afin de faciliter l'acceptation de la biométrie.

En outre, il a déclaré que la durée de validité des titres d'identité devrait être ramenée de dix à cinq ans, en raison de la fragilité de la cryptographie au-delà de cette période comme de la performance de la résistance aux attaques extérieures ou simplement de l'usure de la puce.

Il a également estimé difficile de ne pas rendre obligatoire la carte si était mis en place un système d'identification permettant d'autres usages que la simple sécurisation de la délivrance des titres.

Enfin, avec le passage à un titre biométrique, il a douté que les 36.000 communes de France puissent demeurer les lieux de dépôt des demandes et de réception des titres, pour des raisons à la fois techniques -la formation des personnels chargés de relever les données biométriques de la personne- et financières -le coût des capteurs, des équipements informatiques et du déploiement du réseau.

Il a ajouté que si l'on s'orientait vers l'équipement d'au moins 340 sites, soit un par arrondissement, l'Association des maires de France avait exprimé le souhait très clair, par l'intermédiaire de son bureau et de son président, de rendre l'ensemble de cette compétence à l'Etat en la confiant aux sous-préfectures.

Concernant l'usage possible de titres d'identité électronique afin de sécuriser les échanges sur l'Internet, il a rappelé que l'administration électronique constituait l'un des leviers essentiels de la réforme de l'Etat.

Il a ajouté que le projet de doter une carte nationale d'identité électronique de fonctions d'authentification à distance et de signature électronique pour des usages d'abord orientés vers l'administration électronique, mais potentiellement extensibles au commerce électronique lorsqu'il est nécessaire de prouver son identité ou de signer un contrat, s'inscrivait dans ce cadre. Il a déclaré que l'Etat pourrait ainsi garantir l'identité des citoyens dans le monde virtuel comme dans le monde réel.

Par ailleurs, il a indiqué que cette offre de nouveaux services aurait la faveur des trois quarts des Français selon un sondage réalisé en 2002 à la demande du Forum des droits sur l'Internet et pourrait justifier le caractère payant de la carte.

Toutefois, il a expliqué que de tels projets se heurteraient à des objections de principe, certains considérant que la carte nationale d'identité doit exclusivement servir à prouver son identité, d'autres n'admettant l'intégration des fonctions d'authentification qu'à la stricte condition d'en limiter l'utilisation à la sphère publique, c'est-à-dire à l'administration électronique.

En tout état de cause, M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a jugé que plusieurs conditions devaient être respectées avant de développer ces virtualités, parmi lesquelles :

- ne pas entraîner une augmentation des inégalités. Un document équivalent devrait être délivré aux étrangers et l'accès au haut débit et à l'administration électronique devraient être disponibles sur l'ensemble du territoire ;

- ne pas conduire à une remise en cause de la possibilité d'échanges électroniques anonymes, les exigences de sécurité technique devant être modulées en fonction de la nature des échanges ;

- ne pas conduire à la mise en place d'un identifiant unique par les administrations, ni à une éviction des entreprises privées du marché de la certification.

In fine, il a estimé que, s'il était souhaitable d'utiliser ces fonctions dans la sphère publique, les risques afférents à la possibilité d'utiliser la carte électronique pour des transactions privées l'amenaient à exprimer de réelles réticences sur cette éventualité.

Enfin, concernant les garanties nécessaires à la préservation des libertés individuelles et au respect de la vie privée, il a tout d'abord rappelé qu'un titre d'identité électronique était soumis à l'ensemble des règles constitutionnelles ou conventionnelles relatives à la protection des données personnelles, dès lors qu'il était adossé à un traitement automatisé ou qu'il permettrait d'échanger des données à distance. Il a ajouté que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) n'avait pas adopté une position de principe de refus de collecte de toute donnée biométrique, mais qu'elle s'opposait à tout projet disproportionné au regard de ses finalités. Par ailleurs, il a précisé qu'elle considérait que les empreintes digitales présentaient un niveau de risque plus élevé que les biométries dites « sans trace », comme la reconnaissance de l'iris.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a attiré l'attention sur la nécessité de définir précisément les objectifs assignés à un système de traitement automatisé des données biométriques avant de définir les choix techniques, notamment entre une fonction d'authentification ou d'identification.

