Mardi 13 décembre 2005

- Présidence de M. Georges Othily, président -

Audition de M. Patrick Delouvin, responsable des questions relatives aux réfugiés

La commission a tout d'abord entendu M. Patrick Delouvin, responsable des questions « réfugiés » d'Amnesty international.

M. Patrick Delouvin a exposé qu'Amnesty international s'opposait au renvoi de toute personne vers un pays où elle risque de subir des violations de ses droits fondamentaux, mais reconnaissait le droit pour les Etats de contrôler l'accès à leur territoire. Il a toutefois indiqué que ceux-ci devaient respecter les engagements qu'ils avaient pris dans le cadre des textes internationaux de protection des droits de l'homme et des droits des réfugiés, citant plus particulièrement le principe de non-refoulement inscrit dans la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951. Il a également rappelé les principaux textes de droit international destinés à assurer la protection des immigrants.

Il a indiqué qu'Amnesty international menait des actions afin que la France signe et ratifie la convention internationale du 18 décembre 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille, qui permettait une protection tant des immigrants réguliers que des immigrants irréguliers.

Il a rappelé l'importance des articles 31 et 33 de la convention de Genève relative au statut des réfugiés, à laquelle la France est partie, qui prévoient d'une part, l'interdiction des sanctions pénales pour l'entrée ou le séjour irrégulier des immigrants et, d'autre part, le non-refoulement des réfugiés sur les frontières des territoires où leur vie serait menacée en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques.

Il a souligné également le respect dû aux stipulations de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, aux termes duquel l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale pour toute décision le concernant, indiquant que ces stipulations devraient conduire, selon l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), à faire bénéficier les mineurs étrangers isolés d'une admission sans condition sur le territoire français.

Il a en outre évoqué l'article 3 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, qui interdit aux Etats parties d'expulser, de refouler ou d'extrader une personne vers un autre Etat où il y a des motifs de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. Il a précisé que dans son troisième rapport périodique sur la France, le Comité contre la torture s'était dit préoccupé en particulier par le caractère expéditif de la procédure prioritaire d'examen des demandes déposées aux frontières ou dans les centres de rétention qui ne permettrait pas une évaluation des risques visés à l'article 3 de cette convention.

Evoquant les accords négociés au sein du Conseil de l'Europe, M. Patrick Delouvin a rappelé que la France était soumise aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale du 4 novembre 1950, soulignant que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe avait considéré que la procédure accélérée créait des risques de refoulement et de refus d'accès à des garanties de procédure minimales. Il a mis en exergue le fait que M. Alvaro Gil Roblès, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe avait considéré qu'en France les centres de rétention étaient loin de respecter la dignité humaine et avait craint que de vrais demandeurs d'asile puissent se voir renvoyer vers leur pays d'origine du fait qu'il n'aurait pu rédiger leur demande en français, faute de pouvoir trouver et rémunérer un interprète.

Il a indiqué qu'Amnesty international appelait également la France à signer et à ratifier la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains du 3 mai 2005, précisant que ce texte comportait deux mesures de protection applicables aux immigrants, même irréguliers : le respect d'un délai de rétablissement et de réflexion d'au moins 30 jours, ainsi que la délivrance d'un permis de séjour aux personnes coopérant avec les autorités dans le cadre d'une enquête ou d'une procédure pénale.

S'agissant des mesures adoptées dans le cadre de l'Union européenne, M. Patrick Delouvin a regretté que la priorité soit donnée à la lutte contre l'immigration clandestine et au contrôle aux frontières plutôt qu'à la protection des personnes en quête d'une protection. Il a souligné la progression de la coopération intergouvernementale dans ce domaine, notamment avec la création du G5, au détriment de l'intégration européenne et sans regard démocratique. Il a précisé que des travaux très importants étaient en cours au niveau européen afin d'assurer une gestion contrôlée de l'immigration aux frontières extérieures de l'Union, ce qui conduisait à faire baisser le nombre des demandes d'asile de 700.000 à 300.000.

Il a relevé que la politique européenne en matière d'immigration était marquée par un déséquilibre entre la nécessaire protection de l'étranger et l'accroissement du contrôle aux frontières, ce qui a conduit à la création de l'Agence des frontières extérieures de l'Union européenne en octobre 2004, à l'établissement d'un réseau d'officiers de liaison « immigration » dans les pays tiers, au renforcement des moyens d'interception en mer et au développement des accords de réadmission avec les Etats tiers. Il a observé que ces mesures restreignaient l'accès aux procédures d'asile et incitaient les étrangers à utiliser des filières d'immigration clandestine.

M. Patrick Delouvin a insisté sur le fait que l'Union européenne avait accentué l'externalisation de l'asile, dans la mesure où elle incitait les Etats tiers d'origine des immigrants à combattre eux-mêmes l'immigration clandestine et à renforcer les moyens de surveillance des frontières. Il a souligné que le contrôle de l'immigration avait été, en quelque sorte, « déporté » vers les pays tiers et que l'Union européenne encourageait l'examen des demandes d'asile hors de son propre territoire. Il a craint que le souhait, émis par la Commission européenne, que l'Union européenne contribue à la mise en place dans certains pays tiers de procédures d'asile, à l'amélioration des conditions d'accueil des réfugiés et à l'enregistrement de ces derniers, ne conduise les Etats membres à refuser d'accepter d'examiner eux-mêmes les demandes d'asile qui leur seraient ensuite soumises.

Il a par ailleurs craint que le système institué par le règlement Dublin II faisant porter à l'Etat membre sur le territoire duquel l'étranger a pénétré la première fois sur le territoire de l'Union européenne la responsabilité de l'examen de la demande d'asile ne conduise les Etats membres à renforcer leurs contrôles aux frontières. Il a estimé que la directive relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié risquait de créer de nouvelles catégories de déboutés du droit d'asile, ce dont le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés s'était inquiété.

Evoquant la législation française sur les étrangers, M. Patrick Delouvin a souligné les risques de voir un étranger renvoyé dans son pays d'origine avant d'avoir pu accéder à la procédure d'asile, soulignant que des étrangers entrés de manière irrégulière en France et contrôlés avant d'avoir pu demander l'asile, voyaient leur demande traitée selon la procédure prioritaire qui emportait l'absence de titre de séjour et de droits sociaux, la suppression du caractère suspensif du recours devant la Commission des recours des réfugiés ainsi que le traitement de la demande d'asile par l'OFPRA en 15 jours. Il a ajouté que ces étrangers étaient en général placés en rétention administrative et privés du droit à un interprète.

Il a observé que des étrangers pouvaient se trouver en situation irrégulière en France du fait de l'application du règlement Dublin II, soit en raison du rejet de leur demande d'asile dans un autre Etat membre sur le territoire duquel ils avaient accédé au territoire communautaire, soit en raison de leur hésitation à déposer une demande d'asile en France de peur d'être empêchés de se rendre dans un autre Etat membre pour y rejoindre leur famille ou leur communauté.

M. Patrick Delouvin a enfin souligné que des étrangers pouvaient se trouver en situation irrégulière, dans la mesure où leur demande d'asile avait été rejetée en raison de la précarité dans laquelle ils vivaient et des nouveaux obstacles juridiques liés à la réforme du droit d'asile. Il a évoqué le cas de certains demandeurs attendant parfois quatre ans pour obtenir le statut de réfugié à la suite du rejet de leur demande d'asile par l'OFPRA, du rejet de leur recours par la Commission des recours des réfugiés puis du réexamen positif de leur demande par cette dernière.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, ayant souhaité savoir si Amnesty international avait des observations particulières sur l'immigration clandestine dans les départements et collectivités d'outre-mer, M. Patrick Delouvin a souligné la diversité des situations rencontrées, évoquant en particulier le cas des immigrants Haïtiens en Guadeloupe et en Guyane, souvent privés de la possibilité de demander l'asile. Il a toutefois reconnu que des tentatives pour améliorer l'accès des demandeurs d'asile étaient en cours, en particulier grâce au renforcement de la présence de l'OFPRA en Guadeloupe.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, ayant demandé quelles étaient les conditions de vie des demandeurs d'asile en France, M. Patrick Delouvin a constaté que les moyens de l'Etat en faveur de l'hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) avaient fortement progressé mais restaient insuffisants, de nombreux demandeurs d'asile n'y étant pas accueillis et bénéficiant seulement d'une allocation mensuelle de 300 € pour une durée d'un an, alors que la procédure d'asile dépassait en général cette durée. Il a relevé qu'en 2004, seuls 10 % des demandeurs d'asile adultes avaient pu être hébergés en CADA. Il a souligné que l'accès aux centres provisoire d'hébergement restait également difficile, leur nombre n'ayant pas augmenté depuis de nombreuses années. Il a estimé que les demandeurs hébergés en CADA avaient statistiquement plus de chance de voir leur demande acceptée, puisqu'environ 60 % d'entre eux obtenaient le statut de réfugié.

M. Louis Mermaz a souhaité connaître, d'une part, les conditions dans lesquelles Amnesty international était saisi par les demandeurs d'asile et intervenait à leur côté et, d'autre part, les effets concrets de son action.

M. Patrick Delouvin a indiqué qu'Amnesty international comportait environ 20.000 militants regroupés en 380 groupes locaux, mais qui n'avaient pas pour seul objet la protection et l'aide des demandeurs d'asile. Il a souligné que l'association intervenait, selon les cas et les besoins, au niveau de l'OFPRA, des préfectures, de la Commission des recours des réfugiés ou des ministères concernés, l'une des modalités d'intervention de cette association consistant également à alerter les pouvoirs publics et la société civile sur certaines situations. Il a insisté sur le fait que l'association travaillait non seulement au plan local ou national, mais également au niveau européen. Il a réitéré sur ce point ses craintes sur l'externalisation de l'asile par l'Union européenne, évoquant en particulier les accords conclus avec la Libye et le Maroc. Il a estimé que le « taux de réussite » de l'intervention d'Amnesty international restait néanmoins insuffisant.

