Mercredi 3 mai 2006

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Nomination de rapporteurs

La commission a tout d'abord procédé à la désignation de rapporteurs. Ont été nommés :

M. François-Noël Buffet sur le projet de loi n° 2986 (AN, XIIe leg.) relatif à l'immigration et à l'intégration, sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission, ainsi que sur les propositions de loi n°s 56 (2005-2006), tendant à modifier les conditions d'attribution de la nationalité française et à lutter contre les abus liés à l'immigration clandestine dans le département de la Guyane, présentée par M. Georges Othily, et 69 (2005-2006) pour le respect du droit à l'éducation des jeunes étrangers résidant en France, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, qui seront toutes deux jointes au rapport en raison de leur lien étroit avec le projet de loi ;

M. Henri de Richemont sur la proposition de loi n° 162 (2004-2005) relative au régime des biens acquis postérieurement à la conclusion d'un pacte civil de solidarité, présentée par M. Patrice Gélard et plusieurs de ses collègues dont l'examen sera joint au rapport sur le projet de loi relatif aux successions et libéralités ;

M. Philippe Goujon sur la proposition de loi n° 305 (2005-2006), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives.

Commission nationale de l'informatique et des libertés - Rapport annuel - Audition de M. Alex Türk, président, et M. Christophe Pallez, secrétaire général

La commission a ensuite entendu M. Alex Türk, président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), à l'occasion de la remise de son rapport annuel.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que cette audition correspondait à trois objectifs complémentaires de la commission des lois, consistant tout d'abord à assurer un meilleur suivi de l'activité des autorités administratives indépendantes relevant de son champ de compétences. Précisant qu'il s'agissait d'assurer ainsi la fonction de contrôle du Parlement, mais aussi de veiller à ce que ces autorités disposent de moyens adaptés à leurs missions, il a estimé que cet aspect financier et matériel méritait tout particulièrement d'être évoqué pour la CNIL et pour la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), en raison de la forte croissance de leur activité.

Il a souligné que cette audition remplissait en outre un objectif de contrôle de l'application des lois, l'année 2005 ayant été celle de la mise en oeuvre de la réforme de la loi du 6 janvier 1978 adoptée par le Parlement à l'été 2004, qui a considérablement modifié les conditions de licéité des traitements de données à caractère personnel et les prérogatives de la CNIL. Il a indiqué que le décret d'application de la nouvelle loi avait d'ailleurs été publié en octobre 2005, ce qui permettait de dresser un premier bilan d'étape de la mise en oeuvre du nouveau dispositif.

Déclarant que l'audition comportait enfin un objectif d'information et de discussion des sujets abordés par le rapport public de la CNIL pour l'année 2005, il a rappelé que la commission des lois, si elle avait toujours été attentive à la problématique des fichiers, devait exercer une vigilance permanente face au développement des nouvelles technologies et à leur utilisation, permettant le traçage des individus dans de nombreux actes de la vie quotidienne. Il a indiqué à cet égard que la CNIL avait travaillé sur de multiples questions intéressant la commission des lois, telles que la biométrie, la lutte contre le terrorisme, la mesure de la diversité des origines, ou encore l'utilisation des fichiers de police judiciaire (service de traitement des infractions constatées -STIC- et système judiciaire de documentation et d'exploitation -JUDEX-).

M. Alex Türk, président de la CNIL, s'est d'abord félicité de cette audition postérieure à la publication du rapport annuel de la CNIL, estimant que cette instance rencontrait parfois des difficultés à faire comprendre sa mission en tant qu'autorité administrative indépendante. Il est convenu que la CNIL occupait une position particulière, la loi lui permettant à la fois d'édicter des normes, de sanctionner les manquements aux dispositions législatives concernant les traitements de données personnelles, ou encore d'exercer une activité de conseil, missions habituellement dévolues au législateur, aux juridictions, ou à des sociétés de conseil.

Il a déclaré que le rôle de la CNIL, lorsqu'elle examinait pour avis un projet de loi ou de décret, consistait à se projeter dans l'avenir et à déterminer les conséquences des dispositifs envisagés sur la vie des citoyens, compte tenu du développement continu des technologies. Il a estimé que ce regard prospectif distinguait les positions de la CNIL de celles du Conseil d'Etat, amené à se prononcer par rapport à l'état du droit. Ajoutant que le droit à la protection des personnes à l'égard des traitements de données à caractère personnel était l'un des droits fondamentaux les plus récemment reconnus par la loi, il a expliqué que la CNIL rencontrait souvent des difficultés à assurer son appropriation par les citoyens.

