Mardi 21 février 2006

- Présidence de M. Georges Othily, président.

Audition de Mme Colette Horel, déléguée interministérielle à la lutte contre le travail illégal

La commission d'enquête a tout d'abord entendu Mme Colette Horel, déléguée interministérielle à la lutte contre le travail illégal.

En préambule, Mme Colette Horel, déléguée interministérielle à la lutte contre le travail illégal, a indiqué qu'il n'y avait pas de coïncidence entre le travail dissimulé et l'immigration clandestine, puisque l'emploi d'étrangers sans titre ne représente que 10 % du total des infractions relevées en matière de travail illégal. Elle a insisté ensuite sur les conséquences négatives du travail dissimulé : il induit une perte de recettes fiscales et sociales, désorganise le marché du travail, prive les salariés de leurs droits et instaure une concurrence déloyale entre les entreprises.

Puis elle a souligné que de multiples corps de contrôle participaient à la répression du travail illégal : la police et la gendarmerie, l'inspection du travail, les douanes, les services des impôts et des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF). Les agents des impôts et des URSSAF ne sont toutefois pas habilités à verbaliser l'infraction d'emploi d'étrangers sans titre. La délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI), qui emploie une trentaine de personnes, a pour vocation de coordonner l'action de ces différents services. Elle offre un service d'appui aux équipes de contrôle, dispose d'un service d'études, ainsi que d'un bureau de liaison avec ses homologues européens, et mène des actions de formation. Les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI) animent les actions conduites au plan local, avec, depuis 2005, le soutien des groupements d'intervention régionaux (GIR). La Commission nationale de lutte contre le travail illégal, présidée par le ministre en charge du travail, a vu son activité s'amplifier depuis 2004. Le Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI) a également intégré le travail illégal dans son champ d'action.

Mme Colette Horel a noté que les secteurs prioritaires de contrôle retenus en 2004 et 2005 étaient fortement touchés par l'emploi d'étrangers sans titre : bâtiment et travaux publics (BTP), agriculture, hôtels, cafés et restaurants. Elle a observé que l'attractivité de ces secteurs, qui connaissent des difficultés persistantes de recrutement, n'était pas améliorée par le recours au travail illégal.

En application d'une circulaire de juillet 2005, les préfets ont mené des opérations de grande envergure, qui ont permis de contrôler 15.000 personnes et de verbaliser 611 employeurs en infraction. L'infraction d'emploi d'étrangers sans titre impliquait, dans 78 % des cas, des étrangers dépourvus à la fois de titre de séjour et d'autorisation de travail, le solde étant constitué d'étrangers titulaires d'un titre de séjour mais ne disposant pas d'autorisation de travail. Ces opérations de grande envergure vont être renouvelées en 2006, une opération, au moins, devant être réalisée dans les départements chaque semestre. Un nouveau plan d'action, dont les objectifs ne sont plus définis en fonction de secteurs prioritaires, mais par types d'infractions, a été adopté pour les années 2006 et 2007.

Mme Colette Horel a ensuite rappelé que les sanctions encourues par les employeurs ayant recours au travail illégal avaient été renforcées ces dernières années : la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises, a ainsi prévu de les priver de l'ensemble des aides publiques aux entreprises, tandis que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 a prévu le remboursement des allègements et exonérations de cotisations sociales dont ils ont pu bénéficier. Les décrets d'application de ces mesures sont actuellement en cours de signature. Le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration prévoit de renforcer la responsabilité des donneurs d'ordre, en les rendant solidairement responsables du paiement de la contribution spéciale due à l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), qui serait également étendue aux particuliers employeurs coupables d'infraction.

Mme Colette Horel a enfin évoqué les difficultés posées par le détachement de salariés communautaires. Les salariés détachés peuvent rester affiliés au régime de sécurité sociale de leur pays d'origine, mais se voient appliquer les règles relatives au salaire minimum en vigueur dans le pays d'accueil. Les services de contrôle s'attachent à vérifier le respect des minima salariaux et luttent contre certains abus, des entreprises se constituant en effet dans les pays d'Europe centrale et orientale uniquement pour détacher des salariés à l'étranger. Une coopération fructueuse se met en place avec les Etats étrangers, notamment la Pologne.

En réponse à une question de M. François-Noël Buffet, rapporteur, sur l'opportunité de créer une nouvelle catégorie de visa pour les travailleurs saisonniers, Mme Colette Horel a indiqué qu'un tel dispositif posait le problème du contrôle du retour dans leur pays d'origine des travailleurs étrangers, ajoutant que l'ANAEM effectuait déjà de tels contrôles au Maroc.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a ensuite demandé quel était le quantum des peines infligées aux employeurs par les tribunaux en cas de travail illégal.

Mme Colette Horel a répondu que les condamnations étaient le plus souvent assez faibles : le montant moyen des amendes infligées aux employeurs n'excède pas 3.000 euros, alors que les peines prévues peuvent s'élever jusqu'à 45.000 euros en cas de travail dissimulé et à 15.000 euros, par salarié, en cas d'emploi d'un étranger sans titre. Elle a estimé que les juges n'appréciaient pas toujours à leur juste mesure l'ampleur des bénéfices retirés par les entreprises du recours au travail illégal et a regretté que les procès-verbaux des inspecteurs du travail ou des officiers de police judiciaire ne mettent pas suffisamment en évidence cet élément.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a également souhaité obtenir des précisions sur les conditions de mise en cause de la responsabilité des particuliers employeurs.

Mme Colette Horel a rappelé que le projet de loi sur l'immigration et l'intégration prévoyait de les soumettre à la contribution versée à l'ANAEM en cas de recours au travail illégal. Elle a souligné que la lutte contre l'emploi de travailleurs illégaux par des particuliers se heurtait à l'impossibilité dans laquelle se trouvent les services de contrôle de pénétrer dans les domiciles privés. Il convient donc de compléter l'approche répressive par une politique de prévention. Ajoutant que la prévention faisait partie intégrante du travail de la DILTI, elle a cité, à cet égard, la charte de bonnes pratiques dont s'était doté le BTP.

En réponse à une question de M. Alain Gournac sur la lutte contre les filières d'immigration clandestine, Mme Colette Horel a confirmé que les services de police s'efforçaient de démanteler les filières, avant de rappeler que la plupart des immigrés clandestins entraient cependant sur le territoire dans des conditions régulières.

En réponse à une question de Mme Alima Boumediene-Thiery, qui demandait si les étrangers en situation irrégulière victimes du travail illégal pouvaient se voir reconnaître un droit au séjour, Mme Colette Horel a indiqué que le fait pour un étranger en situation irrégulière d'être victime de travail illégal était sans incidence sur son droit à séjourner sur notre territoire.

