Jeudi 1er février 2007

- Présidence de M. Jean Puech, président. -

Aspects politiques et financiers de la décentralisation

L'Observatoire a tout d'abord procédé à un échange de vues sur les aspects politiques et financiers de la décentralisation, dans le cadre d'une rencontre-débat avec son comité d'experts, ouverte à l'ensemble des Sénateurs.

M. Jean Puech, président, a salué le mouvement de décentralisation lancé en France depuis plus de vingt-cinq ans, en indiquant qu'il était apprécié par les élus locaux. Il a noté que l'autonomie locale s'était imposée dans plusieurs domaines majeurs de l'action publique comme le développement économique et la formation professionnelle, les routes, l'action sociale, la gestion des lycées et collèges publics. Il a rappelé que le principe même de l'organisation « décentralisée » avait été inscrit dans la Constitution.

Pour autant, il a évoqué le malaise et la déception que pouvaient ressentir certains élus concernant la mise en oeuvre de la décentralisation. Il a estimé que le débat permanent concernant le nombre des niveaux d'administration locale constituait une source d'incertitude et compliquait la mise en oeuvre de la décentralisation.

Pour illustrer les difficultés rencontrées dans l'adaptation des mentalités, il a évoqué les vingt ans qui avaient été nécessaires pour que la France, après sa signature, accepte de ratifier, le 17 janvier 2007, la Charte européenne de l'autonomie locale, qui prévoit notamment que « l'existence des collectivités locales est un des principaux fondements de tout régime démocratique », que « l'exercice des responsabilités publiques doit être décentralisé » et que « l'autonomie locale est le droit et la capacité effective pour les collectivités de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ». Il a regretté que l'esprit de cette charte ne soit pas encore pleinement respecté.

Afin de mieux appréhender la perception de la décentralisation par les élus locaux, M. Jean Puech, président, a expliqué que l'Observatoire de la décentralisation avait décidé de confier une étude à la SOFRES pour mesurer à la fois l'adhésion des élus à la décentralisation et la nature des obstacles rencontrés et a confié le soin à M. Dominique Reynié, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris et membre du comité d'experts, d'analyser les résultats de ce sondage en introduction à la première partie de la réunion, consacrée aux aspects politiques de la décentralisation.

M. Dominique Reynié a expliqué que l'étude réalisée par l'institut TNS-SOFRES l'avait été entre les 4 et 27 janvier 2007 auprès d'un échantillon de 500 élus composé de 451 maires, de 40 présidents de conseils généraux et de 9 présidents de conseils régionaux.

Il a observé que cette étude indiquait sans ambiguïté une forte adhésion des élus locaux au principe de la décentralisation ainsi qu'aux mécanismes mis en place à cette occasion et aux politiques publiques qui en découlaient. Concernant l'acte II de la décentralisation, il a indiqué que les élus approuvaient massivement le principe selon lequel ce sont les collectivités territoriales plutôt que l'Etat qui devaient prendre les décisions sur les sujets d'intérêt local, le transfert aux régions des TER, le transfert aux départements du schéma gérontologique, le droit à l'expérimentation, le principe d'autonomie financière ainsi que le droit de pétition et le référendum local décisionnel. Il a remarqué que l'approbation était plus mesurée concernant le transfert de certains personnels de l'éducation et de l'équipement aux départements, les opinions étant plus partagées encore concernant la gestion des politiques sociales et la gestion des infrastructures locales.

M. Dominique Reynié a déclaré que, de manière plus globale, la majorité des élus locaux interrogés estimait que la décentralisation avait renforcé le lien entre la population et les élus, même si une courte majorité seulement considérait qu'elle avait permis aux Français de mieux connaître leurs élus.

Il a relevé, ensuite, qu'une forte majorité d'élus locaux souscrivait à l'idée que l'acte II de la décentralisation avait eu un impact positif sur la manière dont les collectivités territoriales conduisaient leurs politiques locales, notamment en ce qui concernait la prise en charge des personnes âgées, l'aménagement du territoire, l'aide sociale et la politique environnementale.