Déclarant que le rôle de la CNIL consistait par conséquent à inciter les citoyens à être vigilants, il a précisé que des études demandées par cette commission montraient que la part des Français conscients de leurs droits en la matière et connaissant l'existence d'une autorité chargée de les défendre, était passée de 20 % en 2004 à 28 % en 2005.

Il a relaté que le président de l'autorité néerlandaise de protection des données personnelles avait lui-même constaté que son nom apparaissait dans quatre à cinq cents fichiers, précisant que si dans certains cas il était conscient d'y figurer, il avait découvert qu'il apparaissait dans beaucoup, parfois en violation des dispositions législatives nationales.

M. Alex Türk a ensuite rappelé que le collège de la CNIL comptait 17 membres, dont 2 députés et 2 sénateurs, 2 membres du Conseil économique et social, 2 conseillers d'Etat, 2 magistrats de la Cour de cassation, 2 magistrats de la Cour des comptes, et 5 personnalités qualifiées, dont 3 désignées par le pouvoir exécutif et 2 désignées respectivement par le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat.

Il a estimé que ce mode de désignation du président de la CNIL - élu par ses pairs - lui assurait une plus forte légitimité et pourrait inspirer l'organisation d'autres autorités administratives indépendantes. Il a considéré que les activités de la CNIL s'articulaient selon quatre missions fondamentales : l'examen des projets de loi et de décret, l'édiction de normes simplifiées, l'enregistrement de la déclaration des traitements de données personnelles les plus courants et l'autorisation des traitements les plus sensibles. Il a précisé que dans l'exercice de ses missions, la commission visait à assurer des principes fondamentaux tels que la finalité des traitements, la proportionnalité des moyens mis en oeuvre par rapport à cette finalité, la limitation de la durée de conservation des données recueillies, qu'il a qualifiée de « droit à l'oubli », la sécurité des fichiers et le droit d'accès des citoyens dans un objectif de rectification ou d'opposition.

Déclarant que le législateur avait attribué en 2004 de nouvelles missions à la CNIL, il a souligné que celle-ci était par ailleurs confrontée au développement accéléré et continu de technologies tendant, en matière de recueil et de traitement de données personnelles, à l'universalité, à l'irréversibilité et à l'ambivalence, comme la biométrie. Il a insisté sur l'apparition d'une vague de technologies nouvelles entraînant un afflux de dossiers relatifs à la mise en place, par des entreprises ou des collectivités territoriales, de systèmes biométriques, de vidéosurveillance ou de géolocalisation, permettant de suivre les déplacements des personnes à distance et en temps réel.

Il s'est par ailleurs inquiété des perspectives de développement de technologies aux effets encore difficiles à mesurer, telles que les nanotechnologies, dont les éléments invisibles à l'oeil nu pourraient à terme être en quelque sorte « semés » et activés a posteriori.

Estimant indispensable d'exercer d'ores et déjà une vigilance accrue à l'égard de ces technologies, il a insisté sur la nécessité pour la CNIL de réfléchir au devenir de notre civilisation quand ces procédés seront utilisés, afin, le cas échéant, de mettre en garde le législateur.

M. Alex Türk a indiqué que pour mener à bien sa mission, la CNIL suivait une stratégie comportant quatre points : la pédagogie, la mise en place des correspondants « informatique et liberté », le contrôle et la sanction. S'agissant du travail pédagogique, il a expliqué que la commission diffusait de nombreux documents et organisait des rencontres dans chaque région avec l'ensemble des partenaires publics, privés et associatifs, le huitième déplacement devant avoir lieu dans la région Rhône-Alpes. Il a fortement incité les parlementaires à participer à ces rencontres, afin de contribuer à la sensibilisation de tous les acteurs à la défense de leurs droits en matière de protection à l'égard des traitements de données à caractère personnel.

