Mercredi 6 décembre 2006

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président. -

Commission d'enquête - Groupe EADS et retards de production d'Airbus - Examen du rapport

La commission a ensuite examiné le rapport de M. Jean-François Le Grand sur la proposition de résolution n° 66 (2006-2007) tendant à la création d'une commission d'enquête sur le Groupe EADS, et sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a tenu à préciser les éléments juridiques et de fond du dossier. Concernant les éléments juridiques, il a rappelé que la création des commissions d'enquête parlementaires était soumise à des conditions de recevabilité juridique. La première était que la commission d'enquête ne devait pas empiéter sur le champ d'une procédure judiciaire. Or, le garde des Sceaux, saisi par le Président du Sénat, avait indiqué qu'une information judiciaire était bien en cours au tribunal de grande instance de Paris pour des faits qualifiés de délit d'initié, recel de ce délit et diffusion de fausses informations. Cette instruction concernait la cession de titres d'EADS intervenue antérieurement à l'annonce publique des retards de livraison de l'Airbus A380 en mai 2006. M. Jean-François Le Grand, rapporteur, en a conclu qu'une éventuelle commission d'enquête ne pourrait porter sur cet aspect des choses.

La seconde condition de recevabilité imposait que la commission d'enquête porte soit sur un service public ou une entreprise nationale, soit sur des faits précis. Il a souligné qu'EADS n'était ni un service public, ni une entreprise nationale, mais une société de droit néerlandais, dont l'Etat français ne détenait que 15 %, et ce de manière indirecte. Il n'était pas non plus bien établi que la rédaction de la proposition visait des faits précis. La demande portait, en effet, sur le « groupe EADS » et les retards de production d'Airbus, alors que seul le programme A380 semblait visé en réalité. Pour ces raisons, M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a estimé qu'il serait difficile de créer une commission d'enquête sur ces bases. Souhaitant cependant dépasser ces éléments juridiques, afin de laisser toute sa place au débat conformément à la tradition sénatoriale, il a ensuite examiné l'opportunité de la demande.

Reprenant les différents éléments présentés par les auteurs de la proposition, il a apporté des précisions sur le plan « Energie 8 ». Il a souligné qu'Airbus n'entendait pas réduire les commandes passées à ses fournisseurs, mais simplement ne plus gérer directement des milliers de relations bilatérales avec des sous-traitants parfois de très petite taille. Les fournisseurs de premier rang pouvaient, en effet, gérer eux-mêmes les relations avec les fournisseurs de second rang. Il a ajouté que ce large plan d'économie était justifié avant tout par l'appréciation de l'euro face au dollar. En effet, depuis le lancement du programme A380 le dollar avait perdu 40 % de sa valeur face à l'euro, ce qui entraînait pour EADS une perte de compétitivité de 20 % et rendait indispensable le plan « Energie 8 ».

Il a précisé également qu'une enquête interne ayant été commandée par EADS, outre l'enquête judiciaire, il était peu probable que la commission d'enquête apporte plus de précisions sur les éventuelles responsabilités individuelles.

Concernant les causes du retard, M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a expliqué que le site de production de Hambourg avait utilisé un logiciel de conception du câblage, auquel les ingénieurs n'étaient pas familiarisés, ce qui avait entraîné d'importants retards.

Il a souligné que les conséquences de ces difficultés avaient été tirées sur le plan du management puisque la direction avait été largement remaniée et noté que, pour la première fois, un des présidents d'EADS dirigerait également Airbus, ce qui devait faciliter la transmission des décisions.