M. Bernard Frimat a souligné que les notions d'immigration clandestine et de travail dissimulé ne se recouvraient que très partiellement et s'est interrogé sur l'effet d'attraction exercé par le travail illégal sur l'immigration clandestine.

Mme Colette Horel a précisé que la moitié des personnes employant des étrangers sans titre étaient de nationalité française. Elle a indiqué que des communautés étrangères étaient particulièrement représentées dans certains secteurs d'activité, citant les Turcs dans le domaine du BTP et les Chinois dans le secteur de la confection. Elle a enfin ajouté que les conditions de travail les plus dégradées se rencontraient dans le secteur agricole.

Audition de M. Philippe Leyssène, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles de l'outre-mer au ministère de l'outre-mer

La commission d'enquête a ensuite entendu M. Philippe Leyssène, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles de l'outre-mer au ministère de l'outre-mer.

M. Philippe Leyssène a indiqué que le phénomène de l'immigration clandestine dans les départements et collectivités d'outre-mer présentait trois caractéristiques :

- d'une part, une ampleur particulière, dans la mesure où près de 50 % des mesures de reconduites à la frontière effectuées en France le sont au départ des départements et collectivités ultramarines, dont la moitié depuis la collectivité départementale de Mayotte ;

- d'autre part, un contexte géographique spécifique, caractérisé par le caractère insulaire ou les dimensions particulières de ces territoires, l'histoire des mouvements migratoires ainsi que de forts écarts de développement économique et social entre ces territoires et les Etats voisins ;

- enfin, des effets déstabilisateurs sur le développement économique des collectivités territoriales d'outre-mer, sur les besoins en équipements publics ainsi que sur le tissu social, avec une montée de la xénophobie.

Il a souligné que l'immigration clandestine touchait tout particulièrement trois collectivités ultramarines : la Guadeloupe, compte tenu de l'immigration originaire de la République d'Haïti, en augmentation constante ; la Guyane, en raison de l'afflux d'immigrants en provenance du Surinam, du Brésil et du Guyana ; et Mayotte, du fait de sa proximité avec les îles de la République fédérale islamique des Comores.

Il a reconnu que l'évaluation quantitative du phénomène de l'immigration clandestine en outre-mer posait problème et que, bien que des marqueurs ponctuels puissent faire apparaître l'importance de la pression migratoire, il convenait d'être prudent sur une évaluation chiffrée précise.

M. Philippe Leyssène a estimé que des considérations économiques et sociales pouvaient expliquer l'importance de l'immigration clandestine dans les départements et collectivités d'outre-mer, et notamment à Mayotte, en Guyane et en Guadeloupe.

Il a indiqué que les collectivités territoriales d'outre-mer constituaient des îlots de prospérité dans un environnement régional marqué par un faible développement économique et social et exerçaient de ce fait une forte attraction sur les populations des Etats voisins. Il a ainsi rappelé que, selon l'INSEE, le produit intérieur brut par habitant de la Guyane représentait, en 2002, treize fois celui du Surinam, quinze fois celui du Guyana et trente-neuf fois celui d'Haïti, celui de la Guadeloupe quarante-huit fois celui d'Haïti et celui de Mayotte neuf fois celui des Comores, bien qu'il soit lui-même trois fois inférieur à celui de la Réunion.

Il a souligné l'attractivité que les collectivités ultramarines françaises pouvaient également présenter en matière sanitaire et sociale, compte tenu de la qualité de leurs équipements et de la prise en charge des malades. Il a précisé que si, en principe, l'octroi de prestations sociales était soumis à une condition de régularité du séjour sur le territoire national, deux dispositifs pouvaient bénéficier aux étrangers sans titres : d'une part, l'aide médicale d'Etat (AME), applicable aux étrangers présents sur le territoire français depuis plus de trois mois ; d'autre part, le dispositif des soins urgents, qui s'appliquait aux étrangers qui n'établissaient pas leur présence sur le territoire depuis au moins trois mois. Il a mis en exergue le fait que le nombre important de bénéficiaires de ces dispositifs ainsi que les coûts engendrés mettaient certaines collectivités dans des situations très difficiles, comme c'était le cas en Guyane.

Il a indiqué que la proximité géographique et culturelle des départements et collectivités d'outre-mer avec leur environnement régional constituait également un facteur favorisant l'immigration des populations des Etats voisins. Il a évoqué la proximité culturelle et géographique de Mayotte avec l'île comorienne d'Anjouan ainsi que le fait que les fleuves Oyapock et Maroni, avant de constituer des lignes de partage entre la Guyane et le Brésil et le Surinam, étaient d'abord des moyens de communication.

Il a enfin souligné que les territoires ultramarins français reflétaient l'image d'un Etat de droit démocratique, stable et sécurisé, ce qui faisait croître le désir de certaines populations confrontées à des situations politiques internes difficiles, tels les Haïtiens, de gagner les départements d'outre-mer que sont la Guadeloupe et la Guyane.

M. Philippe Leyssène a ensuite souligné que l'immigration clandestine avait un impact économique et social négatif sur les collectivités ultramarines. Il a observé que si cet impact était difficile à mesurer précisément dans sa globalité, il n'en était pas moins réel, notamment en se référant aux données relatives à l'AME et au dispositif des soins urgents.

Au point de vue économique, il a indiqué l'importance du travail illégal effectué par des clandestins, plus forte qu'en métropole, reconnaissant néanmoins que le travail dissimulé pouvait également être le fait de nationaux français ou d'étrangers en situation régulière. Il a relevé la stabilité de la part du travail dissimulé imputable aux immigrés clandestins, de l'ordre de 10 à 12 % en Guyane et en Guadeloupe, tandis qu'il ne s'élevait qu'à 7 ou 8 % en Martinique et qu'à 5 % à la Réunion. Il a précisé que l'emploi des clandestins concernait essentiellement des secteurs économiques nécessitant une main-d'oeuvre peu qualifiée, comme le bâtiment et les travaux publics, l'hôtellerie et la restauration, les transports, le spectacle ou la coiffure. Il a souligné le cas particulier de l'orpaillage en Guyane. Il a regretté que Mayotte ne soit pas dotée d'une représentation de l'Agence nationale pour l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), qui aurait permis d'organiser des flux de travail dans le cadre d'une immigration régulière.

Il a estimé que le développement touristique des collectivités ultramarines qui connaissaient une forte immigration clandestine était également affecté, notamment en raison des problèmes de sécurité et de protection du patrimoine historique ou environnemental.