Mme Alima Boumediene-Thiery a insisté sur la nécessité d'accompagner les demandeurs d'asile dans leurs démarches, rappelant que l'association France Terre d'asile avait indiqué lors de son audition par la commission d'enquête que près des trois-quarts des demandeurs ayant fait l'objet d'un accompagnement se voyaient accorder le statut de réfugié. Elle a demandé si les droits des demandeurs n'avaient pas été réduits par la mise en oeuvre de mesures de contrôles plus stricts, telles que les contrôles en sortie d'avion.

M. Patrick Delouvin a précisé qu'Amnesty international avait parfois dû alerter la Commission des droits de l'homme du Conseil de l'Europe sur certaines situations difficiles créées par ces nouvelles procédures. Il a remarqué la baisse très importante des demandes d'asile aux frontières extérieures, passées de 10.000 en 2002 à environ 2.000 en 2005.

Il a expliqué que cette baisse provenait du renforcement des obstacles à l'accès des étrangers à l'asile, résultant en particulier des contrôles opérés par les officiers de liaison « immigration » lors de l'embarquement dans les pays de provenance. Il a cité l'exemple du Burkina Faso, où ces officiers contrôlaient les personnes après les contrôles effectués par les autorités locales de police. Il a également évoqué les sanctions qui pouvaient être prononcées par les transporteurs ayant permis l'entrée irrégulière d'étrangers sur le territoire national, les contrôles « en porte d'avion » à Roissy, ainsi que l'absence d'application systématique du « jour franc » qui permettait l'éloignement des étrangers quelques heures seulement après leur arrivée sur le territoire.

M. Christian Demuynck a souhaité connaître la proportion des demandeurs d'asile qui risquaient, de retour dans leur pays d'origine, d'être soumis à des dangers.

M. Patrick Delouvin a expliqué que la question était de savoir combien de demandeurs d'asile déboutés étaient effectivement renvoyés dans leur pays d'origine, indiquant que la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale avait évalué ce nombre à 20 % des déboutés. Il s'est inquiété qu'une augmentation des refus d'octroi du statut des réfugiés soit souhaitée par le ministère de l'intérieur, regrettant par ailleurs que les récentes circulaires ministérielles ne rappellent pas expressément les cas dans lesquels le renvoi de demandeurs d'asile dans leur pays de provenance était impossible.

Il a jugé qu'il était très difficile de savoir quelle était la situation des déboutés du droit d'asile une fois ces derniers renvoyés vers leur pays d'origine, soulignant que même dans les pays où étaient présentes des associations de protection des droits de l'homme, tels que la Turquie ou le Congo, il était difficile d'obtenir des informations, Amnesty international recevant par ailleurs peu d'informations de la part des préfectures sur les conditions dans lesquelles les demandeurs déboutés avaient été remis aux autorités de leur pays d'origine. Il a rappelé les situations dramatiques rencontrées dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Interrogé par M. Georges Othily, président, sur la présence de représentants d'Amnesty international dans les départements et collectivités d'outre-mer intervenant dans le cadre des procédures d'asile, M. Patrick Delouvin a regretté que son association ait une structure trop limitée, liée au refus de bénéficier de subventions publiques, pour avoir des délégués chargés exclusivement de l'accompagnement des demandeurs d'asile en outre-mer.

Audition de Mme Jacqueline Costa-Lacoux, membres du Haut conseil à l'intégration et directrice de l'Observatoire des statistiques de l'immigration et de l'intégration

La commission a ensuite entendu Mme Jacqueline Costa-Lacoux, membre du Haut conseil à l'intégration et directrice de l'Observatoire des statistiques de l'immigration et de l'intégration.

Mme Jacqueline Costa-Lacoux a d'abord souligné que l'immigration clandestine n'était, par définition, pas dénombrée et qu'elle renvoyait à une réalité complexe et mouvante. Les analyses qui pouvaient être effectuées il y a dix ans, au moment, par exemple, de l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard, sont ainsi déjà dépassées. En outre, chaque pays est confronté à des flux migratoires différents, ce qui ne facilite pas le dialogue entre les responsables. Mme Jacqueline Costa-Lacoux a témoigné de la vivacité des échanges qui opposent à Bruxelles les représentants de la France, surtout préoccupés par l'immigration africaine, aux représentants de l'Allemagne, davantage concernés par l'immigration en provenance d'Europe de l'est.

Mme Jacqueline Costa-Lacoux a proposé de dresser une typologie des diverses formes d'immigration clandestine, avant de présenter les méthodes de mesure de l'immigration clandestine.

Elle a, en premier lieu, distingué la notion d'immigré clandestin de celle d'étranger en situation irrégulière. L'immigré clandestin tente de s'installer sans autorisation sur notre territoire, soit par ses propres moyens, soit en empruntant des filières, qui doivent être combattues par une coopération internationale appropriée.

Les étrangers en situation irrégulière, en revanche, ont eu un statut régulier, qu'ils ont ensuite perdu : ils ont pu pénétrer sur le territoire grâce à un visa, ou bénéficier de titres de séjours « précaires », tels qu'une autorisation provisoire de séjour (APS), ou se voir notifier le non-renouvellement de leur titre de séjour, et ont choisi de se maintenir sur le territoire alors qu'ils n'y étaient plus autorisés. Mme Jacqueline Costa-Lacoux a évoqué le cas des étrangers en situation régulière qui perdent leurs papiers et risquent de se voir rejeter dans l'illégalité, faute de pouvoir prouver la régularité de leur séjour. D'autres étrangers sont ressortissants d'Etats où l'état civil n'est pas fiable ou est incomplet. Elle a également mentionné la situation des ressortissants des dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne, qui doivent, en application de règles transitoires, demander un titre de séjour s'ils veulent être autorisés à travailler dans un autre Etat membre, mais qui n'accomplissent pas tous cette formalité. Elle a enfin cité le cas des étudiants qui se maintiennent sur notre territoire sans autorisation, après avoir achevé leurs études.

Mme Jacqueline Costa-Lacoux a ensuite indiqué qu'il existait, pour tenter d'évaluer l'ampleur de l'immigration clandestine, des sources fiables mais partielles, et des sources indirectes.

Certaines données sont en effet précisément connues mais ne donnent qu'une image partielle du phénomène de l'immigration irrégulière. On dispose ainsi de statistiques sur le nombre de personnes interpellées, poursuivies et condamnées pour infraction à la législation relative au séjour. Mme Jacqueline Costa-Lacoux a insisté sur le problème posé par le cumul d'infractions : c'est souvent à l'occasion de la commission d'une autre infraction que les étrangers en situation irrégulière sont repérés. On connaît également le nombre de personnes qui font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire, que l'on peut comparer au nombre de mesures d'éloignement effectivement exécutées, ou encore le nombre de décisions prises en application d'un accord de réadmission.

Les sources indirectes permettent d'évaluer le nombre d'immigrés clandestins en faisant l'hypothèse que les personnes identifiées représentent une certaine proportion des étrangers présents irrégulièrement sur le territoire. On peut ainsi procéder à des extrapolations :

- à partir du nombre de demandes de titre de séjour déposées rapporté au nombre de demandes refusées ou de non-renouvellements de titres de séjour ;

- à partir du nombre d'attestations d'accueil demandées présentées, comparé à celui des attestations validées et refusées ;

- à partir des infractions relevées par l'inspection du travail, mais l'irrégularité peut porter sur le séjour ou sur le travail ;

- à partir du nombre de déboutés du droit d'asile qui n'ont pas fait l'objet d'une reconduite à la frontière ;

- en comparant le nombre de mineurs entrés sur le territoire au titre du regroupement familial à celui des mineurs qui ont obtenu un titre de séjour à leur majorité ;

- à partir du nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), en tenant cependant compte du fait que les étrangers en situation irrégulière recourent peu aux soins médicaux et que des bénéficiaires de l'AME peuvent être régularisés ;

- ou encore à partir du nombre d'enfants scolarisés dont les parents sont en situation irrégulière, qui peut être estimé entre 15.000 et 20.000.

Mme Jacqueline Costa-Lacoux a indiqué qu'elle laissait le soin au ministère de l'intérieur de fournir à la commission d'enquête des données sur les résultats de la lutte contre les trafics de main-d'oeuvre ou sur le coût de la lutte contre l'immigration clandestine pour les services. Elle a noté que le Home Office britannique avait réalisé un rapport pour évaluer le bénéfice retiré par l'économie britannique de la présence d'immigrés clandestins, ce qui montre que différentes approches sur le sujet peuvent coexister.

Elle a ajouté qu'il était difficile de déduire d'indicateurs de pression migratoire, comme les placements en zone d'attente ou les refus d'admission sur le territoire, des conclusions sur le nombre de personnes en situation irrégulière présentes sur le territoire. Rappelant qu'elle avait été auditionnée à l'Assemblée nationale pour rendre compte de ses travaux sur l'état-civil et l'immigration clandestine à Mayotte, elle a estimé que l'on ne disposait pas d'outils suffisants pour mesurer l'immigration clandestine dans les départements et collectivités d'outre-mer.

Rappelant que le début de la sagesse consistait à savoir que l'on ne sait rien, M. Louis Mermaz a cependant regretté que l'exposé présenté à la commission contienne si peu de données chiffrées.

Mme Jacqueline Costa-Lacoux a fait valoir qu'elle ne voulait pas, en tant que scientifique, avancer des données non étayées. Elle a rappelé que le Haut conseil à l'intégration avait choisi, en accord avec le comité scientifique de l'Observatoire, de n'étudier que l'immigration régulière et que son rapport sur ce point faisait désormais l'unanimité. Le prochain rapport au Parlement contiendra, en revanche, des données sur l'immigration irrégulière.

M. Charles Gautier a demandé à Mme Jacqueline Costa-Lacoux si elle n'avait pas cependant déjà accès à certains chiffres.

M. Alain Gournac a douté que l'on puisse réfléchir aux problèmes d'intégration et d'immigration sans disposer de données chiffrées.