Il a ensuite exposé les inconvénients d'une commission d'enquête. Il a estimé, en premier lieu, que celle-ci fragiliserait EADS sur trois plans :

- sur le plan de son image, une commission d'enquête parlementaire étant nécessairement analysée comme un signe de défiance du Parlement français ;

- sur le plan financier, ce signal négatif ayant nécessairement un impact sur le cours de Bourse de la société et pouvant rendre plus difficile son financement dans les mois à venir, ce qui serait particulièrement fâcheux dans la perspective du lancement de l'A350 XWB ;

- sur le plan commercial, car Boeing serait tenté d'utiliser cet argument pour fragiliser l'image de son concurrent auprès des clients, mais aussi des institutions internationales.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a jugé que le second inconvénient d'une telle procédure serait la mise en évidence de la relative vulnérabilité de la gouvernance d'EADS, ce qui serait peu opportun au moment où celle-ci pouvait être amenée à évoluer suite à la réduction de la participation des deux actionnaires industriels. Reconnaissant qu'il était permis de s'interroger sur les règles de gouvernance d'EADS, qui aboutissaient à priver l'Etat, dans le cadre d'un pacte d'actionnaires, de tout regard ou influence sur la conduite de l'entreprise, alors même qu'il en possédait 15 %, il a déclaré ne pas souhaiter faire de procès d'intention au gouvernement qui avait mis ce système en place dans la période 1998-2000. Il a reconnu qu'il n'avait sans doute pas été évident de faire accepter à Lagardère, et surtout à DaimlerChrysler, la présence dans EADS de l'Etat français. Il a précisé que c'était parce qu'il était convaincu que ce système allait évoluer dans les mois à venir qu'il pensait qu'une commission d'enquête serait de nature à troubler cette évolution, voire à la remettre en cause.

Pour toutes ces raisons, de droit et de fond, il lui semblait qu'il fallait écarter la solution d'une commission d'enquête. En revanche, il était tout disposé, si la commission en décidait ainsi, à revenir devant elle à l'été 2007, lorsque les résultats de l'enquête interne seraient connus et que les négociations sur le financement de l'A350 XWB auraient progressé, pour qu'il l'informe de l'évolution de la situation.

M. Jean-Paul Emorine, président, après avoir salué la qualité du travail du rapporteur, dont il estimait qu'il apportait des réponses aux interrogations des membres du groupe socialiste, a souhaité que M. Jean-François Le Grand, rapporteur, puisse faire une communication sur ce sujet après la reprise des travaux parlementaires. Il a déclaré que la question des avances remboursables renvoyait au large débat opposant l'Union européenne et les Etats-Unis dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il a jugé que l'Europe n'avait pas à céder sur ces questions, au vu du soutien que les Etats-Unis apportaient à leurs entreprises et à leur agriculture.

M. Daniel Reiner s'est déclaré peu étonné de la conclusion à laquelle parvenait le rapporteur. Il a estimé que le débat sur EADS méritait cependant d'être ouvert. Evoquant l'audition par la commission, le 2 mai dernier, de M. Jean-Marc Thomas, Président d'Airbus France 2006, il a estimé que celui-ci n'avait pas fait part des difficultés du programme A380 à cette occasion -alors qu'elles devaient nécessairement être connues de lui- et que les parlementaires avaient donc été trompés. Il a également contesté l'analyse du rapporteur relativisant le rôle des Etats dans la gestion d'EADS, dans la mesure où ceux-ci pesaient sur le choix des dirigeants de l'entreprise. Quant aux sous-traitants, les informations dont il disposait ne lui permettaient pas de partager l'appréciation optimiste du rapporteur. Enfin, il a fait part de ses doutes sur la véracité de l'attribution à des problèmes de câblage des importants retards du programme. Il en a conclu que le Parlement devrait prêter, à l'avenir, une attention plus grande à la gestion de cette entreprise, en particulier dans le cadre du lancement du programme A350 XWB.

M. Daniel Raoul a insisté à son tour sur la faiblesse, à ses yeux, de l'argument des problèmes de câblage comme justification des retards. Tout en déclarant ne pas être insensible aux arguments du rapporteur sur les risques commerciaux, il a contesté sa position sur le caractère trop général de l'objet visé par la proposition de résolution. Il a enfin estimé qu'une simple communication du rapporteur apparaissait insuffisante au vu de l'importance de ce dossier.

