Mercredi 18 janvier 2006

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente, puis de Mme Joëlle Garriaud-Maylam, secrétaire.

Familles monoparentales et familles recomposées -- Audition de M. Alain Cazenave, président, accompagné de M. Gérard Révérend, membre du bureau national, de l'association SOS Papa, et de M. Stéphane Ditchev, secrétaire général du Mouvement de la condition paternelle

La délégation a procédé à l'audition de M. Alain Cazenave, président de l'association SOS Papa, accompagné de M. Gérard Révérend, membre du bureau national de l'association, et de M. Stéphane Ditchev, secrétaire général du Mouvement de la condition paternelle.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a accueilli les intervenants en indiquant que l'examen en séance publique, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes contraignait la délégation à limiter à une heure la durée de l'audition.

M. Stéphane Ditchev, secrétaire général du Mouvement de la condition paternelle, a tout d'abord rappelé que cet organisme avait été créé il y a 32 ans et rassemblait désormais 50 associations ou délégations régionales. Il a indiqué que, par conséquent, ses propos ne constituaient pas des analyses désincarnées, mais le reflet des témoignages de milliers de personnes.

Il a ensuite évoqué, dans une perspective historique et sociologique, les circonstances de l'apparition, vers 1982, des termes de « familles monoparentales » et « familles recomposées », au moment précis où se manifestait une tendance à l'accentuation des divorces et des séparations.

Il a estimé que ces deux expressions étaient artificielles, principalement parce qu'elles masquent l'existence de l'autre parent du ou des enfants. Prolongeant cette analyse, il a distingué le point de vue de certains parents « gardiens » des enfants qui considèrent en avoir la charge quasi exclusive, et celui d'autres parents qui souhaitent maintenir l'idée de famille au-delà de la séparation et pour cette raison se sont tournés vers le Mouvement de la condition paternelle.

Insistant sur le fait que la notion de famille monoparentale tend à nier l'existence de l'autre parent, M. Stéphane Ditchev a évoqué les diverses étapes de la réforme du droit de la famille, en rappelant qu'avant la loi du 4 juillet 1970 sur l'autorité parentale qui a supprimé la notion de chef de famille, l'enfant était « confié » à l'un des parents.

Puis il a évoqué la situation des adhérents au Mouvement de la condition paternelle qui souhaitent être mieux reconnus comme parent, en regrettant que, dans bien des cas, la « garde » puisse servir de support à une véritable « appropriation » de l'enfant. Dans cette optique, il a rappelé que la loi du 22 juillet 1987 dite « Malhuret » avait introduit la notion de résidence de l'enfant et que la loi du 8 janvier 1993 avait généralisé ensuite l'exercice en commun de l'autorité parentale, tout en soulignant que dans la pratique le parent chez lequel résidait habituellement l'enfant se comportait fréquemment comme s'il avait « tous les droits » sur cet enfant.

Faisant observer que la création du Mouvement de la condition paternelle avait été contemporaine de celle du secrétariat d'État à la condition féminine en 1974, il a précisé que les femmes connaissant des difficultés relatives à la résidence de leurs enfants à la suite d'un divorce ou d'une séparation étaient de plus en plus nombreuses à s'adresser à cette association, pour y trouver notamment un lieu de discussion. Il a à cet égard fait valoir que l'association avait pour préoccupation première l'intérêt de l'enfant, qui a besoin de ses deux parents.

Il a par ailleurs noté que l'expression de famille monoparentale était paradoxalement apparue au moment où le veuvage était en régression, alors que les veuves et les veufs constituent la majorité des parents réellement isolés.

Puis M. Stéphane Ditchev a déploré que, même lorsque les parents s'efforcent de rester en bons termes dans l'intérêt des enfants, les diverses institutions, et notamment l'école, le fisc, les caisses d'allocations familiales, les hôpitaux ne considèrent comme interlocuteur que l'un seul des deux parents, celui chez qui réside l'enfant.

Il a considéré, du point de vue statistique, que le nombre des familles monoparentales était en réalité non pas d'1 ou 2 millions, mais du double, en rappelant que celui des parents qui assure toujours une part de la charge financière des enfants, même si ceux-ci ne résident pas chez lui, constituerait également une famille monoparentale.

Il a souhaité, par conséquent, qu'au-delà des mesures législatives existantes, on réfléchisse sur de nouvelles mesures sociales permettant de mieux reconnaître l'existence des deux parents.

Après avoir évoqué les dernières réformes de l'autorité parentale et du divorce, il a considéré que le dialogue entre les parents relevait plus de la médiation familiale que des tribunaux.

