Mardi 20 juin 2006

- Présidence de M. Jean Puech, président -

Collectivités territoriales - Intercommunalité - Echange de vues

M. Philippe Dallier, rapporteur, a rappelé que son premier rapport d'étape sur l'intercommunalité avait conclu à la nécessité de rechercher comment, sur le terrain, celle-ci fonctionnait et d'en tirer les enseignements. Il avait été chargé sur cette base d'engager une deuxième étape en vue d'établir un bilan coût-avantages et envisagé, pour ce faire, de recourir à un cabinet d'audit. La méthode aurait consisté à mesurer, à partir d'un échantillon d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et pour un nombre donné de compétences assumées par les EPCI, le coût de l'exercice de chaque compétence par la commune avant son entrée dans l'EPCI puis le coût, pour la même compétence, une fois transférée à l'EPCI.

Le rapporteur a expliqué que, pour des raisons notamment de délai, cet audit n'avait pu être réalisé, mais qu'en revanche, il avait pu, au travers d'auditions nombreuses, affiner son jugement sur l'intercommunalité. M. Philippe Dallier a d'ailleurs relevé que ces auditions avaient fait évoluer son regard sur le sujet et qu'il était désormais plus sensible aux avantages qui pouvaient être tirés de l'intercommunalité.

Le rapporteur a toutefois ajouté que, s'il avait pu être le témoin d'expériences intercommunales positives et s'il tenait aujourd'hui sur l'intercommunalité des propos plus nuancés, il n'en continuait pas moins de penser que l'organisation administrative actuelle de la France, et notamment la superposition des niveaux d'administration, ne sont pas satisfaisantes. Il s'est déclaré convaincu de la nécessité de proposer des solutions sans plus attendre.

M. Philippe Dallier, rapporteur, a affirmé que les chiffres qu'il a pu obtenir, tant de la part de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) que des personnalités auditionnées, font ressortir que l'intercommunalité était l'une des causes structurelles de la dérive de la fiscalité locale.

Selon le rapporteur, la DGCL estime ainsi que le coût de l'intercommunalité s'élèverait à 3,2 milliards d'euros, ce qu'il a jugé élevé. Et, s'il y a eu infléchissement de la courbe des dépenses des communes, l'intercommunalité a suscité des coûts tels que l'addition fait apparaître un surcoût par rapport à ce que l'on aurait obtenu, selon lui, sans intercommunalité.

M. Philippe Dallier, rapporteur, a évoqué les obstacles méthodologiques à la compréhension de cette tendance. Les choses, en effet, ne se font pas à périmètre constant : les intercommunalités ayant développé de nouvelles compétences, il est impossible de savoir s'il y a eu, du fait de l'intercommunalité, gain, rationalisation, efficacité. Il est toutefois certain, selon M. Philippe Dallier, que, globalement, les dépenses sont plus élevées qu'avant l'intercommunalité, et la pression fiscale plus forte.

Constatant l'absence d'outils comptables satisfaisants, le rapporteur a souhaité proposer dans son rapport une consolidation des comptes entre les EPCI et les collectivités qui en sont membres. Il a regretté que les incitations financières à l'intercommunalité à fiscalité propre aient été trop longtemps une priorité gouvernementale.

Il a dressé un état des lieux à partir des chiffres de 2003, qui a été l'année de la stabilisation. Les charges de fonctionnement ont toutefois augmenté de 10 % : quasi stables pour les communautés urbaines, elles ont progressé, en revanche, de 20 % pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération. Les charges de personnel ont, quant à elles, augmenté de 54,2 %, et les frais de gestion courante, de 37,2 %.

Les ressources de fonctionnement, toujours en 2003, sont venues à hauteur de 46,4 % des dotations de l'Etat et à hauteur de 40 % des recettes fiscales.

S'agissant de la structure des charges, la gestion courante a représenté 28 % des charges des EPCI à fiscalité et les frais de personnel 21 %. L'investissement, en 2003, a été soutenu, puisqu'il a augmenté de 8,5 %. L'emprunt a pour sa part couvert 61 % des dépenses d'investissement des EPCI à fiscalité propre.