M. Philippe Leyssène a relevé que l'immigration clandestine outre-mer avait des conséquences directes sur la vie quotidienne des populations ultramarines, soulignant les problèmes occasionnés en matière de logement. Il a ainsi évoqué le développement important de l'habitat insalubre qui, de 1998 à 2003, avait augmenté de 42 % à Mayotte, de 30 % en Guyane et de 5 % en Guadeloupe alors qu'il reculait, dans le même temps, de 3 % à la Réunion, soulignant la constitution de bidonvilles en Guyane et à Mayotte. Il a expliqué que cette augmentation était fortement liée à l'arrivée massive d'immigrants qui, compte tenu de leur irrégularité, n'étaient pas éligibles aux dispositifs du logement social.

Citant l'exemple de Mayotte, il a indiqué que les deux tiers des étrangers présents sur le territoire mahorais étaient répartis sur trois communes et que Mamoudzou accueillait davantage d'étrangers que de Mahorais. Il a souligné que l'immigration comorienne à Mayotte était désormais principalement composée de femmes, et noté le développement de couples mixtes unissant un Français et une Comorienne (20 % des mariages), ce qui posait de grandes difficultés pour la transmission des biens immobiliers qui, selon le droit local, ne sont transmis que par les femmes.

Il a mis en exergue les conséquences de l'immigration clandestine sur les conditions de scolarisation dans les collectivités ultramarines, notamment à Mayotte et en Guyane. Il a d'abord souligné que la situation actuelle représentait un défi quantitatif pour ces collectivités, indiquant qu'à Mayotte le nombre d'enfants scolarisés avait doublé en dix ans, atteignant 60.000 élèves, cette évolution étant due en partie à l'augmentation des enfants étrangers en situation irrégulière, qui représentaient le tiers des effectifs scolarisés. Il a précisé qu'à Guyane, le nombre d'enfants non scolarisés était estimé à 4.000.

Il a souligné la charge que cet afflux constituait pour les collectivités territoriales, tant pour la construction que pour le fonctionnement de nouveaux établissements d'enseignement dans le primaire et le secondaire. Il a insisté sur la situation des communes, relevant la situation particulière des communes de Guyane où le recensement officiel de l'INSEE, datant de 1999, ne reflétait plus fidèlement la situation locale ce qui s'avérait pénalisant pour le calcul de leurs ressources. Il a estimé que les maires de Guyane devraient procéder à des recensements complémentaires.

Il a ensuite observé que l'afflux d'immigrés clandestins posait un défi qualitatif, dans la mesure où la mauvaise maîtrise de la langue par les élèves étrangers entraînait des retards d'apprentissage pour ces populations. Il a indiqué que l'observation des taux d'insertion professionnelle des jeunes du service militaire adapté dans les collectivités qui connaissaient une forte immigration irrégulière démontrait que celle-ci créait un phénomène de concurrence déloyale dans l'accès au travail, même si ce dernier restait, pour les étrangers en situation irrégulière, nécessairement dissimulé.

Il a indiqué que l'immigration clandestine que connaissaient les collectivités ultramarines avait également des effets négatifs sur le fonctionnement des équipements publics en créant notamment un phénomène de saturation dans les établissements sanitaires et sociaux, ce qui entraînait une baisse de la qualité de l'offre de soins.

M. Philippe Leyssène a enfin insisté sur les conséquences du phénomène migratoire sur l'insertion régionale des départements et collectivités d'outre-mer. Il a estimé nécessaire de développer les liens des collectivités ultramarines avec leur environnement régional, soulignant l'existence d'outils spécifiques en la matière et de financements communautaires. Il a néanmoins souligné que le développement des échanges commerciaux avec les Etats voisins pourrait avoir pour conséquence d'accentuer la pression migratoire.

Il a évoqué le rôle que pourrait jouer, en matière de coopération, les fonds de coopération régionale institués par la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer, soulignant que ceux-ci avaient, jusqu'à présent, été orientés essentiellement dans des actions à caractère culturel ou sportif.

Il a insisté sur le rôle que pourraient jouer, en matière de développement économique régional, les services du ministère de la coopération ainsi que l'Association française de développement (AFD), suggérant que celle-ci puisse gérer des actions de coopération pour le compte des collectivités territoriales d'outre-mer. Il a également souligné l'intérêt de renforcer les moyens de la coopération décentralisée.

Concernant la coopération transfrontalière et transrégionale, il a indiqué l'importance des moyens financiers qui pourraient provenir des fonds de l'Union européenne, notamment pour le développement de la Guyane. Il a souhaité que le dixième programme du Fonds européen de développement (FED) puisse être l'occasion de renforcer les programmes régionaux de développement. Il a également mentionné la coopération pouvant s'effectuer dans le cadre des accords de Cotonou relatifs au partenariat entre l'Union européenne et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

Il a souligné que l'immigration pouvait être un facteur de développement pour les collectivités ultramarines mais que la façon dont celle-ci se déroulait actuellement y constituait au contraire un frein. Pour cette raison, il a estimé qu'il convenait d'abord de prendre des mesures de police appropriées pour limiter les flux afin d'assurer les bases d'un développement durable de ces territoires.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé si les gouvernements du Surinam, du Brésil et des Comores étaient demandeurs d'une politique de coopération qui s'effectue dans de réelles conditions de transparence.

M. Philippe Leyssène a répondu qu'il existait une volonté officielle de ces gouvernements. Il a souligné que l'AFD pourrait être à même de définir des procédures de coopération appropriées.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a rappelé que la coopération régionale, notamment en matière sanitaire, ne permettait pas nécessairement d'endiguer l'immigration clandestine, citant l'exemple de l'hôpital d'Albina, au Surinam, qui, financé avec des aides françaises, n'avait pas empêché l'afflux de ressortissants surinamiens à Saint-Laurent du Maroni.

M. Philippe Leyssène a expliqué que les ressortissants des Etats voisins pouvaient également être attirés par l'acquisition de la nationalité française, en tant que telle.

M. Louis Mermaz a estimé que le renforcement des mesures de répression ne permettrait pas, à lui seul, de faire diminuer l'afflux des clandestins. Il a prôné une politique de développement régional réelle, notamment pour apporter des solutions aux problèmes rencontrés à Mayotte. Il a souhaité une plus grande implication de l'Union européenne dans ce domaine.

M. Philippe Leyssène a indiqué que la situation actuelle était telle qu'il était nécessaire de renforcer les dispositifs de contrôle, soulignant l'évolution extrêmement défavorable qu'avait connue en cinq ans, en matière de santé et de salubrité publiques, la commune de Mamoudzou, même si une action de coopération régionale était effectivement indispensable dans le même temps.

M. Louis Mermaz a souligné la forte demande de main-d'oeuvre à Mayotte et a estimé qu'il conviendrait de mieux organiser les conditions de l'accueil régulier de travailleurs étrangers.

