Mercredi 21 décembre 2005

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Traités et conventions - Office franco-allemand pour la jeunesse - Examen du rapport

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de Mme Monique Cerisier-ben Guiga sur le projet de loi n° 128 (2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse.

Après avoir remercié M. Xavier Pintat de lui avoir permis de rapporter ce projet de loi, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a rappelé que l'OFAJ avait été créé en 1963, peu après la signature du traité de l'Elysée par le chancelier Konrad Adenauer et le Président Charles de Gaulle, afin de « resserrer les liens qui unissent les jeunes des deux pays, renforcer leur compréhension mutuelle et [... ] réaliser des rencontres de jeunes ». Dans ce but, l'OFAJ suscite et appuie les échanges de jeunes mis en place par de nombreux acteurs tels que les associations pour la jeunesse, les clubs sportifs, les centres linguistiques, les organisations professionnelles, les établissements scolaires, les comités de jumelage. Ses programmes ont été ouverts en 1976 aux jeunes des autres pays de la Communauté européenne ; l'OFAJ, depuis 1991, soutient les échanges avec les pays d'Europe centrale et orientale et développe également, depuis 2000, ses activités en Europe du Sud-Est.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a regretté que le conseil d'administration, instance de décision présidée par les ministres français et allemand chargés des questions de jeunesse, ne se soit pas réuni de 2001 à 2003, et qu'aucun représentant français n'y ait été nommé depuis 2004. L'OFAJ souffre dès lors d'un dysfonctionnement chronique grave.

Le bilan de l'Office n'est toutefois pas négatif. L'OFAJ est ainsi le premier opérateur franco-allemand en matière d'échange de jeunes, particulièrement dans l'enseignement secondaire, dont 160.000 élèves sont concernés chaque année, sur un total de 200.000 jeunes bénéficiaires d'échanges. Plus de 7 millions de participants et plus de 250.000 rencontres ont été subventionnés depuis 1963. Le budget annuel de l'Office s'élevait à 22,87 millions d'euros en 2005. Il est essentiellement alimenté par des contributions des ministères français et allemand chargés de la jeunesse.

Ce bilan positif sur le plan culturel n'a malheureusement pas d'incidence correspondante sur le niveau d'apprentissage du français en Allemagne et de l'allemand en France. En France, en 2000, près de 90 % des élèves de 6e étudiaient l'anglais et moins de 9,4 % ont choisi l'allemand, soit moins d'un élève de 6e sur 10. En ce qui concerne le choix de la deuxième langue, pour l'ensemble du second degré, plus de 61 % des élèves choisissent l'espagnol et moins de 20 % l'allemand. A titre de comparaison, en 1970, l'espagnol et l'allemand étaient choisis à égalité comme deuxième langue. Ainsi, pour l'ensemble du second degré, l'anglais est étudié par 5,1 millions d'élèves, devant l'espagnol, 1,8 million, et l'allemand, qui arrive en 3e position, avec 1,1 million. La situation de l'apprentissage du français en Allemagne est presqu'aussi inquiétante.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, a indiqué qu'une mission d'évaluation gouvernementale franco-allemande avait travaillé, parallèlement à une mission parlementaire mixte, composée de membres du Bundestag et de l'Assemblée nationale, afin de proposer d'éventuelles modifications des modalités de fonctionnement de l'OFAJ. Sur la base des recommandations des parlementaires, un accord a été signé lors du conseil des ministres franco-allemand du 26 avril 2005, qui est maintenant soumis à l'approbation du Parlement.

Par rapport à l'accord de 1963, les principales modifications sont les suivantes : tout d'abord, le rôle de l'Office dans l'apprentissage linguistique constitue désormais une composante importante de ses missions, alors que l'OFAJ n'avait pas vocation initialement à être une école de langues ; ensuite, la composition du conseil d'administration est modifiée, revenant de 30 à 14 membres. En plus des deux ministres chargés de la jeunesse, les 12 autres membres sont désignés à parité par chaque gouvernement : 6 sont issus des administrations publiques et 6 autres sont des personnalités qualifiées à raison de deux représentants des collectivités territoriales, deux représentants du Bundestag et de l'Assemblée nationale, enfin de deux jeunes entre 18 et 27 ans ; le système de cogestion par la société civile, qui avait fait ses preuves, n'aura donc plus cours ; par ailleurs, le conseil d'orientation, dont le rôle est seulement consultatif, est la seule instance où siègent les représentants de la société civile ; enfin, le statut du personnel, actuellement identique à celui des fonctionnaires internationaux de l'OCDE, est modifié : le personnel sera à l'avenir recruté exclusivement sur la base de contrats à durée déterminée. Cette modification, censée intervenir sans période transitoire, dès l'approbation de l'accord, constitue un « mouvement de balancier » excessif par rapport à la situation précédente qui n'était pas sans défaut.