M. Michel Billout, après avoir estimé que les difficultés d'EADS étaient emblématiques des dérives de l'ultralibéralisme, a regretté que le rapporteur estime que l'Etat ne pouvait pas contrôler la gestion de l'entreprise et qu'une commission d'enquête n'était pas opportune.

M. François Gerbaud a considéré qu'il importait de préciser la forme que prendrait le suivi de ce dossier par la commission dans les mois à venir, estimant pour sa part qu'un rapport d'information vaudrait mieux qu'une communication.

M. Jean-Paul Emorine, président, a considéré, au vu des interventions précédentes, qu'il convenait de demander à M. Jean-François Le Grand de présenter un rapport d'information au mois de juin ou juillet. Il a souhaité rappeler les atouts d'EADS et d'Airbus en faisant valoir en particulier qu'EADS avait vendu plus d'avions que Boeing en 2005. Il a jugé que mettre en avant les quelques difficultés d'une grande entreprise européenne n'était pas ce qui allait aider l'industrie européenne à gagner des parts de marché.

En réponse à M. François Gerbaud, M. Jean-François Le Grand, rapporteur, a estimé qu'il reviendrait au Bureau de la commission de décider de la nature du travail qui lui serait confié. Quant aux observations de M. Daniel Raoul, il a déclaré, d'une part, qu'il avait réalisé son rapport dans une démarche qu'il avait voulu objective et non politicienne et, d'autre part, qu'il convenait de comparer les difficultés de l'A380 avec les graves incidents qui avaient marqué le lancement du Boeing 747 au milieu des années 1970. En effet, des accidents liés aux moteurs avaient compromis la sécurité de plusieurs vols du B747 dans ses premières années. Il a maintenu que la proposition de résolution visait à tort des retards, car l'essentiel des avions livrés par EADS ne faisait l'objet d'aucun retard. Il convenait de rappeler qu'EADS livrait actuellement 30 avions par mois dans la gamme A320-A340 et que le plan Energie 8 permettrait d'augmenter encore ce chiffre à 36 avions par mois. Il a également souligné que le programme A380 n'avait fait l'objet d'aucune annulation pour des avions de transport de passagers, la seule annulation portant sur la version de transport de fret. Il en a conclu que l'A380 était véritablement un avion d'avenir. En réponse à M. Michel Billout, il a rappelé que M. Jean-Claude Gayssot était ministre des transports du gouvernement qui avait mis en place la structure de gouvernance d'EADS.

M. Philippe Dominati a estimé que si le gouvernement de l'époque avait pris la décision de laisser l'Etat hors de la gestion directe de l'entreprise, et avec une part maximale de 15 %, c'était parce que cela répondait à une nécessité de la négociation internationale de ce dossier. Il en a conclu qu'il n'était ni possible ni souhaitable que la part de l'Etat soit élevée au-delà de 15 %.

M. Daniel Raoul a déclaré qu'il ne remettait pas en cause l'honnêteté intellectuelle de l'analyse du rapporteur. Il a précisé qu'il n'était pas loin d'estimer lui-même qu'une commission d'enquête n'était pas opportune dans les circonstances actuelles. En revanche, il a réaffirmé la nécessité à ses yeux d'un rapport d'information sur ce dossier. Il a enfin jugé que la comparaison entre les difficultés de logiciel de l'A380 et les incidents survenus sur les moteurs du B747 était contestable.

M. Jean-Paul Emorine, président, a rappelé qu'au vu des différentes interventions qui venaient d'avoir lieu, il s'était déclaré favorable à ce que soit établi pour l'été prochain un rapport d'information sur EADS, selon des modalités à définir.

M. Michel Billout a jugé que la part de l'Etat dans EADS était insuffisante et a déploré que cette situation semble irréversible. Estimant que certains membres de la commission semblaient considérer une sortie de l'Etat du capital comme la seule solution aux problèmes de gouvernance, il s'est inscrit en faux contre cette idée et a jugé que cette situation était préoccupante, et à plus forte raison si on la rapprochait à l'évolution d'autres secteurs, comme l'énergie.