Mme Jacqueline Costa-Lacoux a répété que l'on disposait d'un nombre de plus en plus important de statistiques validées sur les flux d'immigration régulière et qu'il y aurait un chapitre sur l'immigration irrégulière dans le prochain rapport au Parlement. Elle a ajouté que, trois jours avant la date prévue de remise de ce rapport au Premier ministre, M. Patrick Stéfanini, secrétaire général du comité interministériel de contrôle de l'immigration, avait constaté que les statistiques fournies par le ministère de l'intérieur en matière de titres de séjour, qui sont élaborées par des entreprises sous-traitantes, manquaient de fiabilité. Alors que la France accueille chaque année environ 17.000 travailleurs saisonniers, les statistiques du ministère ne recensaient par exemple que trois saisonniers dans le département du Var. En conséquence, il a été décidé de repousser la sortie de ce rapport à la fin du mois de janvier 2006.

Mme Alima Boumediene-Thiery a souhaité obtenir des informations sur le nombre de personnes victimes de la « double peine ».

Mme Jacqueline Costa-Lacoux a indiqué que les mesures d'éloignement du territoire obéissaient à des règles complexes et qu'elles pouvaient être décidées par les autorités judiciaires ou administratives. La double peine a en principe été supprimée et on ne dispose pas de données sur ce point pour l'année 2004.

M. Alain Gournac a demandé quel était le statut du Haut conseil à l'intégration.

Mme Jacqueline Costa-Lacoux a répondu que le Haut conseil, qui compte vingt membres, avait été créé en 1989 et qu'il avait été présidé, successivement, par M. Marceau Long, Mme Simone Veil, M. Roger Fauroux et Mme Blandine Kriegel. Un de ses membres dirige l'Observatoire, qui est rattaché au Haut conseil.

En réponse à M. Philippe Dallier, qui a souhaité connaître les moyens dont disposait l'Observatoire, Mme Jacqueline Costa-Lacoux a expliqué que l'Observatoire des statistiques de l'immigration et de l'intégration s'appuyait sur les données fournies par l'ensemble des ministères concernés, ainsi que par l'Institut national d'études démographiques (INED) et l'Institut national des statistiques et des études économiques (INSEE), et qu'il pouvait solliciter d'autres organismes si nécessaire. L'Observatoire effectue un travail de collecte et de mise en cohérence de ces données et remplit aussi une mission de réflexion et de proposition, notamment pour améliorer la fiabilité des données. Un chargé de mission, souvent secondé par un stagiaire, travaille à plein temps pour l'Observatoire. L'équipe de direction devrait être bientôt renforcée par l'arrivée d'un directeur-adjoint. Le groupe statistique rassemble les représentants des administrations et des autres organismes qui contribuent aux travaux de l'Observatoire et un conseil scientifique garantit la rigueur de ses travaux.

Audition de M. François Julien-Laferrière, professeur à l'Université de Paris-Sud, directeur de l'Institut d'études de droit public

La commission d'enquête a enfin entendu M. François Julien-Laferrière, professeur à l'Université de Paris-Sud, directeur de l'Institut d'études de droit public.

Indiquant qu'il enseignait depuis quelques mois à l'étranger et n'était donc pas au fait des projets récemment avancés par le Gouvernement, M. François Julien-Laferrière, professeur à l'Université Paris-Sud, directeur de l'Institut d' a souhaité introduire son propos par deux observations.

Il a en premier lieu relevé qu'il n'était pas indifférent de parler d'immigration clandestine ou d'immigration irrégulière, les immigrés clandestins -ceux qui ont la volonté de se soustraire à la connaissance et au contrôle des autorités- ne représentant qu'une fraction relativement limitée des immigrés qui sont en situation irrégulière au regard de la loi et de la réglementation.

Il a en second lieu jugé qu'il était important de cerner les causes de l'immigration irrégulière si l'on souhaitait tenter de trouver des solutions à ce problème et surtout éviter de recourir à celles qui ont montré les limites de leur efficacité.

A ce propos, rappelant qu'il s'intéressait au droit des étrangers depuis une trentaine d'années, M. François Julien-Laferrière a observé que les mesures prises pendant cette période avaient toujours été des mesures allant dans le sens de davantage de restrictions aux possibilités d'entrée sur le territoire national et de davantage de sanctions des infractions à la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers, tandis que croissait dans le même temps le nombre des étrangers en situation irrégulière.

Constatant donc un décalage entre l'objectif politique et les moyens juridiques employés pour l'atteindre, il a conclu à l'utilité d'un effort de réflexion de fond sur le problème de l'immigration, tel celui dont avait procédé l'ordonnance du 2 novembre 1945 mais qui n'a pas été renouvelé depuis.

Il a observé que les conditions actuelles n'avaient plus rien à voir avec celles de l'immédiat après-guerre, ni quant à la situation française ni quant à la situation mondiale : les mouvements de population ne sont plus les mêmes, de nouveaux types d'immigration sont apparus et les populations concernées présentent des caractéristiques très différentes de l'image que l'on a de la population française classique, ce qui rend plus difficile le fonctionnement du modèle d'intégration classique. M. François Julien-Laferrière a souligné que toutes ces évolutions étaient liées entre elles et devraient être reliées aux causes de l'immigration, qui sont dans la plupart des cas des causes économiques et tiennent à la différence des niveaux de vie et des modes de vie.

Il a noté que le droit n'était pas fait pour résoudre ces problèmes, dont la solution dépasse largement la compétence des juristes. Le droit, a-t-il rappelé, est une technique au service d'une politique : il faut donc qu'il y ait d'abord une politique clairement définie pour qu'ensuite le droit puisse venir l'appuyer.

A cet égard, M. François Julien-Laferrière a relevé que, depuis une trentaine d'années, la France avait une « politique de non-immigration » mais pas de politique de l'immigration, et qu'il ne pouvait dès lors y avoir de solution juridique permettant de contrôler l'immigration.

En conclusion, il a noté que, s'il n'appartenait pas au juriste de définir une politique, celui-ci pouvait en revanche aider à formaliser les règles qui doivent être appliquées, et sanctionnées en cas de non-application.

Mme Catherine Tasca a demandé à M. François Julien-Laferrière s'il avait pu observer des exemples étrangers de politiques d'immigration « identifiables ».

M. François Julien-Laferrière a répondu qu'il revenait du Mexique, qui est un pays d'émigration. Il a noté à ce sujet que, si les Etats-Unis avaient pu longtemps offrir un modèle, ou du moins un exemple, de politique d'immigration susceptible d'être transposé ou adapté dans d'autres pays, ce n'était plus le cas : les Etats-Unis vivent désormais, comme a vécu la France, sur une marge d'immigrants irréguliers -un million pour les seuls Mexicains- qui lui permet de disposer d'une main-d'oeuvre bon marché et qui est un moteur de l'économie.

Il a indiqué que le Canada, en revanche, avait une véritable politique d'immigration, qui a le mérite d'être claire, et une politique d'asile peut-être aujourd'hui moins claire mais qui l'a été jusqu'à il y a cinq ou six ans. Il a souligné le caractère volontariste de la politique canadienne de l'immigration, qui tend à maîtriser l'immigration en faisant appel à des étrangers répondant à des critères de compétence technique et linguistique -la connaissance des deux langues officielles du Canada. Quant à la politique de l'asile, moins suspicieuse que celle des Etats européens, elle a apporté une meilleure réponse au besoin de protection des demandeurs d'asile et donc créé moins de déboutés restant sur le territoire national.

M. François Julien-Laferrière a cependant douté qu'une politique d'immigration sur le modèle canadien, fondé sur des critères « objectifs » à la limite des critères ethniques ou de nationalité, puisse être envisageable en France à court ou moyen terme, précisant que les quotas d'immigration étaient certes définis en fonction du marché du travail mais que, la demande excédant l'offre, une deuxième sélection était faite sur la base de critères d'intégration à la société canadienne, ce qui pouvait friser les quotas par nationalité.

M. Georges Othily, président, a fait état de la volonté du gouvernement canadien d'encourager, dans la région de Vancouver, l'immigration d'étrangers d'origine asiatique afin de lutter contre le vieillissement de la population.

M. François Julien-Laferrière a estimé que ce choix pouvait s'expliquer par la capacité d'intégration des immigrants d'origine asiatique, et aussi par la présence dans l'Ouest canadien, depuis plusieurs générations, d'une importante population d'origine asiatique.

M. Georges Othily, président, a alors demandé à M. François Julien-Laferrière si, selon lui, les textes applicables à l'entrée et au séjour des étrangers devraient être une nouvelle fois modifiés, ou remplacés par un texte entièrement nouveau.

S'interrogeant sur la récente codification, qui présentait le grave inconvénient d'associer des textes applicables à des situations de nature très différente, l'accueil et le séjour des étrangers, d'une part, et le droit d'asile, d'autre part, M. François Julien-Laferrière a observé que les textes en vigueur avaient déjà maintes fois été « toilettés », ce qui avait eu pour conséquence de nuire à leur cohérence et de les rendre difficiles à appliquer, leur analyse révélant d'ailleurs un certain nombre de contradictions et de lacunes. Il a donc indiqué qu'il inclinerait plutôt à préconiser l'élaboration d'un texte entièrement nouveau.

Invité par M. Georges Othily, président, à donner des exemples des contradictions et des lacunes qu'il avait dénoncées, M. François Julien-Laferrière a tout d'abord cité les dispositions relatives à la protection contre l'expulsion, qui pouvaient déboucher sur des solutions contradictoires en fonction du type de procédure d'expulsion choisi, contradictions aggravées par le recours à des notions imprécises.

Il a par ailleurs estimé que l'on pouvait relever certaines lacunes dans le régime de l'asile, mais aussi dans le régime de l'entrée sur le territoire, qui ne permet pas de définir clairement les conditions dans lesquelles un étranger peut être autorisé à entrer sur le territoire national. Il s'est également interrogé sur la portée des dispositions de l'ancien article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (article L. 213-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) qui permettent de refuser l'entrée sur le territoire à un étranger « dont la présence constituerait une menace pour l'ordre public », notant que cette menace était difficile à apprécier dans le cas d'un individu qui, par définition, ne se trouvait pas encore sur le territoire national, et qu'une telle rédaction pouvait par conséquent autoriser des appréciations extrêmement subjectives.

