Mercredi 18 janvier 2006

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Violences envers les femmes - Prévention et répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen du rapport, en deuxième lecture, de M. Henri de Richemont sur la proposition de loi n° 138 (2005-2006), modifiée par l'Assemblée nationale, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a d'abord rappelé que ce texte d'initiative sénatoriale, adopté par la haute assemblée le 29 mars 2005, avait été élaboré par la commission des lois sur la base de deux propositions de loi, la première, déposée par M. Roland Courteau et plusieurs membres du groupe socialiste, relative à la lutte contre les violences à l'égard des femmes et notamment au sein des couples, et la seconde, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, relative à la lutte contre les violences au sein du couple.

Le rapporteur a souligné la relative célérité de la procédure parlementaire liée à la volonté partagée du Sénat et de l'Assemblée nationale de parvenir à l'adoption effective de cette proposition de loi. Cette position commune, a-t-il poursuivi, résultait pour une large part de l'accord obtenu dans le cadre de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant sur le traitement de la récidive des infractions pénales ; en effet, en contrepartie de l'intégration dans ce texte, devenu la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005, de dispositions relatives à l'éloignement du conjoint violent, qui figuraient déjà dans le texte d'initiative sénatoriale, le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale avait indiqué qu'il demanderait l'inscription rapide de la proposition de loi portant sur les violences au sein du couple à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Le rapporteur s'est félicité du respect de cet engagement, le texte ayant été examiné par les députés au cours des séances des 13 et 15 décembre 2005.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a relevé qu'au fil de la procédure parlementaire, la portée du texte avait été progressivement étendue avec l'intégration d'abord, en première lecture au Sénat, d'un article additionnel relevant l'âge légal du mariage des femmes de quinze à dix-huit ans puis, à l'Assemblée nationale, de plusieurs dispositions renforçant, d'une part, la lutte contre les mariages forcés, d'autre part, la répression contre les violences faites aux mineurs. Il a observé enfin que les lectures successives au sein des deux assemblées avaient été marquées par le consensus, puisque la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des sénateurs puis des députés.

Evoquant alors les travaux de l'Assemblée nationale, le rapporteur a d'abord relevé que les députés avaient approuvé les principales dispositions du texte issu du Sénat. Ils ont ainsi adopté sans modification le relèvement de l'âge du mariage des femmes ainsi que l'application des circonstances aggravantes d'une part, aux violences commises par la personne liée à la victime par un PACS, d'autre part, au meurtre perpétré au sein du couple. Ils ont également précisé que l'application des circonstances aggravantes aux violences commises par les « ex » ne pourraient être retenues que si l'infraction était commise en raison des relations ayant existé entre l'auteur des faits et la victime.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué également que tout en poursuivant les mêmes objectifs que le Sénat, les députés avaient substitué à une incrimination spécifique de privation des pièces d'identité au sein du couple une autre disposition : l'article 311-12 du code pénal, selon lequel le vol ne peut donner lieu à des poursuites pénales s'il est commis au préjudice du conjoint, ne serait pas applicable lorsqu'il porte sur des objets ou des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime. En outre, alors que le Sénat avait prévu que la qualité de conjoint ne saurait être en matière de viol une cause d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité, les députés ont choisi d'aller plus loin en appliquant les circonstances aggravantes au viol et autres agressions sexuelles commis au sein du couple.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a observé que l'Assemblée nationale avait enfin introduit plusieurs dispositions nouvelles relatives au mariage forcé. Elle a ainsi souhaité préciser que le principe de l'audition des futurs époux pour s'assurer de leur consentement ainsi que la saisine du procureur de la République en cas de doute s'appliqueraient non seulement aux mariages de complaisance mais aussi aux mariages forcés ; elle a également encouragé ces auditions en autorisant la délégation de leur tenue à des fonctionnaires ; elle a ensuite facilité l'annulation des mariages forcés en permettant au ministère public d'engager une telle action et en portant le délai de recevabilité de l'action en nullité de six mois à deux ans lorsque les époux cohabitent ; elle a par ailleurs précisé que l'article 1114 du code civil, selon lequel la seule crainte révérencielle envers un ascendant sans qu'il y ait eu violence n'est pas une cause de nullité du contrat, ne pouvait faire obstacle à l'annulation d'un mariage pour vice de consentement ; elle a enfin étendu aux couples non mariés ayant un enfant commun mineur le dispositif civil d'éviction du conjoint violent du domicile conjugal.

De même, le volet pénal a été complété par l'Assemblée nationale sur quatre points :

- l'interdiction de la possibilité pour le procureur de la République de proposer une seconde médiation en cas de violence conjugale si la première médiation a été sans effet ;

- l'extension au couple non marié ayant un enfant commun mineur du dispositif civil d'éviction du conjoint violent du domicile conjugal ;

- le renforcement de la répression de l'excision et des autres mutilations sexuelles quand de tels actes sont commis à l'étranger à l'encontre d'une victime résidant habituellement en France ;

- la transposition de la décision cadre du conseil de l'Union européenne relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie ;

- l'introduction de plusieurs dispositions concernant la lutte contre le tourisme sexuel.