Puis, après que M. Daniel Raoul eut indiqué qu'il voterait contre la position proposée par le rapporteur, notamment parce qu'il réfutait certains de ses arguments, et que M. Daniel Reiner eut émis le souhait que le rapport d'information soit élaboré dans un cadre faisant participer des membres des différents groupes politiques, la commission a rejeté, sur proposition de son rapporteur, la proposition de résolution, les groupes socialiste et communiste républicain et citoyen votant contre cette position.

Commission d'enquête - Panne d'électricité et sécurité de l'approvisionnement de l'électricité en France - Examen du rapport

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Ladislas Poniatowski sur la proposition de résolution n° 63 (2006-2007) tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes de la panne d'électricité du 4 novembre 2006, et sur l'état de la sécurité d'approvisionnement de l'électricité en France dans le cadre des politiques européennes d'ouverture à la concurrence du secteur énergétique.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a débuté sa présentation par une description de l'incident du samedi 4 novembre 2006, qui a privé d'électricité près de 15 millions de ménages européens, dont 5,6 millions de Français, entre 22 h 10 et 23 h 00. Il a indiqué qu'au cours de cette journée l'un des gestionnaires du réseau de transport d'électricité allemand, E.ON Netz, avait prévu de mettre provisoirement hors tension une ligne surplombant la rivière Ems afin d'assurer le passage en toute sécurité d'un paquebot vers la mer du Nord. Toutefois, l'interruption de la ligne a eu lieu à 21 h 38, c'est-à-dire un peu plus tôt que ce qui était initialement prévu.

Il a souligné qu'en de telles circonstances l'électricité emprunte mécaniquement d'autres lignes du réseau de transport et qu'à la suite de cette mise hors service des erreurs d'appréciation, commises par le gestionnaire allemand, avaient contribué à créer des surcharges de tension sur deux autres lignes de transport du réseau allemand. Il a ajouté que les surtensions subies par ces lignes avaient provoqué leur mise hors service automatique, enclenchant alors un « effet dominos » sur le reste du réseau de transport. De ce fait, une grande partie du réseau européen de transport d'électricité s'est effondré, conduisant à sa division en trois zones indépendantes :

- une zone ouest allant de la partie ouest de la Croatie au Portugal et comprenant la France, au sein de laquelle le volume de production s'est trouvé insuffisant pour satisfaire la consommation ;

- une zone nord-est se caractérisant par une situation de surproduction ;

- une zone sud-est en situation de légère sous-production.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a alors précisé que dans la zone ouest, où se situait la France, ce déséquilibre entre l'offre et la demande avait entraîné une chute de la fréquence à 49 hertz, alors qu'elle s'établit habituellement à 50 hertz. Il a poursuivi en faisant remarquer qu'une telle chute de la fréquence avait deux effets principaux :

- d'une part, les postes sources du réseau de distribution sont programmés pour couper automatiquement une partie de la consommation afin de rétablir la fréquence à son niveau de 50 hertz. Quand la fréquence passe sous ce seuil, des délestages automatiques s'enclenchent dans tous les départements continentaux ;

- d'autre part, les moyens de production d'électricité sont conçus pour fonctionner à la fréquence de 50 hertz. Quand celle-ci revient en dessous de certaines valeurs, qui diffèrent selon la source de production d'électricité, les centrales se déconnectent du réseau pour préserver leur intégrité. En France, ce phénomène a conduit à aggraver le déséquilibre entre l'offre et la demande, puisque près de 2.000 mégawatts (MW) de cogénération ont été perdus. Les éoliennes se sont également déconnectées du réseau, ce phénomène occasionnant des pertes limitées en France mais plus substantielles en Espagne et dans la zone ouest de l'Allemagne, avec respectivement 2.800 MW et 700 MW de pertes d'électricité d'origine éolienne.