Il a ensuite indiqué qu'une centaine de correspondants « Informatique et liberté » étaient déjà en place et que plusieurs grandes villes telles que Paris et Marseille, ainsi que de nombreuses entreprises, songeaient à y recourir. Estimant que ces correspondants effectuaient un travail essentiel de diffusion d'une culture de l'informatique et des libertés dans leur environnement et jouaient un rôle d'intermédiaire entre la CNIL et les structures concernées, il a annoncé qu'une convention devrait être passée avec l'association des maires de France, afin d'en doter les communautés de communes.

Evoquant ensuite les travaux de contrôle de l'autorité, M. Alex Türk, président de la CNIL, a déclaré qu'elle avait procédé à près de 100 vérifications en 2005, contre seulement 2 par mois en moyenne au cours de ses vingt-cinq premières années d'activité. Rappelant que la loi du 6 août 2004 relative à la protection des personnes à l'égard des traitements de données à caractère personnel avait libéralisé la procédure de déclaration des traitements en amont, sous la condition que la CNIL exerce un contrôle en aval des traitements mis en oeuvre, il a précisé que les contrôles effectués pouvaient s'étendre d'une journée à plus d'une semaine et mobilisaient des moyens considérables (ingénieurs, juristes).

Il a enfin souligné que la loi du 6 août 2004 avait renforcé les pouvoirs de sanction de la CNIL, lui permettant non seulement, comme dans le régime antérieur, d'adresser des mises en demeure et des avertissements et de transmettre au parquet les dossiers susceptibles de comporter des infractions pénales, mais aussi d'ordonner le verrouillage ou la destruction d'un traitement informatique non conforme et de prononcer des sanctions pécuniaires.

Il a jugé que la CNIL, conduisant un important travail pédagogique et de prévention en amont, devait par conséquent exercer sans faiblesse son pouvoir de sanction. Il a précisé qu'elle avait prononcé en 2005 autant de mises en demeure et d'avertissements que pendant ses vingt-cinq premières années d'existence, ces décisions étant généralement suivies d'effet et appliquées par tous les opérateurs du secteur concerné, comme la commission l'avait observé pour le secteur bancaire.

Il a rappelé que la loi avait accompagné le renforcement des pouvoirs de sanction de la CNIL d'un dispositif visant à assurer le respect des droits de la défense, par la mise en place d'une formation restreinte composée de six membres du collège et chargée de prononcer les sanctions pécuniaires après avoir recueilli, le cas échéant, les observations du responsable du traitement. Indiquant que les personnes mises en cause pouvaient être représentées ou assistées par leur avocat lors de leur audition par la formation restreinte, il a expliqué que la présence de hauts magistrats parmi les membres de la CNIL avait été fort utile pour la mise en place de cette structure, qui avait été accompagnée par la création d'un service du contentieux.

M. Alex Türk a insisté sur la nécessité d'attribuer à la CNIL des moyens lui permettant d'exercer correctement les nouvelles missions confiées par le législateur et d'anticiper le développement des nouvelles technologies. Indiquant que les services de la CNIL comptaient actuellement 85 personnes, il a souligné que les autorités mises en place dans les autres pays européens bénéficiaient de moyens supérieurs, les effectifs de son homologue allemande s'élevant à 400 personnes, ceux des autorités anglaise, polonaise et roumaine étant respectivement de 250, 110 et 90 personnes.

Il a jugé que si la CNIL pouvait être considérée comme une autorité à la pointe de son domaine d'intervention il y a vingt-cinq ans, sa situation en termes de moyens était aujourd'hui catastrophique et faisait encourir le risque d'un manque de réactivité dans l'exercice de ses missions. Il a relevé que le contrôle de la mise à jour de certains traitements, tels que les fichiers STIC et JUDEX systématiquement consultés avant tout recrutement dans le domaine de la sécurité devenait primordial afin d'éviter les refus d'embauche et les licenciements décidés sur le fondement de signalement parfois erronés ou obsolètes. Soulignant qu'un nombre croissant de citoyens demandaient à faire usage de leur droit d'accès indirect à l'égard de ce type de fichier pour en demander, le cas échéant, la rectification, il a déploré que la faiblesse des effectifs de la CNIL entraîne un ralentissement de la mise en oeuvre de ce droit, préjudiciable aux personnes concernées.