Sous le bénéfice de ces observations, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur, s'en est remise à la sagesse de la commission pour l'adoption du projet de loi.

M. Charles Pasqua a estimé que le fonctionnement de l'OFAJ, qui va se faire désormais sur de nouvelles bases, pourrait utilement faire l'objet d'un travail d'information de la commission.

M. Didier Boulaud a indiqué que le problème du rayonnement culturel français à l'étranger et de l'enseignement de notre langue ne se limitait pas à la seule Allemagne, ainsi que le prouvait la récente fermeture des cours de français à l'institut français de Vienne.

M. Charles Pasqua a souligné que le manque d'intérêt porté à l'enracinement de la culture française en Europe constituait une faute.

Mme Catherine Tasca a rappelé que chaque fermeture de centre culturel privait la France d'un outil d'influence diplomatique irremplaçable. Le réseau culturel étant un atout spécifique de la France, son affaiblissement ne nuit pas qu'à la seule francophonie.

M. Serge Vinçon, président, a pris acte du souhait exprimé par plusieurs commissaires d'approfondir la question de nos centres et instituts culturels en Europe et a indiqué que des auditions pourraient être engagées dans un premier temps avant de conduire éventuellement à une mission d'information sur le sujet.

Puis la commission a adopté le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse.

Traités et conventions - Questions immobilières avec la Fédération de Russie - Examen du rapport

Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Gérard Roujas sur le projet de loi n° 127 (2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières.

M. Gérard Roujas, rapporteur, a tout d'abord retracé l'historique du dossier des légations des pays baltes à Paris, l'accord franco-russe du 10 décembre 2004 constituant le dernier volet de son règlement définitif. Ce contentieux a ressurgi lors du retour à l'indépendance de la Lituanie, de l'Estonie et de la Lettonie, en 1990 et en 1991, la Russie ayant refusé de restituer les bâtiments où ces trois pays avaient installé leur ambassade respective à Paris durant l'entre-deux-guerres. En effet, ces bâtiments étaient occupés par les services diplomatiques russes qui s'y étaient installés dès 1940, date de l'annexion par l'Union soviétique des trois républiques baltes, en application d'une clause secrète du pacte germano-soviétique. Réquisitionnés par les Allemands en 1941, les bâtiments avaient de nouveau été remis aux autorités soviétiques à la Libération.

Après avoir considéré dans un premier temps qu'elle n'était pas directement concernée par ce différend, la France s'est fortement impliquée dans la recherche d'une solution. Les négociations conduites avec les Etats baltes d'une part et avec la Russie d'autre part, ont abouti à un schéma de règlement « triangulaire ». La France a proposé aux pays baltes de les dédommager pour les trois immeubles litigieux. Elle a par ailleurs proposé à la Russie de régulariser sa situation, en lui délivrant des titres de propriété qu'elle n'avait jamais obtenus. La Russie, pour sa part, accorderait à la France une contrepartie financière sous la forme d'une réduction de loyers et de prise en charge de travaux dans la résidence de notre ambassadeur à Moscou.

M. Gérard Roujas, rapporteur, a rappelé que le Parlement français avait déjà approuvé, en mars 2003, trois accords passés avec les pays baltes aux termes desquels la France leur a versé une somme totale de 11,3 millions d'euros. Cette somme représente le prix des trois immeubles, déduction faite des dépenses que notre pays avait déjà engagées, puisqu'il avait accepté de supporter, à partir de 1991, le loyer des nouvelles ambassades baltes à Paris.

L'accord franco-russe n'a été signé, pour sa part, que le 10 décembre 2004. Il prévoit que les titres de propriété des trois immeubles litigieux seront transférés à la Russie. Cette dernière consentira à la France, pour une durée de 10 ans, une diminution du loyer de la résidence de l'ambassadeur de France à Moscou de l'ordre de 4 millions d'euros, et elle y effectuera des travaux pour un montant de 2 millions d'euros hors taxes.