M. Philippe Leyssène a estimé qu'une représentation de l'ANAEM à Mayotte serait souhaitable mais ne réglerait vraisemblablement pas pour autant le problème des flux irréguliers d'étrangers, rappelant à nouveau l'effet attractif qu'exerçait la possibilité d'accéder à la nationalité française.

M. Alain Gournac a insisté sur l'incidence de l'immigration clandestine sur la scolarisation à Mayotte, jugeant que la situation actuelle était inacceptable, certains élus locaux étant menacés physiquement. Il a souligné l'importance des réseaux mis en place pour attirer les Comoriens à Mayotte et qui s'assimilaient à de véritables trafics d'être humains.

Mme Alima Boumediene-Thiery a estimé que l'attrait de la nationalité française était un leurre, compte tenu des nombreuses conditions nécessaires pour l'acquérir. Elle s'est interrogée sur l'étendue des spécificités régionales dans un Etat unitaire tel que la France.

M. Philippe Leyssène a indiqué que la France était diverse et que certains territoires avaient indéniablement des caractères particuliers.

M. Georges Othily, président, a rappelé que la Constitution consacrait, pour les collectivités situées outre-mer, la soumission au principe de l'assimilation législative, susceptible d'adaptation, ou, à l'inverse, au principe de la spécialité législative. Il a relevé que, pour les collectivités d'outre-mer, le principe de spécialité était justifié par l'existence de spécificités et de contraintes particulières. Il a insisté sur l'existence, dans certaines collectivités, d'un droit local.

Mme Catherine Tasca, reconnaissant la situation spécifique de l'immigration outre-mer, a estimé qu'il convenait de prendre garde à ne pas l'assimiler à celle existant dans l'hexagone.

Audition de Mme Armelle Gardien et M. Pierre Cordelier, représentants du Réseau éducation sans frontières (RESF)

Enfin, la commission d'enquête a entendu Mme Armelle Gardien et M. Pierre Cordelier, représentants du Réseau éducation sans frontières (RESF).

Mme Armelle Gardien a exposé qu'au cours d'une réunion organisée le 26 juin 2004 à la Bourse du Travail de Paris, des enseignants, des personnels de l'éducation nationale, des parents d'élèves, des éducateurs, des collectifs, des syndicats et des associations, indignés de constater que des jeunes étrangers sans papiers scolarisés cessaient de venir en cours après avoir reçu une invitation à quitter le territoire français, avaient lancé un appel à leur régularisation et décidé la création d'un réseau de soutien nommé éducation sans frontières, dépourvu de statut mais comptant parmi ses adhérents ou ses appuis environ 120 organisations : collectifs, syndicats, associations de parents d'élèves, associations de défense des droits de l'homme, partis politiques de gauche...

Elle a observé que ce phénomène s'était développé depuis une dizaine d'année et aggravé depuis la loi du 26 novembre 2003, ajoutant que l'année scolaire 2004-2005 avait été marquée par de nombreux arrêtés de reconduite à la frontière concernant des jeunes sans papiers scolarisés ou leurs parents, par une forte mobilisation de la communauté éducative pour éviter leur éloignement et par l'envoi aux préfets d'une circulaire du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, datée du 31 octobre 2005, les invitant à différer ces mesures jusqu'aux grandes vacances.

Elle a estimé que cette circulaire n'avait accordé aux familles qu'un répit de courte durée et exprimé la crainte que des milliers de reconduite à la frontière ne soient exécutées au cours de l'été 2006. Elle a en outre observé que plusieurs préfets avaient continué de prendre des arrêtés de reconduite à la frontière à l'encontre soit de l'un des deux parents en situation irrégulière, soit de la famille entière lorsque les enfants n'étaient pas ou plus en âge d'être soumis à l'obligation scolaire.

Mme Armelle Gardien a indiqué que ces jeunes, souvent honteux de leur situation et craignant d'être rejetés, n'osaient généralement pas la révéler à leurs professeurs et leurs camarades jusqu'à ce qu'un membre de leur famille ou eux-mêmes fassent l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière. Citant plusieurs cas concrets, elle a toutefois souligné qu'à chaque fois que l'un d'entre eux était menacé de reconduite à la frontière, il rencontrait la compréhension et le soutien de ses professeurs, de ses camarades et des parents d'élèves. Elle a déploré que les actions entreprises pour empêcher l'exécution des mesures d'éloignement n'exposent leurs auteurs, « délinquants de la solidarité », à des poursuites pénales.

En conclusion, elle a marqué la volonté du Réseau de se mobiliser et d'alerter l'opinion publique afin d'obtenir le maintien sur le territoire national des jeunes étrangers scolarisés et de leurs parents en situation irrégulière.

M. Pierre Cordelier a observé que cette mobilisation dépassait le cadre habituel des syndicats et des associations de défense des droits de l'homme mais rassemblait également des enseignants, des parents d'élèves peu habitués aux actions militantes.

Estimant à plusieurs milliers le nombre des jeunes sans papiers scolarisés, il a observé que certains d'entre eux étaient entrés irrégulièrement en France, en raison notamment des difficultés d'exercice du droit au regroupement familial, tandis que d'autres étaient nés sur le sol français. Il a souligné que la plupart étaient ignorants des risques encourus mais éprouvaient des sentiments diffus de peur et de honte.

M. Pierre Cordelier a jugé inacceptable que les valeurs de la République, dont ses dirigeants se prévalent lors de leurs déplacements à l'étranger, et les stipulations de conventions internationales, telles que la convention sur les droits de l'enfant ou la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, soient bafouées dans les établissements d'enseignement. Il a considéré que les enseignants, chargés de transmettre ces valeurs, ne pouvaient pas ne pas réagir lorsqu'ils voyaient les forces de l'ordre surgir dans leurs classes pour appréhender l'un de leurs élèves et le conduire dans un centre de rétention administrative. Il a déclaré que ces « délinquants de la solidarité » avaient le sentiment de défendre les valeurs républicaines.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité connaître le nombre des jeunes scolarisés sans papiers pris en charge par le Réseau éducation sans frontières.

Mme Armelle Gardien lui a répondu que le Réseau était de création récente, ne s'était pas constitué sous la forme associative et ne tenait pas de statistiques sur ses activités. Elle a estimé à plus de 10.000 le nombre des jeunes étrangers sans papiers scolarisés, tout en soulignant la difficulté de disposer d'évaluations fiables.

M. Pierre Cordelier a indiqué qu'un lycée professionnel parisien comptait une trentaine de jeunes étrangers sans papiers.