Précisant que M. Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, s'était engagé en 2004 à augmenter les crédits de personnels de la CNIL de 50 % en quatre ans, afin de porter ses effectifs à 125 personnes, il a déclaré que dix nouveaux recrutements étaient en cours. Il a insisté sur la nécessité de veiller au respect de cet engagement au fil des années, pour assurer une remise à niveau des moyens de la CNIL par rapport à ses homologues européens.

M. Pierre Fauchon a souhaité connaître les voies de recours ouvertes aux personnes faisant l'objet de sanctions prononcées par la CNIL.

M. Alex Türk, président de la CNIL, a indiqué que toute personne pouvait, d'une part, présenter devant la formation restreinte de la commission des observations sur le rapport proposant une sanction à son encontre et, d'autre part, former devant le Conseil d'Etat un recours contre la décision de sanction.

M. Patrice Gélard s'est interrogé sur les incidences de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, dite LOLF, sur l'indépendance financière de la CNIL et le statut de ses personnels.

M. Alex Türk rappelant que les crédits de la CNIL figuraient actuellement dans le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés » de la mission « Justice », a estimé que son indépendance serait mieux assurée si elle rejoignait une mission rassemblant toutes les autorités administratives indépendantes. Il a par ailleurs indiqué que la très grande majorité de son personnel bénéficiait de contrats individuels de droit public sur lesquels la LOLF n'avait pas d'incidence.

M. Christophe Pallez, secrétaire général de la CNIL, a précisé que le responsable du programme auquel étaient rattachés les crédits de la CNIL était le directeur de l'administration générale et de l'équipement du ministère de la justice. Il a déclaré que si cette situation n'avait pour l'instant présenté aucun problème en exécution, la CNIL avait toutefois obtenu avec difficulté la délégation de ses crédits au début de l'année 2006. Il a estimé que la lenteur de cette délégation illustrait la nécessité pour la CNIL de renforcer ses garanties d'indépendance financière, au minimum par une convention avec le directeur de programme.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souhaité savoir si les personnels recrutés par la CNIL étaient informés lors de leur recrutement des obligations de confidentialité qu'ils devraient respecter dans le cadre de leurs fonctions.

M. Alex Türk, président de la CNIL, a déclaré que les personnels dont l'activité nécessitait, en application de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, l'obtention d'une habilitation au secret défense ou à effectuer des vérifications sur place concernant les fichiers de la sécurité publique, faisaient l'objet des procédures mises en oeuvre à cette fin par le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) et par les autorités administratives.

M. Michel Dreyfus-Schmidt, exprimant son inquiétude face aux développements technologiques évoqués par le président de la CNIL, a souhaité savoir si les dispositifs de protection des personnes à l'égard des traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre par des pays étrangers étaient suffisants.

M. Alex Türk, président de la CNIL, a d'abord expliqué que la coordination des travaux des autorités chargées de veiller, au sein des pays membres de l'Union européenne, à la protection des personnes à l'égard des traitements de données à caractère personnel était assurée de façon efficace au sein du groupe de l'article 29 (G 29) mis en place par la directive 95/46 CE du 24 octobre 1995.

Il a estimé qu'une doctrine européenne se constituait progressivement dans ce domaine, la CNIL y jouant un rôle de premier plan. Reconnaissant toutefois que les frontières n'avaient guère de sens en matière de traitement des données à caractère personnel en raison des possibilités offertes par les nouvelles technologies, il a indiqué que le contrôle de l'Internet mis en oeuvre par les autorités chinoises à Pékin employait 5.000 personnes à temps plein. Il a jugé que la solution la plus pertinente consistait donc à éveiller chez les citoyens et notamment chez les plus jeunes, une conscience forte de la nécessité d'assurer le respect des libertés individuelles face aux traitements de données à caractère personnel.

S'inquiétant d'une acceptation trop facile de l'utilisation des nouvelles technologies et de leur caractère intrusif chez les jeunes citoyens, il a insisté sur la nécessité de travailler avec les recteurs d'académie et les enseignants pour diffuser une culture de la vigilance et garantir que les citoyens ne soient pas plus disposés à transiger sur leurs droits en matière de traitements des données à caractère personnel que sur le respect de droits plus anciennement établis, tels que la liberté de la presse ou la liberté d'aller et venir.