En outre, à supposer que le titre d'identité électronique soit rendu obligatoire, il lui a semblé que le débat devrait moins se focaliser sur la création ou non d'un fichier de population, qui existe par ailleurs déjà au travers du RNIPP (Répertoire national d'identification des personnes physiques), même si ce dernier est principalement utilisé à des fins statistiques, que sur les conditions et les limites de son utilisation.

Ainsi, il a estimé que si le choix se portait vers un système de base de données ne permettant pas de retrouver l'identité d'un individu à partir d'empreintes digitales, l'encadrement d'un tel fichier poserait peu de difficultés. En revanche, si le choix se portait vers un fichier d'identification forte, il a déclaré que des précautions techniques et juridiques seraient à prendre.

Techniquement, il a indiqué que les données biométriques choisies ne devraient pas excéder ce qui est strictement nécessaire à la bonne exécution de la finalité première, c'est-à-dire garantir l'unicité, le respect du principe de proportionnalité requérant cette précaution.

Juridiquement, il a estimé indispensable d'arrêter précisément les circonstances et raisons qui justifieraient l'utilisation du fichier à des fins d'identification.

Il a proposé qu'à chacune des utilisations éventuelles correspondent des garanties adaptées : autorisation d'un magistrat pour toute consultation du fichier à des fins d'identification, contrôle systématique du bien-fondé des consultations par un organisme indépendant, notamment s'il s'agit de consultation par des services en charge de la défense des intérêts fondamentaux de l'Etat à des fins de renseignement. Il a estimé que la CNIL serait toute désignée pour remplir cet office, à la seule condition impérative du renforcement significatif de ses moyens, aujourd'hui inférieurs de plus de moitié à ceux de ses homologues européens.

Surtout, M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a souhaité que le passage à un titre électronique soit l'occasion d'innover en matière de respect de la vie privée et de protection des données personnelles. En effet, grâce à l'authentification à distance, il a déclaré que chaque personne devrait pouvoir accéder en ligne, en permanence et immédiatement, à l'ensemble de ses données personnelles, ainsi qu'à l'historique des consultations de ces données. Il a expliqué qu'il en résulterait un renversement des rapports de force faisant de chaque individu le gendarme de ses propres données. Reprenant l'expression de l'un des interlocuteurs de la mission, il a expliqué que « Big Brother » serait désormais surveillé par des millions de personnes.

Concluant son intervention, il a avoué avoir été directement confronté à la recherche de l'équilibre entre la protection des libertés individuelles et la sécurité de l'identité.

Il a expliqué que deux réflexions avaient guidé son travail.

D'une part, il a rappelé que sécuriser l'identité n'était pas antinomique de la sauvegarde des libertés, puisque protéger l'identité d'un individu était aussi protéger les droits attachés à sa personne, que ce soit le droit de propriété ou la liberté d'aller et venir.

D'autre part, il a appelé ses collègues à se garder de sacrifier la liberté au nom de la sécurité et à rester conscient qu'un système parfait n'existait pas. Il a jugé que l'objectif raisonnable que les autorités publiques devaient se fixer était de contenir la fraude dans des proportions acceptables en évitant les solutions excessives qui pourraient conduire à transformer un système d'identité en un système de contrôle et de police. Toutefois, il a déclaré qu'un droit à la dissimulation de l'identité invoqué par certains interlocuteurs de la mission au nom de la période de Vichy, était difficilement admissible dans un Etat de droit.

Enfin, il a indiqué que la rencontre entre biométrie et informatique démultipliait la puissance de cette technique d'identification et contribuait à faire du dossier INES un projet majeur de ce début du XXIe siècle. Il a déclaré que la qualité du débat qui s'était instauré, tant avec des citoyens initiés qu'avec le grand public, notamment dans le cadre du Forum des Droits sur l'Internet, la volonté gouvernementale d'approfondir, à la lumière de ce débat, ses réflexions sur le projet INES, la continuité de ce dossier avec le titre fondateur que souhaitait mettre en place le gouvernement de M. Lionel Jospin, permettaient d'espérer aboutir à des solutions largement consensuelles.

Après avoir remercié le rapporteur pour la qualité de son travail, M. Richard Yung a souligné qu'il reflétait les diverses opinions exprimées par les personnes entendues.

