MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LA NOTION DE CENTRE DE DÉCISION ÉCONOMIQUE ET L'ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE NATIONAL

Mercredi 18 octobre 2006

- Présidence de M. Philippe Marini, président.

Audition de M. Jean Pisani-Ferry, directeur, et M Nicolas Véron, de Bruegel

M. Philippe Marini, président, a tout d'abord remercié MM. Jean Pisani-Ferry et Nicolas Véron, pour leur venue devant la mission commune d'information. Il a rappelé que Bruegel était un centre de réflexion qui avait été porté sur les fonts baptismaux par le président Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schroeder dans leur déclaration commune à l'occasion du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée le 22 janvier 2003, relevant que ces deux hauts dirigeants avaient alors évoqué la nécessité de créer un centre européen d'économie internationale. Puis il a remarqué que Bruegel comptait parmi ses membres aussi bien 15 des 25 Etats de l'Union européenne que 27 grands groupes internationaux privés, très majoritairement, mais pas exclusivement, européens. Il a ensuite indiqué que Bruegel, présidé par l'ancien commissaire européen Mario Monti avait été véritablement lancé le 17 janvier 2005 et avait adopté son premier programme de recherche au mois d'octobre de la même année.

A l'issue de cette introduction, M. Philippe Marini, président, a invité les intervenants à s'exprimer sur la notion de nationalité d'entreprise, sur la définition des centres de décision économique, ainsi que sur le rôle de l'Etat pour optimiser l'implantation desdits centres.

M. Jean Pisani-Ferry s'est tout d'abord déclaré très heureux d'avoir, pour la première fois, l'occasion d'intervenir devant une mission d'information du Parlement français sous la bannière de Bruegel.

S'agissant de la question de la nationalité des entreprises, il a insisté sur le fait que cette question était débattue depuis longtemps dans de nombreux pays, citant notamment deux articles à l'appui de son propos :

- d'une part, un article titré « Who Is Us ? » (1990) de M. Robert Reich, universitaire puis secrétaire américain au travail, montrait que les intérêts des Etats-Unis pouvaient diverger de ceux des grandes entreprises américaines ;

- d'autre part, un article en date de mai 2006 de Samuel Palmisano, président-directeur général d'un grand groupe informatique américain, tendant à prouver qu'au fur et à mesure de leur internationalisation, les entreprises possédaient de moins en moins de nationalité propre.

Indiquant qu'il avait recherché, pour sa part, à partir d'éléments empiriques, les principaux facteurs de différentiation des entreprises étrangères par rapport aux entreprises nationales, M. Jean Pisani-Ferry a constaté que, sur un territoire donné, les entreprises étrangères dégageaient généralement une meilleure productivité, offraient de meilleurs salaires et avaient une plus grande intensité de recherche que les entreprises nationales. Cependant ces traits distinguent moins les entreprises nationales et les entreprises étrangères que les entreprises internationalisées (quelle que soit leur nationalité) et celles qui ne le sont pas. Il en a déduit que l'internationalisation des entreprises était porteuse d'efficacité, modérant toutefois son propos en admettant que les effets de taille et les effets sectoriels pouvaient constituer un biais.

Puis évoquant les sièges sociaux des entreprises, il a constaté que certaines activités leur étaient intrinsèquement liées, comme la direction générale, la direction financière, la direction des ressources humaines, ou la direction juridique, ajoutant que lesdites activités ne représentaient que peu d'emplois. En revanche, il a observé que d'autres fonctions, plus pourvoyeuses d'emplois, comme les achats ou la recherche et le développement, traditionnellement exercées au siège social, étaient de plus en plus souvent décentralisées, notamment dans les pays émergents.

M. Jean Pisani-Ferry a ensuite relevé que les déplacements de sièges sociaux étaient de plus en plus fréquents, qu'il s'agisse d'actions délibérées des entreprises ou, le plus souvent, la conséquence d'un rachat. A ce sujet, il a reconnu que, du fait du manque de données pertinentes et disponibles, il était presque impossible de mesurer de façon systématique les implications d'un tel déménagement, précisant que l'attitude de l'acquéreur dépendait de sa nature et de sa nationalité.

M. Nicolas Véron est revenu sur les propos de M. Jean Pisani-Ferry concernant la nationalité des entreprises, s'appuyant pour cela sur une étude récemment publiée par Bruegel, intitulée Farewell National Champions (« Adieu champions nationaux »). Ladite étude a mesuré la part du chiffre d'affaires que les cent plus grandes entreprises européennes d'une part, et américaines d'autre part, réalisaient sur le territoire où est implanté leur principal centre de direction, ainsi que la proportion de leurs effectifs qu'elles employaient sur ce même territoire. Il a révélé que, si l'étude montrait une très grande diversité de profils d'entreprise, la moyenne indiquait que, pour la « grande entreprise type », les emplois suivaient les ventes, autrement dit qu'à l'internationalisation des ventes correspondait l'internationalisation des emplois.

Répondant à une question de M. Philippe Marini, président, M. Nicolas Véron a confirmé que les entreprises allemandes, suisses ou scandinaves avaient une proportion plus élevée d'emplois dans leur pays d'origine, en moyenne, que la proportion correspondante de leurs ventes, ce qui n'est pas (ou moins) le cas pour les entreprises d'autres pays. Il a toutefois souligné que l'effet sectoriel était, de ce point de vue, encore plus important que l'effet de la nationalité. Puis, après une remarque de M. Aymeri de Montesquiou, il a confirmé la grande hétérogénéité des entreprises étudiées, insistant cependant sur la pertinence de la moyenne des données obtenues.

Orientant ensuite son propos vers la puissance comparée des entreprises américaines et européennes, M. Nicolas Véron a constaté que l'écart de capitalisation entre les entreprises de ces deux continents était essentiellement dû à la différence de valeur cumulée des entreprises technologiques, particulièrement des entreprises actives dans le domaine des technologies de l'information et de la communication.

Il a enfin déclaré que le mouvement de mondialisation des entreprises s'effectuait parallèlement en Europe et aux Etats-Unis, soulignant que le caractère européen des entreprises européennes était en moyenne aussi marqué que le caractère américain des entreprises américaines. Il a observé, en revanche, qu'au sein de l'Europe, la nationalité des entreprises était de moins en moins marquée, notant qu'en d'autres termes, les grands groupes européens pouvaient se définir de moins en moins comme, par exemple, français ou allemands, mais de plus en plus comme européens. Il a considéré que les pouvoirs publics devaient intégrer cette évolution dans leur réflexion, notamment dans le cadre de la conception de leur politique de soutien aux entreprises. En outre, il a estimé que le caractère de plus en plus insaisissable de la nationalité des grandes entreprises européennes accentuerait, à terme, la mobilité des sièges sociaux et la concurrence territoriale au sein de l'Europe pour les attirer.

A M. Philippe Marini, président, qui se demandait s'il y avait une corrélation entre les recettes fiscales des Etats et la performance de leurs entreprises nationales, M. Nicolas Véron a répondu que les données à sa disposition ne permettaient pas d'éclaircir ce point.

M. Christian Gaudin rapporteur, après avoir constaté que de plus en plus d'achats d'entreprises étaient effectués par des fonds financiers, s'est interrogé sur les conséquences de la montée en puissance de ces acteurs pour les centres de décision économique. Puis il a demandé aux intervenants ce qu'ils pensaient du concept de patriotisme économique. Enfin, il a souhaité savoir si les centres de recherches étaient assimilables à des centres de décision économique, ou s'il ne fallait les considérer que comme des services « comme les autres ».

M. Jean Pisani-Ferry a tout d'abord répondu à la question du rapporteur concernant les fonds financiers. Il a indiqué que, si ce type d'acquisition pouvait susciter des inquiétudes quant au comportement de ces acteurs à l'égard des entreprises cibles, il ne comportait, le plus souvent, que peu de conséquences en termes de déplacement de centres de décisions économiques. Il n'en était pas de même lorsque l'opération avait une dimension industrielle.

Au sujet du patriotisme économique, il a estimé que le débat ne portait pas sur la notion elle-même, puisque les responsables de la politique économique ont un devoir à l'égard des citoyens, mais sur son point d'application : ce patriotisme doit-il être orienté vers les entreprises nationales, ou bien vers le territoire national et les facteurs de production (capital et travail) nationaux ? Interrogé par M. Philippe Marini, président, il a confirmé, que, selon lui, un bon patriotisme économique devait s'attacher à valoriser, avant tout, le territoire national et les hommes qui l'habitent. Après une demande de précision de Mme Nicole Bricq, M. Jean Pisani-Ferry a souligné que les personnes restaient moins mobiles et plus attachées à leur territoire que les entreprises. Il en a conclu qu'une approche politique ne considérant que le seul critère de la nationalité des entreprises pouvait parfois prendre le contre-pied de l'intérêt des citoyens, dont les pouvoirs publics sont responsables au premier chef.

M. Philippe Marini, président, s'est alors demandé si le patriotisme économique ne devait pas s'exercer sur un nombre limité d'activités structurantes, susceptibles d'entraîner la création de nombreux emplois induits.

En réponse, M. Jean Pisani-Ferry a indiqué qu'il s'agissait d'un point débattu par les économistes. Exprimant son sentiment personnel, il a jugé que les choix publics, par exemple en matière d'infrastructures, de formation ou de fiscalité, orientaient l'avantage comparatif sectoriel d'un pays. Il a insisté sur le fait qu'il ne saurait y avoir de neutralité de ce point de vue, expliquant, pour illustrer son propos, que la façon de traiter les amortissements encourageait, ou non, les activités à forte intensité capitalistique.