Précisant que la comparaison de la structure des budgets des EPCI avec celle des collectivités territoriales faisait ressortir la prédominance des dotations de l'Etat pour le fonctionnement des EPCI, M. Philippe Dallier, rapporteur, a indiqué que beaucoup d'élus craignaient de devoir recourir à la fiscalité mixte, et qu'il était d'ores et déjà certain qu'à terme, les impôts-ménages augmenteraient.

Le rapporteur a ensuite abordé l'évolution globale du financement de l'intercommunalité entre 1993 et 2004 : elle a pris la forme d'une augmentation des dépenses atteignant 25,2 milliards d'euros en 2004, chiffre à relativiser, car l'évolution ne s'est pas faite à périmètre constant.

Par ailleurs, le rapporteur a témoigné de l'abondance de moyens dont a disposé l'intercommunalité à fiscalité propre. Il a regretté que la dotation globale de fonctionnement (DGF) fasse aujourd'hui l'objet d'une sanctuarisation qui vient peser sur la DGF globale, et a déclaré que les sombres perspectives qui pèsent sur le contrat de croissance et de solidarité allaient poser la question de sa pérennité. La récente réforme de la taxe professionnelle unique (TPU) va en outre mettre l'ensemble des EPCI à TPU en difficulté. Le fardeau fiscal s'alourdit, y compris via la fiscalité spécialisée : ainsi, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) a été multipliée par six entre 1995 et 2003. Globalement, donc, a résumé le rapporteur, la facture s'accroît.

M. Philippe Dallier a ensuite expliqué que cette abondance de moyens mis à la disposition de l'intercommunalité à fiscalité propre avait eu des conséquences négatives sur l'efficacité de la dépense publique. Ainsi, à l'exception de quelques exemples « sympathiques » (comme Mulhouse ou Quimper), il y a eu un développement des charges de personnel et une tendance à un doublonnement des postes.

L'incitation financière est, selon le rapporteur, l'une des causes de ce travers : le fait que la DGF intercommunale ne se soit pas accompagnée d'une baisse équivalente de la dotation des communes entrées en intercommunalité n'a pas incité à l'intégration fonctionnelle.

Par ailleurs, moins de 2000 syndicats ont été supprimés. Le foisonnement des structures intercommunales est toujours d'actualité.

Enfin, la péréquation n'est pas efficace. La concentration des bases fiscales reste la même et remet en cause l'idée même de péréquation intercommunale. M. Philippe Dallier a estimé que la seule péréquation efficace devait être nationale.

M. Philippe Dallier a expliqué que, derrière ces chiffres, il souhaitait faire comprendre que l'intercommunalité ne saurait être analysée comme le chaînon qui manquait, qu'une réforme de l'intercommunalité lui semblait nécessaire, et qu'elle devrait s'accompagner, selon lui, d'une réforme de l'organisation territoriale française.

M. Philippe Dallier s'est déclaré partisan de la suppression d'un échelon d'administration territoriale. Après avoir considéré que la commune ou l'EPCI étaient les échelons de proximité par excellence, il a prôné la suppression à terme du département au profit soit de la commune ou de l'EPCI, soit des régions, selon les compétences à répartir.

Les départements, a jugé le rapporteur, n'agissent que très peu comme échelons de proximité et il n'y a en fait que très peu de leurs compétences qui ne pourraient être avantageusement transférées aux régions ou aux communes. Il a toutefois ajouté qu'il était bien conscient que le département était un élément ancien du paysage administratif français et, qu'en conséquence, sa proposition pouvait être analysée comme radicale.

M. Jean Puech, président, a alors demandé au rapporteur s'il avait pu constater un même ressenti chez les personnes auditionnées. M. Philippe Dallier a répondu qu'un certain nombre de personnes qu'il avait entendues n'avaient pas réagi négativement à l'idée de supprimer le département et que personne n'avait pu démontrer que la multiplication des échelons était efficace ; l'idée que l'on ne pourrait plus rester longtemps avec l'organisation administrative actuelle faisant son chemin.