Mme Armelle Gardien a observé que leur proportion était sans doute plus importante dans les lycées professionnels mais souligné que les lycées Lakanal et Marie Curie de Sceaux comptaient eux aussi, parmi leurs élèves, des jeunes étrangers sans papiers.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, s'est interrogé sur le nombre des mineurs étrangers isolés scolarisés.

M. Pierre Cordelier lui a répondu que les jeunes sans papiers scolarisés n'étaient généralement pas isolés mais résidaient en France avec leur famille. Il a toutefois évoqué le cas d'un jeune albanais dont les parents avaient été assassinés, tout en précisant qu'il n'était pas vraiment isolé dans la mesure où il bénéficiait d'un hébergement.

M. Bernard Frimat a exposé que le recteur de l'Académie d'Amiens avait demandé aux chefs des établissements de son ressort de recenser les élèves dont les parents étaient en situation irrégulière, dans le but de les protéger. Faisant observer que de telles listes pouvaient également être utilisées pour procéder à des reconduites à la frontière, il a souhaité savoir si d'autres recteurs avaient pris de telles initiatives. Par ailleurs, il a jugé schizophrène l'attitude consistant à former des jeunes étrangers pendant des années dans les établissements d'enseignement pour les reconduire à la frontière à leur majorité.

Tout en se défendant de vouloir procéder à des analogies inappropriées, M. Pierre Cordelier a déclaré que l'histoire avait montré les dangers inhérents à l'établissement de listes d'individus. Il a relevé que des tentatives de recensement des élèves dont les parents étaient en situation irrégulière avaient été effectuées en Seine-Saint-Denis ainsi qu'à Nantes en 2005, et exprimé la crainte que les services de l'éducation nationale ne soient instrumentalisés pour mener à bien des opérations policières.

Mme Alima Boumediene-Thiery a souhaité savoir s'il était vrai, comme certains l'alléguaient, que les enfants d'étrangers en situation irrégulière étaient plus fréquemment que les autres en situation d'échec scolaire et que leur présence avait pour conséquence d'entraîner une baisse du niveau de l'enseignement.

Mme Armelle Gardien a souligné que rien ne distinguait les élèves sans papiers des autres et que leur travail scolaire ne permettait pas de découvrir leur situation. Elle a toutefois observé que la précarité des conditions de vie des enfants d'étrangers en situation irrégulière rendait plus difficiles leurs études, ajoutant qu'ils ne participaient pas à certaines activités organisées à l'extérieur des établissements par peur des contrôles policiers.

M. Pierre Cordelier a souligné que les étrangers en situation irrégulière fondaient de grands espoirs sur l'école, attendant d'elle qu'elle assure à leurs enfants un meilleur avenir que le leur.

Mme Catherine Tasca a souhaité connaître l'état d'esprit du corps enseignant, dans son ensemble, à l'égard de la situation des enfants d'étrangers en situation irrégulière scolarisés. Elle s'est demandé, d'une part, s'il n'était pas contradictoire de poser le principe de l'instruction obligatoire pour les enfants étrangers âgés de six à seize ans et de reconduire à la frontière ceux qui seraient dépourvus d'un titre de séjour à leur majorité, d'autre part, s'il n'était pas envisageable de réserver à ces derniers un traitement particulier dans le cadre de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière.

Mme Armelle Gardien lui a répondu qu'elle ne pouvait s'exprimer au nom de l'ensemble du corps enseignant mais qu'elle avait constaté, à chaque fois qu'un élève ou l'un de ses parents avait été menacé de reconduite à la frontière, une forte mobilisation des enseignants de l'établissement concerné. Elle a jugé inconcevable de reconduire dans des pays qu'ils ne connaissent pas des jeunes nés et ayant suivi toute leur scolarité en France. Elle a souligné les effets destructeurs de ces mesures, en indiquant que les cahiers de classe étaient les premiers objets que les enfants conduits dans des centres de rétention administrative voulaient emporter avec eux.

M. Pierre Cordelier a jugé contraire aux valeurs de la République l'envoi des forces de l'ordre dans les établissements d'enseignement pour appréhender des enfants et les placer en centre de rétention administrative. Observant que quatre écoles du vingtième arrondissement de Paris étaient en grève pour soutenir une mère de famille faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière alors qu'elle résidait en France depuis quatorze ans, il a souligné à nouveau que la situation des jeunes sans papiers scolarisés suscitait la mobilisation de l'ensemble de la communauté éducative et non des seuls militants des droits de l'homme.

Mme Armelle Gardien a ajouté que les parents d'élèves jouaient un rôle moteur au sein du Réseau.

M. Louis Mermaz a demandé si le Réseau était bien connu dans le monde scolaire.

Mme Armelle Gardien et M. Pierre Cordelier lui ont répondu que l'afflux des demandes adressées au Réseau témoignait de sa notoriété.

Mme Catherine Tasca a pris note du rôle des parents d'élèves au sein du Réseau.

Mme Armelle Gardien a observé que l'inhumanité des mesures de reconduite à la frontière prises à l'encontre des jeunes sans papiers scolarisés suscitait des réactions citoyennes dépassant les clivages politiques et syndicaux.

Mercredi 22 février 2006

- Présidence de M. Alain Gournac, vice-président, puis de M. Georges Othily, président.

 Audition de M. Patrick Stefanini, secrétaire général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI)

La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Patrick Stefanini, secrétaire général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI).

M. Patrick Stefanini a introduit son propos en rappelant la création récente du CICI, qui résulte d'un décret du 26 mai 2005. L'article premier de ce texte précise les missions du comité, chargé de fixer les orientations de la politique nationale en matière de contrôle des flux migratoires. Présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre de l'intérieur -actuellement le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire- le CICI comprend, en dehors du Premier ministre, huit ministres, d'autres membres du gouvernement pouvant être appelés à participer à ses travaux.

M. Patrick Stefanini a rappelé que le CICI, installé le 10 juin 2005, s'était réuni le 27 juillet 2005, sous la présidence du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, puis les 29 novembre 2005 et 9 février 2006, sous la présidence du Premier ministre.

Il a indiqué que le secrétariat général du CICI comprenait, outre le secrétaire général, nommé par décret en Conseil des ministres et chargé de préparer les travaux et délibérations du comité, cinq fonctionnaires de catégorie A' mis à disposition par les ministères concernés directement ou indirectement par le contrôle des flux migratoires, et qu'il était doté d'un petit budget.

Il a précisé que le secrétariat général n'avait pas autorité sur les différents services compétents en matière de contrôle de l'immigration, mais qu'il avait un rôle de coordination et d'impulsion et qu'il agissait en fonction des mandats qui lui étaient donnés par le CICI lors de ses réunions.

Il a ensuite exposé les actions menées par le CICI dans le cadre des six mandats qui lui ont été confiés.