Le rapporteur a relevé qu'au total, la Russie accorderait sur 10 ans un avantage de 6 millions d'euros à la France, soit environ la moitié de l'effort financier déjà effectué par la France en faveur des pays baltes. Il a souligné l'importance de la contribution française au règlement définitif de ce dossier.

Il a invité la commission à adopter le projet de loi.

A la suite de cet exposé, M. Josselin de Rohan a demandé des précisions sur les incidences de l'accord sur les conditions d'installation de notre ambassade à Moscou.

M. Gérard Roujas, rapporteur, a précisé que l'accord concernait uniquement la résidence de l'Ambassadeur de France à Moscou, et non les locaux de la chancellerie diplomatique. Il a ajouté que la période de dix ans mentionnée dans l'accord est celle durant laquelle sera appliquée la réduction de loyer, la location de la résidence étant cependant appelée à se poursuivre au-delà de ces dix ans.

M. Didier Boulaud, M. André Dulait et Mme Monique Cerisier-ben Guiga ont ensuite effectué des remarques plus générales sur la gestion par le ministère des affaires étrangères de son patrimoine immobilier à l'étranger.

M. Serge Vinçon, président, a indiqué que la commission pourrait utilement entendre sur ce sujet le secrétaire général du ministère.

La commission a ensuite adopté le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières.

Quartiers en difficulté - Mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années - Désignation des membres

Enfin, la commission a désigné Mme Dominique Voynet comme membre appelé à faire partie de la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années.

Audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères.

Le ministre s'est tout d'abord réjoui que l'accord sur le budget européen pour la période 2007-2013 réponde largement aux objectifs français, ce qui est d'autant plus appréciable que les risques pesant sur les intérêts de la France n'étaient pas négligeables. Un échec aurait en effet renforcé la perception d'une Union européenne en crise, incapable d'assumer le financement de ses politiques communes et de son élargissement. Par ailleurs, la présidence britannique semblait résolue à défendre à tout prix ses intérêts nationaux, qui auraient conduit à une remise en cause du financement de la politique agricole commune et à une contribution française disproportionnée aux coûts de l'élargissement en cas de maintien en l'état du rabais britannique, auquel la France participe à hauteur de 30 %. Le ministre s'est également félicité que ces négociations se soient conclues sans dérive budgétaire qui aurait particulièrement sollicité les finances françaises. Il a ensuite rappelé les motifs de satisfaction découlant de cet accord, avec tout d'abord une relance de l'Europe, notamment pour ses politiques communes. En effet, le financement de ces dernières est assuré, pour la période 2007-2013, qu'il s'agisse de l'agriculture, secteur sur lequel le président Chirac s'est particulièrement investi, de la recherche ou de la solidarité régionale. Cet accord permet également le financement de l'élargissement, avec 158 milliards d'euros destinés aux nouveaux Etats membres dans le cadre de la politique régionale ; l'esprit européen de solidarité a ainsi été respecté.

M. Philippe Douste-Blazy a relevé qu'il s'agissait d'une avancée considérable pour toute l'Europe, car la convergence économique et sociale qui en découlera entre anciens et nouveaux pays membres limitera les risques de « dumping » social et de délocalisation au sein de l'Union à vingt-cinq. Cet accord sur le financement de l'élargissement est également un élément positif pour la France, qui investit et commerce activement dans les nouveaux Etats membres, et notamment en Pologne.

Le ministre a souligné que le rôle joué par la France, tout au long de la négociation, a permis de promouvoir une communauté européenne d'intérêts. La qualité de la coopération avec l'Allemagne a été réaffirmée et s'est révélée déterminante dans l'issue favorable de négociations. Ce pilier franco-allemand s'est vu renforcé par son ouverture vers les nouveaux Etats membres, tels que la Pologne, la Hongrie ou la Lituanie, qui ont pris conscience de l'attention que la France portait à leurs intérêts. Le ministre a estimé qu'un autre motif important de satisfaction résidait dans la préservation des intérêts français ; ainsi, les crédits des actions de « marché » de la politique agricole commune ont été préservés au regard de la proposition initiale de la Commission. Ils représentent en effet 293 milliards d'euros sur les 301 milliards initialement proposés par la Commission, ce qui devrait assurer à notre pays des retours financiers d'environ 57 milliards d'euros pour la période 2007-2013. De plus, les bénéfices en matière d'action structurelle sont importants, estimés à 9 milliards d'euros sur la même période, assortis d'une allocation supplémentaire de 100 millions d'euros qui bénéficieront, pour 30 millions à la Corse et pour 70 millions au Hainaut français. Enfin, 6 milliards d'euros devraient revenir au développement rural français pour la même période.