Puis M. Nicolas Véron, revenant sur l'interrogation du rapporteur au sujet des fonds financiers, a indiqué, en complément de la réponse de M. Jean Pisani-Ferry, qu'en règle générale les entreprises détenues par ces fonds créaient un nombre comparativement élevé d'emplois. A cet égard, il a observé que le mode de gestion de ces acteurs financiers les plaçait sous une forte pression en matière de performance de gestion, ce qui poussait les entreprises qu'ils reprenaient vers la croissance économique.

A propos de l'efficacité, en termes d'emplois sur le territoire national, d'un patriotisme économique fondé principalement sur le critère de la nationalité des entreprises, il a également exprimé ses doutes. Il a ainsi cité le cas emblématique de l'industrie automobile, remarquant qu'alors que les constructeurs français supprimaient des emplois en France, un grand constructeur japonais en créait.

De manière générale, M. Nicolas Véron a constaté que, si M. Dominique de Villepin, Premier ministre, s'était placé en première ligne sur la question du patriotisme économique, en suggérant un alignement de l'intérêt national sur l'intérêt des entreprises, cette préoccupation était, dans les faits, partagée par de nombreux Etats. Se fondant sur les exemples allemands et italiens, il a relevé que cet interventionnisme étatique pouvait prendre des formes diverses.

M. Nicolas Véron a ensuite abordé la question de la légitimité des interventions de l'Etat visant à empêcher la prise de contrôle d'une entreprise nationale par une entreprise étrangère. Il a relevé la richesse de l'actualité en la matière, citant, à titre d'exemple, l'entrée, à hauteur de 5 %, de la banque russe Vnechtorgbank au capital d'EADS, ou encore le veto du Congrès des Etats-Unis à la prise de contrôle de la gestion de six ports américains par la société émiratie Dubai Ports World. Il a considéré que le principal enjeu était la définition des « limites de l'acceptable », estimant qu'il conviendrait, à cette fin, de se fonder sur deux éléments : la maîtrise de savoir-faire technologiques uniques et le « pouvoir de marché », qui permet à certaines entreprises d'imposer, du fait de leur puissance, leurs vues aux consommateurs. Il a jugé que la prise de contrôle de telles entreprises par des sociétés étrangères pouvait se révéler dangereuse, tout particulièrement si l'acheteur était susceptible d'avoir des visées politiques. Il a considéré que, dans ces circonstances, l'Etat était légitimement fondé à intervenir afin d'empêcher de tels rapprochements, remarquant toutefois que l'Etat reconnaissait, par là même, son échec à créer un marché efficace, sans acteur disposant d'un trop fort « pouvoir de marché ».

Sur le sujet spécifique des industries de technologie, M. Nicolas Véron a souligné que, plus que d'empêcher leur hypothétique prise de contrôle par des entreprises étrangères, le principal enjeu pour l'Europe consistait à faire se développer ce type de sociétés en son sein. Il a rappelé que là se situait le véritable écart entre l'Europe et les Etats-Unis puisqu'alors que 38 entreprises américaines du secteur figurent dans les 500 plus grandes entreprises mondiales, tel est le cas de seulement 8 sociétés européennes technologiques, seule une entreprise s'étant élevée à ce niveau par sa seule croissance organique au cours des dernières décennies.

Enfin, revenant sur une interrogation du rapporteur, il a constaté le découplage géographique de plus en plus fréquent entre direction générale et activités de recherche et développement. Il a expliqué cette évolution par le fait que les grandes entreprises allaient désormais « chercher les talents là où ils sont ». Se plaçant du point de vue de l'intérêt de l'Etat, il s'est refusé à hiérarchiser activités de direction et activités de recherche et développement, estimant que, du fait de leur forte valeur ajoutée, les deux revêtaient une grande importance.

Mme Nicole Bricq lui ayant demandé de préciser s'il estimait que le patriotisme économique devrait s'attacher plus à l'intérêt du territoire national et des hommes qui y vivent qu'à celui des entreprises nationales, M. Jean Pisani-Ferry a confirmé que telle était bien sa vision. M. Nicolas Véron a ajouté que la correspondance entre l'intérêt de l'entreprise et le développement de son territoire national apparaissait de moins en moins vérifiée dans le cas des grandes entreprises. Il a, en outre, considéré que, si cette correspondance demeurait plus forte pour ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, elles suivaient le même chemin que le grandes entreprises, notamment du fait des possibilités que leur offraient les nouvelles technologies.

Mme Elisabeth Lamure a interrogé les intervenants au sujet d'une analyse de Mme Nicole Notat, présidente de Vigeo, selon laquelle les entreprises ne sauraient rester « apatrides » à long terme.

En réponse, M. Jean Pisani-Ferry a indiqué que les entreprises étaient amenées à raisonner sur trois catégories de « marchés » :

- ceux où elles réalisent leur chiffre d'affaires ;

- ceux où se trouvent leurs actionnaires ;

- ceux où se trouvent leurs effectifs.

Il a estimé que les entreprises développaient une culture propre sous l'influence de l'environnement au sein duquel elles évoluaient sur chacun de ces marchés, la notion de responsabilité sociale des entreprises, par exemple, différant sensiblement dans le monde anglo-saxon ou dans un pays comme la France. Il a insisté sur l'importance, aux yeux des entreprises, du « marché » constitué par le territoire où se trouvent leurs effectifs, du fait de la nécessité croissante pour elles d'attirer les « talents ».

A propos de ce dernier aspect, M. Nicolas Véron a ajouté que lesdits « talents » les plus rares ou qualifiés étaient, en règle générale, beaucoup plus mobiles que les autres travailleurs. Puis, s'appuyant sur les résultats de l'étude annuelle de ressources humaines « The great place to work », qui prend en compte des critères de satisfaction des salariés et l'opinion de l'encadrement, il a souligné que les entreprises françaises obtenant les meilleurs résultats sont des filiales de groupes d'origine nord-américaine, parmi lesquelles un important groupe agroalimentaire américain. A partir de là, il s'est demandé si la reprise d'une grande entreprise agroalimentaire française par ledit groupe, à laquelle le gouvernement avait fait connaître son opposition au nom du patriotisme économique, aurait été réellement néfaste du point de vue de ses salariés français.

M. Aymeri de Montesquiou a remarqué qu'alors qu'une expatriation pouvait, dans le passé, constituer un frein pour le développement d'une carrière, elle semblait, à présent, être devenue une étape indispensable afin de progresser dans la hiérarchie de nombreuses entreprises. Puis, à propos du patriotisme économique, il a estimé qu'il conviendrait de définir des secteurs économiques stratégiques, au sein desquels l'Etat serait légitimement fondé à intervenir, en cas de nécessité. Enfin, s'appuyant sur le cas de Péchiney, il a souligné que la localisation du siège social d'une entreprise avait une réelle incidence en termes d'emplois.

M. Nicolas Véron a nuancé cette dernière réflexion, relevant que Péchiney avait fermé des usines dans les vallées alpines françaises du temps de son indépendance, Alcan, son acquéreur canadien, n'ayant fait que poursuivre cette politique.

M. Philippe Marini, président, après avoir constaté qu'une conséquence certaine du déménagement d'un centre de décision économique était la difficulté, pour des élus français, de s'adresser à la nouvelle direction, a remercié MM. Jean Pisani-Ferry et Nicolas Véron pour la grande qualité de leur intervention.

Audition de M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques et financières d'Ixis Corporate Investment Bank

La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques et financières d'Ixis Corporate Investment Bank.

M. Philippe Marini, président, a rappelé le parcours professionnel de M. Patrick Artus et salué son acuité et son indépendance d'esprit. Il lui a ensuite demandé d'exposer à la mission d'information ses réflexions sur la nationalité des entreprises, le contenu de la notion de centre de décision économique et le rôle qui revenait à l'Etat pour valoriser les atouts du territoire français.

M. Patrick Artus a tout d'abord indiqué que la France demeurait le pays industrialisé où l'écart économique entre grandes sociétés cotées et entreprises moyennes était le plus grand. Il a ainsi relevé qu'il n'existait pas de corrélation dans l'évolution des caractéristiques et des résultats financiers des sociétés composant l'indice CAC 40, d'une part, et de l'ensemble des sociétés tels que les retracent les statistiques de l'INSEE, d'autre part. Cette situation était notamment tributaire, selon lui, de la répartition géographique des chiffres d'affaires et des profits, 85 % des bénéfices des sociétés du CAC 40 ayant, par exemple, été réalisés à l'étranger en 2005.

Abordant la notion de centre de décision économique, il a rappelé que les définitions en étaient multiples et relevaient du critère juridique du siège social, du lieu de cotation, ou de la localisation des profits et des effectifs. Se fondant sur une étude remise aux membres de la mission d'information et sur les critères de localisation de l'emploi et des activités de recherche et développement, il a souligné que l'examen de la période récente ne permettait pas de conclure à des différences de comportement économique ou de décisions de gestion des entreprises selon la proportion de leur capital détenue par des investisseurs non-résidents. Cette absence d'impact de la nationalité des actionnaires se vérifiait aussi si l'on considérait la qualité de ces derniers, qu'ils fussent par exemple des compagnies d'assurance ou des fonds spéculatifs.

Cependant, M. Patrick Artus a fait part de sa conviction que le processus était lent et qu'on ne se trouvait qu'au début d'un phénomène massif et violent, lié à l'afflux futur de capitaux en provenance des pays émergents, qu'il estimait à 14.000 milliards de dollars au cours des dix prochaines années, dont 3.000 milliards de dollars pour la Chine. Ces capitaux pourraient être investis à hauteur de 4.000 à 6.000 milliards de dollars en actions, compte tenu de la déréglementation en cours dans ces pays, et plus particulièrement en Chine, concernant l'accès aux titres étrangers. On constatait ainsi une accélération récente des acquisitions d'entreprises occidentales par des sociétés asiatiques.