Principal enseignement de l'étude, c'est la mise en oeuvre des dispositions prévues par l'acte II de la décentralisation qui pose problème, et non leur principe. M. Dominique Reynié a observé également que les élus portaient un jugement d'autant plus positif que les lois adoptées concernaient des enjeux compréhensibles par le citoyen, à l'image de la loi sur le handicap, de la loi sur l'eau et de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). A contrario, il a indiqué que les lois concernant les compétences des collectivités territoriales et leurs moyens suscitaient des interrogations chez un nombre non négligeable d'élus locaux. Il a remarqué, ensuite, que le fait d'avoir un avis positif sur les lois les plus concrètes n'empêchait pas une majorité des élus interrogés de considérer qu'ils rencontraient des difficultés pour les mettre en application.

M. Dominique Reynié a ensuite insisté sur l'inquiétude manifestée par les élus locaux concernant les aspects financiers de la décentralisation. Il a observé que les élus locaux mettaient moins en cause le niveau des compensations financières des transferts que la dynamique des charges propres aux compétences transférées, laissant craindre que les compensations ne deviennent rapidement insuffisantes.

A l'aune de ces indications, il a expliqué qu'une majorité des élus locaux souhaitait une pause afin de consolider l'acquis de la décentralisation. Il a aussi évoqué les inquiétudes de nombreux élus concernant la dégradation de leur statut, nombre d'entre eux s'inquiétant de leur protection sociale, de leurs responsabilités croissantes ainsi que d'une charge de travail en constante augmentation, dont ils rendaient responsables les nouveaux transferts de compétences. Il a estimé qu'il serait préjudiciable de sous-estimer le malaise des élus locaux et de ne pas accorder à cette question tout l'écho qu'elle méritait.

M. Dominique Reynié a également évoqué les interrogations des maires face à ce qu'ils percevaient comme un « retrait de l'Etat » s'effectuant au bénéfice des grandes structures que sont les conseils généraux et régionaux. Il a observé qu'un élu sur deux représentant les collectivités infrarégionales avait manifesté la crainte d'une tutelle régionale. Il a indiqué, par ailleurs, que les élus locaux, et les maires en particulier, plébiscitaient la structure intercommunale comme stratégie de projet, mais qu'ils redoutaient en même temps d'être noyés dans un ensemble complexe, où leur influence risquait d'être amoindrie. Il a estimé que c'était peut-être cette crainte qui expliquait le peu de faveur que recueillait l'idée d'élire au suffrage universel direct le président de la structure intercommunale.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, a souhaité savoir comment on pouvait expliquer les inquiétudes des maires, alors que les compétences transférées concernaient surtout les départements et les régions, en faisant l'hypothèse que les maires pouvaient être sensibles à la situation des conseils généraux qui sont d'importants contributeurs à leurs projets locaux.

M. Dominique Reynié a estimé que les maires, qui constituaient l'essentiel du « panel » interrogé, percevaient la décentralisation comme un phénomène sans fin qui était susceptible de les concerner de nouveau à brève échéance. Il a également remarqué que les élus constituaient une population spécifique, puisque de nombreux maires pouvaient également détenir un mandat de conseiller général, en avoir détenu un dans le passé ou envisager d'en détenir un à l'avenir et que, de ce fait, ils pouvaient être particulièrement sensibles à l'évolution de la situation des autres collectivités. De plus, de nombreux projets étant menés en commun, il pouvait en résulter une inquiétude quant au financement de leurs futurs projets.

M. Rémy Pointereau a considéré que la décentralisation devait être considérée plus comme une chance que comme un handicap. Il a estimé que les compétences supplémentaires accordées aux collectivités territoriales avaient permis de renforcer la proximité et d'améliorer la qualité de la gestion locale. Il a considéré, toutefois, qu'il était nécessaire de faire toute la transparence sur la non-compensation de certaines charges transférées en observant qu'il existait des différences persistantes entre les données fournies par la direction générale des collectivités locales du ministère de l'Intérieur et celles évoquées, par exemple, par le conseil général du Cher. Il a cité l'exemple des dotations relatives au revenu minimum d'insertion (RMI) qui, selon le conseil général du Cher, auraient tendance à diminuer sensiblement en 2007.

Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente du comité d'experts, représentant l'Association des maires de France, a considéré que la décentralisation concernait d'abord les départements qui avaient été particulièrement demandeurs de transferts de compétences, au contraire des régions. Elle a estimé que la décentralisation ne touchait qu'indirectement les communes, « par ricochet », lorsque celles-ci voyaient remise en cause la contribution des conseils généraux au financement de leurs propres projets, au motif que ceux-ci devaient faire face à une augmentation de leurs charges. Elle a observé qu'il existait un problème propre aux petites communes rurales, qui souffraient d'un manque de moyens administratifs.

M. Adrien Gouteyron a déclaré que la crainte des maires relevait plus d'une inquiétude pour l'avenir que d'une réalité présente. Il a confirmé, cependant, que les dépenses relatives aux compétences récemment transférées étaient particulièrement dynamiques. Il s'est interrogé sur le fait de savoir si l'étude avait permis d'expliquer pourquoi les élus locaux nourrissaient une crainte vis-à-vis de la région, qui pourrait essayer d'exercer une tutelle sur leur propre collectivité.

En réponse, M. Dominique Reynié a relevé qu'il existait sans doute, dans les résultats du sondage, des éléments d'explication, mais que ces derniers n'avaient pas encore pu faire l'objet d'un traitement complet. Il a toutefois indiqué que la crainte évoquée par l'orateur pouvait être l'expression d'un malaise consécutif au retrait de l'Etat et au sentiment d'isolement que pouvaient ressentir certains maires de petites communes rurales.

M. Alain Vasselle a déclaré qu'il partageait l'ensemble des analyses qui avaient été exprimées jusqu'alors et qu'il ressentait également parmi les maires de son département un sentiment de malaise et une préoccupation. Il a expliqué notamment que la région Picardie et le conseil général de l'Oise avaient annoncé une révision de leurs engagements en faveur des projets portés par les petites communes et que les délais pour obtenir des financements s'étaient accrus. Il a déploré que la présence de l'Etat se réduise au niveau local et que les collectivités territoriales soient maintenant obligées de rémunérer l'Etat en contrepartie de certaines prestations, notamment celles réalisées par les services de l'Equipement. Il a expliqué que cette évolution pouvait amener les petites communes à limiter leurs projets. Il a également fait part de sa préoccupation face au fait que certains employeurs devenaient de plus en plus réticents à accorder des autorisations d'absence sans retenue de salaire dans la journée à leurs salariés détenteurs de mandats exécutifs locaux. Il a évoqué la perspective d'indemniser les employeurs sur le mode des pompiers volontaires.

M. François Fortassin a relevé que, depuis une quinzaine d'années, le personnel du conseil général des Hautes-Pyrénées avait été multiplié par trois, ce qui occasionnait des coûts en termes de locaux notamment. Il a évoqué également la question du transfert des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS), en indiquant qu'il avait signé une convention avec les chefs d'établissements, mais qu'il ne disposait d'aucun moyen de s'assurer de sa bonne application. Il a également noté que le personnel du conseil général qui gérait le dispositif RMI-RMA dans son volet « revenu minimum » n'était pas formé pour s'occuper du volet « insertion », qui nécessitait d'entretenir des relations avec les entreprises.

M. Charles Josselin a évoqué les relations institutionnelles entre les collectivités. Alors que le sondage révèle une certaine crainte par rapport à un risque de tutelle régionale, il a interrogé M. Dominique Reynié sur le point de savoir si cette crainte était le reflet de la sensibilité politique des élus et si elle dépendait de la taille de leur collectivité. Il a ensuite noté que certaines régions développaient des relations avec les communes ou les intercommunalités, qui peuvent parfois contourner les départements. Enfin, a-t-il conclu, l'impression de « nasse financière » ressentie par les élus pose la question du recentrage des collectivités sur leurs compétences propres.