Le rapporteur a affirmé qu'il avait évolué sur la question des régions et de leur taille : contrairement à l'idée majoritairement reçue, les régions françaises ne sont pas toutes à ses yeux trop petites. Certaines régions, telles que Midi-Pyrénées ou Provence-Alpes-Côte d'Azur, peuvent même être considérées comme trop étendues. Des ajustements lui ont néanmoins paru souhaitables, le périmètre des régions n'étant pas toujours satisfaisant. S'agissant de la région parisienne, elle mérite, a estimé le rapporteur, un traitement d'exception. On ne peut en effet lui appliquer les mêmes schémas. Il n'y a ainsi aucune logique à traiter, indépendamment de Paris, les départements de la petite Couronne, tant en termes de péréquation que de cohérence territoriale.

M. Philippe Dallier a conclu son exposé en formulant l'espoir que la réunion de l'Observatoire de la Décentralisation lui permettrait de savoir comment orienter son rapport. Il a déclaré que, si le rapport devait ne pas désigner l'échelon à supprimer, il faudrait en revanche qu'il affirme que l'organisation actuelle n'est pas satisfaisante, ne permet pas d'économies, et qu'il y a sans doute un échelon de trop.

M. Jean Puech, président, a remercié le rapporteur tout en se demandant si la question institutionnelle n'excédait pas le champ qui avait été assigné à l'étude, qui avait un objet essentiellement financier et qualitatif.

M. Joël Bourdin a observé que deux éléments l'interpellaient dans l'exposé du rapporteur : le fait que l'intercommunalité soit essentiellement décrite en des termes négatifs, et le fait que le rapport tende à déborder sur un autre sujet que le sien propre, tout en admettant qu'il y avait sans doute une trop grande superposition d'échelons.

Il a estimé que, sur l'intercommunalité, le constat du rapporteur était un peu sévère. Sans doute, celle-ci a-t-elle donné lieu à des dérives, mais il a relevé qu'elles s'étaient faites avec la complicité et la complaisance les plus totales de l'appareil d'Etat qui, pour inciter à la formation d'EPCI, « a fait n'importe quoi ».

M. Joël Bourdin a ensuite remarqué que, si l'intercommunalité s'est accompagnée d'un gonflement des dépenses et des recettes, ce gonflement avait eu pour contrepartie un accroissement des services rendus. Beaucoup d'intercommunalités se sont ainsi investies dans la création de zones d'activités, la petite enfance, la gestion du temps libre... Or, sur le plan méthodologique, a expliqué le sénateur, s'il est facile de mesurer l'augmentation des charges, il est nettement moins facile de mesurer le bénéfice en termes d'intérêt général. Si bien qu'il est difficile de faire la balance.

M. Joël Bourdin a suggéré que le rapport propose dans l'avenir un système d'évaluation systématique pour tout transfert de compétences, ce qui peut amener à une plus juste mesure de l'intérêt communautaire et de la pertinence de certains transferts.

M. Philippe Dallier, rapporteur, a fait part de sa crainte qu'il ne soit un peu tard pour réclamer un tel mécanisme. Il a déclaré préférer proposer qu'à l'avenir on dispose de comptes consolidés. Il a reconnu que s'il était à l'origine très réservé sur l'intercommunalité, son point de vue était désormais beaucoup plus nuancé : quand l'intercommunalité est bien pratiquée, a-t-il déclaré, elle peut être extrêmement positive. Il a néanmoins regretté qu'elle se soit mise en place sans rigueur, c'est-à-dire sans la contrepartie associée aux dotations et sans ménager la dépense publique.

M. Joël Bourdin a ensuite insisté sur l'importance de proposer des périmètres pertinents, non seulement du point de vue géographique, mais également du point de vue économique et social. Il a déploré une tendance chez certains préfets à en appeler systématiquement à l'agrandissement du territoire des intercommunalités.

M. Jean Puech, président, a demandé ce qu'il en était des jugements portés par les personnes entendues sur les pays. MM. Joël Bourdin et Philippe Dallier, rapporteur, ont répondu qu'ils étaient très variés et M. Joël Bourdin a ajouté qu'en dépit de dérives, certains fonctionnaient très bien.