M. Richard Yung a souhaité savoir comment s'organisait le travail de la CNIL avec ses homologues européens.

M. Alex Türk, président de la CNIL, a déclaré que la CNIL avait établi d'excellentes relations avec ses homologues au sein du groupe de l'article 29 et coopérait avec les autorités de contrôle de l'espace Schengen. Il a indiqué que les autorités indépendantes chargées de la protection des personnes à l'égard des traitements de données à caractère personnel au sein des pays membres de l'Union européenne se heurtaient cependant aux difficultés posées par les transferts de données vers les Etats-Unis, ceux-ci n'assurant pas un niveau de protection équivalent à celui de l'Union. Il a précisé que les autorités du G 29 permettaient toutefois aux entreprises américaines de bénéficier du système européen de communication de données à la condition qu'elles s'engagent à respecter les normes européennes en adhérant au système du « safe harbor » ou en utilisant des contrats types.

Il a déclaré que la CNIL, notamment en raison de son ancienneté, jouait un rôle pilote dans la construction d'une doctrine juridique européenne en matière de protection des données personnelles.

M. Georges Othily, rappelant que les satellites permettant de mettre en oeuvre certaines technologies d'information et de communication susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens étaient lancés depuis la Guyane, a estimé que le travail de pédagogie conduit par la CNIL devait également viser les collectivités d'outre-mer. Il a formé le voeu que celles-ci bénéficient également de la mise en place de correspondants « informatique et liberté » et de visites de la CNIL.

M. Alex Türk, président de la CNIL, indiquant que le programme des déplacements de la commission au sein des régions devait prévoir des déplacements outre-mer, a remercié M. Georges Othily d'en avoir rappelé la nécessité. Il a précisé qu'un déplacement en Guyane serait organisé en 2007.

M. Jean-Jacques Hyest, président, rappelant que les déplacements outre-mer étaient plus coûteux que ceux conduits en métropole, a estimé qu'il conviendrait de veiller à ce que la CNIL dispose des moyens nécessaires à leur réalisation.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, estimant que le rythme accéléré du développement technologique devait inciter le législateur à exercer une étroite vigilance à l'égard des traitements de données à caractère personnel, a salué le travail réalisé par la CNIL. Elle s'est ensuite interrogée sur la pertinence de l'attribution à un parlementaire des responsabilités de président d'une autorité administrative indépendante dotée de pouvoirs quasi juridictionnels.

M. Alex Türk, président de la CNIL, rappelant que les travaux préparatoires de la loi du 6 janvier 1978 montraient que, pour le législateur, la CNIL avait vocation à être présidée par un parlementaire, a indiqué que M. Jacques Thyraud, ancien sénateur, en avait d'ailleurs été le président avant lui. Soulignant que le président de la CNIL était élu par tous les membres du collège, il a estimé que ce dispositif garantissait sa légitimité, alors que l'attribution de la présidence à un membre du Conseil d'Etat, par exemple, ne semblerait pas plus légitime a priori.

M. Jean-Jacques Hyest, président, s'est interrogé sur le taux de présence des parlementaires membres de la CNIL aux réunions de cette autorité.

M. Alex Türk, président de la CNIL, déclarant que les quatre parlementaires membres de l'autorité étaient toujours présents à ses séances, a noté le faible taux d'absentéisme au sein du collège de l'autorité.

Mme Alima Boumediene-Thiery a souhaité savoir si les données à caractère personnel avaient reçu une définition au niveau européen. Rappelant que le Parlement européen s'était opposé en 2004 à la transmission aux autorités américaines de données concernant les voyageurs, elle a estimé que le passeport électronique présentait des risques de captation des données. Elle a souhaité connaître l'état d'avancement du projet de carte d'identité nationale électronique sécurisée (INES).

Considérant que les fichiers ne devaient pas en principe être croisés, elle s'est étonnée des croisements effectués entre les fichiers d'étrangers des préfectures et ceux des services de police.

M. Alex Türk, président de la CNIL, indiquant que la directive européenne de 95/46 CE du 24 octobre 1995 comportait une définition des données à caractère personnel, a précisé que la Cour de justice de Luxembourg devrait se prononcer dans les prochaines semaines sur les transferts de données concernant les passagers aériens aux autorités américaines. Il a déclaré que les passeports délivrés en France ne comportaient pas d'éléments biométriques et que la technique aujourd'hui mise en oeuvre permettait d'éviter les risques de captation de données.