A ce sujet, le rapporteur a fait valoir que, compte tenu des pertes d'électricité éolienne en Espagne, les mécanismes de solidarité franco-espagnols avaient permis d'éviter un « black-out » dans ce pays. Il a également souligné que 7.000 MW d'électricité éolienne avaient été perdus dans la zone est de l'Allemagne, mais que l'effet de ces déconnexions avait été positif, puisque ces pertes avaient eu lieu dans une zone en situation de surproduction.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a ensuite expliqué qu'une fois les délestages mis en oeuvre, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, RTE, avait immédiatement fait appel aux producteurs pour qu'ils accroissent leur volume de production afin de réalimenter les consommateurs le plus rapidement possible. En France, EDF a alors démarré plusieurs usines hydroélectriques, qui présentent la caractéristique principale de pouvoir être mobilisées rapidement, injectant sur le réseau environ 3.900 MW d'électricité.

Grâce à ce surcroît de puissance, RTE a pu demander, à 22 h 30, aux gestionnaires de réseaux de distribution de reconnecter la moitié des consommateurs interrompus. A 22 h 40, RTE demandait la réalimentation de l'ensemble des consommateurs français, notamment grâce à la mobilisation de 1.000 MW supplémentaires provenant de la chaîne de barrages hydrauliques de la Durance et à 23 h 00 tous les consommateurs français étaient réalimentés.

Il a ensuite noté que plusieurs enseignements pouvaient être tirés de cet incident. Rappelant que les volumes d'électricité échangés juste avant l'incident étaient importants, la France exportant plus de 5.000 MW vers des pays européens, il a souligné que la demande formulée par la proposition de résolution mettait en lumière, à juste titre, le problème des capacités de production en Europe. Il a notamment rappelé que la France se situait régulièrement à la limite de l'équilibre entre l'offre et la demande lors des périodes de forte consommation et se voyait contrainte d'importer massivement de l'électricité en cas de froid ou de chaleur intense.

Puis le rapporteur a indiqué que l'incident était également lié à un problème de coordination entre les gestionnaires du réseau de transport allemand, soulignant que, contrairement à la France, qui est dotée d'un opérateur unique, le réseau de transport allemand était géré par quatre opérateurs différents. Il a enfin fait valoir que les interconnexions entre pays européens étaient insuffisantes au regard des volumes d'électricité échangés.

Mission commune d'information sur l'approvisionnement en électricité - Echange de vues

Abordant l'opportunité de créer une commission d'enquête sur cette panne, M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a précisé que l'association européenne des transporteurs d'électricité et l'association des régulateurs énergétiques européens avaient lancé, chacune de leur côté, une enquête sur ces faits et que leurs conclusions seraient connues, au plus tard, au mois de février 2007.

Il a ensuite relevé qu'il n'y avait pas matière à enquêter en France sur cette panne, dans la mesure où cette situation avait été gérée de manière très satisfaisante par les acteurs nationaux du système électrique. Notant que cet incident trouvait ses origines en Allemagne, il a estimé qu'il n'appartenait pas à une commission d'enquête du Sénat français d'aller investiguer à l'étranger ou de faire venir des responsables allemands en France pour qu'ils répondent de leurs actes.

Enfin, il a considéré que la création d'une commission d'enquête, de par son caractère symbolique et solennel, devait être réservée aux sujets les plus sensibles, se référant notamment à l'exemple de la commission d'enquête sur les dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau.

Il a toutefois fait valoir que l'un des sujets évoqués par la proposition de résolution, à savoir la sécurité des approvisionnements électriques, apparaissait, quant à lui, justifier d'investigations complémentaires. Il a, en conséquence, défendu l'idée qu'il pourrait être opportun que le Sénat constitue une mission d'information sur cette thématique. Cette mission pourrait notamment, après avoir évalué les besoins actuels et futurs dans le domaine de l'électricité en France et en Europe, analyser les moyens nécessaires pour y répondre en termes d'investissements et de réseaux de transport.

En conclusion, M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a appelé la commission à rejeter la demande de commission d'enquête et à adopter le principe de la création d'une mission d'information sur la sécurité d'approvisionnement en électricité, précisant qu'au vu des conversations qu'il avait eues à ce sujet avec le président Jean-Paul Emorine, d'autres commissions pourraient participer à une telle réflexion si elles le jugeaient opportun.