M. Alain Cazenave, président de l'association SOS Papa, a tout d'abord indiqué que les hommes étaient victimes de discriminations au niveau de la justice familiale, faisant valoir que l'égalité des chances entre les hommes et les femmes devait s'appliquer dans tous les domaines. Par exemple, l'accès des femmes aux responsabilités professionnelles sans discriminations par rapport aux hommes passe probablement par la prise en compte d'une partie des tâches non professionnelles (l'éducation des enfants par exemple) par les hommes, déchargeant ainsi leurs partenaires.

Après avoir approuvé les propos du secrétaire général du Mouvement pour la condition paternelle, il a rappelé que l'association SOS Papa faisait désormais partie de l'UNAF et que cette adhésion reposait notamment sur l'idée que la famille se définit comme une entité regroupant la mère, le père et les enfants, ainsi que les lignées paternelles et maternelles sans notion de lieu.

Il a insisté, à ce titre, sur l'importance fondamentale des liens du sang entre les membres de la famille ; en effet les liens de sang commencent avant la naissance et perdurent souvent après la mort, contrairement aux autres liens qui ne sont que fugitifs et ne résistent en général pas à l'éloignement.

M. Alain Cazenave s'est déclaré choqué par l'emploi de l'expression de « famille monoparentale » et a jugé nécessaire de revoir cette terminologie. Il a en effet indiqué que le terme de « famille monoparentale » devrait être réservé à la désignation des cas dans lesquels l'un des parents est décédé ou a complètement disparu.

Il a estimé qu'en fait, dans la majorité des cas, l'un des parents cherchait à éliminer l'autre. Rappelant que l'enfant constituait un trait d'union indélébile entre les parents, il a contesté le recours à la notion de « famille monoparentale » pour désigner les situations dans lesquelles l'un des parents cherche à « s'approprier » les enfants, notamment en refusant à l'autre parent d'exercer son droit de visite ; en effet, la famille n'est pas liée à un lieu (contrairement au « foyer »), tant que les deux parents existent, la famille est complète. A ce titre, il a évoqué la multiplicité des plaintes pour non-représentation d'enfant, en illustrant à l'aide d'exemples concrets le fait qu'un certain nombre de parents sont, en pratique, dissuadés de recourir à cette procédure et que lorsqu'ils utilisent cette procédure, cela n'a aucun effet.

Il a également souligné la multiplication des accusations mensongères d'attouchement sexuel, utilisées comme une arme pour exclure l'autre parent dans une proportion estimée à plus de 50 % par Mme Danièle Ganancia, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Nanterre, et entre 25 et 75 % par Mme Claire Brisset, défenseure des enfants. Il a à cet égard mentionné les observations selon lesquelles, en cas de divorce et de séparation, on constate une augmentation de la fréquence des cas d'affabulation de la part des enfants (cf. « Les Cahiers de la Sécurité Intérieure » n° 28 de 1997, page 40).

Il a ensuite indiqué que le parent gardien des enfants pouvait également chercher à exclure l'autre parent par le biais d'un déménagement dans une région éloignée de la France ou à l'étranger. Il a fait observer que l'exercice de la coparentalité était difficilement praticable dans le cadre d'une séparation géographique de plusieurs centaines de kilomètres et qu'il était donc nécessaire que les parents gardent un lien se traduisant notamment par des relations de voisinage pour exercer effectivement leur coparentalité.

Il a rappelé que la garde de l'enfant en bas âge était, en pratique, une occupation dans bien des cas incompatible avec une activité professionnelle. Evoquant ensuite la psychologie de l'enfant, il a notamment indiqué que l'enfant était une « véritable éponge » des ressentis et des émotions de ses parents : une difficulté des parents (ou du parent) à assumer cette lourde tâche perturbe immédiatement l'enfant (même nouveau né, voire de façon prénatale).

M. Alain Cazenave a estimé qu'élever un enfant seul constituait un risque majeur et qu'il était important d'être deux pour exercer l'autorité parentale, soulignant que le phénomène de « démission » des parents se manifestait fréquemment dans les familles monoparentales.

De façon générale, il a estimé que la monoparentalité subie devait bénéficier d'une assistance grâce à la mobilisation des ressources publiques et de l'aide des institutions sociales, mais il a, en revanche, redouté l'encouragement à la « fausse » monoparentalité (exclusion de l'autre parent) qui pourrait être la conséquence de mise en place de dispositifs d'aide spécifique aux parents isolés se voyant confier la garde des enfants à l'issue d'une séparation.