En conclusion de ce débat, M. Georges Othily, président, a demandé à M. François Julien-Laferrière de bien vouloir communiquer à la commission d'enquête un relevé des contradictions et des lacunes des textes rassemblés dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Mercredi 14 décembre 2005

- Présidence de M. Georges Othily, président.

Audition de Mme Danièle Lochak, professeur à l'Université de Paris X Nanterre

La commission d'enquête a tout d'abord entendu Mme Danièle Lochak, professeur à l'Université de Paris X Nanterre.

Mme Danièle Lochak, professeur à l'Université de Paris X Nanterre, a indiqué qu'elle avait eu le sentiment, en lisant les débats du Sénat sur la proposition de création de la commission d'enquête ou le compte rendu de l'audition de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, que la lutte contre l'immigration clandestine était devenue une priorité du Gouvernement en 2002. Or, les grandes orientations de notre politique d'immigration ont été définies en 1974 et n'ont guère varié depuis, la lutte contre l'immigration irrégulière et l'intégration des populations étrangères résidant sur notre territoire en constituant les deux axes. Mme Danièle Lochak a ajouté que les gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, avaient plus mis l'accent sur la répression de l'immigration clandestine que sur l'intégration.

La volonté de mieux lutter contre l'immigration clandestine a conduit à renforcer les mesures de reconduite à la frontière, à pénaliser le séjour irrégulier en France, à jeter une suspicion généralisée sur les étrangers qui veulent pénétrer sur le territoire national, à contrôler, de manière toujours plus stricte, les mariages ou la régularité de leur situation. Cet ensemble de mesures n'a cependant pas produit de résultats très probants : l'immigration clandestine perdure, tandis que le respect des droits fondamentaux s'affaiblit. Le droit de mener une vie familiale est, par exemple, menacé par le caractère plus strict des règles de regroupement familial et la liberté d'aller et de venir des étrangers est restreinte par l'allongement de la période de rétention.

Mme Danièle Lochak a jugé que l'allongement de la durée de rétention, qui peut maintenant être portée jusqu'à trente jours, était d'ailleurs de peu d'utilité : les observations du Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) montrent en effet qu'une reconduite à la frontière qui n'a pas été effectuée dans les jours qui suivent le placement de l'étranger en centre de rétention a peu de chances d'intervenir par la suite. De plus, les conditions d'hébergement des étrangers dans les centres de rétention, déjà précaires lorsque la durée de rétention n'excédait pas sept jours, en ont été rendues encore plus difficiles.

Les citoyens français sont eux aussi menacés par le renforcement du dispositif législatif de lutte contre l'immigration clandestine : l'aide à l'accueil d'étrangers en situation irrégulière peut faire l'objet de poursuites pénales et des formalités très strictes les dissuadent de demander une attestation d'accueil.

Mme Danièle Lochak a ensuite insisté sur le coût de la politique de lutte contre l'immigration clandestine et s'est demandé si cet argent ne serait pas mieux utilisé pour mener des politiques d'intégration plus ambitieuses. Contrairement à une idée couramment avancée, l'intégration des étrangers résidant légalement sur notre territoire est entravée, et non facilitée, par la lutte menée contre l'immigration irrégulière, dans la mesure où les étrangers en situation régulière sont victimes de contrôles d'identité ou de restrictions au regroupement familial qui alimentent un ressentiment diffus.

Mme Danièle Lochak a souhaité que la France se dote d'une nouvelle politique en matière de visas, afin que les demandeurs d'asile ne soient plus contraints d'avoir recours à des passeurs et de risquer leur vie pour atteindre notre territoire. Elle a critiqué le discours proposant de remplacer l'immigration « subie » par une immigration « choisie », considérant que les Etats avaient en réalité toujours choisi leurs immigrés et que cette vision instrumentale de l'immigration était peu respectueuse de la dignité des personnes. De surcroît, cette distinction conduit souvent à ranger dans la catégorie de l'immigration « subie » les entrées au titre du regroupement familial ou de l'asile, alors qu'elles relèvent du respect des droits fondamentaux des personnes.

M. Alain Gournac a demandé si la politique d'immigration d'un pays étranger pouvait être citée en exemple et a souhaité obtenir des précisions sur la situation outre-mer.

Après avoir indiqué que le cas du Canada était très particulier, Mme Danièle Lochak a regretté, citant le cas de la directive relative au regroupement familial, que les pays de l'Union européenne tendent à harmoniser leurs politiques d'immigration en retenant les dispositions les plus restrictives en vigueur dans chaque Etat membre. Concernant l'outre-mer, elle s'est déclaré choquée que des étrangers ne puissent demander l'asile dans les départements d'outre-mer, qui font intégralement partie de la République, que la législation sur les titres de séjour n'y soit pas toujours respectée ou que l'on y détruise des maisons. Ces départements évoluent dans un environnement géopolitique particulier et sont soumis à une pression migratoire plus forte qu'ailleurs, mais cela ne saurait justifier l'adoption de règles dérogatoires. Elle s'est ensuite élevée contre la suggestion consistant à modifier le droit de la nationalité applicable à Mayotte, rappelant que la nationalité française ne pouvait être acquise par un mineur qu'à partir de l'âge de treize ans et à condition que ses parents soient en situation régulière. Les problèmes propres à Mayotte proviennent de ses relations avec le reste de l'archipel des Comores et ne sauraient être résolus par des mesures toujours plus répressives. Elle a souhaité que l'on dresse le bilan de trente ans de politique de lutte contre l'immigration clandestine et noté que la mondialisation favorisait l'immigration irrégulière, en raison de l'amélioration des moyens de transport. Elle s'est enfin demandé s'il était équitable que seuls les citoyens des pays du Nord jouissent de la liberté de circulation et rappelé que des milliers de personnes mouraient chaque année en tentant de franchir les frontières des pays développés.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé à Mme Danièle Lochak si elle disposait d'éléments de droit comparé sur le sujet de l'immigration clandestine et si elle considérait qu'il était juridiquement possible d'appliquer des règles spécifiques aux collectivités d'outre-mer.

Mme Danièle Lochak a rappelé qu'une harmonisation des règles était en cours au niveau européen, mais que celle-ci laissait néanmoins une certaine marge d'appréciation aux Etats membres. La France a longtemps eu, au moins dans ses textes, une politique plus libérale que ses voisins en matière de regroupement familial et de délivrance de titres de séjour. Au sujet des collectivités d'outre-mer, elle a indiqué que la Constitution autorisait des adaptations du droit aux spécificités de ces territoires. Pour les départements d'outre-mer, le Conseil constitutionnel a accepté qu'ils puissent être tenus à l'écart de règles applicables en métropole, par exemple en matière de contrôle des reconduites à la frontière, de sorte que le Parlement peut leur appliquer des dispositions dérogatoires.

M. Louis Mermaz a souligné que la mondialisation était un phénomène appelé à durer et que nous étions responsables des actes de nos ancêtres, qui ont établi une domination française sur des territoires outre-mer. Considérant qu'il n'y avait pas de politique d'immigration en France depuis 1974, il a estimé que nos règles juridiques aboutissaient à une multiplication du nombre de clandestins. Il a ajouté que la France avait besoin de maintenir un certain niveau de flux migratoire pour répondre aux besoins de son économie et préserver son influence politique. Il a enfin demandé à Mme Danièle Lochak de faire part à la commission de ses propositions en matière de réforme de la politique migratoire.

Mme Alima Boumediene-Thiery a indiqué que la moitié des étrangers emprisonnés en France ont été condamnés pour infraction aux règles d'entrée et de séjour sur le territoire et s'est enquise de la possibilité d'une éventuelle mesure de dépénalisation.

En réponse à M. Louis Mermaz, Mme Danièle Lochak a indiqué qu'il ne lui appartenait pas de se substituer aux responsables politiques en formulant une nouvelle politique migratoire. Elle a considéré cependant que la politique menée avait échoué à atteindre les objectifs qui lui avaient été assignés et que la fermeture des frontières empêchait les allers et retours des étrangers entre la France et leur pays d'origine. Alors que les immigrés venaient autrefois en France pour travailler, les étrangers qui pénètrent aujourd'hui sur le territoire sont majoritairement des ayants droit d'étrangers résidant régulièrement sur notre sol. Elle a enfin suggéré que l'on tente l'expérience d'une plus large ouverture des frontières.

En réponse à Mme Alima Boumediene-Thiery, elle a noté que le fait d'être en situation irrégulière sur le territoire pourrait constituer une simple contravention. Elle a rappelé que le Sénat s'était opposé au vote de la loi n° 80-9 du 10 janvier 1980 relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'office national d'immigration, dite « loi Bonnet », car il avait jugé inacceptable que des personnes qui ne s'étaient rendues coupables d'aucun délit puissent être emprisonnées.

M. Philippe Dallier a reproché à Mme Danièle Lochak de donner l'impression de mettre la représentation nationale en accusation par son discours et redouté que cette attitude n'alimente le racisme, le simple fait d'aborder la question de la lutte contre l'immigration clandestine étant présenté comme une menace pour les droits de l'homme. Il a souligné que le nombre de demandes d'attestation d'accueil avait été multiplié par quatre ou cinq en dix ans dans sa commune, ce qui montre que les formalités sont loin d'être dissuasives. Il a enfin demandé s'il était responsable de faire venir sur le territoire des étrangers ne disposant ni d'un emploi ni d'un logement suffisamment spacieux et rappelé qu'il était possible de faire venir ses proches, au titre du regroupement familial, dès lors que l'on disposait de 16 m2 pour les deux premières personnes et de 9 m2 par personne supplémentaire.

Mme Danièle Lochak a répondu qu'il n'était pas dans son intention de mettre quiconque en accusation et que les pays riches étaient collectivement responsables des drames induits par la lutte contre l'immigration irrégulière. Elle a réfuté l'idée selon laquelle les positions éthiques qu'elle défendait alimenteraient le racisme, faisant valoir qu'elles étaient loin d'être dominantes et que l'extrême droite continuait pourtant de se renforcer. Elle a souligné que d'authentiques réfugiés figuraient parmi les personnes refoulées à Ceuta et Melilla et que l'Union européenne négociait actuellement avec la Libye, alors que le bilan de ce pays en matière de respect des droits de l'homme est désastreux. Sur la question de l'hébergement, elle a noté qu'aucune exigence particulière n'était imposée aux nationaux ou aux ressortissants communautaires pour avoir le droit de vivre avec leur famille et estimé que renforcer les obstacles au regroupement familial encouragerait la venue d'étrangers en situation irrégulière. Elle a admis que la politique d'ouverture des frontières qu'elle préconisait n'était pas sans risques et qu'elle devait s'inscrire dans une stratégie globale.