M. Philippe Douste-Blazy a rappelé que le rabais britannique avait été durablement modifié pour la première fois depuis 1984, ce qui conduira le Royaume-Uni à payer sa juste part des coûts de l'élargissement européen. Seules resteront soumises au rabais britanniques les dépenses d'élargissement liées aux dépenses de « marché » de la PAC, ce qui équivaudra à une réduction de 10,5 milliards d'euros du rabais durant la période 2007-2013. Le ministre a salué, à cet égard, le courage et l'engagement européen manifesté par le Premier ministre Tony Blair, pour avoir accepté ce compromis. Il a rappelé que la participation britannique au financement de l'élargissement est un acquis définitif qui se prolongera au-delà de 2013, soulignant qu'il s'agissait là d'un point majeur pour la France. En revanche, les concessions financières obtenues par l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et l'Autriche sont temporaires et prendront fin en 2013. Cet accord conduit donc à un rééquilibrage entre le solde net français, qui sera en moyenne pour la période de 0,38 % sur la période considérée, et le solde net allemand qui s'élèvera pour sa part à 0,42 %.

En conclusion, le ministre s'est félicité de ce que les intérêts budgétaires français aient été préservés : avec un budget équivalent à 1,045 % du produit intérieur brut de l'Union européenne, la contribution française s'élèvera à 135 milliards pour la période 2007-2013, ce que la France avait accepté en juin dernier sous présidence luxembourgeoise. Le rythme d'exécution des différents programmes et la capacité d'absorption des fonds européens par les nouveaux Etats membres pourraient peut-être conduire à une contribution légèrement inférieure.

Le ministre a estimé que le risque de voir le Parlement européen, dont l'approbation est indispensable pour la validation de l'accord, tenter de négocier à la hausse le volume de ces crédits est faible, compte tenu de la difficulté de modifier ce point d'équilibre. Il a par ailleurs rendu hommage à l'action de Mme Catherine Colonna, ministre des affaires européennes, qui a permis la diminution de la contribution française au Fonds européen de développement (FED) de 24,3 % actuellement à 19,5 % pour le prochain FED, soit une économie d'1 milliard d'euros pour la période considérée. Enfin, le ministre a souligné que la clause de rendez-vous demandée par le Royaume-Uni, pour l'année 2008, portera sur l'ensemble des dépenses et des recettes du budget, et que d'éventuelles décisions du Conseil européen prises dans ce cadre nécessiteront l'unanimité.

Le ministre a ensuite évoqué le futur statut du Kosovo, sujet qu'il a évoqué lors d'un récent déplacement dans les Balkans. Rappelant que les négociations sur ce territoire ont commencé il y a trois semaines, avec les premières prises de contacts de l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Marti Ahtisaari, le ministre a constaté l'opposition profonde existant entre Belgrade et Pristina sur l'avenir de ce territoire. Les dirigeants serbes se disent ouverts à un compromis qui confèrerait au Kosovo « plus que l'autonomie mais moins que l'indépendance », mais les dirigeants kosovars albanais, au premier rang desquels le Président Ibrahim Rugova, n'ont d'autre option que l'indépendance, et sont soutenus sur ce point par 90 % de la population. Cette approche s'oppose frontalement à la conception serbe, exprimée tant par le président de la Serbie, M. Boris Tadic que par son Premier ministre, qui n'envisage aucune perte de souveraineté sur le Kosovo. Cette conviction se fonde essentiellement sur un argumentaire juridique, mais également sur la crainte qu'un recul, même minime, sur ce sujet sensible, ne favorise le retour au pouvoir, à Belgrade, des ultranationalistes.

