Mercredi 1er mars 2006

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Audiovisuel et médias - Audition de M. Alain Lancelot, président de la commission chargée d'examiner les problèmes de concentration dans le domaine des médias

La commission a procédé à l'audition de M. Alain Lancelot, président de la commission chargée d'examiner les problèmes de concentration dans le domaine des médias.

Après avoir souhaité la bienvenue à M. Alain Lancelot, M. Jacques Valade, président, a souligné que la commission des affaires culturelles s'intéressait tout particulièrement aux phénomènes de concentration en matière de médias. Elle a organisé d'ailleurs une journée thématique consacrée à ce sujet le 9 juin 2005.

M. Alain Lancelot a rappelé que la rédaction du rapport lui avait été confiée par le Premier ministre dans un contexte particulier marqué par la réalisation d'importantes opérations capitalistiques en matière de presse écrite.

Il a précisé qu'en dépit de l'intérêt prononcé des commanditaires du rapport pour l'évolution du secteur de la presse quotidienne, cette étude couvrait un périmètre plus large, incluant tant l'audiovisuel qu'Internet, média dont le développement est appelé à modifier profondément l'économie du secteur dans les années à venir.

Soulignant qu'en tant que président de la commission chargée d'examiner les problèmes de concentration dans le domaine des médias, il n'avait transigé ni sur l'indépendance de celle-ci, ni sur la pluralité de sa composition, il s'est félicité d'avoir pu réunir en son sein des personnalités représentant les principales sensibilités politiques nationales.

Il a spécifié que la mission première de la commission avait été d'analyser la pertinence de l'arsenal législatif et réglementaire consacré aux médias, afin d'en mesurer la capacité à réguler efficacement le secteur. A cet égard, il a regretté la complexité et l'instabilité de ce corpus juridique trop souvent dépassé par les évolutions technologiques.

Après avoir rappelé que la lettre de mission de la commission insistait également sur le respect par les différentes catégories de médias de grands principes tels que le pluralisme, la diversité culturelle et l'impartialité de l'information, il a estimé que l'origine des capitaux n'influençait pas forcément l'orientation éditoriale des principaux médias. Ainsi, en matière de presse écrite, la nécessité de plaire au nombre de lecteurs le plus élevé possible conduit les titres à respecter un certain pluralisme idéologique.

Soulignant qu'en comparaison des autres pays développés, le secteur de la presse se caractérisait, en France, par un taux de concentration relativement peu élevé, il a souhaité que l'on réfléchisse aux moyens de favoriser le développement de groupes de presse nationaux, solides et dynamiques.

Il a rappelé que l'économie des médias était originale, ceux-ci devant plaire non seulement aux lecteurs, aux téléspectateurs ou aux auditeurs, mais aussi et surtout aux annonceurs. A cet égard, il a fait observer que les médias étaient en passe de devenir des supports publicitaires avant d'être des supports d'information.

Constatant enfin l'apparition des opérateurs de télécommunications sur le marché des médias avec des offres forfaitaires associant Internet, télévision et téléphonie, il a tenu à souligner la puissance financière de ces derniers vis-à-vis des acteurs traditionnels de l'audiovisuel, laissant entrevoir une modification considérable de la situation concurrentielle du secteur.

Un débat s'est ensuite engagé.

Mme Marie-Christine Blandin a rappelé que la concentration de la presse avait, dans sa région, conduit certains journalistes à exercer leur droit de retrait, leurs articles étant publiés sans leur autorisation dans deux quotidiens appartenant au même groupe de presse.

Elle a indiqué que, si certains titres de presse restaient fidèles à leur ligne éditoriale, on ne pouvait raisonnablement négliger l'impact des annonceurs sur les contenus proposés au lecteur.

Après avoir regretté les difficultés rencontrées par la presse à rendre compte de la diversité sociale de la population française, elle a souligné l'importance prise aujourd'hui par les moteurs de recherche sur Internet situés aux confins de l'information, de la publicité et du politique.

M. René-Pierre Signé a regretté que les médias soient relégués au rang de simples supports publicitaires. Il a estimé que le triomphe d'une telle conception traduisait une dérive affligeante du paysage audiovisuel français depuis la privatisation de TF1. En effet, au lieu de participer au développement de l'esprit critique des citoyens, les chaînes du service public ont été contraintes de s'inspirer du modèle constitué par la principale chaîne privée.