M. Philippe Dallier a demandé à Mme Danièle Lochak si elle serait favorable à une décision subordonnant l'entrée sur le territoire à une double condition : disposer d'un logement décent et d'un contrat de travail.

Mme Danièle Lochak a jugé qu'une telle règle ne mettrait pas fin à l'immigration clandestine, pas plus qu'une politique consistant à définir des quotas d'immigration, dans la mesure où, d'une part, il est très difficile de déterminer, par avance, ce que seront les besoins en main-d'oeuvre des entreprises et où, d'autre part, les quotas ne permettraient pas de résoudre la question de l'immigration irrégulière.

Audition de M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, directeur général de l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA)

La commission d'enquête a ensuite entendu M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, directeur général de l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA).

A titre liminaire, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a indiqué que l'OFPRA tenait des statistiques précises et détaillées des demandes d'asile. Il a souligné que ses agents, les « officiers de protection », confrontés à des situations de grande détresse, avaient une haute conception de leur mission. Il a enfin précisé que la France était le pays qui enregistrait le nombre le plus important de demandes d'asile, devant les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Autriche, et souligné que le taux très élevé de rejet de ces demandes (80 % des demandes examinées par l'Office, 75 % à 80 % des demandes examinées par la commission des recours des réfugiés) témoignait d'incontestables détournements de la procédure.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a ensuite rappelé que la loi du 10 décembre 2003 avait profondément réformé les modalités de l'asile en France. Il a expliqué qu'elle avait eu principalement pour objet :

- d'une part, d'assurer une meilleure protection aux demandeurs d'asile en élargissant le champ d'application de la convention de Genève du 28 juillet 1951 par la prise en compte des persécutions émanant d'auteurs non étatiques, contre les agissements desquels les autorités du pays concerné ne sont pas en mesure d'apporter une protection ;

- d'autre part, d'instituer une nouvelle forme de protection, « la protection subsidiaire », se substituant à l'asile territorial et permettant le séjour en France de personnes exposées à certaines menaces graves en cas de retour dans leur pays d'origine pour des motifs autres que ceux prévus par les stipulations de la convention de Genève.

Il a constaté que l'Office était ainsi devenu le guichet unique de l'asile en France.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a par ailleurs indiqué que le législateur avait introduit de nouvelles notions du droit d'asile européen, comme l'asile interne et le concept de pays d'origine sûr, afin de décourager le détournement de la demande d'asile à des fins d'immigration par des ressortissants de pays qui respectent l'Etat de droit et où personne ne peut sérieusement prétendre être l'objet de persécutions et de menaces graves ou qui, à tout le moins, offrent ces garanties sur une partie de leur territoire.

Enfin, il a souligné que, pour la première fois, la loi posait le principe de l'audition du demandeur d'asile par un agent de l'OFPRA, en limitant à un nombre de cas précis les possibilités de prendre une décision sans procéder à la convocation du demandeur.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a expliqué que la compétence unique de l'OFPRA sur les différents accès à l'asile avait été précisée par un décret du 21 juillet 2004, qui lui a transféré la responsabilité du bureau de l'asile à la frontière, initialement placé sous l'autorité du ministère des affaires étrangères. Il a souligné qu'il revenait dorénavant à l'Office de donner un avis au ministère de l'intérieur pour une demande d'admission sur le territoire au titre de l'asile, cet avis reposant sur le caractère manifestement infondé ou non de la demande.

Il a ajouté qu'un décret du 14 août 2004 avait défini plusieurs procédures tendant à réduire les délais tout au long du traitement de la demande d'asile afin, d'une part, d'assurer une protection plus rapide aux demandeurs qui méritent une protection, d'autre part, d'éviter la constitution sur le sol national de situations de séjour prolongées représentant des obstacles à l'éloignement des demandeurs déboutés. Il a expliqué qu'un demandeur disposait d'un délai de 21 jours pour déposer sa demande complète à l'Office, son dossier ne pouvant être enregistré au-delà de ce délai, et que l'OFPRA, quand il était saisi en procédure prioritaire par la préfecture, devait statuer dans un délai de 15 jours, ramené à 96 heures si le demandeur était placé en rétention.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a ensuite évoqué l'évolution de la demande d'asile.

Il a observé que la baisse de la demande globale intervenue en 2004 s'était poursuivie au cours des 11 premiers mois de 2005, sur un rythme de -8,5 %. Il a expliqué que ce chiffre masquait toutefois deux réalités différentes : d'une part, une augmentation des réexamens de 34 % par rapport à 2004 (après un triplement entre 2003 et 2004), d'autre part, une chute de 13,5 % des premières demandes.

Il a noté que la demande haïtienne constituait désormais la première demande quantitativement (12 % du total) avec une hausse de 75 % par rapport à 2004, et posait des difficultés particulières, dans la mesure où 76 % des demandeurs d'asile haïtiens résident dans le département de la Guadeloupe. Il a précisé que cette situation expliquait l'envoi de six missions de l'Office dans les Antilles depuis le début de l'année, ajoutant que la question de l'organisation d'auditions foraines de la commission des recours des réfugiés dans ce département d'outre-mer se posait désormais.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a indiqué qu'après les Haïtiens, les Turcs, les Chinois, les Serbo-Monténégrins et les Congolais étaient les premières nationalités représentées pour 2005, quoique toutes en baisse par rapport à 2004, à l'exception de la demande en provenance de Serbie-Monténégro. Enfin, il a noté une chute importante de la demande algérienne de l'ordre de 52 %. En ce qui concerne les réexamens, il a précisé que les principales demandes émanaient de ressortissants de la Turquie, de la République du Congo, du Sri Lanka et de la Mauritanie.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a ajouté qu'après avoir connu de fortes hausses en 2000 et 2001, la demande d'asile à la frontière enregistrait une baisse régulière et importante depuis 2002, de 9 % entre 2005 et 2004. Il a précisé que la majorité des demandeurs à la frontière était toujours d'origine africaine, mais qu'apparaissaient également de nouvelles populations comme les Tchétchènes, les Cubains ou les Colombiens.

Il a conclu ce point de son exposé en expliquant que, depuis le début de l'année, l'Office avait pris près de 60.000 décisions et que le nombre de dossiers en instance s'élevait à 11.600, ce qui représentait un délai moyen de traitement de 2,5 mois. Il a ajouté que le taux d'admission était de 8 % (9,3 % en 2004) et que le taux d'annulation de la Commission de recours des réfugiés restait stable, autour de 15 %.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a ensuite abordé les conséquences de l'évolution de la demande d'asile.

Il a expliqué que, pour la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile, l'OFPRA avait bénéficié d'une augmentation de moyens, son budget pour l'année 2006 s'élevant à 54 millions d'euros en 2005 (49 millions d'euros en 2006), ses effectifs étant de 863 agents au 15 décembre 2005, y compris ceux de la commission de recours des réfugiés. Il a précisé que les structures internes de l'établissement n'avaient pas été modifiées, le travail d'instruction reposant toujours sur le principe de la spécialisation géographique. Enfin, il a indiqué que les services d'appui, comme la division des affaires juridiques ou le service de documentation et de recherches, avaient également bénéficié de renforts, notamment en 2005, afin d'améliorer la qualité du travail.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a mis en exergue la montée en puissance de l'application du principe de la protection subsidiaire depuis 2005, en expliquant que 454 décisions d'admission avaient été prises au cours des onze premiers mois de l'année 2005, contre 83 sur l'ensemble de l'année 2004. Il a ajouté que l'élargissement du champ d'application de la convention de Genève par la loi du 10 décembre 2003 avait permis de reconnaître le statut de réfugié à des personnes dont la situation aurait auparavant relevé de l'asile territorial, en précisant que, pour la très grande majorité, ces décisions avaient été prises en raison de menaces avérées de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a également relevé une multiplication des procédures prioritaires, celles-ci ayant augmenté de 31,4 % entre 2004 et 2005. Il a précisé qu'en 2005, l'Office avait reçu 11.000 demandes en procédure prioritaire, dont 17,2 % pour des personnes placées en centre de rétention, et que cette procédure concernait plus particulièrement les réexamens (71 % des cas). Il a estimé que l'accroissement de ces procédures, lié à l'obligation de répondre dans des délais prévus par décret, nécessitait une nouvelle organisation du travail au sein de l'Office, ce qui avait une répercussion directe sur les performances d'activité.

Il a souligné que le taux de convocation, après avoir augmenté au cours de l'année 2004, avait atteint en 2005 une moyenne jamais égalée de 83 %, le taux d'entretien s'élevant lui à 61 %. Il a estimé que les auditions étaient également rendues nécessaires par l'apparition de nouvelles problématiques liées à la protection subsidiaire, mettant en exergue une relative féminisation de la demande, particulièrement africaine, avec la question des mariages forcés, des mutilations génitales ou des violences conjugales.

Il a observé que la notion d'asile interne était peu souvent utilisée, notamment en raison des restrictions apportées par la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2003 qui prévoit de s'assurer des conditions de réinstallation dans la partie de territoire sécurisée.

En ce qui concerne les refus d'enregistrement pour demandes incomplètes ou forcloses, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a précisé que la proportion variait de 5 à 10 % dans les premiers mois suivant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Il a observé que ces refus représentaient désormais 3,3 % de la demande et devenaient donc marginaux.

Mme Alima Boumediene-Thiery a estimé que le délai de 21 jours imposé aux étrangers pour présenter une demande d'asile rédigée en français conduisait un grand nombre d'entre eux à renoncer à exercer ce droit, ce qui expliquait cette dernière statistique.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge lui a répondu que l'expérience montrait que la plupart des étrangers souhaitant présenter une demande d'asile y parvenaient avec l'aide de connaissances ou d'associations. Il a ajouté que les demandes les moins bien présentées n'étaient pas nécessairement celles qui avaient le moins de chance de succès.