Le ministre a indiqué qu'il avait appelé ses interlocuteurs à une attitude plus constructive, qui se traduirait par une décentralisation poussée du Kosovo, accompagnée d'un soutien européen dans la défense de la minorité serbe qui y réside. Le ministre a également incité ses interlocuteurs à plus de réalisme, dans la mesure où la Serbie a, dans les faits, perdu tout contrôle sur le Kosovo depuis la guerre de 1999 et que l'immense majorité de la population kosovare, à 90 % albanaise, revendique l'indépendance. Il a souligné qu'il convenait de canaliser les futures négociations selon les principes directeurs qui ont été élaborés par le groupe de contact dont la France fait partie, et qui ont été acceptés par M. Ahtisaari. Ces principes constituent des éléments directeurs importants pour la négociation, puisqu'ils excluent tant la partition du Kosovo qu'un retour au statu-quo antérieur à 1999, ou encore son rattachement à un Etat tiers, dans la perspective d'une « grande Albanie ».

Le ministre a souligné que le statut futur du Kosovo devrait intégrer la nécessité d'une forte décentralisation, d'une protection renforcée du patrimoine orthodoxe et du maintien d'une présence internationale. Il a précisé que ses entretiens avec les Kosovars albanais avaient mis l'accent sur la nécessaire protection des minorités, qui constitue la condition indispensable à une démarche indépendantiste crédible. Le ministre s'est réjoui qu'à l'occasion de sa récente visite à Paris, le président Tadic ait fait état de la priorité accordée à la protection de la minorité serbe et de son patrimoine religieux au Kosovo, suivant en cela les suggestions de la diplomatie française.

M. Philippe Douste-Blazy a alors évoqué sa visite à Belgrade, intervenue au lendemain de l'arrestation du général croate Ante Gotovina. Cette arrestation a fourni l'occasion de souligner l'absolue nécessité que MM. Mladic et Karadzic soient livrés au plus tôt au tribunal pénal international de La Haye. Cette exigence est un préalable indispensable à un éventuel rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne, mais également une obligation morale, dix ans après la signature des accords de paix de Dayton-Paris qui ont mis fin à la guerre de Bosnie.

Le ministre a ensuite évoqué l'action de la communauté internationale au Liban, qui s'est développée avec l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, condamnant vivement le récent assassinat du journaliste et député Gebrane Tueni. Il a rappelé que le gouvernement libanais avait saisi le Conseil de sécurité des Nations Unies d'une double requête, visant à élargir le mandat de la commission Mehlis à tous les assassinats perpétrés au Liban depuis la disparition de Rafic Hariri, et à mettre en place un tribunal international pour en juger les responsables. Par sa résolution 1644 adoptée à l'unanimité, le Conseil de sécurité a demandé à la commission d'enquête présente au Liban d'apporter son assistance technique aux autorités de ce pays, et a invité le Secrétaire général Kofi Annan, a examiner, en liaison avec le gouvernement libanais, la perspective d'un éventuel tribunal international. Le ministre a rappelé que la commission d'enquête internationale, dirigée par le juge Mehlis, qui achève son mandat, a présenté un nouveau rapport d'étape qui énumère plusieurs pistes possibles s'agissant d'éventuels suspects.

Cette même résolution 1644 prolonge le mandat de la commission d'enquête pour six mois, à compter du 15 décembre 2005 et réaffirme l'exigence posée par la communauté internationale d'une coopération inconditionnelle, immédiate et sans ambiguïté de la Syrie. Le ministre rappelé que la France était satisfaite du contenu de cette résolution qui a illustré l'unité du Conseil de sécurité sur le dossier libanais et le soutien qu'il apporte au premier ministre libanais Fouad Siniora.

Le ministre a évoqué enfin le récent sommet France-Afrique réuni à Bamako au Mali, rappelant que le continent africain avait déjà été à l'ordre du jour du dernier Sommet du G8 réuni en juin 2005, du Sommet du Millénaire à New York en septembre et de la réunion de l'Organisation mondiale du commerce qui vient de s'achever à Hong Kong. Le ministre a rappelé que le Sommet de Bamako s'était déroulé sur le thème de la jeunesse africaine ; en effet, les deux tiers de la population africain ont moins de 25 ans et constituent donc un enjeu social, politique et économique majeur. Il a rappelé la nécessité de fournir des perspectives positives à cette jeunesse dont la dynamique démographique pourrait, à défaut, constituer à l'avenir une menace, non seulement pour le continent africain, mais également pour la France et pour l'Europe. Le Sommet de Bamako a adopté une réponse globale à ce problème portant sur le refus de toute immigration illégale, sur l'amélioration de l'accueil des immigrants réguliers et sur le renforcement du développement dans les pays d'origine pour réduire l'incitation au départ de ses populations. Ce renforcement devra passer par une amélioration des conditions de santé et d'emploi prévalant sur le continent africain et par un retour des compétences et des capitaux dans leur pays d'origine. Le ministre a souligné qu'il entreprendrait un effort déterminé en faveur du co-développement dans les mois à venir.