Considérant qu'il revenait au pouvoir exécutif de mener à bien le projet INES, il s'est félicité de ce que la CNIL ait obtenu que la mise en oeuvre de ce dispositif soit soumise au consentement de la personne. S'agissant de la mise en place d'une base centrale des données personnelles relatives à la carte INES, il a indiqué que la CNIL était plutôt réservée, mais devrait jouer un rôle dans le dispositif de contrôle de cette base, si elle était finalement créée.

Précisant que la connexion structurelle des fichiers devait être autorisée par la CNIL, il a souligné que les services de police pouvaient en revanche consulter au cas par cas plusieurs fichiers non connectés, dans le cadre de leurs enquêtes.

M. Pierre-Yves Collombat, se félicitant de la cohérence de l'action conduite par la CNIL, a souhaité savoir si elle pouvait également contrôler les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre par les services spéciaux.

Soulignant la puissance des nouvelles technologies utilisées à des fins mercantiles, il s'est interrogé sur la possibilité de mettre en place des freins juridiques à leur dynamique de développement intrinsèque.

M. Alex Türk, président de la CNIL, a déclaré que la commission pouvait accéder aux fichiers des services spéciaux sous le régime de l'accès indirect, permettant à un membre du collège appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes de mener toutes investigations utiles au nom de la personne qui en fait la demande.

Insistant sur la dynamique de développement des nouvelles technologies et sur leurs capacités insoupçonnées, il a souligné la place du principe de proportionnalité dans les autorisations délivrées et les contrôles effectués par la CNIL. Il a ainsi rappelé que l'autorité avait refusé que certains proviseurs mettent en place un système de vérification des empreintes digitales pour contrôler l'accès aux cantines scolaires, l'utilisation d'un système mesurant seulement le contour de la main lui paraissant suffisante par rapport à la finalité poursuivie.

Précisant que le recours aux empreintes digitales pouvait en revanche apparaître justifié pour contrôler l'accès à un laboratoire scientifique soumis à des conditions de sécurité élevées, il a souligné la difficulté pour la CNIL de conduire à la fois une pédagogie de masse et d'expliquer les nuances de ses positions.

Indiquant qu'il devait signer avec M. Louis Schweitzer, président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), une convention destinée à permettre la réalisation de contrôles conjoints par ces deux autorités, il a rappelé que la CNIL nouait de nombreux partenariats afin de prévenir les difficultés dans l'application de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souhaité savoir si la CNIL s'était déjà prononcée sur des traitements de données à caractère personnel visant à mesurer la diversité des origines au sein des entreprises.

M. Alex Türk, président de la CNIL, indiquant que la commission avait effectivement été amenée à se prononcer sur ce type de traitement, a cependant souligné qu'il ne lui revenait pas d'assumer en ce domaine des responsabilités incombant au législateur. Il a précisé qu'il appartenait au législateur, s'il estimait nécessaire de permettre le recueil de données visant à mesurer la diversité des origines, de définir un « référentiel ethno-racial » qui serait ensuite utilisé par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et par l'Institut national des études démographiques (INED).

M. Jean-Jacques Hyest, président, a déclaré que la commission des lois était convaincue de la nécessité d'accorder à la CNIL des moyens plus importants et véritablement adaptés à l'ampleur de ses missions.

Commission nationale de déontologie de la sécurité - Rapport annuel - Audition de M Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, et Mme Nathalie Duhamel, secrétaire générale

La commission a enfin entendu M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), accompagné de Mme Nathalie Duhamel, secrétaire générale, à l'occasion de la remise de son rapport annuel.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que la CNDS avait été créée par la loi du 6 juin 2000 et que le Sénat y était représenté par MM. Jean-Patrick Courtois et Jean-Claude Peyronnet, membres de la commission des lois. Il a souligné que la commission s'était montrée attentive au bon fonctionnement de la CNDS, notamment lors de la discussion budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2006.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a déclaré qu'après six ans de fonctionnement, un premier bilan de l'activité de la CNDS était possible.