Il a également relevé que la nature même des investisseurs était en train d'évoluer. Ainsi la frontière entre les investisseurs en capital (« private equity ») et les fonds spéculatifs tendait à s'estomper, du fait de la prépondérance, de part et d'autre, des opérations de rachat avec effet de levier et des stratégies d'investissement dites « distressed » et « event driven », consistant en des positions à court terme sur les titres obligataires ou de capital de sociétés en situation compromise. Il a ajouté que les prochains flux de capitaux des pays émergents seraient avant tout le fait de fonds publics ou para-publics, ou de l'utilisation de réserves monétaires, dont la banque centrale chinoise, par exemple, disposait en abondance.

M. Philippe Marini, président, a résumé ces propos en relevant que la croissance de la part des investisseurs étrangers dans le capital des sociétés occidentales et françaises ne se traduisait pas, pour l'heure, par une modification réelle de la consistance économique de ces dernières, à l'exception éventuelle de « situations spéciales », telles que celle à laquelle se trouvait aujourd'hui confrontée une société telle qu'Euronext. Cette relative innocuité actuelle des investisseurs étrangers pourrait cependant ne pas se confirmer avec l'expansion du capital en provenance des pays émergents.

M. Christian Gaudin, rapporteur, a posé deux questions. Se référant au récent ouvrage que M. Patrick Artus avait co-écrit avec Mme Marie-Paule Virard, intitulé « Le capitalisme est en train de s'autodétruire », il a rappelé que les deux auteurs considéraient que c'était au moment même où le capitalisme n'avait jamais été aussi prospère qu'il apparaissait le plus vulnérable, dans la mesure où il était dénué de projets et soumis à des exigences de rendement des fonds propres économiquement absurdes. Il s'est demandé dans quelle mesure le comportement des grands investisseurs exerçait un impact sur la localisation des centres de décision et menaçait les implantations françaises, et quelles réformes les régulateurs internationaux devaient mettre en place pour assurer une plus grande indépendance des directions d'entreprise ainsi qu'une épargne moins focalisée sur le court terme.

Puis il s'est interrogé sur la position et les politiques de l'Union européenne en matière de localisation des centres de décision, et sur les marges de manoeuvre dont les Etats membres disposaient. Il a également souhaité connaître l'opinion de M. Patrick Artus sur la notion de patriotisme économique.

En réponse, M. Patrick Artus a considéré que l'évolution majeure du capitalisme au cours de la période récente consistait en un raccourcissement des horizons de programmation des entreprises, soumises à un biais commun des investisseurs français comme étrangers. Il était manifeste, selon lui, que la part des investisseurs à court terme avait augmenté, notamment celle des fonds spéculatifs dont l'horizon d'investissement s'établissait en moyenne à trois mois, contre quatre ans pour les fonds d'assurance-vie. Il a estimé que cette tendance était, en outre, renforcée par les normes comptables internationales IAS et la pratique des résultats financiers trimestriels, et que les régulateurs européens avaient commis une erreur majeure en s'attachant à harmoniser les règles comptables et prudentielles pour des sociétés dont les horizons et caractéristiques étaient fondamentalement différents.

M. Philippe Marini, président, a indiqué que cette appréciation tendait à rejoindre les propos tenus par M. Francis Mayer, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, lors de son audition par la commission des finances le mercredi 11 octobre 2006. Ce dernier avait jugé, en effet, que les nouvelles normes prudentielles des banques, dites de « Bâle II », risquaient de conduire à une diminution des placements en actions des investisseurs institutionnels, notamment des compagnies d'assurance. Il s'est dès lors demandé quel lien ces normes, et leur transposition par deux directives communautaires du 14 juin 2006, entretenaient avec les investisseurs non bancaires.

M. Patrick Artus a rappelé que le dispositif communautaire des nouvelles normes prudentielles applicables aux compagnies d'assurance, dénommé « Solvency II », n'était pas encore définitivement arrêté, mais qu'il tendait à fixer le capital réglementaire de ces entreprises en fonction de l'écart de duration moyenne constaté entre l'actif et le passif. Il a ainsi expliqué que la duration moyenne du passif des compagnies d'assurance française était de douze ans, alors que celle des actions était nulle, de telle sorte que la minoration du capital réglementaire induisait une prime à la détention de titres obligataires de duration longue et de faible risque.

Il a ajouté que les normes de « Bâle II » exerçaient un effet procyclique pour les banques, en ce qu'elles les incitaient à restreindre l'octroi de crédit en bas de cycle. Il a confirmé l'appréciation portée par M. Francis Mayer et a indiqué que les futures normes applicables aux assureurs les conduiraient à acquérir davantage de titres de créances publics, à moins de « surprovisionner » le passif, ce qui apparaissait improbable. L'inversion de cette tendance escomptée supposait donc, selon lui, de disposer de grands investisseurs domestiques en actions.

Puis en réponse à M. Philippe Marini, président, qui se demandait s'il était encore possible de corriger cette évolution, il a estimé qu'il était vraisemblablement un peu tard et que l'ensemble de ces normes prudentielles et comptables, quel que soit leur secteur d'application, formaient un tout cohérent reposant sur les principes de valeur de marché et d'une adéquation aussi proche que possible de l'actif au passif. Cette évolution avait été dénoncée par un certain nombre de dirigeants de compagnies d'assurance, dont M. Henri de Castries, président d'Axa. Il a ajouté que l'insuffisante couverture dont disposaient les fonds de pension américains et britanniques pour assurer le financement de prestations définies avait accru l'aversion au risque des régulateurs, les conduisant à introduire une quasi-logique de répartition dans les bilans de ces organismes.

Puis revenant sur la notion de patriotisme économique, M. Patrick Artus a jugé qu'il serait impossible de protéger tous les secteurs de l'intrusion des capitaux des pays émergents. De fait, près du tiers des capitaux chinois placés à l'étranger étaient déjà constitués de dépôts bancaires. Il a également considéré que ces investissements pouvaient comporter des aspects positifs, dès lors qu'ils contribuaient à pallier le manque d'investisseur en capital en France, et in fine, à soutenir le tissu économique. Il a ajouté que la France serait sans doute contrainte à faire preuve de sélectivité sur les secteurs destinés à être protégés, et à établir des principes clairs de définition des industries et services stratégiques, qui ne correspondraient pas nécessairement aux critères privilégiés par les pays émergents, et notamment la Chine, qui considérait les télécommunications comme un secteur déterminant.

Puis en réponse à une question de Mme Nicole Bricq, il a précisé que l'Inde disposait de très peu de réserves de change susceptibles d'être investies à l'étranger.

M. Philippe Marini, président, a considéré qu'il importait de se placer du point de vue du prédateur pour cerner la notion de secteur stratégique.

Après que Mme Nicole Bricq eut fait référence aux objectifs récemment manifestés par la Russie, M. Patrick Artus a estimé que la question de la gouvernance de la société acheteuse devait également être prise en considération. Il a rappelé que l'essentiel des réserves pétrolières de la Russie étaient épargnées et non investies ; il en résultait une augmentation des prix et un comportement monopolistique, non seulement à l'égard des clients étrangers, mais également des nationaux, ainsi que l'illustrait l'exemple des fortes hausses de tarif appliquées par Gazprom à la société d'électricité russe.

Il a ajouté que les critères de protection des secteurs stratégiques français pourraient également s'inspirer du principe de réciprocité, tel qu'il figurait dans la directive communautaire sur les offres publiques d'acquisition.

M. Philippe Marini, président, s'est interrogé sur la capacité des entreprises européennes à adapter leur gouvernance pour prendre pleinement en compte cette dimension de la réciprocité.

Se référant à la note qui avait été remise en début d'audition, M. Michel Teston s'est demandé si l'attachement de la Commission européenne à la préservation de la concurrence intra-européenne n'était pas de nature à faciliter l'entrée des investisseurs des pays émergents, et s'il ne serait pas plus opportun de constituer des « champions » à l'échelle du continent.

M. Patrick Artus a souligné que la doctrine de la Commission en matière de droit de la concurrence reposait notamment sur une approche restrictive du concept de marché pertinent, qui n'était pas placé au niveau de l'Union européenne dans son ensemble, mais à celui des Etats membres. Cette approche éclairait plus particulièrement les exigences à l'égard de Suez et Gaz de France, qui représentaient un acteur de taille moyenne à l'échelle de l'Europe, mais pas à celle de la Belgique.

M. Philippe Marini, président, a promu une démarche en deux étapes qui consisterait, en premier lieu, à établir des mesures défensives pour l'ensemble des Etats membres, puis à constituer des « champions » européens offensifs. Une telle approche se heurterait cependant à la conception du marché pertinent défendue par la Commission européenne.

M. Patrick Artus a souligné l'urgence d'une stratégie européenne, compte tenu de la probable augmentation à court terme des acquisitions par des entreprises asiatiques. Il a ainsi évoqué les maisons de titres chinoises, qui développaient actuellement une réflexion avancée sur de telles acquisitions, et les courtiers du même pays, qui débutaient la commercialisation de nouvelles gammes de fonds investis en actions, leur permettant, le cas échéant, d'acheter des blocs d'actions de sociétés occidentales.

Puis il a confirmé les doutes de M. Philippe Marini, président, quant à la capacité du processus décisionnel communautaire à mener à bien une telle stratégie de défense, et a estimé que la réflexion en la matière devait en premier lieu être menée au niveau national. Pour autant, la Banque centrale européenne avait déjà fait part de son opposition à certaines perspectives d'offres publiques d'acquisition hostiles portant sur des banques des Etats membres.

Mme Nicole Bricq a évoqué un récent article de M. Michel Rocard, dans lequel ce dernier promouvait la mise en place d'une défense juridique dans les sociétés européennes.