Après avoir apporté, pour l'information des commissaires, des précisions techniques sur les effets de la baisse de la fréquence sur un réseau d'électricité, M. Daniel Raoul a souligné que l'incident du 4 novembre était également lié à l'état du réseau de transport d'électricité en Allemagne, jugeant que les investissements et l'entretien au cours des dernières années avaient été insuffisants. Il a d'ailleurs noté qu'en Allemagne les investissements des producteurs et des distributeurs d'électricité avaient chu de 40 % en dix ans, alors que les tarifs de vente avaient, dans le même temps, augmenté de manière importante.

Il a également relevé que le développement de la puissance électrique d'origine éolienne était de nature à susciter de nouvelles difficultés pour le fonctionnement des systèmes électriques, compte tenu du caractère aléatoire de la production éolienne et de l'absence de production au cours des pics de consommation, puisque les périodes de grand froid ou de chaleur se caractérisent par la présence d'un anticyclone et donc par l'absence de vent. Il en a conclu que le développement de l'éolien impliquait de disposer d'un réseau de transport surdimensionné.

Tout en déclarant partager les conclusions du rapporteur, M. François Gerbaud a noté que l'Europe se trouvait face à un manque évident de capacités de production. Il a rappelé par ailleurs tout l'intérêt de l'électricité d'origine hydroélectrique, saluant sa capacité à assurer la sécurité du réseau. S'agissant des éoliennes, il a estimé que ce moyen de production était source de difficultés pour la sûreté d'approvisionnement, relevé son impact négatif sur les paysages et indiqué que cette énergie ne présentait aucun intérêt pendant les périodes de pointe de consommation. Il a considéré qu'une éventuelle mission d'information sur la sécurité d'approvisionnement devrait approfondir ce sujet et recueillir des éléments d'information sur le développement de l'éolien en France et en Espagne. Il a d'ailleurs déploré que la Commission de régulation de l'énergie n'ait pas été suivie par le Gouvernement dans son refus d'augmenter le niveau du tarif d'achat de l'électricité d'origine éolienne dans le cadre de l'obligation d'achat.

Tout en reconnaissant que l'incident du 4 novembre 2006 avait été assez bien maîtrisé, en définitive, en raison de la qualité des personnels d'EDF, M. Michel Billout a jugé que plusieurs enseignements pouvaient être retirés de cette panne. Il a indiqué que le rapporteur lui-même avait pointé un certain nombre de dysfonctionnements devant être corrigés et a souligné que le réseau électrique subissait des adaptations liées à la constitution progressive d'un marché européen intégré. Il a jugé que la gestion de cette crise avait mis en lumière un manque de coordination entre les différents acteurs européens. Il s'est notamment interrogé sur l'intérêt économique qu'aurait un producteur privé à diminuer son volume de production en cas de situation générale de surproduction sur le réseau, alors que la sécurité du système impose une telle baisse.

Il a donc considéré qu'il était nécessaire d'examiner avec précision l'état de la production énergétique en Europe, en rappelant que l'interconnexion des Etats européens incitait certains d'entre eux à ne pas participer à l'effort d'investissement. Tout en précisant qu'il était favorable à une solidarité électrique entre les différents Etats, il a jugé que celle-ci devait également s'accompagner d'un effort important en termes de développement des capacités de production nationale.

Il a enfin déclaré qu'il regretterait l'absence de commission d'enquête, mais qu'à défaut il soutiendrait la demande de création d'une mission d'information, notant qu'une telle structure avait moins de pouvoirs d'investigations. Il a d'ailleurs estimé que l'impossibilité pour le Parlement d'enquêter à l'échelle européenne constituait une véritable source de difficultés.

Jugeant lui aussi que l'Union européenne jouait désormais un rôle déterminant en matière énergétique et que le contrôle de cette politique échappait progressivement aux autorités nationales, M. Daniel Reiner a rappelé que la Commission européenne proposerait début 2007 des évolutions de la réglementation communautaire sur le secteur de l'énergie. Il a indiqué que le Conseil européen qui aurait à se prononcer sur ces propositions devait pleinement tirer les leçons de la panne du 4 novembre dernier. Or, il a jugé que les premiers éléments d'information disponibles sur les propositions de la Commission européenne pouvaient laisser supposer que tel n'était pas le cas.