Il a ensuite observé une baisse importante de la demande d'asile émanant des mineurs isolés en 2005 (-40 % par rapport à 2004), cette baisse s'avérant également sensible pour les demandes d'admission présentées à la frontière (-25,5 %). Il a expliqué cette évolution par la modification de l'article 21-2 du code civil opérée par la loi du 26 novembre 2003, qui a restreint les conditions d'accès à la nationalité française pour les mineurs isolés étrangers sous protection sociale, et le renforcement du contrôle des filières d'immigration irrégulière.

M. Georges Othily, président, a également relevé que certains mineurs isolés pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance ne présentaient pas de demande d'asile.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a ensuite indiqué que le conseil d'administration de l'Office avait adopté une liste des pays d'origine sûrs lors de sa séance du 30 juin 2005, comprenant 12 pays dont la Bosnie-Herzégovine, l'Inde, la Géorgie ou le Mali. Il a expliqué que les demandes d'asile déposées par les ressortissants de ces pays étaient dorénavant instruites dans le cadre de la procédure prioritaire mais, nonobstant le principe du pays d'origine sûr, faisaient tout de même l'objet d'un examen individuel avec entretien le cas échéant. Après avoir précisé que cette liste pouvait être modifiée dans le temps en fonction de l'évolution de certains pays, il a observé que, depuis le début du mois de juillet, la demande d'asile en provenance des pays d'origine sûrs avait baissé de 72 % (de 83 % pour les demandes de Maliens), ces demandes ne représentant plus que 5 % de la demande d'asile globale, contre 11,5 % au 30 juin 2005.

Enfin, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a indiqué que l'activité de la division de la protection s'était considérablement accrue au cours de l'année 2005, l'augmentation de 5 % du nombre de réfugiés reçus s'étant accompagnée d'une amélioration de la qualité des services rendus à l'accueil. Il a précisé que, depuis le début de l'année, près de 300.000 documents d'état civil avaient été établis, cette activité reflétant la part croissante des demandes de regroupements familiaux. Il a également mis en exergue, au titre de l'année 2005, l'effort particulier porté sur la réduction des délais d'obtention des documents, en indiquant que les retards importants de délivrance de documents d'étatcivil aux réfugiés reconnus à la suite d'une décision d'annulation de la commission des recours des réfugiés avaient été réduits à deux mois.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité savoir s'il était vrai, comme le soutenaient diverses associations, que les demandes d'asile formulées avec l'aide d'une association avaient plus de chances d'être acceptées que les demandes élaborées sans assistance par les demandeurs.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a estimé qu'il s'agissait d'une remarque de bon sens. Il a cependant rappelé que les agents de l'OFPRA étaient rompus aux techniques de l'entretien individuel, spécialisés par zone géographique et désireux d'aider les étrangers à formuler leur demande, leur intervention permettant ainsi de réparer l'inégalité entre les demandeurs ayant bénéficié d'une aide et les demandeurs isolés.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, l'a ensuite interrogé sur le point de savoir si les demandes des mineurs isolés résultaient de leur propre initiative, de l'intervention des associations ou de celle des services de l'aide sociale à l'enfance.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a estimé que les mineurs isolés prenaient souvent eux-mêmes l'initiative de présenter une demande d'asile.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a évoqué les observations de certains services d'aide sociale à l'enfance, selon lesquels les mineurs isolés qu'ils prenaient en charge durant leur minorité ne présentaient pas de demande d'asile et disparaissaient sans laisser de trace à leur majorité.

Notant que les associations insistaient sur les plus grandes chances d'obtention de l'asile des étrangers assistés par elles ou hébergés dans un centre d'accueil des demandeurs d'asile, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a souhaité préciser que cette statistique s'expliquait non seulement par l'aide apportée aux étrangers, mais également par le fait que les centres accueillaient des nationalités menacées -Russes tchétchènes, Bosniaques, Angolais, Congolais- alors que les Turcs ou les Chinois par exemple ne souhaitaient guère y être hébergés.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a observé que la procédure d'asile offrait aux étrangers en situation irrégulière un moyen de se maintenir plus longtemps sur le territoire français. Il a aussi relevé qu'un nombre croissant de demandes d'asile était accepté pour des motifs sociaux et non plus politiques.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a confirmé que le taux extrêmement élevé de rejet des demandes d'asile (85 %) attestait l'existence de tentatives de détournement de la procédure.

M. Louis Mermaz a estimé qu'il était parfois difficile de saisir l'OFPRA, notant en particulier que les étrangers retenus en zone d'attente à Roissy devaient déposer une demande expresse d'asile pour y avoir accès. Il a souhaité savoir si l'Office s'assurait que la police aux frontières permettait effectivement à ces personnes d'exercer leur droit. Par ailleurs, il s'est interrogé sur les conditions d'accès aux centres d'accueil des demandeurs d'asile. Enfin, il a souhaité obtenir des précisions sur l'organisation interne de l'OFPRA et ses relations avec le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge lui a répondu que les agents de l'OFPRA assuraient des permanences à Roissy pour enregistrer les demandes d'asile, mais ne contrôlaient pas le travail de la police aux frontières.

Il a expliqué que le nombre de places en centre d'accueil des demandeurs d'asile avait fortement augmenté, notamment grâce à la transformation de chambres d'hôtels, mais restait encore insuffisant, le nombre d'hébergements d'urgence ayant quant à lui diminué. Il a relevé qu'en Allemagne, à la différence de la France, le demandeur d'asile pouvait se voir imposer un centre d'accueil, précisant toutefois qu'un rapprochement était en cours avec la réforme de l'allocation d'insertion. Enfin, il a indiqué qu'une commission était chargée de l'attribution des places en centre d'accueil des demandeurs d'asile.

En ce qui concerne l'organisation interne de l'OFPRA, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a précisé que, selon une règle non écrite, sa direction générale était confiée à un diplomate assisté de deux adjoints issus du ministère de la justice et du ministère de l'intérieur, le premier étant chargé des aspects juridiques, le second de la gestion de l'établissement et des questions relatives à l'ordre public.

Mme Gisèle Gautier a dénoncé l'importance des violences contre les femmes et des filières de prostitution d'étrangers en situation irrégulière. Elle a souhaité connaître les motifs des demandes d'asile, notamment des personnes originaires d'Inde, et s'est demandé si la baisse globale de leur nombre ne pouvait être interprétée comme le signe d'une augmentation de l'immigration irrégulière.

Mme Alima Boumediene-Thiery a demandé les critères retenus par l'OFPRA pour établir la liste des pays sûrs.

Soulignant qu'Haïti connaissait une situation proche de la guerre civile, M. Jean-Pierre Cantegrit a souhaité savoir comment l'OFPRA parvenait à faire une distinction entre les demandes d'asile émanant de ressortissants de ce pays.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a souligné la diversité des motifs invoqués à l'appui des demandes d'asile : situation générale du pays d'origine, tensions ethniques, violences commises contre les femmes...

Il a expliqué qu'il appartenait aux agents de l'OFPRA de s'assurer, au cours d'un entretien individuel avec les demandeurs d'asile d'une durée atteignant parfois quatre heures, de la cohérence de leurs propos. Il a observé que certaines demandes émanaient de personnes craignant d'être persécutées après en avoir elles-mêmes persécuté d'autres et rappelé que ces demandes étaient rejetées en application de la convention de Genève.

Il a souligné l'importance, mais également la diversité des filières d'immigration clandestine, précisant qu'elles n'étaient pas toutes ni très structurées ni criminelles. A titre d'exemple, il a relevé l'existence de réseaux chinois très bien organisés s'occupant de l'organisation du voyage, de la fourniture de papiers et de la présentation d'une demande d'asile, ajoutant que les demandeurs se rendaient rarement à l'entretien individuel devant un agent de l'OFPRA.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge a expliqué l'augmentation des demandes de réexamen adressées à l'OFPRA par le souhait des déboutés, avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 décembre 2003, de tenter à nouveau leur chance, ainsi que par l'augmentation importante, grâce à un effort de productivité, du nombre des décisions rendues par l'Office et la Commission de recours des réfugiés. Il a précisé que ces demandes étaient traitées dans le cadre de la procédure prioritaire, dans des délais très brefs - 2 jours - et étaient pour la plupart rejetées, le taux d'admission étant de 1,5 %.

Il a rappelé que les critères retenus par l'OFPRA pour établir la liste des pays d'origine sûrs étaient posés par la loi du 10 décembre 2003, celle-ci étant au demeurant moins précise que la directive communautaire qui l'a inspirée. Il a ajouté que, pour appliquer ces critères, l'Office se fondait sur les rapports des ambassades, des organisations non gouvernementales et du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Après avoir rappelé l'importance des entretiens individuels pour vérifier la cohérence des demandes, notamment haïtienne, il a proposé aux membres de la commission d'enquête de venir y assister. Enfin, il a indiqué qu'un grand nombre de déboutés du droit d'asile se maintenaient sur le territoire français.

Audition de Mme Vera Zederman, responsable du service d'information juridique de la Commission des recours des réfugiés

La commission a ensuite entendu Mme Vera Zederman, responsable du service d'information juridique de la Commission des recours des réfugiés.

Mme Vera Zederman a indiqué que la Commission des recours des réfugiés était une juridiction administrative spécialisée, chargée de statuer sur les recours formés contre les décisions du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) refusant ou retirant le bénéfice de l'asile à un étranger, qu'il s'agisse de l'asile constitutionnel, de l'asile conventionnel découlant de la convention de Genève du 28 juillet 1951, de l'asile accordé aux bénéficiaires d'un mandat du Haut commissariat des Nations-unies pour les réfugiés, ou de la protection subsidiaire instituée par la loi du 10 décembre 2003. Elle a ajouté que la Commission était également compétente, en vertu du décret du 14 août 2004, pour connaître des recours en révision contre ses propres décisions ainsi que des demandes d'obtention de la qualité de réfugié par les bénéficiaires de la protection subsidiaire. Elle a indiqué, en revanche, que la Commission n'était pas compétente pour juger des refus de demandes d'enregistrement des demandes d'asile par l'OFPRA, ni des décisions de dessaisissement de l'OFPRA en application des accords de Dublin II.