Evoquant la Côte d'Ivoire, M. Philippe Douste-Blazy a rappelé que la phase actuelle de préparation des élections dans un processus encadré par les Nations unies et par l'Union africaine était cruciale et que sa réussite permettrait seule la résolution de cette crise. Le ministre a cependant rappelé que beaucoup restait à faire d'ici à l'échéance du 31 octobre 2006 pour assurer le retour de l'administration d'Etat sur l'ensemble du territoire et mettre en oeuvre le délicat processus de désarmement. Il a souligné que la récente nomination comme premier ministre de M. Charles Konan Banny était prometteuse, de même que le retour en Côte d'Ivoire du dirigeant d'opposition Alassane Ouattara.

Le ministre a enfin évoqué la situation préoccupante qui prévalait au Tchad, pays fragilisé par la crise qui a touché le Darfour voisin. La semaine écoulée a été marquée par des combats à l'Est du pays, à la frontière soudanaise, alors que les désertions se multiplient parmi les cadres civils et militaires proches du président Idriss Déby. Le ministre a évoqué les contacts entrepris avec l'Union africaine pour conjurer les tentatives de déstabilisation du président tchadien légitimement élu. La France a par ailleurs renforcé la sécurité des bases militaires de N'Djamena et d'Abéché, ainsi que celle des 1500 ressortissants français et 500 européens résidant au Tchad.

Un débat a suivi l'exposé du ministre des Affaires étrangères.

M. Serge Vinçon, président, a indiqué que la Commission avait inscrit à son programme de travail pour 2006 l'évolution des relations entre la France et l'Afrique ainsi que la place et le rôle des organisations internationales, notamment africaines, sur le continent. Il a ensuite salué la conclusion de l'accord de Bruxelles en soulignant que si la France avait pu apparaître un temps isolée, elle avait su renouer des solidarités fortes avec ses partenaires.

É

voquant la problématique de l'élargissement de l'Union européenne, M. Didier Boulaud s'est étonné de ce que le ministre avait semblé lier, avant la conclusion d'un accord, d'une part l'aboutissement des négociations sur les perspectives financières et d'autre part la décision sur l'octroi du statut de candidat à la Macédoine, ces deux enjeux relevant à ses yeux de problématiques différentes et impliquant des enjeux distincts. Il a fait état de l'incompréhension qu'a suscitée, en Macédoine, une position française difficilement lisible sur l'octroi du statut de candidat à ce pays. Il a considéré que le seul examen d'une carte de l'Europe faisait apparaître l'adhésion à terme des États des Balkans occidentaux comme inéluctable mais qu'une opinion contraire était à l'oeuvre, y compris parmi certains parlementaires qui ne partageaient pas ce point de vue. Il a souligné le risque que représente la perspective d'une multiplication des référendums sur les adhésions, consécutive à la révision constitutionnelle introduisant cette obligation. Le risque serait grand alors d'un vote négatif des Français, ce qui ferait apparaître la France, pays fondateur, comme la « bête noire» de l'Europe, selon l'expression d'un ancien ministre des affaires étrangères, lors d'une récente réunion de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Considérant que la problématique de l'adhésion turque avait troublé les débats, il a souhaité obtenir du ministre la position de la France sur les élargissements futurs, singulièrement à l'égard des Etats des Balkans occidentaux.

M. Robert Del Picchia a salué la conclusion de l'accord de Bruxelles et s'est interrogé sur les positions prises par le Conseil européen au sujet de l'Iran. Il a souhaité connaître l'appréciation du ministre sur la situation en Côte d'Ivoire, où le statu quo quant aux pouvoirs du président Gbagbo semble prévaloir en l'absence d'un gouvernement totalement constitué. Il a par ailleurs souhaité des précisions sur l'état d'avancement du projet de lycée franco-serbe à Belgrade.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est fait l'écho des inquiétudes manifestées au sein de la commission des affaires étrangères et de la défense devant la réduction des moyens de la politique culturelle. Elle a qualifié le réseau culturel de « moribond », estimant qu'il avait constitué la variable d'ajustement des difficultés budgétaires du ministère des affaires étrangères. Les instituts culturels, privés de la capacité de dispenser des cours de français généraliste, voient diminuer leurs capacités d'autofinancement. Les efforts nécessaires pour reconstituer à l'avenir un outil ainsi démantelé seront d'autant plus importants. Elle a considéré que le réseau culturel était pourtant une des originalités de la diplomatie française qui y disposait là d'un outil d'influence essentiel. Elle a par ailleurs déclaré ne pas partager l'optimisme du ministre sur les négociations budgétaires européennes, considérant que la France avait privilégié la préservation de la politique agricole commune au prix d'un report des échéances les plus importantes. Le développement de la politique de recherche est ainsi repoussé à 2014, ce qui ne permet pas de développer en ce domaine un outil européen à même de faire face à la concurrence internationale. Elle a estimé que ces négociations ne renforçaient pas la position internationale de notre pays.