Rappelant que des pannes d'électricité s'étaient multipliées en Europe au cours des dernières années dans un contexte de marchés libéralisés, il a estimé que le réseau de transport de certains pays n'était pas suffisamment entretenu et développé. Il s'est également demandé si la séparation juridique et patrimoniale entre les entreprises chargées de la production et celles chargées du transport constituait une réponse adaptée aux enjeux énergétiques, jugeant notamment inquiétants les projets de séparation patrimoniale et de création d'un régulateur unique promus par la Commission.

Tout en considérant que la libéralisation des marchés énergétiques n'avait pas fait la preuve de son efficacité, il s'est dit surpris de voir que la Commission européenne, notamment avec cette nouvelle initiative, continuait à défendre cet objectif et a jugé nécessaire d'examiner cette question avec attention.

M. Marcel Deneux a indiqué partager les conclusions du rapport et soutenir la demande de création d'une mission d'information, d'autant plus que la récente décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie, en jetant une confusion sur la politique énergétique nationale, nécessitait un examen complémentaire.

Puis, rappelant qu'un colloque franco-allemand s'était tenu sur la politique énergétique il y a quelques semaines, il a indiqué que la mission d'information pourrait trouver un intérêt aux travaux réalisés dans ce cadre.

Il a ensuite indiqué que la France ne disposait que de 800 MW de puissance installée d'électricité d'origine éolienne, ce qui représente seulement une tranche nucléaire. Tout en soulignant que la France ne disposait pas d'autres alternatives importantes pour développer les énergies renouvelables, il a rappelé que le développement de cette source énergétique devait être adossé à d'autres types de moyens de production, compte tenu de l'intermittence des volumes produits par cette filière. Jugeant que la filière éolienne donnait lieu à un débat passionnel, il a enfin précisé que le tarif d'achat était calculé en fonction des coûts environnementaux évités, en référence aux prix de l'électricité sur le marché libre.

M. René Beaumont a souligné que le système électrique français se caractérisait, tant du point de vue de la production que du réseau, par son excellente qualité et son efficacité, reconnue dans le monde. Il a souligné que la France disposait d'un très bon réseau de distribution, qui avait été développé notamment grâce aux efforts des collectivités territoriales. Il a ainsi estimé que l'intégration du marché européen de l'énergie faisait apparaître les différences entre les pays concernés et que la France devait jouer son rôle dans ce processus en développant à l'étranger les standards qu'elle avait su instaurer sur son territoire. Il a enfin déclaré soutenir la demande de création d'une mission d'information.

M. Yves Coquelle a estimé particulièrement intéressant le débat suscité par la proposition de résolution. Il s'est déclaré surpris par les évolutions en cours dans le secteur de l'énergie alors que de l'avis général le secteur énergétique se caractérise par sa grande efficacité. Il a craint une privatisation d'EDF à terme.

En réponse aux différents intervenants, M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a apporté les éléments d'information suivants :

- le déroulement des évènements du 4 novembre 2006 laisse supposer que la panne a résulté d'une erreur humaine qui a conduit à la surcharge de deux lignes de transport, phénomène ayant provoqué des déconnexions automatiques de lignes en Europe ;

- M. Bruno Sido avait souligné, dans le cadre de son mandat de rapporteur sur le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, l'aspect stratégique de la production électrique d'origine hydraulique. La panne a mis en lumière toute la pertinence de cette analyse. Certes, il est difficile de développer dans des proportions importantes ce moyen de production, mais il est indispensable de préserver le potentiel hydroélectrique actuel ;