Le premier de ces mandats porte sur la politique des visas et la coopération entre les consulats et les préfectures : il s'est traduit par diverses actions en cours de réalisation.

Rappelant que l'immigration irrégulière pouvait résulter soit de l'entrée sans visa soit du maintien sur le territoire au-delà de la limite de validité d'un visa, M. Patrick Stefanini, observant la remarquable stabilité du nombre des délivrances de visas de court ou long séjour, a indiqué qu'avait été mis au point un tableau de bord mensuel des visas délivrés par la France permettant de déceler d'éventuels « dérapages ».

Le comité a ensuite décidé, le 27 juillet 2005, d'étendre avant la fin de 2006 l'expérimentation du visa biométrique, engagée lors de sa création dans cinq consulats, à une trentaine de postes situés dans des pays sources d'immigration -et d'immigration irrégulière- forte.

En troisième lieu, une expérience a été lancée dans une dizaine de postes pour contrôler les retours en faisant obligation aux bénéficiaires de visas de se présenter au consulat.

En ce qui concerne la coopération entre les préfectures et les postes consulaires, M. Patrick Stefanini a fait état de la création entre les unes et les autres d'un réseau de transmission d'informations protégé qui pourra assurer à la fin de cette année la transmission aux préfectures des photographies et des empreintes digitales des détenteurs de visas.

Il a également évoqué l'organisation de stages de formation communs aux personnels des préfectures et des postes : un premier stage s'est déroulé en octobre-novembre 2005 sous l'égide du ministère de l'intérieur, un deuxième doit être organisé en 2006 par le ministère des affaires étrangères.

Enfin, pour améliorer la lutte contre la fraude documentaire, des agents spécialisés de la police aux frontières seront détachés dans les consulats : cinq consulats bénéficiaient à la fin de 2005 de tels détachements, qui seront étendus en 2006 à cinq autres postes.

Le deuxième mandat donné aux CICI porte sur le sujet - substantiel - de la réforme du dispositif d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile, dont le nombre moyen annuel a été dans la période récente de l'ordre de 60.000.

Soulignant que le taux d'admission moyen était de 10 à 12 %, M. Patrick Stefanini a évoqué le problème de l'éloignement des déboutés du droit d'asile, dont le maintien sur le territoire constitue une modalité importante d'immigration irrégulière.

Observant que ce maintien avait été favorisé par la longueur des délais d'instruction des demandes d'asile, il a insisté sur les efforts entrepris pour réduire ces délais, qui sont aujourd'hui en moyenne de deux mois et demi pour l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de cinq à six mois pour la commission des recours des réfugiés (CRR).

M. Patrick Stefanini a noté qu'un effort analogue restait à engager au niveau des préfectures, le délai d'instruction des demandes d'admission au séjour étant très variable et pouvant atteindre deux à trois mois : l'objectif est de ramener ce délai à une durée n'excédant pas 15 jours, en métropole comme outre-mer.

L'équipement des préfectures en bornes EURODAC, qui permettent de vérifier qu'une demande d'asile n'a pas déjà été présentée dans un autre Etat signataire de la convention de Dublin, a également été entrepris.

Enfin, le principe a été arrêté d'une réduction d'un mois à 15 jours du délai de recours devant la CRR, ce qui correspond à un alignement sur les délais généralement pratiqués dans les autres pays.

En ce qui concerne l'accueil des demandeurs d'asile, un effort important a été entrepris pour renforcer le dispositif des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) : 2.000 places supplémentaires seront créées en 2006. Parallèlement, le pilotage des CADA a été confié aux préfets de région.

M. Patrick Stefanini a également évoqué :

- le remplacement, prévu par la loi de finances pour 2006, de l'allocation d'insertion versée aux demandeurs d'asile par une nouvelle allocation temporaire d'attente, qui ne sera servie ni aux demandeurs accueillis en CADA, ni à ceux qui auront refusé de l'être ;

- la création en Guadeloupe d'une antenne de l'OFPRA pour faire face à l'afflux des demandes d'asile de ressortissants d'Haïti ;

- l'adoption en juin 2005, par le conseil d'administration de l'OFPRA, de la liste de 12 pays considérés comme sûrs, ce qui permet le traitement prioritaire des demandes d'asile présentées par leurs ressortissants et leur non-admission au séjour.

En troisième lieu, le CICI s'est préoccupé de mieux lutter contre l'immigration irrégulière en luttant contre les détournements de procédure.

En ce qui concerne les mariages de complaisance, l'essentiel des dispositions législatives prévues à ce titre est contenu dans le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages adopté en Conseil des ministres le 1er février dernier, mais d'autres mesures seront incluses dans le futur projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, approuvé par le CICI du 9 février, qui est en cours d'examen par le Conseil d'Etat et devrait être examiné par le Conseil des ministres au début du mois d'avril. A propos de ce dernier texte, M. Patrick Stefanini a rappelé que le Premier ministre avait indiqué, à l'issue de la réunion du CICI, que les propositions et recommandations de la commission d'enquête auraient naturellement vocation à l'enrichir.

Il a indiqué que, dans le cadre de la lutte contre les détournements de procédure, l'avant-projet de loi prévoyait :

- d'allonger les délais d'acquisition par les conjoints de Français de la nationalité française par voie de déclaration ;

- de subordonner l'octroi d'un titre de séjour aux conjoints étrangers de Français à la détention d'un visa de long séjour ou d'un titre de séjour d'au moins un an en cours de validité ;

- de porter à trois ans la durée de vie commune préalable à l'accès à la carte de résident.

A l'invitation de M. Alain Gournac, président, et de M. François-Noël Buffet, rapporteur, M. Patrick Stefanini a ensuite passé en revue les principales dispositions du texte adopté par le CICI.

En ce qui concerne la réforme du cadre juridique de l'immigration à des fins d'études, il a indiqué que les mesures proposées tendaient :

- à instaurer une meilleure coopération entre les postes et les établissements d'accueil des étudiants étrangers afin d'instruire dans des conditions plus rigoureuses les demandes de visas de long séjour ;

- à simplifier les conditions de délivrance des titres de séjour aux étudiants étrangers ayant obtenu un tel visa ;

- à permettre, à l'issue d'un premier séjour d'un an, la délivrance aux étudiants de cartes de séjour pluriannuelles ;

- à donner, enfin, la possibilité aux étudiants étrangers ayant atteint un niveau de diplôme au moins égal au mastère de séjourner pendant six mois en France pour y chercher un emploi.

En ce qui concerne l'adaptation de l'immigration aux besoins de l'économie, M. Patrick Stefanini a mentionné les dispositions prévoyant la possibilité de délivrance de cartes de séjour pluriannuelles à des travailleurs saisonniers et de délivrance de titres de séjour à des travailleurs étrangers, sans que leur soit opposable la situation de l'emploi, dans des zones et pour des métiers caractérisés par des pénuries de main-d'oeuvre.