Elle a exposé qu'à côté de ces fonctions juridictionnelles, la Commission de recours des réfugiés était amenée à formuler, sur requête des réfugiés, des avis sur les mesures d'éloignement ou de restriction au séjour visées aux articles 31 à 33 de la convention de Genève, prises à leur encontre.

Mme Vera Zederman a indiqué que la Commission était composée de 12 divisions administratives totalisant 80 rapporteurs chargés de l'instruction des dossiers et ce, sans spécialisation thématique ou géographique. Elle a exposé qu'il existait 140 formations de jugement présidées par des membres du Conseil d'Etat, des conseillers des cours administratives d'appel et des tribunaux administratifs ou des magistrats de l'ordre judiciaire. Elle a précisé qu'une mission de la Commission devrait être constituée en janvier prochain afin de traiter spécifiquement les recours contre les décisions de l'OFPRA émanant de demandeurs haïtiens en Guadeloupe et qu'une seconde mission ayant le même objet serait formée au printemps.

Abordant les principales règles de procédure applicables à la Commission des recours des réfugiés, Mme Vera Zederman a indiqué que les requérants devant cette instance étaient en principe des immigrants réguliers, dans la mesure où le demandeur d'asile bénéficiait d'un droit au séjour jusqu'à notification de la décision de l'OFPRA statuant sur sa demande de protection ou, lorsqu'un recours a été formé contre celle-ci, jusqu'à la notification de la décision de la Commission. Toutefois, elle a précisé que le droit au séjour des demandeurs d'asile cessait à compter de la notification de l'OFPRA lorsque ce dernier examinait la demande selon la procédure prioritaire applicable en cas de demande émanant d'un étranger provenant d'un pays sûr, reposant sur une fraude délibérée, constituant un recours abusif aux procédures d'asile ou visant à faire échec à une mesure d'éloignement, ou d'un étranger dont la présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat. Elle a souligné que cette situation impliquait qu'à tout stade de la procédure conduite devant la Commission, le demandeur pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement, constatant que ce cas se rencontrait, pour l'essentiel, lorsque le demandeur avait formé une demande de réexamen de la décision.

Mme Vera Zederman a souligné que le requérant devait déposer son recours dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision de l'OFPRA, la formation de jugement se prononçant en premier lieu au regard des critères de l'asile conventionnel et, le cas échéant, en second lieu au regard des règles relatives à la protection subsidiaire. Elle a précisé que les recours étaient mis en état et instruits par un rapporteur, puis examinés en séance publique par une formation de jugement présidée par un magistrat et comprenant deux assesseurs, l'un désigné par le Haut-commissariat aux réfugiés, l'autre par le vice-président du Conseil d'Etat.

Elle a indiqué que les convocations à l'audience étaient adressées trois semaines avant celle-ci, un interprète étant convoqué dans la majorité des cas. Elle a ajouté que la moitié des requérants était assistée d'un avocat, bien que le bénéfice de l'aide juridictionnelle ne soit accordé qu'aux demandeurs entrés régulièrement sur le territoire national. Elle a souligné que la Commission des recours des réfugiés était juge de plein contentieux et se prononçait donc sur le droit au bénéfice de l'asile et non sur la légalité de la décision de l'OFPRA.

Mme Vera Zederman a précisé que la Commission des recours des réfugiés pouvait toutefois rendre des décisions par voie d'ordonnance émanant du président de la formation de jugement, sans convocation ni représentation du requérant dans deux hypothèses essentielles : celle de recours entachés d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance et celle de recours ne présentant aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision de l'OFPRA. Les décisions de la Commission sont notifiées à l'intéressé, à son conseil ainsi qu'à l'OFPRA et à la préfecture.

Sur le plan statistique, Mme Vera Zederman a indiqué que la Commission des recours des réfugiés avait enregistré, au 9 décembre 2005, 36.432 recours et avait rendu, à la même date, 61.000 décisions, les ordonnances composant 17 % de ces dernières. Au 9 décembre 2005, les décisions de rejet s'élevaient à 41.089, tandis que les décisions d'annulation des décisions du directeur de l'OFPRA représentaient 15 % des décisions prises par la Commission.

Elle a souligné que la Commission avait eu l'occasion d'interpréter les principales dispositions issues de la loi du 10 décembre 2003. Cette dernière ayant prévu que les persécutions prises en compte pour l'octroi de la qualité de réfugié pouvaient être le fait d'acteurs non étatiques, elle a indiqué que la Commission s'était attachée à vérifier si les autorités du pays avaient ou non offert une protection au demandeur d'asile.

Elle a exposé que la Commission avait également défini les conditions dans lesquelles la possibilité pour le requérant de bénéficier de l'asile interne pouvait être opposée par l'OFPRA, deux conditions devant être cumulativement réunies : la faculté pour le demandeur d'accéder à une partie du territoire de son Etat d'origine où il n'a pas de raison d'être persécuté ou exposé à une atteinte grave et celle de s'y maintenir. Elle a souligné que l'asile interne n'avait été opposé qu'à de rares occasions, notamment pour des ressortissants du Sri-Lanka, de Serbie-Monténégro ou d'Equateur.

Mme Vera Zederman a précisé que, pour la Commission des recours des réfugiés, l'inscription d'un Etat sur la liste des pays d'origine sûrs pouvait constituer un indice pour l'appréciation des craintes ou menaces alléguées par le requérant, mais ne liait pas l'appréciation de la formation de jugement qui se livrait à un examen individualisé de chaque affaire.

Elle a indiqué que l'application du régime de la protection subsidiaire avait donné lieu à 230 décisions d'admissions sur les 9 premiers mois de l'année 2005, prenant en compte l'existence de risques de traitements inhumains ou dégradants tels que les violences conjugales ou certains mariages forcés. Elle a précisé que la Commission aurait à se prononcer prochainement sur l'octroi de cette protection en raison de « violences généralisées », notamment à l'égard de requérants originaires d'Irak et d'Haïti.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, s'étant interrogé sur la proportion de décisions de l'OFPRA faisant l'objet d'un recours devant la Commission des recours des réfugiés, Mme Vera Zederman a indiqué que le taux de recours était de 80 %, rappelant que 15 % de ces recours donnaient lieu à une réformation de la décision de l'OFPRA.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a ensuite souhaité savoir si des contacts existaient entre la Commission des recours des réfugiés et des organismes similaires au niveau européen.

Mme Vera Zederman a confirmé que la Commission avait établi des contacts réguliers avec ses homologues européens dans un cadre formel ou informel et que la jurisprudence des juridictions étrangères compétentes en matière de réfugiés était prise en compte, notamment lorsque la Commission statuait en sections réunies. Elle a précisé que ces contacts intervenaient notamment à l'occasion des réunions de l'association internationale des juges des réfugiés ainsi que du groupe Eurasil-juridictions. Elle a précisé que la Commission publiait des recueils de jurisprudence, des bulletins d'information juridique et que certaines de ses décisions étaient disponibles sur son site Internet.

Audition de Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS

Enfin, la commission d'enquête a entendu Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a tout d'abord souligné l'ancienneté de l'immigration irrégulière.

Elle a rappelé qu'entre 1945 et 1974, les besoins de main-d'oeuvre des entreprises françaises étaient tels qu'elles recrutaient directement des salariés étrangers sans passer par l'intermédiaire, pourtant obligatoire, de l'Office national de l'immigration, devenu plus tard l'Office des migrations internationales, et obtenaient par la suite la régularisation de leur situation. A titre d'exemple, elle a relevé qu'en 1968, 18 % seulement des travailleurs étrangers avaient été recrutés par l'Office. Elle a également rappelé qu'à l'époque, déjà, les marchands de sommeil étaient dénoncés dans la presse.

Elle a indiqué qu'après le coup d'arrêt donné en 1972 à la procédure de régularisation par les circulaires « Marcellin-Fontanet », la décision avait été prise, en 1974, de suspendre l'immigration de travailleurs. Elle a observé qu'il avait également été envisagé de mettre fin au regroupement familial mais qu'une telle interdiction avait été jugée contraire à la Constitution par le Conseil d'Etat en 1976.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a estimé qu'à compter de 1974, la politique de l'immigration française s'était construite sur deux postulats erronés, selon lesquels la crise économique interdirait de faire appel à des travailleurs étrangers et de tels immigrés déjà installés en France souhaiteraient rentrer dans leur pays.

Elle a observé qu'en dépit de la suspension officielle de l'immigration de travailleurs, plusieurs secteurs de l'économie française avait continué à faire appel à de la main d'oeuvre étrangère, contribuant ainsi au développement de l'immigration irrégulière.

Elle a ajouté que les manifestations et les grèves de la faim d'étrangers en situation irrégulière sous le septennat de M. Valéry Giscard d'Estaing avaient révélé l'ampleur de ce phénomène et conduit aux régularisations de 1981 et 1982.

Elle a expliqué que l'analyse des 142.000 régularisations décidées en 1981 sur un total de 150.000 demandes avait montré que 33 % des étrangers en situation irrégulière étaient employés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, 11 % dans celui de la restauration, 11 % dans celui des services domestiques et 11 % dans celui de l'hôtellerie. Elle a ajouté qu'un tiers des 90.000 étrangers ayant obtenu une régularisation de leur situation en 1997-1998 -sur un total de 150.000 demandes- étaient employés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a ensuite observé que les étrangers occupaient les emplois dont les Français ne voulaient pas en raison de leur pénibilité, de leur dangerosité et de leur malpropreté, et que la voie de l'immigration de travail étant fermée, ils venaient en France en utilisant les procédures du droit d'asile et du regroupement familial.