S'agissant des familles recomposées, il a estimé que le nouveau conjoint du parent ne pourrait jamais remplacer le parent biologique et il a souhaité que le beau-parent puisse trouver une place et un statut spécifiques qui tiennent compte de cette réalité et aussi de l'éventualité d'une nouvelle séparation du couple recomposé.

A l'issue de cet exposé, Mme Gisèle Gautier, présidente, revenant sur la distinction entre monoparentalité subie et monoparentalité issue d'une séparation, a demandé aux intervenants leurs suggestions concrètes en matière de réforme de la terminologie employée.

M. Alain Cazenave a évoqué le terme de « famille désunie », notamment par la mission d'information sur le droit de la famille mise en place à l'Assemblée nationale.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est ensuite interrogée sur l'application concrète des procédure prévues en matière de non-représentation d'enfant.

M. Alain Cazenave a résumé la situation en estimant que la non-représentation d'enfant était en principe « sanctionnable », mais en pratique « quasiment impunie », rappelant que les plaintes déposées étaient fréquemment classées sans suite.

De même, M. Stéphane Ditchev a rappelé l'existence des sanctions prévues à l'article 227-5 du code pénal, puis a donné des exemples concrets montrant que celles-ci n'étaient pas appliquées.

M. Alain Gournac a tout d'abord salué le caractère remarquablement mesuré des propos des intervenants. Puis il a souligné l'importance vitale des questions abordées, en rappelant que certains pères allaient jusqu'à se suicider de désespoir en raison de la souffrance due à la séparation d'avec leurs enfants, la justice privilégiant souvent le choix de la mère pour la garde des enfants. Puis il a évoqué les départs à l'étranger de parents isolés après une séparation, notamment en Allemagne et aux Etats-Unis, ainsi que la souffrance des enfants qui en résulte.

M. Alain Gournac a enfin insisté sur l'importance du sujet traité par la Délégation, compte tenu notamment de la fréquence croissante des divorces, et sur la nécessité de trouver des solutions permettant de diminuer la souffrance des pères, des mères et des enfants, tout en reconnaissant la complexité de la question.

M. Yannick Bodin a estimé que des solutions existaient pour gérer dans l'harmonie les relations entre les parents séparés et leurs enfants et que ces solutions étaient avant tout humaines. Il a indiqué en revanche que le problème était beaucoup plus complexe dans un contexte d'hostilité entre les parents, l'enfant devenant alors « une bombe à retardement » utilisée dans le conflit parental. Il s'est ensuite interrogé sur une éventuelle modification de l'appellation « famille monoparentale », considérant que le terme de « famille désunie » n'était pas satisfaisant, tout en reconnaissant la pertinence des objections formulées par les intervenants.

Mme Christiane Kammermann a rappelé que, dans la réalité vécue la plupart du temps par les familles séparées, l'un des parents ne s'occupait pas ou peu des enfants.

M. Alain Cazenave a répondu en faisant observer que, quand la famille était unie, un certain partage des tâches s'instaurait. Il a cependant expliqué que ce partage se faisait souvent de façon concertée en fonction de ce qui est le plus facile ou efficace dans le couple : par exemple, le parent qui conduit les enfants à l'école est le plus souvent celui dont l'école est sur le chemin du travail et correspond aux horaires ; en revanche, lorsque le couple est séparé, les « règles du jeu » n'ont plus aucune raison d'être les mêmes.

Mme Christiane Kammermann a estimé fondamental d'encourager les parents qui le souhaitent à porter plainte pour non-représentation d'enfants et demandé davantage d'information sur le rôle des associations auditionnées par la Délégation. Elle a par ailleurs soulevé le problème des déplacements illicites d'enfants à l'étranger.

Mme Hélène Luc a fait part de son extrême préoccupation à l'égard de l'évolution de la famille. Elle s'est dite convaincue que le divorce ou la séparation demeurait un traumatisme. Saluant le courage des associations de pères, elle a évoqué des informations communiquées au moment de la dernière réforme du divorce, selon lesquelles les pères divorcées ne s'occupaient généralement pas des enfants dont ils n'avaient pas la garde, même lorsqu'ils payaient régulièrement les pensions alimentaires.

M. Stéphane Ditchev a indiqué que le recours à la notion de « parent isolé » permettait de cerner les deux parents et de favoriser une conception coparentale de la famille, même séparée. Il a estimé nécessaire de contrecarrer la tendance à un encouragement de la monoparentalité préjudiciable à l'équilibre familial.