M. Patrick Artus s'est déclaré défavorable aux « pilules empoisonnées » susceptibles de figurer dans les statuts des sociétés cibles, en raison des incertitudes qui entouraient leur caractère juridiquement opérationnel. Il a considéré qu'il était préférable d'établir des critères légaux ou réglementaires précis, plutôt que d'affermir le « bricolage » des défenses actionnariales.

M. Philippe Marini, président, a souligné que les mesures réglementaires n'offraient pas nécessairement la sécurité juridique attendue, ainsi que l'illustrait l'exemple du récent décret français sur les secteurs protégés.

Puis, après que Mme Nicole Bricq eut insisté sur la pertinence du concept de réciprocité au regard de la législation en vigueur dans les pays émergents, M. Patrick Artus a indiqué qu'il n'était pas toujours aisé, dans un pays tel que la Chine, de déterminer si la gouvernance réelle des entreprises était conforme aux préceptes officiels. Il a également estimé que les dossiers relatifs à des litiges ou difficultés opposant certaines sociétés françaises à leurs homologues chinois n'étaient pas réellement instruits au niveau gouvernemental.

M. Philippe Marini, président, a constaté que la notion de patriotisme économique ne se révélait finalement pas « ringarde » et avait sa légitimité dans certains secteurs sensibles.

Relevant l'exemple des velléités d'acquisition d'une banque européenne par la banque américaine Citigroup, M. Patrick Artus a considéré que les interrogations sur le caractère stratégique ou non du secteur bancaire plaidaient en faveur d'une doctrine stable.

M. Michel Teston a évoqué, parmi les solutions déjà envisagées dans le passé, la constitution de « noyaux durs » par des participations croisées entre entreprises françaises et européennes, permettant de conserver la maîtrise du capital. Le dénouement de certaines de ces participations pour des opérations d'investissement avait cependant contribué, dans certains cas, à affaiblir les sociétés concernées.

M. Patrick Artus a souligné que les « noyaux durs » avaient implosé, car ils conduisaient à une double stérilisation des fonds propres, fonctionnaient mal du fait de mésententes entre dirigeants, et n'avaient guère d'impact sur le terrain. Ce type d'opérations, selon lui, était voué à l'échec s'il n'était pas légitimé par une stratégie industrielle, et créait de surcroît des difficultés au regard de la concurrence commerciales entre les parties concernées. Evoquant d'autres solutions, il a estimé que la création de fonds de pension permettait certes de disposer de capacités d'investissement en capital, mais que la lente montée en régime de ces fonds, en moyenne sur une durée de trente ans, induisait une désynchronisation par rapport aux besoins. L'action d'un grand investisseur tel que la Caisse des dépôts et consignations pouvait être bénéfique, mais risquait de se heurter rapidement à un problème de taille critique insuffisante. La promotion de l'épargne salariale était également une voie judicieuse, pour autant qu'elle fût investie en actions. Il a rappelé qu'il importait bien, selon lui, d'annoncer clairement quels seraient les secteurs et entreprises protégés, à l'instar de ce que faisaient les Etats-Unis, notamment dans un domaine tel que le pétrole.

Puis il a abordé la question de la valorisation des territoires et a jugé que les pôles de compétitivité représentaient une réelle avancée, mais qu'une gestion régionale se révélerait sans doute plus adaptée, ainsi que le faisaient déjà l'Italie et l'Espagne. Les montants concernés étaient également encore insuffisants, de l'ordre d'1,5 milliards d'euros, alors que l'Espagne avait mobilisé près de 10 milliards d'euros. Il a ensuite développé le dispositif de rapatriement des chercheurs en Catalogne, qui s'était révélé efficace, via un comité de sélection et de recrutement et la garantie du paiement du différentiel de salaire.

En réponse à M. Philippe Marini, président, qui se demandait si les universités françaises étaient en mesure de mettre en place un tel système, il a relevé l'exemple de l'université de Toulouse, qui était parvenue à faire revenir un professeur reconnu du Massachusetts Institute of Technology. Il a enfin déploré l'état de délabrement de certains locaux de l'université de la Sorbonne, après que Mme Nicole Bricq eut plaidé en faveur d'une gestion régionale des universités.

Audition de M. Jean-Michel Charpin, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

La mission commune d'information a enfin procédé à l'audition de M. Jean-Michel Charpin, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

M. Philippe Marini, président, après avoir remercié M. Jean-Michel Charpin de sa venue devant la mission d'information du Sénat, a ouvert le débat en demandant si l'INSEE a réalisé ou engagé des travaux intéressant le maintien et l'attraction sur le territoire national des centres de décision économique, et si  l'Institut dispose d'outils permettant d'évaluer les atouts et les handicaps de notre pays à cet égard. Il a aussi souhaité que M. Jean-Michel Charpin puisse préciser les critères de détermination de la nationalité d'une entreprise.

M. Jean-Michel Charpin a tout d'abord indiqué que si l'INSEE travaille essentiellement sur les comptes sociaux des sociétés recensées dans le fichier SUSE (système unifié de statistiques d'entreprises), la statistique publique s'intéresse depuis longtemps aux groupes d'entreprises, qu'elle identifie depuis les années 1980 au moyen d'une enquête destinée à repérer les liens capitalistiques entre sociétés, dans la mesure où les comptes consolidés des groupes ne constituent pas, actuellement, une source d'information pertinente. L'INSEE identifie donc et mentionne dans ses publications les groupes étrangers opérant en France, ceux dont le centre de décision est installé à l'étranger. La détermination de la nationalité d'un groupe apparaît dans la plupart des cas comme une évidence, alors que la fixation ex ante d'une liste de critères de nationalité poserait des problèmes difficiles. Le seul cas douteux est celui d'EADS, dont les publications de l'INSEE indiquent qu'il s'agit d'un groupe considéré comme français par convention. A l'exception de ce cas, la détermination pragmatique de la nationalité des groupes ne pose pas de problème. S'il fallait dresser une liste de critères, la propriété du capital n'en serait pas l'élément le plus pertinent.

M. Jean-Michel Charpin a ensuite évoqué plusieurs publications récentes de l'INSEE intéressant le sujet de la nationalité des entreprises. Près de deux millions de Français travaillent dans des groupes étrangers, a-t-il indiqué. Ce chiffre est supérieur à ceux de l'Allemagne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, et a augmenté de 80 % en dix ans. Des informations ont aussi été publiées sur la ventilation des entreprises étrangères par nationalité - les Etats-Unis figurent au premier rang, suivis par l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas - ainsi que sur la répartition par secteur de la valeur ajoutée produite par les groupes étrangers. Autre information fournie par les publications récentes : les groupes étrangers ne se distinguent pas des groupes français en ce qui concerne la part des effectifs affectés à la recherche, aux études et à l'informatique. On constate par ailleurs que les emplois de management, les emplois de gestion et ceux liés à la stratégie de l'entreprise se développent principalement dans le pays où le centre de décision est installé. Enfin, les délocalisations ont touché dans l'industrie 13.500 emplois en moyenne annuelle de 1995 à 2001.

Evoquant la dimension politique du problème de la nationalité des entreprises, M. Jean-Michel Charpin a estimé qu'il ne s'agissait ni d'un débat archaïque ni spécifiquement français, qui a eu un rôle important lors de la dernière campagne présidentielle aux Etats-Unis. En outre, il n'existe pas de règles universelles de gestion, comme le montrent les travaux de Philippe d'Iribarne en matière de management des entreprises, qui identifient, entre autres spécificités, l'influence en France d'une « logique de l'honneur ».

M. Jean-Michel Charpin a aussi noté que la forte présence d'étrangers dans le capital des entreprises françaises cotées en bourse suscite la crainte d'un passage des entreprises concernées sous contrôle étranger, ce qui débouche sur des interrogations concernant le rôle de l'Etat face à ce risque.

Pour autant, la définition d'une politique « nationaliste » de l'entreprise ne serait pas souhaitable, dans la mesure où elle entrerait en contradiction avec le droit européen si des dispositifs de protection contre les investissements étrangers visaient les entreprises européennes, dans la mesure où elle favoriserait la dissémination d'un esprit de repli dans les entreprises françaises, dans la mesure aussi où d'autres pays pourraient prendre des mesures de rétorsion défavorables à la compétitivité des entreprises françaises, dans la mesure enfin où les groupes français, déresponsabilisés par la certitude de bénéficier de la protection de l'Etat, auraient tendance à ne pas se prémunir efficacement contre les tentatives de prise de contrôle. Il importe essentiellement, en définitive, que les groupes se préoccupent eux-mêmes de la stabilité de leur actionnariat.

M. Christian Gaudin, rapporteur, a demandé si les travaux de l'INSEE permettent d'appréhender les critères de localisation des centres de décision économique et si des travaux sont en cours afin d'améliorer ou d'affiner la qualité de l'information produite par l'INSEE sur ce sujet.

M. Jean-Michel Charpin a répondu que l'INSEE a commencé à travailler sur l'exploitation de l'information fournie par les comptes consolidés des groupes. Ce projet est encore à l'étape de la réflexion menée dans le cadre du conseil national de l'information statistique. Par ailleurs, une réflexion sur les critères de localisation des centres de décision économique n'entre pas dans le champ des missions de l'INSEE. Enfin, l'information dispensée par l'Institut paraît appréciée par les groupes français. Un indice en est le fait que la réticence aux enquêtes apparaît plus modérée en France que ce peut être le cas dans d'autres pays.

M. Bernard Dussaut a demandé si le nombre de salariés étrangers, spécialement en provenance de l'Asie, travaillant dans des entreprises françaises, était connu.

M. Michel Teston a demandé si le nombre de créations d'emplois ayant éventuellement compensé les 13.500 emplois perdus chaque année du fait des délocalisations, avait été évalué.