Après avoir souligné que de nombreux pays occidentaux étaient confrontés à la présence d'étrangers en situation irrégulière, leur nombre étant estimé entre 6 et 12 millions aux Etats Unis, elle a relevé que plusieurs Etats européens avaient fait le choix de prendre des mesures de régularisation. Elle a ainsi rappelé que la Grèce et le Portugal y avaient eu recours à plusieurs reprises au cours des dernières années, que l'Italie avait régularisé la situation de 650.000 étrangers en 2003 sur un total de 750.000 demandes, et que l'Espagne avait régularisé la situation de 700.000 personnes, après avoir enregistré un million de demandes, en 2004. Elle a estimé que ces décisions constituaient une forme d'aveu de l'échec des politiques de contrôle aux frontières et des dysfonctionnements du marché du travail.

Elle a souligné que l'Europe connaissait à la fois un fort taux de chômage et d'importants besoins de main-d'oeuvre et a expliqué cette situation par la très forte segmentation du marché du travail, les demandeurs d'emploi nationaux n'étant pas intéressés par les secteurs connaissant une pénurie de main-d'oeuvre.

Elle a précisé que les travailleurs étrangers n'occupaient pas exclusivement des emplois peu qualifiés, citant en exemple les emplois pourvus dans les hôpitaux, l'enseignement ou le secteur de l'informatique.

Elle a également souligné la diversité des profils des travailleurs étrangers en situation irrégulière : déboutés du droit d'asile ayant trouvé un emploi au cours de la période d'examen de leur demande, étrangers entrés irrégulièrement en France grâce à des réseaux de passeurs et réduits en esclavage pour rembourser le prix de leur voyage, étudiants n'ayant pu obtenir un permis de travail malgré parfois la promesse d'embauche d'une entreprise, personnes n'ayant pu bénéficier du regroupement familial en raison des lacunes de l'état civil de leur pays d'origine...

Mme Catherine Wihtol de Wenden a dénoncé la crise de la politique de l'asile, regrettant que l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), submergé de demandes, soit conduit à rejeter 80 % d'entre elles, alors qu'il y a quelques années, il en acceptait 80 %.

Elle a estimé que la politique de fermeture des frontières avait pour effet pervers d'alimenter une économie souterraine de l'immigration irrégulière conduisant les étrangers soit à l'esclavage, soit à la mort. A l'appui de ces propos, elle a rappelé les drames survenus à Ceuta et Melilla, à Lampedusa ou au large de la Grèce. Elle a par ailleurs relevé que des étrangers en situation irrégulière continuaient d'affluer à Sangatte dans l'espoir de se rendre au Royaume-Uni.

Elle a expliqué le hiatus entre la politique de fermeture des frontières des Etats européens et l'importance de l'immigration irrégulière par :

- l'aggravation de la situation des pays d'émigration résultant des politiques d'ajustement structurel imposées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ;

- le souhait des étrangers qualifiés de quitter leur pays en raison soit de l'absence d'emplois attractifs soit de la situation politique locale ;

- le caractère attractif des pays européens pour des populations urbaines et scolarisées découvrant la télévision, les produits de consommation et les transferts de fonds.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a estimé que la politique de fermeture des frontières était non seulement difficile à mettre en oeuvre, mais, de surcroît, injustifiée au regard de la situation démographique européenne, caractérisée par le vieillissement de la population et d'importants besoins de main-d'oeuvre à moyen terme.

Elle a dénoncé les conditions d'exercice des contrôles aux frontières, relevant que la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, et jugé inacceptable que l'Union européenne tolère la mort à ses portes, chaque mois, d'étrangers tentant de pénétrer sur son territoire.

Elle a souhaité que les Etats membres de l'Union envisagent :

- de rétablir une immigration de travail ;

- de mettre fin à la préférence communautaire pour l'attribution des emplois ;

- de conclure des accords multilatéraux ou bilatéraux avec certains pays d'émigration aux termes desquels ils accepteraient la venue de ressortissants de ces pays en contrepartie d'un contrôle plus étroit de leurs frontières ;

- enfin, de prévoir, à l'instar du Canada et, depuis le 1er janvier 2005, de l'Allemagne, des quotas de main-d'oeuvre étrangère.

A cet égard, elle a précisé que l'immigration dite « choisie » ne devait pas exclusivement concerner les étrangers les plus qualifiés.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité savoir si les mesures de régularisation avaient eu pour conséquence une augmentation ultérieure de l'immigration irrégulière.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a estimé qu'un tel phénomène n'avait été observé ni après les régularisations décidées en France en 1981-1982 et en 1997-1998, ni après les régularisations pratiquées récemment en Italie et en Espagne. Elle a souligné que le bénéfice de ces mesures était subordonné à des conditions strictes et dissuasives d'ancienneté du séjour, d'occupation d'un emploi et d'existence de liens familiaux dans le pays d'accueil. Elle a également rappelé qu'en application de la loi dite « RESEDA » de 1998, les étrangers en situation irrégulière en France pouvaient, à titre individuel, bénéficier d'une mesure de régularisation.

M. Bernard Frimat a observé que le préfet disposait, en la matière, d'un pouvoir discrétionnaire.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur les filières de l'immigration irrégulière.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a expliqué qu'une véritable économie du passage s'était développée avec la fermeture des frontières des Etats membres de l'Union européenne, très organisée en Asie, moins en Afrique. Elle a noté que des agences de voyage faisaient transiter les candidats à l'immigration irrégulière par la Turquie, la Grèce ou la Roumanie. Enfin, elle a déploré que les étrangers ayant recours à ces réseaux soient contraints de travailler dans des conditions déplorables et même de se livrer à la prostitution pour rembourser le prix de leur trajet.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a également mis en exergue l'évolution des demandeurs d'asile. Elle a rappelé que la convention de Genève avait été signée en 1951, pendant la guerre froide, pour permettre l'accueil de dissidents soviétiques, c'est-à-dire des personnes menacées à titre individuel par des Etats en raison de leurs convictions. Elle a jugé que cette convention n'était plus adaptée aux profils actuels des réfugiés, menacés en raison de leur appartenance à un groupe ou une ethnie plus que de leurs convictions et par des membres de la société civile davantage que par des Etats. Elle a estimé que ces évolutions devaient être prises en compte, sans qu'il soit peut-être nécessaire de modifier la convention de Genève, et reconnu que l'OFPRA s'y efforçait, citant en exemple les décisions prises à l'égard de nombreux algériens menacés dans leur pays à partir de 1995.

En réponse à M. François-Noël Buffet, rapporteur, qui l'interrogeait sur l'évolution de la situation des mineurs isolés, Mme Catherine Wihtol de Wenden a indiqué que ces mineurs présentaient des profils différents et n'étaient pas tous complètement isolés. Elle a relevé que les mineurs « roms » étaient généralement encadrés par des membres de leur famille et qu'en Espagne, la plupart des mineurs isolés avaient été envoyés chez un parent avant de fuir leur domicile. Elle a souligné la nécessité d'éviter que ces mineurs ne restent trop longtemps livrés à eux-mêmes sous peine d'éprouver les plus grandes difficultés à vivre par la suite en société. Enfin, elle a noté que les mineurs âgés de 16 à 18 ans étaient parfois envoyés comme « têtes de pont » dans un pays afin de préparer l'arrivée ultérieure d'autres membres de leur famille au titre du regroupement familial.

Relevant que d'aucuns rendaient le laxisme des politiques de l'immigration responsable de la montée de la xénophobie et du racisme, M. Bernard Frimat s'est félicité du constat selon lequel les mesures de régularisation prises dans plusieurs pays n'avaient pas eu pour effet de créer un « appel d'air » en faveur de l'immigration irrégulière. Il s'est par ailleurs interrogé sur les liens existant entre les réseaux organisant l'entrée irrégulière d'étrangers sur le territoire français et les entreprises ayant recours à cette main-d'oeuvre.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a relevé que nombre d'entreprises textiles implantées dans le onzième arrondissement de Paris étaient dirigées par des entrepreneurs originaires de Pondichéry et employaient des Indiens ou des Pakistanais en situation irrégulière qu'elles faisaient venir en France et qu'elles obligeaient à travailler 15 heures par jour pour un salaire de misère afin de rembourser le prix de leur passage. Elle a estimé que des entreprises chinoises du Sentier usaient de méthodes analogues. Elle a en revanche observé que, parmi les personnes récemment régularisées en Italie, se trouvaient des femmes originaires des Philippines, d'Ukraine, de Pologne ou de Roumanie, entrées avec un visa de tourisme et demeurées irrégulièrement sur le territoire italien, où elles occupaient des emplois auprès de personnes âgées. Elle a relevé que les employeurs d'étrangers en situation irrégulière étaient intervenus auprès du gouvernement italien pour obtenir la régularisation de leur situation.

En réponse à M. Georges Othily, président, qui l'interrogeait sur la situation des collectivités situées outre-mer, Mme Catherine Wihtol de Wenden a reconnu qu'elle connaissait un peu celle de la Guadeloupe et de La Réunion mais mal celle de la Guyane et de Mayotte.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, s'est enquis de l'existence d'études qualitatives sur l'immigration.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a expliqué qu'elle avait elle-même étudié les « métiers ethniques » et les migrations des travailleurs sénégalais qualifiés. Elle a rappelé que les économies de certains pays ne permettaient pas à leurs ressortissants les plus qualifiés de trouver des emplois correspondant à leurs aspirations.

M. Bernard Frimat a relevé que des étrangers occupant régulièrement un emploi pouvaient se trouver en situation irrégulière. Observant que les perspectives démographiques de l'Europe laissaient présager d'importants besoin de main-d'oeuvre étrangère, il a regretté les sommes considérables dépensées pour fermer les frontières et renvoyer les étrangers en situation irrégulière dans leur pays.

Mme Catherine Wihtol de Wenden a jugé absurde cette politique de fermeture des frontières au regard de la situation démographique de l'Europe. Elle a précisé que cette incohérence avait été relevée dans un rapport de l'Organisation des Nations unies de 2000 et exposée par le Secrétaire général de cette organisation, M. Kofi Annan, devant le Parlement européen en juillet 2004. Elle a estimé que cette politique avait pour effet de conduire les pays européens à se priver des talents des élites des pays d'immigration, désormais attirées par les Etats-Unis et le Canada.