M. Dominique Reynié a répondu que, sous réserve d'un examen plus approfondi des résultats du sondage, aucune connotation politique n'apparaissait dans la crainte exprimée par de nombreux élus vis-à-vis d'un risque de tutelle par les régions. En ce qui concerne la taille des collectivités, les petites communes sont confrontées à des problèmes de financement et peuvent avoir le sentiment que certaines structures sont dominantes par rapport à d'autres. Par ailleurs, a-t-il ajouté, malgré certaines études ponctuelles, les Français sont globalement très favorables à la décentralisation, car elle leur permet de mieux contrôler l'action publique. En ce sens, le recentrage des compétences sur quelques blocs identifiés poserait des difficultés, car les citoyens ne sont pas à même de distinguer entre l'action des différentes collectivités et il y a nécessairement une pression sur le niveau de collectivité qui leur est le plus proche.

En évoquant le projet de loi en cours de discussion sur la réforme de la protection juridique des majeurs, M. Michel Mercier a dénoncé la multiplication des lois qui confient régulièrement de nouvelles compétences aux collectivités territoriales. Il a estimé que la spécialisation des collectivités, obligées de se concentrer sur quelques compétences majeures (l'aide sociale pour les départements, le ferroviaire pour les régions), allait à l'encontre de la clause de compétence générale héritée de la loi du 10 août 1871. Cependant, a-t-il ajouté, le poids des opinions publiques contrecarre ce repli sur soi et va maintenir le besoin de financements croisés. M. Michel Mercier a également regretté l'absence de marge de manoeuvre des collectivités dans leur action quotidienne ; par exemple, a-t-il relevé, le ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille vient d'annoncer aujourd'hui une augmentation de 17,7 % du taux horaire pour l'aide aux handicapés, sans concertation avec les collectivités concernées. Il a aussi estimé que la liberté de gestion des collectivités était largement entravée par l'absence de maîtrise et de visibilité de l'évolution des salaires et traitements de la fonction publique. M. Michel Mercier a considéré ainsi que ces rigidités étaient contraires à l'esprit de la décentralisation et qu'il était nécessaire de donner de vraies responsabilités aux élus locaux.

M. Jean Arthuis a évoqué la « gouvernance publique » en France, qui tente d'allier bonne gestion et générosité sociale. Ainsi, les gestionnaires locaux augmentent rarement leurs taux d'imposition, ce qui fait peser la pression sur les échelons intermédiaires dans des proportions qui deviennent difficilement supportables. Il est donc nécessaire, a-t-il souligné, de réfléchir collectivement à l'amélioration de la « gouvernance », pour éviter la dichotomie entre les gestionnaires qui peuvent paraître généreux et ceux qui doivent appliquer des dispositions sans disposer de marges de manoeuvre.

A l'issue de ce débat, M. Jean Puech a donné la parole à M. Yves Fréville, en sa qualité de membre du comité d'experts, pour aborder la deuxième partie de la rencontre, consacrée aux aspects financiers de la décentralisation.

M. Yves Fréville a d'abord souligné que le système des finances locales était réformable malgré son ancienneté, une réforme ayant d'ailleurs eu lieu entre 1970 et 1975. Il a ensuite indiqué qu'un premier sujet de préoccupation en ce domaine concernait, à l'échelon global, les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales.

D'une part, le taux de croissance des dépenses locales est très supérieur à celui des dépenses de l'Etat, même après la correction nécessaire pour prendre en compte les transferts de compétences aux collectivités territoriales. Or, l'ensemble des administrations publiques étant soumises aux contraintes de Maastricht qui impliquent une diminution globale du besoin de financement public, l'Etat pourrait imposer ces contraintes aux collectivités territoriales. D'autre part, les transferts de compétences sont financés de façon instantanée, sans garantir qu'à des dépenses dynamiques soient associées des recettes dynamiques, d'autant que les raisons de la mise en place de tel ou tel mécanisme de compensation sont rapidement oubliées et que de plus en plus de compensations d'impôts disparaissent dans la dotation globale de fonctionnement (DGF).

M. Yves Fréville a ensuite présenté ses observations sur les rapports de M. Philippe Valletoux au nom du Conseil économique et social (« Fiscalité et finances publiques locales : à la recherche d'une nouvelle donne ») et de M. Pierre Richard (« Solidarité et performance - Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales »). Il a ordonné sa présentation autour de deux grands axes : d'une part les déterminants de la dépense et des recettes, d'autre part les mécanismes de régulation du système.