Mme Nicole Bricq a souhaité avoir un avis sur le périmètre de la notion de patriotisme économique.

M. Jean-Michel Charpin a indiqué qu'une telle définition ne relève pas de la statistique. Sous ces réserves, il n'apparaît pas anormal que les pouvoirs publics se préoccupent, en la matière, de ce qui peut être utile aux revenus et à l'emploi des Français, dans un esprit non agressif à l'égard des autres pays et non démotivant à l'égard des entreprises, tout en laissant aux états-majors le soin d'organiser eux-mêmes la stabilité de leur capital.

A une question de M. Philippe Marini, président, sur le rapport entre le patriotisme économique et les politiques de compétitivité du territoire, il a répondu que les conséquences d'un rachat d'entreprise par des étrangers peuvent de ce point de vue être variées. Par ailleurs, le rachat d'une entreprise française peut ne pas entraîner le déplacement du centre de décision. C'est ainsi que les AGF restent, selon lui, une entreprise française et que Nissan demeure japonaise.

Revenant ensuite sur les statistiques disponibles, il a indiqué que le nombre des étrangers travaillant dans des entreprises françaises hors de France n'était pas évalué par l'INSEE, que seul le stock de Français employés dans des entreprises étrangères était connu et qu'il avait augmenté de 800.000 emplois en dix ans, que le nombre des emplois supprimés par les délocalisations, significatif en termes de souffrance sociale et de finances locales, était faible du point de vue macro-économique.

A une question de M. Philippe Marini, président, sur la définition de la délocalisation, il a répondu que la notion recouvrait les pertes d'emploi résultant du déplacement vers l'étranger d'une activité économique dont la production est ensuite importée en France par le même groupe.

A une question de M. Michel Teston sur l'évaluation quantitative des délocalisations de centres de décision, il a répondu qu'il ne s'agissait pas d'un travail statistique et que cette mesure pourrait sans doute être effectuée en examinant les conditions de gestion d'entreprises passées sous contrôle étranger, le cas type étant celui de Péchiney.

Il a ensuite précisé à M. Philippe Marini, président, qu'une enquête menée en 2005 sur les investissements immatériels dans les groupes avait nécessité l'envoi de questionnaires à l'étranger, les décisions étant prises en la matière, et spécialement en ce qui concerne la promotion de la marque, au niveau du centre de décision des groupes. Cette centralisation touche aussi le pilotage stratégique et financier.

M. Michel Teston a alors évoqué, en rappelant l'évolution du rapprochement entre BASF et Rhône-Poulenc, la fragilité des engagements portant sur la localisation des centres de décision.

A M. Daniel Raoul, qui demandait si la localisation des centres de recherche était liée à celle des centres de décision, M. Jean-Michel Charpin a enfin répondu que celle-ci est probablement corrélée à la localisation des unités de production. Seules, les fonctions stratégiques sont systématiquement installées en France dans le cas des multinationales françaises, il en va sans doute de même pour les groupes étrangers.

Jeudi 19 octobre 2006

- Présidence de M. Philippe Marini, président.

Audition de M. Henri de Castries, Président du directoire d'Axa

La mission d'information commune a ensuite procédé à l'audition de M. Henri de Castries, Président du directoire d'Axa.

En préambule à cette audition, M. Philippe Marini, président, a rappelé que M. Henri de Castries occupait depuis l'année 2000 les fonctions de président du directoire d'Axa. Il a souligné la dimension multinationale de ce groupe.

Après avoir rappelé l'objet et le rôle de la mission commune d'information, il a sollicité les réflexions de M. Henri de Castries sur quatre sujets : la notion de centre de décision économique, le concept de « patriotisme économique », l'évolution du comportement des investisseurs, et la restructuration en cours des Bourses européennes.

M. Henri de Castries, à titre liminaire, a présenté l'activité du groupe Axa. En particulier, il a souligné que le marché français ne représentait que 20 % de cette activité, et le marché européen 60 %, alors que les Etats-Unis et l'Asie en absorbaient, respectivement, un peu plus et un peu moins de 20 %. Il a précisé que ces dernières régions offraient au groupe, actuellement, ses plus forts taux de croissance.

Répondant à la première interrogation de M. Philippe Marini, président, il a estimé que la notion de centre de décision économique était susceptible de varier en fonction du type de métier et de l'organisation de chaque entreprise. Selon lui, cette notion étant corrélée, pour l'essentiel, à la fonction de contrôle exercée dans l'entreprise, ses critères fondamentaux tenaient à la présence des actionnaires, détenteurs d'un « pouvoir final » sur le capital, et à celle des dirigeants, en charge de « l'orientation stratégique au quotidien ». Cependant, compte tenu du faible coût actuel des technologies de communication, il a précisé qu'un centre de décision pouvait très bien ne pas rassembler physiquement ses animateurs, et n'être que « virtuel ». Il a cité en exemple le directoire d'Axa, dont la réunion hebdomadaire se déroulait sous forme de vidéoconférence.

A ce propos, il a rapporté que, d'après son expérience, il s'avérait de plus en plus difficile d'attirer en France, pour leur résidence professionnelle, des ressortissants d'autres pays. Pour lui, cette réticence ne procédait pas seulement de raisons d'ordre fiscal. Il l'a expliquée, avant tout, par le sentiment des intéressés que notre pays, désormais, ne valorisait plus le travail ni la réussite professionnelle, ainsi que par la lourdeur des procédures administratives existantes. Les mêmes motifs, selon lui, justifiaient l'appréhension d'un éventuel retour en France qu'éprouvaient des cadres nationaux ayant fait l'expérience d'une expatriation.

S'agissant du « patriotisme économique », il a vivement critiqué une formule qui, à ses yeux, dévoyait la notion de patriotisme afin de masquer des tentations protectionnistes. En vue de restaurer l'attractivité française, il a plaidé en faveur d'une réduction de la dépense publique et d'une « réhabilitation » des valeurs associées au travail et à l'entreprise, dont il a fait remarquer l'importance dans les régions du monde enregistrant de forts taux de croissance. A cet égard, il a interprété le dynamisme des entreprises françaises du CAC 40 comme le résultat de leur développement soutenu à l'international. Par ailleurs, en insistant sur la place des services dans la croissance mondiale, il a souhaité que la France s'engage résolument dans ce domaine, pour lequel elle disposait d'un avantage concurrentiel, plutôt que de soutenir des secteurs, notamment dans l'industrie, dont le déclin, d'après lui, était inéluctable.

Evoquant, ensuite, le comportement des investisseurs, il a d'abord fait remarquer que tout investissement supposait, en amont, une motivation. Or, selon lui, la fiscalité européenne des actions faisait obstacle à une telle motivation, en ce qui concerne les placements de long terme. En outre, il a analysé comme deux erreurs, de la part des autorités européennes :

- d'une part, l'introduction des normes comptables IFRS (« International Financial Reporting Standards »). Il a estimé que le principe d'évaluation retenu par ces normes, sur le modèle de la fair value (évaluation à la valeur de marché du moment), en requérant une valorisation instantanée, conduisait à dissuader les investissements qui présentaient un risque à court terme ;

- d'autre part, les modalités de définition, en cours, des normes relatives à la marge de solvabilité des entreprises d'assurance de l'Union européenne. Il a jugé que ces normes, en l'état, présentaient une prudence excessive, facteur de « surcapitalisation » pour les sociétés concernées, et il a mis en garde contre d'éventuels effets de découragement des entreprises européennes, quant à leurs investissements et placements de long terme.

Enfin, sur la restructuration des opérateurs de marché européens, il a déclaré que son opinion n'était pas tranchée. Après avoir rappelé, succinctement, les termes de chacune des deux offres en lice concernant Euronext l'offre de la Deutsche Börse d'une part, l'offre du New York Stock Exchange d'autre part , il a estimé que rien ne serait acquis, dans un sens ni dans l'autre, avant le choix des actionnaires, sous réserve de l'appréciation des autorités de régulation sur l'opération elle-même.

M. Christian Gaudin, rapporteur, a cité les propos tenu par M. Henri de Castries lors des « Assises de l'actionnariat », le 6 octobre 2006, dénonçant la « culture nocive du risque zéro » de certains actionnaires et l'opportunisme des investisseurs court-termistes. Il a rappelé les préconisations, que M. Henri de Castries avait formulées à la même occasion, tendant à différencier les droits des actionnaires en fonction de leur pérennité dans le capital de l'entreprise. Il lui a demandé de préciser ces idées.

En réponse, M. Henri de Castries a exposé que la « démocratie actionnariale », dans son esprit, ne pouvait être comprise, de façon valable, comme correspondant au seul principe selon lequel une action égalait une voix. Il a répété que l'exercice du droit de vote, au sein des assemblées d'actionnaires, devait faire l'objet de conditions destinées à proportionner ce droit à la durée de détention des actions. Il a justifié cette mesure par les différences d'objectifs qui séparaient les actionnaires de longue date et les autres.

M. Philippe Marini, président, ayant fait remarquer que les textes européens en cours d'élaboration n'allaient guère dans ce sens, M. Henri de Castries a reconnu l'originalité de ses positions, et son isolement sur ce plan.

M. Aymeri de Montesquiou s'est interrogé sur le degré de changement réel que pourrait induire, pour un groupe international comme Axa, une implantation du siège social sur un continent plutôt qu'un autre.

M. Henri de Castries a estimé que cette différence d'implantation, du jour au lendemain, resterait sans effet, mais que les modifications induites, en quelques années, se révèleraient sans doute profondes. Il a insisté, en effet, sur l'importance de l'influence que jouait la localisation géographique des sièges sociaux, en termes de « culture d'entreprise ».