- une mission d'information aura la possibilité d'approfondir les conséquences liées au développement de l'électricité d'origine éolienne. En effet, les projets de développement en France, en vertu desquels 10.000 MW pourraient être installés à terme, doivent être examinés afin de réfléchir au seuil acceptable pour continuer à disposer d'un réseau fonctionnant dans des conditions de sûreté optimales. L'éolien pose également un problème d'approvisionnement électrique pour les régions, puisque ces moyens de production sont, en général, directement reliés au réseau de distribution ;

- on peut déplorer qu'une commission d'enquête ne puisse effectuer des investigations à l'étranger, mais il ne faut pas perdre de vue que la réciproque est également de mise et qu'un Parlement étranger ne pourrait venir enquêter en France ;

- il n'y a pas eu un manque de coordination au niveau européen, mais un manque de coordination entre les gestionnaires de réseaux de transport allemands ;

- les directives européennes imposent aujourd'hui une séparation juridique et comptable entre producteurs et transporteurs. La Commission européenne n'envisage pas aujourd'hui la séparation patrimoniale, qui ne constitue qu'une proposition de la commissaire européenne à la concurrence. Au demeurant, la situation actuelle est satisfaisante puisqu'aucun litige relatif à l'accès au réseau de transport n'a été signalé depuis la création de RTE ;

- la création d'un régulateur énergétique européen unique ne constitue vraisemblablement pas une réponse appropriée. En revanche, il pourrait être utile d'harmoniser les compétences des différents régulateurs nationaux ;

- l'annulation par le Conseil d'Etat de la déclaration d'utilité publique de la ligne de transport Boutre - Broc Carros pose un véritable problème de sécurité d'approvisionnement en électricité du sud-est français ;

- le système français de gestion du réseau de transport avec un unique opérateur a fait la preuve de son efficacité et permet la mise en oeuvre d'une politique cohérente ;

- les plans de délestage tiennent compte de la situation particulière d'usagers prioritaires, pour qui une coupure d'électricité poserait des difficultés importantes. Ces usagers sont identifiés sur une liste établie par le préfet au niveau départemental et mise à jour tous les deux ans ;

- un seul incident a été relevé parmi ces usagers prioritaires pendant la soirée du 4 novembre 2006 avec l'hôpital de Lannemezan situé dans les Hautes Pyrénées. Le dysfonctionnement a depuis été corrigé par EDF pour éviter qu'il ne se reproduise ;

- EDF n'a pas vocation à être privatisée.

M. Marcel Deneux a indiqué qu'avec la coupure d'électricité, seule, une partie du parc éolien français s'était déconnectée du réseau. Il a également souligné que la région Bretagne se caractérisait par une fragilité en termes d'approvisionnement, dans la mesure où elle ne dispose d'aucune centrale nucléaire.

En réponse, M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, a jugé souhaitable de revoir les règles de déconnexion automatique des moyens de production en cas de baisse de la fréquence.

M. Jean-Paul Emorine, président, a déclaré que si la commission suivait les préconisations du rapport, c'est-à-dire un rejet de la proposition de résolution et l'adoption d'une proposition de création d'une mission d'information, cette mission pourrait, selon lui, être commune à plusieurs commissions et a développé l'idée qu'elle devrait associer à ses travaux, d'une manière pluraliste, les différents groupes politiques. Il a suggéré que le président de la mission puisse être issu des rangs du groupe Union pour un mouvement populaire mais que trois rapporteurs, appartenant respectivement aux groupes socialiste, de l'Union centriste-UDF et communiste républicain et citoyen pourraient être désignés. Il a toutefois tenu à souligner que cette répartition devrait être examinée avec les autres commissions qui souhaiteraient participer à la mission.

A la suite de cette explication, la commission a rejeté la proposition de résolution, le groupe communiste républicain et citoyen votant pour et le groupe socialiste s'abstenant. Puis, sur proposition du président et du rapporteur, elle a adopté, à l'unanimité, le principe d'une mission d'information sur la sécurité d'approvisionnement en électricité en France et en Europe.

Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats

La commission a décidé de proposer les candidatures de MM. Henri Revol et Bernard Piras à la nomination du Sénat pour siéger au sein du conseil d'administration du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.