En ce qui concerne tout d'abord les dépenses locales, M. Yves Fréville a évoqué le rapport Richard à propos de l'analyse de l'exercice des compétences de chaque collectivité en termes de coûts et non plus seulement de dépenses. Il a rappelé qu'une telle analyse, pratiquée au Royaume-Uni ou en Australie, permettait, en établissant un référentiel commun, d'apprécier les performances de gestion des collectivités. Cette méthode peut conduire à diminuer une dotation versée à une collectivité, lorsqu'il apparaît que l'exercice de la compétence concernée n'est pas suffisamment performant. Une telle approche suppose une analyse très poussée, établissant par exemple le coût de prise en charge d'un élève de lycée ou d'un bénéficiaire du RMI.

M. Yves Fréville a également approuvé la proposition du rapport Richard de limiter la prolifération des financements croisés. Il lui a paru nécessaire, en particulier, de supprimer les cofinancements entre l'Etat et les collectivités territoriales, les cofinancements Etat/Région fournissant un bon exemple d'un mode de financement des investissements, dont le fonctionnement est insatisfaisant et qu'il convient de réformer.

Dans le domaine des recettes, M. Yves Fréville s'est d'abord interrogé sur la possibilité de créer de nouvelles assiettes d'impôts locaux, estimant qu'il était difficile, dans le contexte d'une économie de services à l'échelle internationale, de fixer des assiettes localisées, même régionales. Il lui a donc semblé logique que M. Valletoux n'ait pu mentionner qu'un seul impôt de ce type : la vignette automobile, qui est localisable et correspond bien aux compétences départementales de gestion de la voirie. M. Yves Fréville a par ailleurs noté qu'un impôt sur la téléphonie mobile était difficilement envisageable, les ondes n'étant pas localisables.

Commentant l'autre voie abordée par le rapport Valletoux pour apporter de nouvelles recettes fiscales aux collectivités, à savoir l'attribution d'une partie d'un impôt d'Etat, M. Yves Fréville a tout d'abord évoqué l'hypothèse d'un impôt partagé sur la consommation. A cet égard, il a observé que, bien que la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ait fait l'objet, de manière imparfaite, d'une localisation, il était impossible de localiser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

M. Yves Fréville a ensuite examiné la possibilité de partager un impôt assis sur le revenu. Le rapport Valletoux évoque en effet la création de centimes additionnels à l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), qui seraient destinés aux régions, et de centimes additionnels à la contribution sociale généralisée (CSG), au profit des départements. M. Yves Fréville a déclaré ne pas être favorable à l'attribution aux régions de cette part de l'IRPP, dans la mesure où la redistribution ne doit pas être une compétence locale. En outre, la décentralisation d'une part de l'IRPP favoriserait la région parisienne de manière telle qu'il serait nécessaire d'établir un mécanisme de péréquation très lourd. Enfin, la mise en place d'une CSG locale semble impossible compte tenu du contexte politique, social et syndical actuel et de l'organisation de la sécurité sociale. A ce propos, M. Yves Fréville a insisté sur la nécessité de mener un débat en début de loi de finances sur le partage des ressources entre l'Etat, les collectivités territoriales et la sécurité sociale.

M. Yves Fréville a ensuite abordé la seconde partie de son intervention sur le problème des modes de régulation proposés par les rapports Richard et Valletoux, en soulignant tout d'abord la nécessité d'un bon fonctionnement du « marché politique», qui rend l'élu responsable de ses dépenses devant le contribuable local. Ce bon fonctionnement, solidaire de celui de la décentralisation dans son ensemble, ne peut perdurer que s'il existe une corrélation entre l'augmentation des dépenses et l'augmentation des impôts, ressentie par le contribuable. Or, les deux rapports font dans ce domaine des propositions fortes, quoique difficiles à mettre en oeuvre.