Puis il a souligné que l'essentiel n'était pas tant le divorce que la façon dont il se passe. A ce titre, il a regretté que la réaction des institutions face aux difficultés qui se manifestent au sein des couples soit de faciliter la séparation, plutôt que de favoriser la médiation familiale en dehors de procédures judiciaires qui tendent à aggraver les tensions.

M. Gérard Révérend, membre du bureau national de SOS Papa, a souligné que les compétence parentales ne dépendaient pas du sexe, comme le démontrent des travaux expérimentaux irréfutables sur le développement de l'enfant jeune. Il a rappelé que de nombreux sociologues démontraient que les injonctions représentationnelles contradictoires des rôles sexués et parentaux entraînaient une très grande diversité d'implications parentales dont il n'est pas tenu compte lors des jugements de séparation impliquant des enfants : en effet, en dehors de la bonne fortune des accords amiables, on se retrouve avec des décisions quasi-systématiques de garde confiée à la mère, quels que soient les conditions du dossier et les éléments objectifs d'investissement de chaque parent.

M. Gérard Révérend a fait part de son expérience de terrain, avec une grande fréquence de dossiers de familles concernant des mères qui se sont peu investies pour l'enfant très jeune, le père étant alors amené à s'occuper quasi exclusivement de l'enfant ; au cours des procédures, ces dossiers se terminent par une garde classique confiée à la mère.

Il a souligné l'indissociabilité de l'égalité parentale et de l'égalité des sexes, ainsi que la nécessité d'une campagne de revalorisation du rôle du père associée à des mesures incitatives efficaces dans ce sens, à commencer par une distribution équitable pour l'enfant du temps passé avec chaque parent après la séparation quand un père s'est bien investi, pour éviter le « parent démissionné » par le système : ces mesures agiraient également positivement sur les démissions paternelles qui sont à considérer comme une auto-exclusion d'origine culturelle. En tout état de cause, il convient d'agir également, selon lui, en amont contre les « représentations manichéennes des sexes ».

Après avoir remplacé à la présidence Mme Gisèle Gautier, contrainte de se rendre en séance publique, Mme Joëlle Garriaud-Maylam a souhaité synthétiser l'ensemble des interventions. Estimant tout d'abord que la notion de « famille désunie » comportait des connotations négatives, elle a suggéré de retenir le terme de « résidence monoparentale ».

A propos des déplacements illicites d'enfants à l'étranger, elle a évoqué son expérience en la matière et indiqué qu'elle avait beaucoup travaillé sur ce dossier, notamment dans le cadre d'une commission de médiation franco-allemande, en insistant sur la nécessité d'accélérer les procédures et de diminuer leur coût qui demeure excessif, en particulier aux Etats-Unis. Elle a en outre rappelé qu'elle avait interrogé le Gouvernement en vue d'une meilleure sensibilisation aux stipulations de la Convention de la Haye et que celui-ci avait pris un certain nombre de mesures d'information et d'affichage de ce texte trop souvent inappliqué.

Elle a en outre insisté, d'une manière générale, sur l'importance des actions de sensibilisation des juges et des psychologues sur les problèmes posés par la garde des enfants à l'issue d'une séparation.

Elle a enfin félicité la présidente de la délégation d'avoir pris l'initiative de cette audition et indiqué qu'elle s'était toujours efforcée, pour sa part, de respecter l'équilibre entre les droits et les chances des femmes et des hommes.

M. Stéphane Ditchev a indiqué que le déménagement de l'un des parents, même s'il est considéré comme légal, avait parfois les mêmes conséquences que les enlèvements illégaux.

Il a insisté sur les notions de famille, de droits des enfants et de devoirs des parents, et sur le principe de précaution qui consiste à l'égard des enfants à préserver leurs relations avec leurs deux parents. Il a précisé qu'environ 300 000 enfants étaient concernés cette année par une procédure en divorce engagée par leurs parents. Il a enfin souligné que la démarche de son association prenait aussi en compte l'intérêt des femmes, car il n'est pas normal qu'un parent ait seul la charge entière des enfants, et ce n'est pas l'intérêt des enfants.

M. Gérard Révérend, approuvant ce propos, a rappelé que d'après les statistiques, les femmes reconstruisaient une nouvelle vie de couple deux fois moins fréquemment que les hommes après une séparation, et se trouvaient donc plus souvent dans une situation d'isolement.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, présidente, a conclu en souhaitant une revalorisation de la place des deux parents dans l'intérêt des enfants et des structures familiales.