Au niveau international, il a estimé que la CNDS et le travail qu'elle avait accompli étaient désormais connus et reconnus par des organismes internationaux de référence, comme le comité contre la torture des Nations unies ou le commissaire aux Droits de l'homme du Conseil de l'Europe.

Au niveau national, il a indiqué qu'en 2005, la CNDS avait été saisie de 108 dossiers, contre 19 en 2001. Il a remarqué que si ce nombre avait été multiplié par plus de cinq, il restait relativement modique du fait de l'absence d'un droit d'autosaisine.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a ensuite indiqué qu'en 2005, 68 dossiers seulement avaient pu être traités, des gels budgétaires ayant ralenti l'activité de la commission en fin d'année.

Il a déclaré qu'un quart de ces dossiers ne comportait aucune atteinte à la déontologie, les trois autres quarts ayant en revanche justifié des recommandations et avis concernant tout particulièrement le milieu carcéral, la police de sécurité publique et la police aux frontières.

Il a souligné que chaque mesure prise par le Gouvernement en réponse à des recommandations de la CNDS était accueillie avec une grande satisfaction. A cet égard, il a cité la circulaire du 11 mars 2003 du ministre de l'intérieur sur les personnes placées en garde à vue. Il a toutefois concédé que ces circulaires bienvenues n'étaient pas toujours appliquées, notamment en matière de menottage ou de fouille à corps, où des pratiques inadaptées se perpétuent.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a expliqué que de nombreux dysfonctionnements révélés par les dossiers s'expliquaient par la grande jeunesse des policiers sur le terrain, conjuguée à un défaut d'encadrement par des collègues plus expérimentés.

Ajoutant que cette situation était particulièrement préoccupante en Ile-de-France, il a espéré que la réforme des corps et carrières engagée dans la police nationale renforce dans les prochaines années l'encadrement intermédiaire.

Concernant la police aux frontières, il s'est félicité que plusieurs circulaires tendant à mieux organiser et préparer l'éloignement des étrangers à la suite de deux décès les années passées aient porté leurs fruits en 2005.

Il a ensuite évoqué les méthodes de travail de la CNDS, expliquant que chaque dossier était traité conjointement par deux de ses membres, ceux-ci rédigeant un projet d'avis soumis à l'assemblée plénière de la CNDS composée de quatorze membres. Il a remarqué que l'assemblée plénière parvenait toujours à un consensus.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, s'est interrogé sur les évolutions possibles de la CNDS. Concernant le mode de saisine, il a estimé que la limitation du pouvoir de saisine aux parlementaires et au défenseur des enfants était satisfaisante. Il a toutefois préconisé une modification de la loi afin d'autoriser le médiateur de la République et la HALDE à la saisir. Il a précisé que cette demande émanait du médiateur et de la HALDE.

Concernant la composition de la CNDS, il a estimé que les règles actuelles de nomination garantissaient la diversité de ses membres. Il a indiqué que la commission comptait notamment six personnalités issues de la société civile : une assistante sociale, un professeur de médecine légale, un ancien commissaire divisionnaire, un ancien bâtonnier et un syndicaliste. De même, il n'a pas souhaité que le nombre de membres soit accru ou que les pouvoirs de la CNDS soient renforcés.

Toutefois, afin de répondre à l'augmentation du nombre de saisines, il a proposé que la commission soit assistée d'un ou deux rapporteurs à temps plein qui prépareraient les avis et recommandations, seule solution pour préserver la petite structure de la CNDS et son bon fonctionnement.

Il a indiqué que les contraintes budgétaires pesaient quotidiennement sur le fonctionnement de la CNDS.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a conclu que cette jeune institution avait su trouver sa place, en dépit de l'hostilité rencontrée parfois de la part de certaines administrations. Il a rappelé que la CNDS ne portait jamais un jugement sur l'ensemble d'une profession, mais se prononçait uniquement sur des cas individuels.

M. Patrice Gélard a demandé à M. Pierre Truche son sentiment sur la mise en oeuvre de la LOLF et sur l'utilité de prévoir des règles spécifiques pour les personnels des autorités administratives indépendantes.

Concernant la LOLF, Mme Nathalie Duhamel, secrétaire générale de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a répondu que celle-ci avait au quotidien considérablement alourdi le travail de comptabilité au détriment d'autres missions. Concernant le statut du personnel, elle n'a pas relevé de difficultés particulières, précisant seulement que la CNDS comptait trois employés à temps plein, détachés ou contractuels de droit public.

