Mercredi 11 octobre 2006

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président. -

Fiducie - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Henri de Richemont sur la proposition de loi n° 178 (2004-2005) présentée par M. Philippe Marini, instituant la fiducie.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a rappelé que la proposition de loi avait pour objet d'introduire en droit français une institution connue du droit romain et de plusieurs pays de tradition civiliste. Il a indiqué que, depuis 1992, plusieurs tentatives en ce sens s'étaient traduites par des échecs, dans la mesure où cet instrument juridique remettrait en cause le principe de l'unicité du patrimoine. En effet, la fiducie permet le transfert temporaire de la propriété des biens d'une personne, le constituant, vers un patrimoine affecté, géré par un fiduciaire, pour le compte d'un bénéficiaire.

Il a souligné que si l'examen de la commission portait formellement sur la proposition de loi présentée par M. Philippe Marini, les travaux menés par le Gouvernement sur ce sujet, qui avaient conduit à la rédaction d'un avant-projet, devaient également être pris en compte. Il a précisé que le point commun de ces deux textes consistait dans le choix d'un principe de neutralité fiscale : le constituant reste le redevable des droits d'enregistrement ainsi que des impôts directs, nonobstant le transfert intervenu.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué que l'institution de la fiducie posait trois questions de fond, la première concernant l'identité du constituant. Il a souligné que, tout comme le faisait la proposition de loi, il proposait à la commission d'ouvrir la qualité de constituant à toute personne physique ou morale. Il lui a semblé que ce choix était le plus cohérent et que l'adoption du principe de transparence fiscale et de la prohibition de la fiducie-libéralité, qu'il proposait, serait suffisante pour prévenir les risques d'évasion fiscale ou de blanchiment de capitaux, ou le contournement des règles relatives aux successions et aux libéralités.

Il a néanmoins indiqué que le Gouvernement souhaitait restreindre la qualité de constituant aux seules personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés et présenterait vraisemblablement des amendements en ce sens lors du débat en séance.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué que la question de la qualité du fiduciaire devait être également posée, la proposition de loi ayant opté pour que toute personne physique ou morale puisse exercer une telle fonction. Il a estimé que le fiduciaire devait présenter des garanties en termes de transparence, de lutte contre le blanchiment de capitaux et de solvabilité, ce qui l'avait conduit à restreindre, dans le texte qu'il présentait à la commission, l'exercice de cette fonction aux établissements de crédit, aux services d'investissement ainsi qu'aux entreprises d'assurance.

Il a précisé qu'il avait d'abord souhaité qu'à l'instar d'autres pays, les membres des professions juridiques réglementées puissent agir en qualité de fiduciaire, mais qu'il avait été contraint d'abandonner cette option, les professionnels concernés n'ayant pas mené jusqu'à son terme leur réflexion sur un sujet qui pouvait mettre en cause la question du secret professionnel.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a insisté sur le fait que l'étendue de la responsabilité du fait de dommages résultant de biens transférés dans un patrimoine fiduciaire constituait une autre question essentielle, qui avait en grande partie causé l'échec des tentatives antérieures de réforme.

Il a indiqué qu'il proposait à la commission de limiter au seul patrimoine fiduciaire le droit de poursuite des créanciers dont les droits sont nés de la conservation ou de la gestion des biens de ce patrimoine, un droit de poursuite subsidiaire étant cependant reconnu, en cas d'insuffisance de ce patrimoine, sur le patrimoine du constituant ou celui du fiduciaire. Il a précisé que les parties au contrat de fiducie pourraient néanmoins supprimer ce droit de poursuite subsidiaire avec l'accord de leurs créanciers, afin de permettre l'utilisation de la fiducie dans le cadre d'opérations de « defeasance ».

M. Henri de Richemont, rapporteur, a également indiqué qu'il proposait à la commission un dispositif, dont le champ d'application dépasse celui de la fiducie, permettant, en particulier dans le cadre de mécanismes de syndication bancaire, de donner à une seule personne la faculté de constituer, gérer et réaliser des sûretés pour le compte d'une pluralité de créanciers.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a insisté sur le fait que le texte proposé créerait un nouvel instrument juridique qui renforcerait l'attractivité économique du territoire national. Il a relevé que donner la possibilité aux avocats d'être fiduciaires pourrait soulever des difficultés avec l'application de leurs propres règles déontologiques.