En ce qui concerne enfin le regroupement familial, le délai de séjour régulier préalable au dépôt de la demande serait porté d'un an à 18 mois et le demandeur devrait satisfaire à une condition d'intégration républicaine, exigence déjà imposée aux demandeurs d'une carte de résident.

M. Patrick Stefanini a ensuite exposé les actions mises en oeuvre par le CICI pour mieux lutter contre l'immigration irrégulière et le travail illégal.

Afin d'améliorer la délivrance des laissez-passer consulaires, des démarches diplomatiques ont été entreprises auprès des 14 pays les plus réticents : elles ont déjà permis d'obtenir des résultats significatifs, puisque le taux moyen de délivrance de laissez-passer consulaires est passé de 35,16 % en 2004 à 45,7 % en 2005, et de 19,7 % à 32,91 % pour les 14 pays sélectionnés.

Par ailleurs, le nombre des places en centre de rétention administrative doit être développé conformément à un plan triennal arrêté le 27 juillet 2005 par le CICI et qui prévoit de porter ce nombre de 1.300 environ au début de 2005 à 2.700 en juin 2008.

M. Patrick Stefanini a ajouté que le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration comporterait aussi des mesures tendant à faciliter l'éloignement, la principale étant de permettre d'assortir les décisions de refus ou de retrait de titre de séjour d'une obligation de quitter le territoire français qui pourra être exécutée d'office un mois après la notification du refus ou du retrait.

Cette décision pourra faire l'objet d'un recours suspensif, préservant ainsi les droits des étrangers, mais la mesure proposée réduira le nombre des contentieux, dès lors que la décision de refus de séjour ne sera plus distincte de la décision d'éloignement.

M. Patrick Stefanini a également mentionné, en parallèle aux actions destinées à faciliter l'éloignement, le nouveau dispositif d'aide au retour volontaire mis en place à titre expérimental dans 21 départements et qui permet d'accorder aux candidats un pécule de 2.000 € pour une personne, porté à 3.500 € pour un couple et augmenté de 1.000 € par enfant pour les deux premiers enfants, de 500 € à partir du troisième.

Abordant ensuite la lutte contre le travail illégal, il a fait état des opérations conjointes associant tous les services compétents -police, gendarmerie, douanes, inspection du travail, services des impôts- qui ont été relancées en 2005 et seront prolongées en 2006, deux opérations de cette nature au moins devant être engagées dans chaque département.

En ce qui concerne les actions entreprises pour lutter contre l'immigration clandestine dans les départements et collectivités d'outre-mer, M. Patrick Stefanini a annoncé que le projet de loi comporterait des mesures d'extension de dispositions déjà applicables dans certains de ces départements et collectivités, qui concernent le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, facilitent les contrôles d'identité ou autorisent les visites sommaires des véhicules. Il a précisé que seraient en outre prévues des dispositions permettant de lutter, à Mayotte et en Guyane, contre les reconnaissances frauduleuses de paternité.

M. Patrick Stefanini a enfin indiqué que le sixième mandat reçu par le CICI portait sur les liens à établir entre la politique de contrôle de l'immigration et la politique d'aide au développement, mais qu'il n'était pas actuellement en mesure de présenter un bilan de l'exécution de ce mandat, dont la mise en oeuvre est en cours.

En réponse à une question de M. François-Noël Buffet, rapporteur, sur les conditions de l'expérience de contrôle des retours de détenteurs de visa de tourisme et sur son éventuelle extension, M. Patrick Stefanini, après avoir indiqué que les consulats avaient privilégié l'obligation de présentation personnelle des intéressés, la voie postale étant peu fiable, a répondu qu'il n'était pas encore possible de dresser le bilan de cette expérience ni de dire si elle serait étendue.

Faisant état des suggestions tendant à renforcer la responsabilité des hébergeants qui avaient été formulées par certains interlocuteurs de la commission d'enquête, M. François-Noël Buffet, rapporteur, a ensuite demandé si des solutions allant en ce sens avaient été envisagées.

M. Patrick Stefanini a répondu que le CICI n'avait pas reçu mandat d'étudier cette question.

Indiquant qu'il n'entendait pas poser de question mais ne souhaitait pas pour autant se voir appliquer l'adage selon lequel qui ne dit mot consent, M. Louis Mermaz a déclaré que, dans son ensemble, l'exposé de M. Patrick Stefanini lui donnait froid dans le dos.

Mme Catherine Tasca, relevant qu'il convenait de ne pas établir de confusion entre droit d'asile et droit des étrangers, a regretté que le projet de loi annoncé traite de ces deux sujets et s'est inquiétée de savoir si les mesures envisagées garantiraient le respect des règles internationales et constitutionnelles applicables au droit d'asile.

Evoquant la visite d'une délégation de la commission d'enquête dans un CADA et notant la qualité du soutien social dont bénéficiaient les demandeurs d'asile accueillis dans ces structures, M. Bernard Frimat a fait état du temps qui leur était néanmoins nécessaire pour surmonter les drames qu'ils avaient connus et formuler le récit de leurs épreuves. En conséquence, convenant qu'il importait de contenir les délais d'examen des demandes d'asile, il s'est en revanche élevé contre le raccourcissement des délais de recours, ajoutant que les demandeurs d'asile ne sauraient être a priori considérés comme des fraudeurs.

M. Patrick Stefanini a indiqué que le délai dont disposaient les demandeurs d'asile pour formuler leur recours était de 21 jours à compter de leur admission au séjour et qu'il n'était pas prévu de le raccourcir, seule la réduction des délais de recours devant la CRR étant envisagée.

Il a d'autre part précisé que l'avant-projet de loi ne comportait que deux mesures relatives au droit d'asile, l'une prévoyant la possibilité pour l'OFPRA de compléter la liste nationale des pays d'origine sûrs, l'autre rénovant le statut législatif des CADA, dont le gouvernement a souhaité par ailleurs développer les capacités d'accueil en raison, précisément, de la qualité de l'encadrement social qu'y trouvent les demandeurs d'asile.

Mme Alima Boumediene-Thiery a exprimé ses réserves à l'égard de la notion de pays sûr, soulignant qu'il ne suffisait pas de prendre en compte des critères politiques mais aussi les réalités sociales et rappelant la situation qui pouvait être faite, dans certains pays, aux femmes ou aux homosexuels. Elle s'est inquiétée de l'éventualité que certains pays puissent être considérés comme « sûrs » en raison des relations commerciales entretenues avec eux et, d'une manière générale, de la tendance à « l'externalisation » du droit d'asile.