Elle a plaidé en faveur du recrutement de deux rapporteurs à temps plein qui assisteraient sur chaque dossier un membre de la commission. Elle a expliqué qu'à l'heure actuelle, chaque dossier était instruit par deux membres de la commission, certains dossiers très complexes requérant jusqu'à trente auditions et de nombreux déplacements.

Après s'être félicité de ce que la CNDS ait véritablement trouvé sa place dans le paysage institutionnel, M. Michel Dreyfus-Schmidt a demandé s'il ne serait pas opportun d'harmoniser les règles très diverses d'organisation et de fonctionnement des diverses autorités administratives indépendantes.

Concernant le menottage, il a rappelé que la loi, à la suite d'un amendement dont il était l'auteur, limitait l'usage des menottes aux cas de risques de violence ou d'évasion. Il a estimé que la décision de menotter les personnes placées en garde à vue devrait être prise par un magistrat, et non par un officier de police.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a remarqué que la police aux frontières utilisait des liens en plastique, moins blessants, pour menotter les personnes.

Concernant le statut des autorités administratives indépendantes, il a déclaré que celui de la CNDS ne pouvait servir de modèle en raison des spécificités de ses missions et de sa taille réduite.

M. Richard Yung a souhaité savoir comment s'organisait cette activité de contrôle externe des services de sécurité dans d'autres pays.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a déclaré que des contacts avaient été pris avec le Québec, l'Irlande, la Grande-Bretagne et la Belgique pour comparer les expériences. Toutefois, il a estimé ne pas être en mesure avant le mois d'octobre prochain d'en faire une synthèse.

M. Pierre-Yves Collombat a demandé si la CNDS avait eu à connaître de cas de torture.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a jugé qu'il convenait plutôt de parler de brutalité, voire de « traitement inhumain et dégradant » selon les termes de la Cour européenne des droits l'homme.

M. Robert Badinter a suggéré qu'en matière pénitentiaire, la saisine de la CNDS soit ouverte au médiateur de la République qui dispose de délégués dans plusieurs établissements pénitentiaires.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, s'est déclaré favorable à cette proposition remarquant néanmoins que la CNDS était saisie d'ores et déjà de nombreux dossiers de ce type par des parlementaires informés par des ONG.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que l'office parlementaire d'évaluation de la législation pourrait discuter de cette proposition dans le cadre de ses travaux en cours sur les autorités administratives indépendantes.

Mme Alima Boumediene-Thiery a demandé s'il ne fallait pas imaginer des procédures plus rapides que les recommandations et avis pour répondre aux cas urgents.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a indiqué que la commission réagissait très vite pour établir des faits contraires à la déontologie. Toutefois, dans le cas des reconduites à la frontière, il a concédé que l'intervention arrivait souvent une fois la personne repartie.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a demandé quel était le rôle de la CNDS en cas de dépôt de plaintes.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a répondu que la CNDS respectait évidemment les décisions judiciaires. Toutefois, il a expliqué qu'en cas de condamnation, les compétences de la CNDS ne s'éteignaient pas, des recommandations sur ce qu'il eût fallu faire pouvant être émises.

Membre de la CNDS, M. Jean-Claude Peyronnet a témoigné de la qualité du travail accompli, chaque dossier étant une véritable étude de cas, sans valeur statistique mais révélatrice de comportements. Il a affirmé que le petit nombre de dossiers soumis à la CNDS permettait précisément d'apprécier finement chaque situation.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a remarqué que la présentation du rapport dans la presse était parfois déformée et pouvait faire croire que les faits reprochés dans chaque affaire étaient des pratiques générales ou fréquentes.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a demandé si le mandat des parlementaires membres de la CNDS était renouvelable.

M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, a répondu que tous les membres de la CNDS étaient nommés pour une durée de six ans non renouvelable.

M. Pierre-Yves Collombat a estimé très préoccupant le défaut d'encadrement des jeunes policiers révélé par de nombreux dossiers.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a remarqué que le déficit de fonctionnaires expérimentés en Ile-de-France était un problème commun à de nombreux secteurs de la fonction publique.