Soulignant l'importance des quotidiens d'opinion dans une société démocratique, M. Ivan Renar a fait part de son inquiétude concernant la disparition progressive de cette catégorie de titres dans notre pays et a réaffirmé son attachement au soutien public envers cette forme de presse.

Il a déclaré que le succès rencontré par les quotidiens gratuits devait interpeller les responsables de presse. Ces journaux financés entièrement par la publicité attirent en effet un public jeune et urbain qui s'était progressivement détourné de la presse traditionnelle.

Affirmant que les annonceurs contribuaient à affadir le contenu des journaux, il a regretté la disparition de l'insolence et de l'impertinence médiatiques.

M. Jean-Léonce Dupont a exprimé son accord avec M. Ivan Renar concernant la disparition de « l'indiscipline intellectuelle » en matière de presse. Il s'est interrogé, également, sur la capacité de notre pays à faire émerger des entreprises de médias d'envergure internationale.

M. Louis de Broissia a fait observer que le phénomène de concentration en cours dans le secteur des médias s'apparentait à une revanche des « tuyaux » sur les contenus. Dans la perspective du développement des moteurs de recherche et des logiciels, il a mis en doute la capacité des barrières législatives et réglementaires existantes à assurer le pluralisme.

Constatant que l'innovation en matière de séries audiovisuelles venait essentiellement des Etats-Unis, il a regretté le manque de dynamisme de la création française en ce domaine.

M. Jacques Legendre a estimé que l'existence d'une presse d'opinion était indispensable au débat démocratique. Evoquant le recours de plus en plus fréquent des militants associatifs ou politiques aux messages électroniques, il s'est déclaré particulièrement intéressé par l'apparition de nouvelles formes du débat public sous l'effet des nouvelles technologies. Il s'est demandé, à cet égard, s'il ne convenait pas de mener une réflexion sur les incidences de ces nouvelles formes de militantisme.

M. Jacques Valade, président, a souligné l'écho rencontré par les pétitions diffusées sur Internet auprès de la classe politique. Il a estimé que, s'il ne fallait pas négliger l'importance de ces manifestations, il fallait également prendre conscience de leur caractère parfois artificiel.

Répondant aux différents intervenants, M. Alain Lancelot a fait les observations suivantes :

- les médias représentent plutôt fidèlement la diversité sociale de la société française. La difficulté principale réside toutefois dans la représentation des classes moyennes : quasiment absentes des émissions d'information, leur existence demeure heureusement relatée dans de nombreuses séries ou fictions ;

- l'âge d'or de la presse en France se situe entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Aujourd'hui, la presse française se caractérise par son coût élevé et un système de distribution inadapté ;

- la disparition progressive des journaux d'opinion est, certes, regrettable, mais se contente dans les faits de refléter l'évolution structurelle d'une société française marquée par le consensus politique. Dans ces conditions, le financement par le contribuable des titres les plus fragiles peut paraître contestable.

Par ailleurs, la disparition de la presse d'opinion n'entraîne pas pour autant la disparition du débat démocratique. En effet, on constate désormais que le débat se déroule moins entre journaux de tendances politiques opposées que dans les colonnes d'un même journal ;

- les gratuits représentent un accès nouveau à l'information et participent donc, d'une certaine façon, à la vitalité du débat démocratique. Leur succès démontre surtout l'importance de deux facteurs en matière de diffusion de la presse : le prix et les modalités de distribution ;

- le prochain défi médiatique réside dans le lancement d'un moteur de recherche européen. Pour participer activement à cette aventure, il faudrait que notre pays dispose d'universités performantes bien insérées dans le tissu industriel et d'étudiants maîtrisant parfaitement l'anglais ;

- les nouvelles modalités du militantisme sont préoccupantes. Peu critiquées, elles deviennent rapidement de véritables sources d'autorité. Par la voie des modes nouveaux de communication, la société civile peut ainsi devenir redoutable et se faire entendre efficacement auprès des responsables politiques ;

- l'idée que la démocratie participative puisse se substituer à la démocratie représentative doit être considérée avec prudence. Si la démocratie participative est appelée à se diffuser progressivement grâce à Internet, il convient de garder à l'esprit qu'elle repose sur l'emballement en lieu et place de la responsabilité.