Le rapporteur a relevé que ces dispositions devaient, pour l'essentiel, être approuvées bien que certaines d'entre elles s'éloignent des objectifs initialement visés par la proposition de loi. Il a indiqué que les amendements qu'il soumettrait à la commission viseraient principalement à conforter le texte issu de l'Assemblée nationale, selon l'esprit de consensus qui avait inspiré les travaux parlementaires en première lecture.

Après s'être également félicité de la célérité avec laquelle le texte avait été inscrit à l'ordre du jour du Sénat, M. François Zocchetto a souhaité dénoncer la persistance de la polygamie, considérant qu'elle représentait une forme de violence conjugale.

Mmes Michèle André et Nicole Borvo ont regretté que la proposition de loi, initialement consacrée à la lutte contre les violences envers les femmes, inclue désormais un certain nombre de cavaliers, qu'il s'agisse de l'âge du mariage des femmes ou de la lutte contre les mariages forcés, le tourisme sexuel ou la pédopornographie ; M. Henri de Richemont en est convenu, tout en estimant difficile de revenir sur ces dispositions en raison du consensus ayant entouré leur adoption à l'Assemblée nationale.

M. Robert Badinter, après avoir déploré ce qu'il a qualifié d'« hyperpénalisation », a indiqué qu'il déposerait un amendement visant à compléter la définition des devoirs des époux inscrite à l'article 212 du code civil afin d'ajouter le respect mutuel, estimant cet engagement indispensable à la prévention des violences conjugales.

Alors que M. Henri de Richemont rappelait la réticence habituelle à modifier le texte d'origine du code civil, M. Robert Badinter a indiqué que cette partie du code avait déjà fait l'objet de modifications.

M. Patrice Gélard ayant objecté que ce complément pourrait être mal venu puisqu'il rappellerait une formulation ancienne selon laquelle la femme doit respect et obéissance à son époux, Mme Michèle André a souligné que ce respect serait mutuel.

Mme Catherine Troendle a pour sa part jugé l'explicitation par l'officier de l'état civil des devoirs des époux plus efficace que la lecture d'articles du code civil lors du mariage.

La commission a finalement adopté un amendement tendant à créer un article additionnel avant l'article 1er B afin de compléter en ce sens l'article 212 du code civil.

A l'article 1er C (délégation de l'audition), la commission a adopté un amendement tendant à prévoir la possibilité pour les agents consulaires de déléguer l'audition des époux ou des futurs époux à l'officier de l'état civil territorialement compétent lorsque l'un des époux ne réside pas dans le pays de célébration du mariage.

A l'article 1er D (nullité pour vice de consentement), la commission a adopté un amendement tendant à supprimer la précision, jugée inutile au regard de l'article 146 du code civil, selon laquelle l'exercice d'une contrainte au mariage constitue un cas de nullité de celui-ci.

M. François Zocchetto s'est cependant interrogé sur l'opportunité de conserver l'apport de l'Assemblée nationale consistant à permettre au procureur de la République de demander la nullité d'un mariage célébré en l'absence de consentement libre de l'un des époux, estimant qu'une telle action devait être réservée aux époux, puisque l'intervention du ministère public pourrait entraîner l'annulation d'un mariage sans leur accord.

M. Christian Cointat a alors évoqué l'attitude de certains consuls, qui refusent de transcrire des mariages en arguant indûment d'une absence de consentement libre, et estimé que l'intervention du procureur de la République pourrait encore aggraver ces difficultés.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a cependant souligné que de telles difficultés étaient provoquées, non par la législation, mais par l'attitude répréhensible de certaines autorités administratives, et que l'Assemblée nationale visait uniquement à permettre à l'autorité judiciaire de se substituer à une personne mariée sous la contrainte qui ne serait pas en mesure de demander l'annulation de son mariage du fait des pressions subies.

M. Patrice Gélard a pour sa part incriminé le mauvais fonctionnement des services de l'état civil des Français de l'étranger situés à Nantes.

M. Laurent Béteille s'étant inquiété de la possibilité pour le ministère public d'intervenir dans la vie privée des époux après la célébration du mariage, M. Henri de Richemont, rapporteur, a rappelé que cette possibilité était déjà prévue par l'article 184 du code civil, qui prévoit une nullité absolue pour défaut de consentement, bigamie, consanguinité ou absence de l'un des époux lors du mariage. Il a en outre rappelé qu'il appartenait au procureur de la République, aux termes de l'article 423 du code de procédure civile, d'agir pour la défense de l'ordre public, et estimé qu'un mariage forcé constituait un trouble plus important à l'ordre public qu'un mariage de complaisance. Il a enfin considéré que le procureur de la République n'engagerait de telles actions qu'avec sagesse, souvent à l'initiative de proches de la victime (professeurs, camarades de classe), et souligné que l'annulation devrait être prononcée par un juge.