Il a exposé que la question posée était celle de savoir si, comme l'envisage le gouvernement, la fiducie devait être réservée aux entreprises ou s'il convenait d'en faire une institution plus généraliste. Il lui a semblé qu'il serait prudent de limiter, dans un premier temps, l'usage de la fiducie aux seules relations commerciales.

Mme Josiane Mathon-Poinat ayant demandé si la fiducie pourrait être utilisée pour assurer la gestion des biens des personnes vulnérables, M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué que le texte qu'il proposerait à la commission le permettrait seulement pour les personnes majeures, soulignant néanmoins que la protection des personnes vulnérables ferait l'objet d'un projet de loi spécifique du gouvernement sur les tutelles.

M. Christian Cointat a insisté pour que la fiducie puisse être largement ouverte, relevant que la liberté de circulation des capitaux dans l'Union européenne militait pour que la France se dote d'un instrument juridique réellement attractif.

M. François Zocchetto a regretté que l'intention du gouvernement soit de limiter le champ d'application de la fiducie. Il a demandé au rapporteur si des sociétés civiles pourraient constituer des fiducies. M. Henri de Richemont, rapporteur, a précisé que le texte qu'il présentait à la commission le permettrait, mais qu'il n'en serait plus ainsi si la qualité de constituant était restreinte aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés.

M. Robert Badinter a jugé qu'il fallait assouplir le droit français afin de le rendre plus attractif dans un contexte de concurrence accrue des systèmes juridiques, notamment au plan européen. Il a estimé qu'en l'absence d'harmonisation européenne, si l'objet de la fiducie était trop restreint, ce mécanisme ne présenterait plus d'intérêt pour les acteurs juridiques, qui continueront alors à recourir à des institutions de droit étranger.

M. Patrice Gélard a indiqué qu'il ne fallait pas faire preuve de trop de conservatisme en matière juridique. Il a néanmoins estimé qu'une fiducie limitée dans son objet pourrait être un premier pas.

Puis la commission a procédé à l'examen des articles du texte présenté par le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur a souhaité savoir pourquoi, dans le texte proposé par le rapporteur, le fiduciaire pourrait être désigné bénéficiaire.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué qu'une telle situation devait être autorisée afin de permettre au créancier de se voir transférer la propriété des biens du constituant, à titre de sûreté, en qualité de fiduciaire, et d'en disposer en qualité de bénéficiaire dans l'hypothèse où le constituant n'aurait pas honoré sa dette à son égard. Il a souligné que, dans une telle hypothèse, un protecteur pourrait s'assurer que les intérêts du constituant sont bien préservés, M. Robert Badinter jugeant mal choisi le mot « protecteur ».

M. François Zocchetto ayant interrogé le rapporteur sur l'éventuelle obligation d'inscrire la fiducie au registre du commerce et des sociétés, M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué que le texte qu'il proposait ne comportait pas une telle inscription, mais qu'un fichier centralisé des fiducies serait tenu par l'administration fiscale.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a souligné que l'article 16 du texte présenté par le rapporteur, qui modifie les dispositions du code civil relatives aux sûretés telles qu'elles résultent de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, ne devrait pas être interprété comme emportant sa ratification implicite ou impliquée.

M. Charles Guené ayant regretté que les avocats ne puissent être désignés en qualité de fiduciaire, M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué qu'il lui avait semblé inopportun de leur ouvrir dès aujourd'hui cette qualité, alors que les représentants de la profession restaient divisés sur les conséquences d'une telle ouverture sur l'application de leurs règles professionnelles.

M. Patrice Gélard ayant questionné le rapporteur sur l'application outre-mer de la fiducie, ce dernier a indiqué qu'il lui avait paru souhaitable de réserver cette institution à la métropole ainsi qu'aux départements d'outre-mer.

M. François Zocchetto a interrogé le rapporteur sur l'utilisation possible de la fiducie pour couvrir des risques d'assurance. M. Henri de Richemont, rapporteur, a estimé que cette nouvelle institution permettrait de couvrir des risques actuellement non assurables ou difficilement assurables.

Enfin, la commission a adopté des conclusions dans la rédaction proposée par le rapporteur, sous réserve d'une modification rédactionnelle.