Il a salué la démarche consistant à présenter différents « scénarii » de sécurisation des titres d'identité en relevant leurs imperfections et leurs atouts, dans un contexte où les contours du projet INES restent incertains et où les interrogations de l'opinion sont nombreuses, comme l'ont reflété les débats organisés par le Forum des droits sur l'Internet.

Constatant la fragilité de la chaîne de l'identité, il a indiqué qu'elle résultait pour une grande part d'une fraude importante à l'état civil. Observant que la CNIL devra se prononcer sur la nécessité d'un fichier central pour sécuriser la délivrance des cartes d'identité avant toute décision du Gouvernement en la matière, il a exprimé des réserves sur la pertinence de la création d'un tel fichier. Il s'est en outre interrogé sur la fiabilité technique d'un éventuel fichier central comprenant les données biométriques de tous les Français.

Il s'est en revanche déclaré plutôt intéressé par un système de carte d'identité à puce biométrique sans fichier central afin de permettre l'authentification d'une personne. Il a estimé que la création prochaine d'un passeport biométrique répondait au souci du gouvernement américain de mieux contrôler l'accès à son territoire et s'est interrogé sur les marges de manoeuvre de la France en la matière.

Rejoignant les propos du rapporteur sur les conséquences probables de la mise en place d'une carte d'identité électronique sur les pouvoirs des maires, il a également rappelé que la question de son caractère payant était posée.

Il a indiqué qu'il avait récemment constaté au Royaume-Uni l'intensité des débats relatifs à l'instauration d'une carte nationale d'identité. Il a souligné que 150 à 200 millions d'euros avaient déjà été investis par le gouvernement britannique pour financer les infrastructures nécessaires à ce projet, alors que ce dernier n'était pas encore adopté.

M. Charles Guené, président, a noté que la discussion en cours au Royaume-Uni sur la pertinence d'une carte d'identité obligatoire et payante aurait été impossible il y a quelques années et qu'elle résultait des nouvelles attentes de l'opinion en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a souligné qu'il avait souhaité éclairer les choix à venir pour améliorer la protection de l'identité en présentant les différentes solutions, tout en insistant sur la nécessité de définir au préalable avec soin les objectifs visés.

Il a observé que la dématérialisation de l'état civil en France apparaissait au premier abord comme une solution séduisante pour lutter contre la fraude mais qu'elle n'était pas envisagée dans l'immédiat, principalement pour des raisons de coût. Toutefois, il a estimé que des titres d'identité biométrique avec un fichier central régleraient une partie des problèmes liés à l'état civil.

Il a également indiqué que le relevé de plusieurs points sur les empreintes digitales permettait d'identifier des populations de plusieurs dizaines de millions de personnes.

Il a estimé qu'un système de cartes d'identité à puce biométrique avec un fichier central dit à « liens faibles » pour lutter contre les fausses identités, tout en garantissant l'anonymat et la protection des données de leurs titulaires, présentait un grand intérêt. Il a demandé à M. Richard Yung si un tel système pourrait lui convenir.

Enfin, il a indiqué que la gratuité de la carte nationale d'identité depuis 1998 avait contribué à une augmentation exponentielle des pertes et vols de documents et qu'une carte d'identité payante, au prix de dix euros par exemple, responsabiliserait sans doute leurs titulaires.

Mme Alima Boumediene-Thiery a estimé que l'instauration d'une carte d'identité électronique obligatoire et payante pourrait poser de réelles difficultés aux personnes à faibles revenus et que ces dernières devraient être exonérées du paiement des cartes.

Elle a remarqué que la faculté de transmission directe d'actes de l'état civil entre administrations pourrait être transformée en obligation afin d'améliorer la lutte contre la fraude à l'état civil.

Elle a considéré que les procédures d'authentification envisagées ne devaient pas amener l'enrôlement des données biométriques d'enfants en bas âge.

Exprimant sa réticence à l'égard de la constitution éventuelle d'un fichier central des titulaires de carte d'identité, elle a souligné la nécessité pour ces derniers d'avoir accès à leurs données et de pouvoir les rectifier si un tel système était institué.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a constaté que le débat sur la gratuité de la carte nationale d'identité n'était pas totalement pertinent. A cet égard, il a rappelé que la production et la délivrance des cartes actuelles représentent un coût annuel de 180 à 190 millions d'euros, l'existence d'une carte nationale d'identité engendrant des coûts payés par les contribuables ou les usagers. Il a souligné l'importance de la responsabilisation de ces derniers en prévoyant le paiement d'une somme modique à la première délivrance, puis des pénalités en cas de perte.