Mme Nicole Bricq a demandé à M. Henri de Castries de préciser sa conception des rôles respectifs du capital, représenté par les actionnaires, et des compétences, incarnées par les dirigeants, comme critères d'identification des lieux de décision. Par ailleurs, elle a souhaité connaître son point de vue sur l'existence de secteurs et d'entreprises « stratégiques » qui, comme tels, devraient être protégés de la concurrence, au moins de façon transitoire.

Répondant sur le premier point, et s'attachant au critère du capital, M. Henri de Castries a fortement récusé « les discours trop complaisants » concernant l'attractivité de la France pour les investissements étrangers. Il a fait observer qu'une part majoritaire de ces investissements se rapportaient à des activités de distribution, non de production, et que, par conséquent, ils ne participaient pas véritablement au développement économique du pays.

Sur le second aspect, il a d'abord posé en principe que la seule protection viable des entreprises, en économie ouverte, tenait à leur performance propre. Toutefois, il a admis que des secteurs stratégiques devaient faire l'objet, légitimement, de mesures de protection spécifiques. Il a mentionné, en particulier, le secteur de l'énergie, ainsi que certaines entreprises de développement technologique de pointe. M. Philippe Marini, président, lui ayant demandé à quel niveau, selon lui, national ou européen, l'appréciation de la nécessité de la protection devait être effectuée, il a estimé que la zone euro définissait, en la matière, le véritable échelon pertinent.

M. Denis Badré, en réaction au débat, a rappelé plusieurs des conclusions auxquelles était parvenue, pendant la session ordinaire 2000-2001, la mission commune d'information sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises, qu'il avait présidée. En particulier, il a signalé l'importance que revêtait la localisation de son siège social, pour un groupe, en termes d'image ; il a fait valoir la grande qualité de la formation des travailleurs nationaux, comme atout compétitif majeur pour la France ; et il a insisté sur la nécessité d'adopter, sur l'ensemble de ces questions, un point de vue à l'échelle européenne. Il a rejoint, également, les propos de M. Henri de Castries appelant à un changement de regard sur le niveau des investissements étrangers en France.

Pour conclure, M. Philippe Marini, président, a demandé à M. Henri de Castries si notre pays, de son point de vue, dans les dix dernières années, avait régressé ou progressé, sur le plan de son attractivité pour les centres de décision économique.

M. Henri de Castries a estimé que la régression avait été « sensible » en ce domaine, alors que, sur la même période, les entreprises françaises avaient remarquablement réussi leur insertion dans la mondialisation. Il a imputé cette situation à une « culture » de notre pays, dans l'ordre politique et social, « complètement décalée » par rapport à celle d'économies comparables, qu'il s'agisse du niveau des prélèvements obligatoires ou de la réglementation du travail. En outre, selon lui, au nom du « risque zéro », la France avait gâché, ces dernières années, plusieurs des avantages concurrentiels qu'elle possédait ; il a donné pour exemples le cas du nucléaire et celui des organismes génétiquement modifiés.

Néanmoins, il a considéré que cette situation était réversible, compte tenu, notamment, de la compétence et de la capacité de travail des Français, à la condition que « les mêmes règles du jeu » qu'ailleurs soient établies en France.

M. Philippe Marini, président, a remercié M. Henri de Castries pour le caractère stimulant des réflexions qu'il avait bien voulu livrer à la mission commune d'information.

Audition de M. Gérard Mestrallet, président du groupe Suez

En prononçant des paroles de bienvenue, M. Philippe Marini, président, a rappelé que M. Gérard Mestrallet était à la fois président de Suez et de Paris Europlace, qui regroupe les principaux intervenants de la place financière de Paris. Il a aussi rappelé que le Bureau du Sénat avait souhaité mettre en place une mission commune d'information sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s'attachent, dans ce domaine, à l'attractivité du territoire national, à la suite de plusieurs événements intervenus au cours de l'année écoulée, dont l'offre publique d'achat du groupe italien Enel sur Suez. Puis M. Philippe Marini, président, a indiqué qu'il lui semblerait très utile de connaître la position de M. Gérard Mestrallet sur quatre points :

- la définition de la notion de centre de décision économique, au regard notamment de l'attractivité de la France ;

- la notion de nationalité d'une entreprise et des critères qui s'y attachent ;

- la notion de patriotisme économique ;

- et enfin, la notion de souveraineté économique mise en avant lors de l'audition de M. Jean-Philippe Cotis.

M. Gérard Mestrallet, président du groupe Suez, a tenu à exprimer le très grand intérêt qu'il attachait à la participation aux travaux de la mission commune d'information, tant les notions étudiées revêtent un caractère majeur dans la vie des affaires, comme en témoignent notamment les événements auxquels il a été directement confronté, à la fois dans le secteur énergétique en tant que président de Suez et dans le domaine boursier en tant que président de Paris Europlace. Aussi s'est-il proposé de revenir sur les questions posées par le président.

S'agissant de la nationalité d'une entreprise, il a déclaré, en s'appuyant sur une conception biologique de l'entreprise, que la tête, que constitue le centre de décision, ne saurait être séparée du corps que représente la réalité de l'ancrage géographique de l'entreprise. Dans ce cadre, il a fait valoir que, malgré certains facteurs liés à la globalisation, la notion de nationalité d'une entreprise conservait toute sa pertinence. Après avoir rappelé les facteurs de convergence tendant à homogénéiser les entreprises au niveau international autour des normes comptables et culturelles anglo-saxonnes, s'agissant notamment du gouvernement d'entreprise, il a tenu à souligner les éléments permanents entrant dans la définition de la nationalité de l'entreprise. Parmi ces derniers, il a notamment identifié la nationalité des dirigeants et la réalité de l'implantation territoriale, qui constituent les racines de l'entité. A cet égard, il a considéré que le groupe Suez revendiquait son ancrage binational, à la fois français et belge. Il a conclu en précisant que le fait d'être une entreprise aux racines françaises n'était en aucun cas une entrave à un développement international ambitieux, comme l'atteste la réussite de nombreux groupes originaires de notre pays.

S'agissant de la notion de patriotisme économique, M. Gérard Mestrallet est revenu sur les épisodes récents de la vie de son groupe, pour préciser que le projet d'alliance avec Gaz de France ne procédait pas d'une réaction défensive immédiate face à l'offre d'Enel, mais résultait d'une réflexion menée de longue date. De façon plus générale, il a estimé que le concept de patriotisme économique avait toute sa pertinence, dès lors qu'il consistait en une volonté de faire gagner notre pays dans le cadre d'une économie ouverte aux échanges et aux investissements étrangers, notamment en le rendant plus attractif. Il a ainsi opposé ce patriotisme à toutes les formes de protectionnisme économique, qui visent au contraire à entraver les échanges et les investissements internationaux.

Au sujet de la notion de souveraineté économique, il a insisté sur l'importance de la capacité des Etats à définir leurs propres perspectives dans le domaine économique. A titre d'exemple, il a fait valoir qu'en 2004 il avait lancé un appel en faveur d'une politique publique de l'énergie au niveau européen, l'objectif étant, y compris pour les opérateurs privés, de disposer d'un cadre d'action à long terme précisant la façon dont l'Europe envisageait de répondre au défi de son approvisionnement énergétique au XXIe siècle. Il a souligné que la mise en place d'une telle politique était de nature à engager un cercle vertueux, dans la mesure où, en proposant des perspectives lisibles, les Etats européens donneraient aux opérateurs un cadre d'action qui, intégré par ces derniers, aurait d'autant plus de chance d'être effectivement mis en oeuvre.

M. Christian Gaudin, rapporteur, est revenu sur la situation particulière du secteur de l'énergie au regard de l'action des Etats, ainsi que sur les enjeux spécifiques du dossier Euronext. A la première question, M. Gérard Mestrallet a rappelé que le secteur de l'énergie n'était pas un secteur comme les autres et précisé que l'ensemble des grandes puissances -les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et la Russie- avait engagé des stratégies visant à renforcer leur capacité de décision et d'action dans ce domaine.

Pour Euronext, M. Gérard Mestrallet a rappelé l'importance, pour les émetteurs, de disposer de services financiers de proximité, et tenu à exprimer les inquiétudes causées par la fraction importante que représentait un fonds spéculatif dans le capital de la Bourse allemande (Deutsche Börse), qui a directement conduit à la création d'un bloc d'actionnaires cohérent, représentant 15 % du capital d'Euronext et visant à sécuriser la propriété de l'entreprise. Il a fait état, ensuite, du rapport rendu par Henri Lachmann présenté dans le cadre de Paris-Europlace et comparant les avantages et les inconvénients respectifs des deux scénarios aujourd'hui envisagés : d'une part, la fusion avec la Bourse de Wall Street et d'autre part, celle avec la Deutsche Börse. S'agissant du premier schéma, il a indiqué que si le rapport de M. Henri Lachmann soulignait l'intérêt que représentait l'association avec Wall Street dans un cadre fédéral, il pointait aussi les risques de déséquilibre dans la gouvernance au détriment d'Euronext et ceux liés à la diffusion progressive de la réglementation américaine par le biais de cette alliance. Sur le rapprochement avec la Bourse allemande, il a fait état de la menace que pourrait représenter l'intégration dans le modèle centralisé de la Deutsche Börse, conduisant à n'envisager qu'un rapprochement éventuel avec la seule partie de la Bourse de Francfort en charge de la gestion du marché des actions.

Puis M. Aymeri de Montesquiou, regrettant l'absence d'une réelle politique énergétique européenne, s'est interrogé sur l'existence de projets de développement à l'international du futur groupe qui pourrait être constitué par Suez et Gaz de France, dans la mesure où cette dernière entreprise semble essentiellement active au niveau national.