Il s'agit, en premier lieu, de la suppression du « coin fiscal », c'est-à-dire des dégrèvements fiscaux, l'Etat s'étant substitué à certains contribuables pour le paiement d'une part croissante des impôts locaux lorsque ces impôts étaient jugés trop lourds. M. Yves Fréville a souligné que ce problème, qui trouve, selon lui, son origine dans l'absence de mise en oeuvre de la réforme des bases cadastrales, avait distendu le lien entre les dépenses et les impôts. Dès lors, il a approuvé la proposition des deux rapports de supprimer ces dégrèvements, en soulignant toutefois l'extrême complexité d'une telle réforme du fait de la grande inégalité territoriale dans le partage des bénéfices du « coin fiscal », les communes les plus pauvres n'étant pas nécessairement celles qui bénéficient du plus de dégrèvements. Cette inégalité suppose en effet, en cas de réforme, des périodes de transition très difficiles à mettre en oeuvre vis-à-vis des contribuables, ce que les rapports n'évoquent, selon lui, pas suffisamment. Or, le report de la réforme accroît toujours davantage la difficulté de sa mise en oeuvre.

M. Yves Fréville a jugé que, de manière générale, la solution du problème de la fiscalité locale ne résidait pas dans une plus grande autonomie fiscale ou financière, mais dans la constitution d'un panier d'impôts locaux efficaces, même si ces impôts représentent un volume de ressources moins important qu'aujourd'hui et si par conséquent les dotations de l'Etat sont plus importantes.

M. Yves Fréville a ensuite abordé le problème, traité par les deux rapports, de la spécialisation des impôts locaux, en relevant que le rapport Valletoux préconisait l'attribution d'un impôt foncier à chaque niveau de collectivités, cette attribution permettant de préserver le bon fonctionnement du « marché politique ». Ainsi M. Valletoux propose-t-il de diviser la taxe sur le foncier bâti en deux parts : le foncier bâti des ménages bénéficierait aux communes et à leurs groupements et le foncier bâti des locaux d'entreprise bénéficierait aux départements.

M. Yves Fréville a cependant noté que si la distinction entre les usines et les logements des ménages était claire, il n'en allait pas de même pour une part non négligeable du foncier bâti, dont les commerces et les bureaux. En outre, dès lors que la taxe professionnelle bénéficie de plus en plus aux EPCI sous forme de taxe professionnelle unique, nombreuses sont les communes qui n'acceptent l'implantation d'entreprises que parce qu'elles espèrent de nouvelles recettes de taxe sur le foncier bâti. Dès lors, cette nouvelle répartition des impôts locaux ne lui a pas semblé souhaitable.

M. Yves Fréville a ensuite brièvement évoqué la liberté de vote des taux, en soulignant que celle-ci serait nécessairement de plus en plus restreinte. En effet un impôt moderne implique que la fourchette des taux soit de plus en plus restreinte.

Enfin, M. Yves Fréville a abordé le problème de la péréquation en notant d'emblée que le sens même de la péréquation était devenu obscur malgré son inscription dans la Constitution. Il a noté que la pratique du Comité des finances locales consistait à s'appuyer sur un nombre limité d'indicateurs tels que le nombre de logements sociaux, la longueur de la voirie, la densité de population, les allocations logement, le revenu, sans chercher à affiner ces indicateurs pour améliorer leur pertinence. En outre, il a rappelé que la péréquation verticale avait été mise en oeuvre en additionnant les diverses dotations sans qu'il soit procédé à une évaluation de ce que chaque territoire reçoit au total. Or les systèmes de garantie, visant à préserver les revenus fiscaux antérieurs des collectivités lorsqu'un impôt est supprimé, ont conduit à bloquer les réformes et à figer des avantages parfois contestables. En effet, s'il est logique d'assurer une compensation l'année de la réforme pour préserver l'équilibre des budgets locaux, il l'est moins de pérenniser cette compensation pendant plusieurs décennies. M. Yves Fréville a estimé que ce problème devrait être pris en compte dans le cadre de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

M. Yves Fréville, en guise de conclusion, a commenté deux études graphiques effectuées par lui et présentant les résultats du calcul de la somme des dotations reçues par les collectivités dans un cadre spatial. La première étude montre qu'à l'échelle départementale, les principaux bénéficiaires de la DGF sont, d'une part, les départements les moins peuplés, et, d'autre part, les départements les plus peuplés, notamment ceux de la région parisienne. La population compte ainsi globalement pour 60 % dans l'attribution effective de la DGF. M. Yves Fréville a souhaité que ces résultats soient prolongés par une étude approfondie.