M. Robert Bret a déclaré ne pas partager la satisfaction du ministre sur l'accord conclu à Bruxelles, considérant que si l'équilibre obtenu sur le budget européen constituait, certes, un résultat honorable, il ne permettrait pas à l'Europe de sortir de la crise profonde où elle s'enfonce. Ce budget reste marqué par un manque d'ambition et de solidarité et par l'absence d'une vision claire des objectifs politiques. Le rabais britannique n'a pas diminué de façon significative, sa progression ayant simplement été ralentie par une modification de son mode de calcul. Il s'est demandé si les propositions institutionnelles, annoncées pour le mois de janvier 2006 par le Président de la République devaient être interprétées comme l'annonce du retrait de la signature française du traité constitutionnel et de l'abrogation de l'article 88-1 de la Constitution qui lui était lié. Il a ensuite évoqué la question des prisons secrètes de la CIA en Europe, jugeant peu convaincantes les explications apportées par le secrétaire d'Etat américain. Il a souligné que le Parlement européen et le Conseil de l'Europe avaient mis en place des commissions d'enquête, et a souhaité connaître la position de la France sur cette question.

M. Jacques Pelletier a fait part de son inquiétude devant les déclarations belliqueuses du président iranien à l'égard d'Israël, alors que ce pays semble poursuivre son programme de prolifération nucléaire.

M. Robert Hue s'est associé à l'appréciation du ministre sur la situation en Côte d'Ivoire. Avec la nomination au poste de Premier ministre de M. Charles Konan Bany, en application de la résolution 1633 du Conseil de Sécurité, le pire avait été évité et la recherche d'un équilibre semblait être privilégiée pour la constitution du gouvernement. Il a considéré que la France avait un rôle singulier à jouer et qu'elle devait veiller à préserver le consensus. Evoquant une récente visite en Afrique, il s'est fait l'écho des conséquences considérables sur l'image de notre pays de certains des propos officiels tenus en France sur l'immigration à la suite des événements survenus dans les banlieues. Il a qualifié d'inacceptables le discours du président iranien Mahmoud Ahmadinejad sur Israël et a considéré qu'en cas de nouvelle escalade verbale, la France devrait accomplir un geste symbolique en rappelant son ambassadeur en poste en Iran.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, a apporté les éléments de réponse suivants :

- les Balkans s'inscrivent, à l'évidence, dans une perspective européenne et leur stabilité est indispensable à celle de l'Union. Aucun parallèle n'a jamais été établi entre un accord sur les perspectives financières et l'octroi à la Macédoine du statut de pays candidat. Toutefois, on ne peut nier que les stipulations du traité de Nice permettent difficilement de faire fonctionner une Europe à vingt-cinq et bientôt vingt-sept. Dès lors, il n'est pas envisageable de programmer de nouvelles séries d'élargissement tant que la réflexion sur la question institutionnelle n'a pas été menée, comme prévu. Il s'agirait là d'un geste négatif en direction de l'opinion publique. Cette position, qui a été formulée dans les conclusions du dernier conseil européen, a d'ailleurs recueilli l'approbation des partenaires de la France. Toute impression de « fuite en avant » doit être combattue, et les travaux qui seront menés sous présidence autrichienne sur les questions institutionnelles et sur les futures frontières de l'Union seront déterminants. La France s'honore de ne pas participer à un processus de fuite en avant sur l'élargissement et les pays qui soutiennent une telle démarche n'ont pas la même conception de la nature de l'Europe ;