En réponse, M. Gérard Mestrallet a tenu à rappeler que 40 % de l'activité de Gaz de France s'effectuait déjà hors du territoire national, et que les fortes synergies entre les deux entités étaient très prometteuses dans le domaine du gaz naturel liquéfié (GNL), pour lequel des perspectives apparaissent déjà en Amérique du Nord, en Amérique latine et en Asie.

Il a fait valoir que cette énergie présentait un double avantage tiré, d'une part, de sa flexibilité et de sa mobilité et, d'autre part, de l'utilisation de terminaux flottants situés à 10 kilomètres des côtes permettant de contourner des règles environnementales parfois trop contraignantes. Interrogé par M. Philippe Marini, président, sur les enjeux du développement du GNL en matière d'armement maritime, M. Gérard Mestrallet a fait valoir que la réunion des capacités de Suez et de Gaz de France donnerait naissance à la plus grande flotte de méthaniers du monde, rappelant à cette occasion que ces bâtiments, qui peuvent être exploités sous différents statuts juridiques, ont une valeur d'environ 250 millions d'euros pour une embarcation équipée.

Ensuite, Mme Marie-Thérèse Hermange, après avoir demandé des précisions sur la distinction entre patriotisme économique et protectionnisme, a ensuite interrogé M. Gérard Mestrallet sur ce qu'il était susceptible d'attendre d'une audition par la mission commune d'information. Sur ce point, M. Gérard Mestrallet a, tout d'abord, indiqué que la participation aux travaux parlementaires devait permettre de mieux faire connaître la réalité économique de la France, qui est celle d'un pays très ouvert à la globalisation, même s'il n'en a paradoxalement pas toujours l'image. Il a indiqué, ensuite, qu'il pouvait être utile d'inciter les pouvoirs publics à mener des politiques actives en matière d'attraction des centres de décision, prenant l'exemple du secteur financier pour lequel les autorités de Londres ont depuis longtemps engagé une politique active tant au plan des transports, de l'accueil des rapatriés qu'au niveau fiscal, rappelant, à ce titre, que la taxe sur les salaires était, sans doute, un handicap de la France dans le domaine des services à forte valeur ajoutée. Au-delà du secteur financier, il a estimé qu'il était important que le Parlement puisse identifier les autres domaines où une politique devait être engagée afin de renforcer la position de la France en termes d'attractivité des centres de décision économique.

M. Philippe Marini, président, constatant la forte implication de M. Gérard Mestrallet en Chine, lui a demandé de s'exprimer sur la thèse selon laquelle les pays émergents disposeraient d'un excédent d'épargne susceptible de s'investir chez nous, ce qui rendrait nécessaire d'exiger de leur part une réciprocité quant à l'ouverture aux flux de capitaux.

Confirmant ce point de vue, M. Gérard Mestrallet a précisé que les investisseurs chinois avaient d'ores et déjà commencé à diversifier leurs placements hors de la zone dollar, et qu'ils étaient susceptibles de devenir des acteurs déterminants du marché des valeurs en Euro. Dans ce contexte, il a indiqué qu'il soulignait auprès de ses interlocuteurs chinois l'intérêt d'un investissement sur la place financière de Paris.

Poursuivant sur les relations avec la Chine, Mme Marie-Thérèse Hermange a interrogé M. Gérard Mestrallet sur les enseignements de sa participation à différents conseils stratégiques auprès de maires de grandes villes de ce pays.

En réponse, M. Gérard Mestrallet a fait valoir que les conseils consultatifs regroupant des responsables d'entreprises internationales avaient été créés dans les plus grandes villes asiatiques (de Hong-Kong à Séoul, en passant par Shangaï) juste après la crise asiatique, dans le but de mieux intégrer ces métropoles dans les réseaux économiques mondiaux. C'est avec ce même objectif qu'il a été amené à proposer la création d'un tel conseil au maire de Chongqing, qui est aujourd'hui la plus grande ville du monde avec 32 millions d'habitants (et une consommation de ciment de construction supérieure à celle des Etats-Unis). Répondant à une question complémentaire de Mme Marie-Thérèse Hermange, il a estimé que la création de tels conseils à Paris était, sans doute, beaucoup moins nécessaire, compte tenu de la très grande lisibilité déjà acquise par la capitale française sur le plan international.

Mercredi 25 octobre 2006

- Présidence de M. Philippe Marini, président.

Audition de M. Patrick Ricard, président directeur-général de Pernod-Ricard

La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Patrick Ricard, président directeur-général de Pernod-Ricard.

M. Philippe Marini, président, a rappelé que la société Pernod-Ricard manifestait une forte culture d'entreprise et un ancrage réel sur le territoire national, bien qu'elle fût une multinationale disposant d'un portefeuille de marques étrangères réputées. Il a ensuite demandé à M. Patrick Ricard d'exposer à la mission d'information ses réflexions sur la nationalité des entreprises, le contenu de la notion de centre de décision économique et le rôle qui revenait, le cas échéant, à l'Etat pour sécuriser l'implantation des centres de décision et valoriser les atouts du territoire français.

M. Patrick Ricard a indiqué que son groupe, issu du rapprochement en 1975 entre les sociétés Pernod et Ricard, avait eu la chance de préserver une certaine continuité stratégique, malgré les importantes évolutions qu'avait connues son activité. Le chiffre d'affaires était ainsi passé de moins de 500 millions d'euros à près de 6,7 milliards d'euros entre 1975 et 2005, et était désormais réalisé à l'étranger à hauteur de 89 %, contre 17 % en 1975. Il a ajouté que le siège du groupe avait été maintenu en France, mais que la réussite de son internationalisation dans 80 pays devait beaucoup à son organisation très décentralisée, préservant une grande faculté d'adaptation aux conditions locales. Le siège social n'employait ainsi que 130 personnes, sur un effectif total de 17.000 salariés, et les décisions opérationnelles étaient essentiellement prises dans les pays où étaient élaborés les produits et où les marchés étaient les plus étendus.

Il a considéré que Pernod-Ricard n'était pas réellement confronté à la question de la délocalisation de la production, compte tenu de la nature même des alcools et spiritueux, associés à une origine géographique, mais que les équipes de vente étaient, pour leur part, largement délocalisées. Les unités géographiques disposaient également de vrais décideurs locaux. Il a ajouté que l'ancrage en France demeurait néanmoins fort et que 3.000 collaborateurs y étaient employés. L'usage du français dominait pour les réunions importantes du groupe, qui avaient lieu en France, mais l'anglais était de plus en plus utilisé, compte tenu de l'internationalisation de la société.

M. Patrick Ricard a ajouté que les formations et séminaires internes des cadres étaient le plus souvent assurés à Rambouillet, en trois langues, mais demeuraient imprégnés de culture française. Le fait que le président du groupe fût un membre de la famille du fondateur et portât le même nom que la société contribuait également à conforter la perception de la nationalité française de Pernod-Ricard. Cette identification à la France pourrait cependant, selon lui, s'atténuer si le groupe devait, à l'avenir, être dirigé par une personne de nationalité étrangère, ou délocaliser de nouvelles activités stratégiques pour bénéficier de moindres coûts de main d'oeuvre. Il a néanmoins estimé que la France disposait toujours d'atouts importants, parmi lesquels le niveau élevé de formation, la qualité de vie et la sécurité quotidienne des salariés.

Revenant sur le caractère international de son groupe, il a présenté la charte d'organisation, diffusée en quarante langues, et la charte globale de développement durable, davantage dédiée aux actionnaires et aux clients. Il a évoqué l'adhésion en 2003 de la société au forum « Global Compact » des Nations Unies et le cas du travail des enfants en Inde, auquel le groupe n'avait pas recours mais qui pouvait faire l'objet de perceptions différentes selon les pays et les cultures, dans la mesure où il contribuait à faire vivre des familles.

Il a enfin précisé que la majorité des dirigeants de Pernod-Ricard étaient français, et davantage issus des fonctions de gestion financière et d'audit interne que des services commerciaux et de marketing.

M. Philippe Marini, président, a remercié M. Patrick Ricard pour cette présentation concrète.

M. Christian Gaudin, rapporteur, a posé trois questions :

- rappelant que M. Patrick Ricard était le premier chef d'entreprise issu du capitalisme familial auditionné par la mission d'information, il lui a demandé si cette forme de capitalisme constituait, de son point de vue, une manière particulière de faire face à la mondialisation et aux risques de prise de contrôle hostile, et si le fait qu'il ait annoncé son intention de quitter prochainement ses fonctions était susceptible de peser sur le destin du groupe ;

- puis il a évoqué le souhait de M. Patrick Ricard que fussent mises en place un certain nombre de défenses à caractère juridique, telles que les nouveaux bons de souscription d'actions, couramment dénommés « bons Breton », dont l'objectif était de renchérir le coût d'une opération hostile, ou un éventuel renforcement de la règle statutaire qui prévoyait déjà un plafonnement des droits de vote à 30 % par actionnaire présent ou représenté, quelle que fût sa part au capital. Il s'est demandé si ces défenses avaient vocation à être utilisées dans d'autres groupes, et dans quelle mesure ce type de stratégie pouvait se substituer à une défense économique fondée sur la valorisation du titre ou la recherche d'actionnaires stables ;

- il a enfin souhaité obtenir des précisions sur la manière dont le groupe était parvenu à intégrer les équipes d'Allied Domecq, et sur la politique globale de gestion des ressources humaines de Pernod-Ricard.

M. Patrick Ricard a souligné que le capitalisme familial permettait de garantir la présence au capital de la société d'un « noyau dur » pérenne et axé sur le long terme, susceptible de ne pas trop « écouter les bruits de la rue » et de construire des marques sur la durée, à la différence des fonds spéculatifs qui étaient focalisés sur le court terme mais n'en influençaient pas moins la stratégie des entreprises, ce qui constituait, à ses yeux, un vrai problème. Il a également confirmé qu'il avait récemment annoncé son futur retrait de la présidence du groupe d'ici novembre 2008, et a estimé que son successeur immédiat ne serait probablement pas un membre de sa famille.