A l'article 1er E (délai de recevabilité de la demande en nullité du mariage), la commission a examiné un amendement du rapporteur tendant à porter le délai de recevabilité de la demande en nullité pour violence à cinq ans pour les époux en cas de cohabitation continuée après que l'époux a acquis sa pleine liberté (contre six mois actuellement et deux ans dans le texte adopté par l'Assemblée nationale), ce délai étant porté à trente ans pour le procureur de la République.

M. Robert Badinter et M. Christian Cointat ayant estimé ce délai de 30 ans excessif notamment en présence d'enfants et évoqué le risque de détournement par l'un des époux d'un tel dispositif pour échapper aux conséquences d'un divorce, M. Henri de Richemont, rapporteur, a rappelé que l'intention du gouvernement était initialement de prévoir un délai de trente ans tant pour les époux que pour le procureur de la République. Le rapporteur a cependant proposé de prévoir un délai de cinq ans pour tous.

M. François Zocchetto ayant jugé le délai de deux ans proposé par l'Assemblée nationale suffisant, le rapporteur a rappelé que le délai de droit commun pour les nullités relatives était de cinq ans.

La commission a donc adopté l'amendement rectifié du rapporteur prévoyant un délai de cinq ans tant pour les époux que pour le procureur, ce délai ne courant en vertu de l'article 1304 du code civil qu'à compter du moment où l'époux a retrouvé sa pleine liberté.

A l'article 1er F (crainte révérencielle envers un ascendant), la commission a adopté un amendement tendant à supprimer la précision introduite par l'Assemblée nationale selon laquelle l'article 1114 du code civil, qui prévoit que la seule crainte révérencielle envers un ascendant sans violence exercée n'est pas une cause de nullité du contrat, ne peut faire obstacle à l'annulation d'un mariage pour vice de consentement, cet article relevant de la théorie générale des contrats et n'ayant pas vocation à s'appliquer au mariage.

A l'article 4 (circonstance aggravante pour le viol commis au sein du couple), la commission n'a pas souhaité retenir la circonstance aggravante, adoptée par l'Assemblée nationale, pour les agressions sexuelles commises au sein du couple ; elle est revenue à la position prise par le Sénat en première lecture, dans une formulation toutefois plus satisfaisante sur le plan juridique : elle a adopté un amendement tendant à compléter l'article 222-22 du code pénal afin de prévoir explicitement que l'infraction d'agression sexuelle peut être constituée au sein du couple, la présomption du consentement des époux à l'acte sexuel ne valant que jusqu'à preuve contraire.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a rappelé que la position prise par le Sénat en première lecture avait fait l'objet d'une concertation approfondie et reçu l'accord de l'ensemble des groupes politiques et qu'elle paraissait répondre en outre aux préoccupations exprimées par les différents représentants des associations qu'il avait pu rencontrer. Mme Michèle André a souligné l'absence de demande de créer une telle circonstance aggravante.

A l'article 5 (incarcération de la personne en cas de manquement aux obligations du contrôle judiciaire), la commission a adopté un amendement tendant à étendre aux ex-conjoints, ex-concubins, ainsi qu'aux pacsés et aux ex-pacsés, les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture, puis insérées dans la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive, permettant l'éloignement de l'auteur de violences au sein du couple.

A l'article 5 bis A (extension aux couples non mariés ayant un enfant commun mineur du dispositif d'éviction du conjoint violent du domicile conjugal), la commission a adopté un amendement tendant à supprimer l'extension du dispositif civil d'éviction du conjoint violent du domicile aux couples non mariés ayant un enfant commun mineur, au motif qu'un dispositif pénal particulièrement complet était prévu par la récente loi relative au traitement de la récidive en matière pénale.

La commission a ensuite adopté un amendement tendant à supprimer l'article 5 bis B (impossibilité de proposer une deuxième médiation pénale en cas de violence conjugale).

M. Henri de Richemont, rapporteur, a estimé que si une médiation pénale n'était en tout état de cause pas adaptée aux cas de violences graves, les situations individuelles pouvaient être cependant variées et qu'il serait regrettable de limiter la marge d'appréciation du juge.

Mme Michèle André a considéré tout à fait inopportune la mise en oeuvre d'une médiation pénale pour les violences conjugales répétées.

Enfin, à l'article 5 quater (interdiction de sortie du territoire pour l'auteur d'un viol ou d'une autre agression sexuelle à l'encontre de mineurs), la commission a adopté un amendement de coordination.

La commission a adopté en deuxième lecture la proposition de loi ainsi modifiée.