- le processus de réflexion sur l'établissement d'un lycée français à Belgrade, qui devrait compter environ 700 élèves, est en cours. Les discussions se poursuivent sur les questions matérielles liées notamment à l'acquisition du terrain, et le dossier a été évoqué lors de la récente visite en France du président de la Serbie ;

- en Côte d'Ivoire, le premier ministre poursuit les consultations en vue d'achever la constitution de son gouvernement. Cette personnalité expérimentée et déterminée bénéficie du soutien de la communauté internationale dont les efforts conjugués devraient permettre d'aboutir à une issue positive. Le Conseil de sécurité des Nations unies vient par ailleurs de renouveler la possibilité de recourir à des sanctions individuelles contre ceux qui feraient obstacle au processus en cours ;

- la communauté internationale a trois attentes principales à l'égard de l'Iran : que ce pays fasse un geste sur la question nucléaire en se conformant aux demandes réitérées par l'Agence internationale de l'Energie Atomique ; qu'il respecte les droits de l'homme, notamment par la libération des prisonniers politiques, et qu'il contribue à la stabilisation au Moyen-Orient. Les propos du président iranien ont été unanimement condamnés. La France travaille à une solution diplomatique sur le dossier nucléaire, mais la « fenêtre » de négociations ne restera pas toujours ouverte. La France a défendu une position de fermeté face à l'Iran, mais devant la violation avérée de ses obligations internationales par ce pays, l'unité de la communauté internationale doit impérativement être préservée. A cet égard, il convient de relever les conséquences du refus par l'Iran de la proposition russe d'enrichir de l'uranium en Russie avant sa rétrocession à l'Iran. L'objectif d'une saisine du Conseil de sécurité viserait à renforcer l'autorité des demandes de l'AIEA et, le cas échéant, à doter l'Agence de capacités d'investigation supplémentaires ;

- la réforme des instituts culturels reste indispensable. Il ne s'agit pas seulement d'une question budgétaire, mais de la capacité à inventer de nouvelles méthodes et de nouvelles formes d'activités culturelles. Il n'est pas question de fermer l'institut culturel de Vienne, où seuls les cours de français « généraliste », activité structurellement déficitaire, devraient être supprimés. A l'avenir, la construction de nouveaux lycées français pourrait bénéficier de l'expertise et du financement de la Caisse des Dépôts et Consignations sous la forme de partenariats public/privé ;

- au sein du budget européen, on ne saurait comparer ou mettre en balance, d'un côté, la politique agricole commune et, de l'autre, la politique de recherche, dans la mesure où il n'existe pas de politique intégrée de la recherche. Les budgets de recherche agrégés des Etats européens sont supérieurs aux crédits de la PAC. D'ici à 2008, la France formulera des propositions sur la structure du futur budget européen concernant de nombreux domaines : PAC, recherche, infrastructures, défense .... L'augmentation de ce budget à hauteur de 1,2 % du PIB communautaire, proposée par certains, aurait conduit à une augmentation de 135 milliards d'euros sur la période couverte par les prochaines perspectives financières. D'ores et déjà, entre 2007 et 2013, les budgets de développement et de recherche bénéficieront d'une augmentation de 33 % , grâce notamment à un emprunt de 10 milliards d'euros auprès de la Banque européenne d'investissement pour financer des programmes ;

- la présidence britannique a écrit à la secrétaire d'Etat américaine afin d'obtenir des explications sur le dossier des prisons secrètes de la CIA. Les Etat-Unis ont répondu qu'ils respectaient la souveraineté des Etats européens et leurs obligations internationales, assurances qui ont été renouvelées par Mme Condoleeza Rice en marge de la réunion ministérielle de l'OTAN. Les démocraties s'honorent de respecter les droits de l'homme dans leur lutte contre le terrorisme, dans laquelle la France est clairement partenaire des Etats-Unis. Il n'y a pas d'indications particulières sur la nature et l'affrètement des deux vols ayant fait escale en France et dont la presse s'est fait l'écho ;

- le discours sur l'immigration, sujet très sensible, doit écarter toute caricature ; il s'agit de prendre en compte le drame vécu par ceux qui rêvent de s'installer en Europe. L'immigration clandestine doit être combattue, mais en privilégiant plus activement le co-développement et le financement de micro projets, qui impliquent la mise en place d'un instrument bancaire euro-africain. Les centres d'études en France (CEF), mis en place dans certains pays, devraient permettre de privilégier une « immigration choisie », en vérifiant les motivations et les compétences des personnes désireuses d'étudier en France.