Elle a d'autre part demandé comment serait appréciée l'intégration républicaine des demandeurs de regroupement familial.

Rappelant que les critères permettant de définir les pays considérés comme sûrs figuraient au 2°de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile (CESEDA), M. Patrick Stefanini a donné la liste des 12 pays d'origine sûrs établis par le conseil d'administration de l'OFPRA en application de l'article L. 722-1 du même code. Il a également rappelé que les conditions d'appréciation de l'intégration républicaine étaient définies à l'article L. 314-2 du CESEDA et recouvraient la connaissance suffisante de la langue française et des principes régissant la République française.

M. Bernard Frimat a posé une question sur le nombre des personnes ayant bénéficié de la disposition, qu'il était envisagé de supprimer, permettant aux étrangers justifiant avoir résidé en France depuis 10 ans de bénéficier de plein droit d'une carte de séjour. Il a par ailleurs remarqué, tout en reconnaissant la difficulté de dénombrer les immigrés en situation irrégulière, que les chiffres publiés dans le rapport au Parlement adopté par le CICI du 9 février ne semblaient pas permettre de conclure à une explosion de l'immigration irrégulière.

M. Patrick Stefanini a répondu que le nombre des étrangers régularisés après 10 ans de résidence en France, publié dans les rapports au Parlement, avait été en moyenne de l'ordre de 2.500 à 3.000 dans les années récentes. Il a par ailleurs relevé que le rapport au Parlement mentionnait les évolutions contrastées des indicateurs relatifs à l'immigration irrégulière.

M. Jean-Patrick Courtois a demandé si les créations prévues de postes en CADA seraient réalisées par extension des centres existants ou par création de nouveaux centres, soulignant que la présence d'un CADA pouvait occasionner d'importantes dépenses pour la commune siège.

Précisant que le choix de la localisation des CADA était de la compétence de la direction de la population et des migrations, M. Patrick Stefanini a indiqué qu'en 2006 la tendance avait plutôt été de privilégier l'ouverture de nouveaux CADA.

Audition de M. Denis Pajaud, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST)

La commission d'enquête a enfin entendu M. Denis Pajaud, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST).

M. Denis Pajaud a tout d'abord rappelé que l'OCRIEST avait été créé en 1996 au sein de la direction centrale de la police aux frontières pour répondre au développement de filières d'immigration irrégulière structurées.

Il a indiqué que cet office, composé d'une centaine de personnes à ce jour et de cent vingt à échéance de septembre 2006, avait trois principales missions :

- une mission opérationnelle consistant à démanteler en propre des filières, le cas échéant avec l'appui ou en co-saisine avec d'autres services de la police ou de la gendarmerie nationale ;

- une mission de coordination au niveau national et international de la lutte contre l'immigration clandestine ;

- une mission d'analyse des phénomènes migratoires irréguliers.

Concernant la mission de coordination, il a souligné la part croissante de la coopération internationale, très souvent à l'initiative de la France.

Il a ensuite fait le bilan de l'activité de l'OCRIEST, indiquant que :

- depuis 1996, 173 filières d'immigration clandestine et 188 structures employant des étrangers sans titres avaient été démantelées et 3.300 personnes placées en garde à vue ;

- en 2005, 12 filières avaient été démantelées, ainsi que cinq structures employant des étrangers sans titre.

Il a précisé que l'OCRIEST s'attachait à démanteler simultanément les filières ainsi que les structures d'emploi alimentées par celles-ci.

Il a expliqué que les filières d'immigration clandestine étaient une des formes importantes de la criminalité organisée et étaient souvent associées avec d'autres formes de criminalité organisée comme la prostitution, la production de faux documents, le blanchiment d'argent, voire le terrorisme.

Il a enfin tenu à souligner la dimension transnationale de ces filières et la nécessité de les démanteler entièrement, du pays source au pays de destination. Il a remarqué que cette approche, qui requiert des enquêtes longues et complexes, n'était pas toujours partagée par nos partenaires.

A cet égard, il a évoqué le démantèlement, il y a quelques années, des filières irako-kurdes qui alimentaient le centre de Sangatte. Il a indiqué que, si ces filières avaient pu être démantelées en France à l'époque, elles s'étaient toutefois reconstituées très rapidement faute d'actions conjointes dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni et en Italie.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a souhaité savoir dans quels secteurs d'activité l'emploi d'étrangers sans titre était le plus répandu.

M. Denis Pajaud a répondu que les filières avaient pour objectif principal d'acheminer des personnes d'un pays vers un autre sans qu'il y ait nécessairement de liens directs avec un emploi à occuper dans le pays de destination.

Il a ajouté que la France était de plus en plus un pays de transit pour les filières à destination du Royaume-Uni, du Canada ou des Etats-Unis.

Mme Alima Boumediene-Thiery a demandé si les victimes des filières d'immigration clandestine collaboraient avec les associations ou les forces de l'ordre aux fins de démantèlement de ces filières.

M. Denis Pajaud a répondu qu'une collaboration de cette sorte se rencontrait surtout dans le cas de filières liées à la prostitution ou lorsque les conditions d'hébergement ou de travail des clandestins étaient réellement contraires à la dignité humaine. Sinon, il a expliqué que les clandestins considéraient les passeurs comme des bienfaiteurs.

M. Bernard Frimat a interrogé M. Denis Pajaud sur l'évolution dans le temps des filières d'immigration clandestine.

M. Denis Pajaud a déclaré que la part des filières dans l'ensemble de l'immigration clandestine tendait à augmenter. Il a précisé que les filières faisaient preuve d'une sophistication croissante, des affaires récentes ayant montré que certaines filières offraient un service complet « clefs en main », depuis le recrutement dans le pays source jusqu'à l'acheminement dans le pays de destination pour y travailler, y compris pour du simple travail saisonnier.

Toutefois, pour ce qui concerne la France, il a indiqué que l'augmentation de la pression migratoire résultait pour une part importante du fait qu'elle est devenue un pays de transit pour des immigrants cherchant à atteindre d'autres destinations.

M. François-Noël Buffet, rapporteur, a demandé si les filières dites chinoises étaient les mieux organisées.

M. Denis Pajaud a répondu que ces filières étaient sans aucun doute les plus structurées et les mieux adaptées. Il a précisé que quasiment aucun clandestin chinois n'émigrait sans l'aide d'une filière.

Illustrant leur professionnalisme, il a indiqué que ces filières formaient les candidats à l'immigration à répondre aux questions des policiers et offraient un réel service après-vente, notamment en fournissant un avocat en cas d'interpellation. Plus grave encore, il a expliqué que ces filières tentaient d'infiltrer les autorités publiques comme l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou la police nationale.