M. Philippe Dallier, rapporteur, a alors abordé le problème de la répartition des compétences entre collectivités. Il s'est demandé s'il fallait aller vers le principe de compétence unique (les compétences transférées continuant parfois d'être exercées par la collectivité les ayant transférées) et s'il fallait revenir sur le principe de la compétence générale, afin d'éviter une certaine dispersion.

M. Joël Bourdin a fait part de sa conviction qu'il fallait, en la matière, laisser une certaine liberté, le fait que les communautés de communes et d'agglomération s'engagent à assumer des compétences optionnelles ne relevant que du politique. M. Philippe Dallier a répondu qu'en ce cas, il se posait la question de l'élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct.

Evoquant le canton, qui, selon lui, perd complètement son sens -notamment en Île-de-France- le rapporteur a jugé qu'il n'avait plus ni utilité, ni cohérence, et il y aurait donc lieu de le supprimer.

Une autre piste, a ajouté le rapporteur, pourrait être de proposer que le conseil général soit composé des conseillers communautaires.

M. Jean Puech, président, a relevé qu'en province, on était départementaliste et qu'il y avait un attachement fort à la personne du conseiller général, élu pouvant être identifié au territoire, et interlocuteur de proximité jouant un rôle essentiel pour faire vivre la démocratie. S'agissant du canton, M. Jean Puech a rappelé qu'il s'agissait d'une simple circonscription électorale.

M. Philippe Dallier, rapporteur, a suggéré que, dans l'hypothèse d'une élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, on veille à ce que l'ensemble du territoire soit représenté, selon un système proche du mode PLM (Paris-Lyon-Marseille). Il a précisé qu'il n'avait rien contre le canton ou le département en tant que tels, et que ce qu'il déplorait était la superposition des périmètres et le fait que l'incitation financière ne se soit pas accompagnée d'une bonne gestion et d'une efficacité accrue de la dépense publique.

M. Jean Puech, président, et M. Joël Bourdin ont estimé qu'il importait de recentrer le rapport sur l'intercommunalité, d'en faire valoir les aspects positifs et d'enclencher l'évaluation.

M. Philippe Dallier, rapporteur, s'est engagé à rédiger une première partie plus nuancée, et a proposé que l'on retienne comme pistes le principe d'une évaluation et d'une consolidation des comptes. M. Joël Bourdin a suggéré que ce soient les structures intercommunales elles-mêmes qui se chargent de l'évaluation : le transfert de compétences devant être accompagné de l'évaluation du coût.

A propos de la DGF, le rapporteur s'est demandé si l'on devait se résigner à la considérer comme définitivement sanctuarisée ou si, au contraire, l'on ne pourrait pas proposer qu'elle soit évaluée en fonction d'un nouveau « CIF », qui serait non plus un coefficient d'intégration fiscale tel qu'il existe aujourd'hui, mais un « coefficient d'intégration fonctionnelle », qui serait un indicateur de bonnes pratiques.

M. Joël Bourdin s'est déclaré favorable à une réflexion sur le CIF, « pousse-au-crime » en ce qu'il mélange le financement et l'investissement. Il conviendrait en effet d'éviter que le CIF soit un pur multiplicateur indifférent à la nature de la dépense. Il a, en outre, regretté, s'agissant de la DGF, que n'ait pas été inventée une enveloppe à part, complètement fermée, destinée à l'intercommunalité, et a estimé qu'il faudrait proposer une DGF intercommunale qui ne soit pas en concurrence avec la dotation de solidarité rurale (DSR) et la dotation de solidarité urbaine (DSU).

Pour finir, il a été convenu de prendre en compte, dans le rapport, les conclusions des travaux en cours des préfets, ainsi que les enseignements des états généraux des élus locaux qui se sont tenus, à l'initiative du Président du Sénat, en Franche-Comté sur le dossier de l'intercommunalité précisément.

Le rapporteur s'est engagé à faire des propositions sur l'amélioration de l'intercommunalité, sans aborder la réforme complète de l'organisation territoriale française, tout en estimant qu'on ne pourrait sans doute pas faire l'économie de cette réforme.