S'agissant de la défense des sociétés contre les offres hostiles, il a considéré que la meilleure défense résidait surtout dans les bonnes performances de l'entreprise et dans sa valorisation boursière. Il a relevé que les conseils d'administration des sociétés américaines disposaient parfois d'une très grande latitude dans la mise en place de défenses statutaires, telles que l'attribution à un actionnaire de la quasi-totalité des droits de vote pour une fraction bien moindre du capital. Il a estimé que les « bons Breton » figurant dans la récente loi sur les offres publiques d'acquisition n'avaient pas vocation à protéger les dirigeants en place, mais à mieux valoriser la société-cible pour le bénéfice des actionnaires, et a rappelé que la clause statutaire de Pernod-Ricard, tendant à plafonner les droits de vote à 30 %, ne pouvait plus s'appliquer, conformément à cette même loi, dès lors que l'initiateur d'une offre venait à détenir au moins les deux tiers du capital de la société.

Puis M. Patrick Ricard a évoqué l'intégration d'Allied Domecq, qui s'était révélée relativement aisée car elle s'était surtout effectuée au niveau régional. Il a ajouté que le siège social de cette entreprise, qui était situé à Bristol et employait 450 personnes, avait été fermé. Il s'est félicité de l'attitude de ces salariés qui, bien que nombre d'entre eux n'aient pas souhaité rejoindre la France et aient donc été reclassés, avaient fait preuve d'une grande implication et de professionnalisme jusqu'à la date de transfert du siège.

M. Philippe Marini, président, a considéré que ce cas de fermeture du siège d'une société consécutif à son acquisition, susceptible de se faire au profit comme au détriment de l'emploi en France, était caractéristique de la notion de centre de décision.

M. Patrick Ricard a indiqué que son groupe aurait, effectivement, pu devenir anglais, ce que lui-même n'avait pas souhaité, et a constaté que les mesures de reclassement de salariés en France, analogues à celles proposées au Royaume-Uni, s'étaient heurtées à de plus fortes résistances, bien que seulement 150 collaborateurs fussent concernés, conduisant à une situation qu'il a qualifiée de « deux cultures, deux mesures ».

Se référant aux propos de M. Patrick Ricard sur le caractère très décentralisé du groupe, et à la situation de la société Coca-Cola, qui disposait de nombreuses implantations locales mais dont l'organisation demeurait très verticale et impliquait de très fréquents « reportings » à la maison mère, Mme Nicole Bricq s'est demandée quelle était la marge réelle de décision des responsables locaux. Elle a également souhaité savoir si la croissance du groupe depuis sa création en 1975 avait été essentiellement externe.

M. Michel Teston a relevé que Pernod-Ricard était une société française car son siège et son lieu de cotation demeuraient à Paris, et son capital était majoritairement détenu par des actionnaires français. Il s'est interrogé sur le périmètre de son « noyau dur » d'actionnaires et sur sa capacité à faire face aux importants flux d'épargne en provenance de l'Asie qui, à terme, pourraient également investir dans les secteurs de la grande consommation.

M. Aymeri de Montesquiou a corroboré les propos de M. Patrick Ricard sur l'intérêt que présentait, sur le long terme, la présence d'un actionnariat familial, et a souhaité connaître ses éventuelles suggestions sur les mesures fiscales qui permettraient de faciliter le maintien de « noyaux durs ».

M. Denis Badré s'est interrogé sur les frontières de la nationalité d'une entreprise, d'autant plus floues, selon lui, que la société était grande. Il a relevé que l' « enracinement » dans un territoire semblait en être une composante importante, et a illustré ce constat par les exemples des banques mutualistes, ainsi que par celui de LVMH, qui communiquait beaucoup sur l'image française du luxe, indépendamment de la localisation réelle de ses activités. Il s'est demandé si les différences de législation sur les alcools et spiritueux exerçaient un impact sur les implantations du groupe Pernod-Ricard, et s'il était désormais possible de concevoir une entreprise européenne.

M. Patrick Ricard a précisé que les décisions portant sur l'établissement et le suivi du budget prévisionnel étaient, par nature, centralisées, et que la réalisation du budget annuel constituait un objectif essentiel, conditionnant l'attribution des primes au niveau local. Il a indiqué que la création et le développement des produits était largement décentralisés, à l'exception de ce qui avait trait au goût et à l'emballage des marques stratégiques. En réponse à une question de Mme Nicole Bricq, il a ajouté que les décisions afférentes aux marques étaient prises dans le pays d'origine, et que les choix d'ouverture ou de fermeture des sites de production étaient faits par les filiales. A ce titre, il a relevé l'exemple de Martell, filiale qui avait connu de réelles difficultés et avait été conduite à des reconversions de sites à Cognac, lesquelles s'étaient cependant traduites par davantage de créations que de suppressions d'emplois, notamment grâce aux aides locales à l'investissement. Les décisions en la matière avaient été prises par Martell, et la maison-mère, simplement tenue informée, de même que pour la fermeture d'une usine au Canada.

Mme Nicole Bricq a estimé que ce processus décisionnel pouvait créer un avantage, en termes de capacités de négociation, pour les salariés établis en France, compte tenu de leur proximité géographique du siège social.

M. Patrick Ricard a ajouté que les Français témoignaient encore d'une culture de l'égalité et de la revendication, héritage de la Révolution. Puis il a exposé les principales étapes du développement de Pernod-Ricard, marquées par une moindre attention portée à l'anis, et de nombreuses opérations de croissance externe -notamment le rachat de Seagram's qui a nécessité l'émission d'obligations convertibles- permises par une amélioration des marges et une consolidation de la réputation du groupe, de nature à abaisser le coût des emprunts.

Il a indiqué que ces acquisitions successives avaient contribué à diluer la part de l'actionnariat familial, qui était tombée à moins de 9 % du capital après le rachat d'Allied Domecq, avant que des rachats d'actions permettent à la famille Ricard de détenir aujourd'hui environ 10 % du capital et environ 18 % des droits de vote. A ce socle familial s'ajoutaient des partenaires financiers exerçant une action de concert, l'ensemble représentant 16 % du capital et 20 % des droits de vote. Il a précisé que les investisseurs institutionnels étrangers, essentiellement américains et britanniques, détenaient désormais une fraction du capital supérieure à celle des investisseurs français, parmi lesquels il a cité la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit agricole et la Société générale. Il a considéré que ces derniers n'offraient pas nécessairement les meilleures garanties de stabilité en cas d'offre d'acquisition non sollicitée.

Il a ensuite rappelé que le nouveau dispositif des bons de souscription d'actions avait d'abord suscité un certain rejet de la part des investisseurs français. Il a jugé que la fiscalité avait effectivement un impact positif sur la pérennité du « noyau dur » au sein de l'actionnariat de Pernod-Ricard, et qu'à ce titre, des progrès réels avaient été accomplis en France au cours de la période récente. Il a indiqué que le fondateur du groupe avaient ainsi organisé sa succession au profit de ses petits-enfants, et que les actions détenues par la famille, logées dans une holding, bénéficiaient des dispositions dites « Dutreil » en faveur des pactes d'actionnaires.

M. Philippe Marini, président, s'est félicité que M. Patrick Ricard fût ainsi l'un des rares chefs d'entreprise à rendre publiquement hommage à M. Renaud Dutreil pour les aménagements positifs qu'il avait initiés.

M. Patrick Ricard a ensuite déclaré que la maison-mère s'attachait à faire connaître la France aux principaux collaborateurs et clients étrangers du groupe, notamment des cadres chinois et italiens, qui s'y étaient récemment réunis en séminaire. Ces manifestations permettaient de rappeler l'origine française du groupe et de pérenniser sa culture, même si la plupart des produits qu'il commercialisait n'étaient pas français.

M. Philippe Marini, président, a évoqué deux aspects : la recherche-développement et la mise au point des produits, dont il a souhaité connaître la localisation, et la diffusion de l'actionnariat salarié, que le fondateur Paul Ricard avait amorcée. Il s'est dès lors demandé si la société avait développé des véhicules d'épargne salariale ou d'épargne retraite, et quelle était sa politique en matière d'attribution d'actions gratuites et de stock-options.

En réponse, M. Patrick Ricard a indiqué que les activités de création et de recherche sur les produits n'étaient plus centralisées, et que des contrats avec des prestataires extérieurs avaient été conclus. Il a précisé qu'elles étaient localisées dans certaines régions de production, selon les grandes catégories d'alcools. Par exemple, en France pour les liqueurs, en Ecosse et en Irlande pour le whisky, et en Australie et en Espagne pour le vin. Il a précisé que le régime favorable des brevets et des droits de propriété en Irlande constituait une incitation à y développer des centres de recherche.

S'agissant de l'épargne salariale, il a évoqué l'abondement de l'entreprise sur les plans d'épargne investis en actions de Pernod-Ricard, et a indiqué que la part du capital détenue par les salariés, actuellement de 3 %, tendait à augmenter. Il a ajouté que le groupe ne recourait pas aux augmentations de capital réservées aux salariés, et que le projet d'attribuer des actions gratuites faisait aujourd'hui l'objet de débats internes, compte tenu de ses avantages et inconvénients au regard des stock-options. Il a estimé que celles-ci contribuaient, en effet, à fidéliser les cadres, tandis que les actions gratuites représentaient un capital réellement disponible, et donc également attractif.

M. Philippe Marini, président, a clos la réunion en remerciant M. Patrick Ricard pour la franchise et l'intérêt de ses propos.