Il a rejoint les propos de Mme Alima Boumediene-Thiery sur la possibilité de maintenir la gratuité pour des usagers ayant de faibles revenus.

Il a insisté sur la pertinence de la transmission directe des actes de l'état civil entre administrations pour supprimer toute intervention du demandeur.

Evoquant les légitimes inquiétudes exprimées quant aux éventuelles consultations abusives de données personnelles dans l'hypothèse d'un système de carte biométrique avec un fichier central, il a précisé que le droit pour toute personne d'accéder en ligne et immédiatement à ses données personnelles, de demander à les rectifier et de prendre connaissance des consultations passées de ses données devrait être garanti, comme en Belgique.

M. Charles Guené, président, a indiqué que le coût des titres d'identité sécurisés devrait varier selon les hypothèses choisies et les fonctions conférées à ces titres. Il a rappelé que le relevé des données biométriques concernerait les Français de plus de dix-huit ans selon les textes préparatoires du Gouvernement au projet de loi INES.

M. Philippe Goujon a félicité le rapporteur pour la clarté et la sagesse de ses recommandations sur un sujet délicat. Il a noté qu'elles constituaient un bon équilibre entre la protection des libertés individuelles et de la vie privée et les nécessités impérieuses de la sécurité.

Attirant l'attention de la mission sur la nécessité de renforcer les moyens de lutte contre la fraude à l'état civil, il a estimé que le rétablissement du paiement de la carte nationale d'identité par l'usager était pertinent pour limiter les négligences et les fraudes.

Soulignant que la carte d'identité ne devait pas être considérée par son titulaire comme un produit de consommation courante, il a considéré que le maintien de la gratuité pouvait être envisagé pour certaines populations défavorisées et qu'une échelle de pénalités pourrait être prévue en cas de perte.

Il a constaté que les techniques de puce sans contact posaient de réelles difficultés au regard de la protection des libertés individuelles et qu'il convenait d'y être très attentif.

Enfin, il a souligné que les exigences des autorités américaines relatives à la sécurisation des passeports étrangers lui semblaient fondées au regard des risques terroristes.

Mme Alima Boumediene-Thiery a voulu connaître la position du rapporteur sur l'insertion éventuelle d'informations médicales et sociales dans un titre d'identité sécurisé.

M. Charles Guené, président, a souligné que l'efficacité de la transmission directe des actes de l'état civil entre administrations nécessiterait d'importants efforts pour mettre fin aux inégalités d'accès aux réseaux informatiques et pour sécuriser les échanges électroniques.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a rejoint les propos de M. Philippe Goujon sur l'usage de puces sans contact dans les titres d'identité, précisant qu'il estimait prématuré le recours à cette technique faisant l'objet de multiples interrogations au regard de la protection des libertés individuelles.

Rappelant que le coût de la dématérialisation éventuelle de l'état civil était estimé à environ 2 milliards d'euros, il s'est déclaré favorable à une solution alternative garantissant la fiabilité des données de l'état civil fournies par un demandeur de titre qui consisterait à interroger le répertoire national d'identification des personnes physiques tenu par l'INSEE. Il a précisé que l'INSEE devrait seulement confirmer que les données fournies par le demandeur sont conformes à celles contenues dans le répertoire.

Enfin, il a indiqué que la carte nationale d'identité ne devait pas contenir de données médico-sociales.

Après avoir remercié les membres présents de la mission pour leur assiduité, M. Charles Guené, président, a invité les sénateurs qui le souhaitaient à déposer avant la fin de la semaine leurs contributions éventuelles.

Au terme d'un échange de vues, la mission a adopté à l'unanimité des membres présents l'ensemble du rapport, puis son titre « Identité intelligente et respect des libertés ».


Constitution du Bureau :
Réunie le mercredi 9 février 2005, la mission d'information a procédé à la désignation de son Bureau qui est ainsi constitué : Président : M. Charles Guené, Vice-Présidents : M. Nicolas Alfonsi, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, M. Alex Türk, M. Richard Yung, Secrétaires : Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Philippe Goujon, Rapporteur : M. Jean-René Lecerf.