Son deuxième graphique a tendu à illustrer une étude, effectuée à l'échelle des agglomérations, qui établit que les grandes agglomérations, dont l'agglomération parisienne, sont les premières bénéficiaires de la DGF, ce qui est un héritage de l'ancienne taxe locale sur le chiffre d'affaires. M. Yves Fréville a remarqué que le système des dotations et des péréquations aboutissait ainsi à favoriser Paris, dont les taux de fiscalité étaient très modérés.

M. Yves Fréville a souligné que toute réforme impliquait une connaissance précise de la situation des collectivités. Or, si l'information macroéconomique et l'information sectorielle sont bonnes, la connaissance des disparités locales est très faible et menace de faire échouer toute réforme.

Sur la question des ressources des collectivités territoriales, M. Jean Arthuis a estimé que si l'on choisissait de retenir une part additionnelle à un impôt d'Etat, il faudrait renoncer à un impôt progressif ; par ailleurs, il a relevé que la cotisation sociale généralisée (CSG) n'était actuellement « localisable » que par « employeur » et devait pouvoir l'être par le domicile du contribuable. Il a estimé, en second lieu, qu'il y avait une contradiction flagrante entre l'autonomie financière des collectivités et la péréquation. Si la généralisation des dotations de l'Etat ou la spécialisation des impôts peuvent être envisagées, le foncier bâti, qui est particulièrement « localisable », doit rester la base de l'imposition. En troisième lieu, M. Jean Arthuis a jugé que l'ensemble des dotations de l'Etat devait être mis sur la table, pour assurer la transparence des débats, alors même qu'existent en France des injustices importantes entre collectivités. C'est pour cela, a-t-il souligné, que la base de données de simulation financière que le Sénat souhaite développer est totalement justifiée.

M. Michel Mercier a jugé, à son tour, essentiel pour le Sénat de pouvoir disposer de chiffres irréfutables, lorsque sont discutées les relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Mme Jacqueline Gourault a également souhaité assurer le Sénat dans son rôle de « maison des collectivités territoriales» et s'est interrogée sur les propositions du rapport de M. Pierre Richard visant à confier encore plus de prérogatives au Comité des finances locales.

M. Alain Vasselle a insisté sur la nécessité de clarifier les recettes fiscales affectées respectivement à l'Etat, aux collectivités territoriales et à la sécurité sociale : la création d'une éventuelle CSG pour les collectivités territoriales ne doit pas entraîner de confusion entre les différentes institutions, afin d'assurer la lisibilité et la crédibilité du dispositif.

M. Alain Guengant, membre du comité d'experts, a indiqué que l'Etat avait défini un indicateur de performance, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), pour évaluer l'impact de la péréquation. Actuellement, cet indicateur porte sur la période 1994-2001, mais la loi de finances pour 2008 devrait contenir une évaluation sur la période 2002-2007. Bien que cette évaluation ne soit pas individuelle, mais globale pour l'ensemble des collectivités, les chiffres « collectivité par collectivité » existent et pourraient être publiés et étudiés. Cet indicateur, a-t-il relevé, montre une lente montée en puissance de la péréquation et la question est maintenant de savoir si la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) décidée en 2004 renforcera cette évolution.

M. Jean Arthuis a cependant relevé l'importance des mécanismes de garantie, qui rendent sans effet la plupart des dispositifs de péréquation.

M. Yves Fréville a notamment évoqué le problème de la légitimité du comité des finances locales et de sa capacité d'expertise. De plus, au-delà de la nécessaire fusion entre les instruments d'observation des finances locales du ministère de l'Intérieur et du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, il a jugé naturel que le Sénat puisse disposer de son propre outil d'analyse. Plus particulièrement, M. Yves Fréville a insisté sur la nécessité de travailler sur la période de transition, lors du passage d'un système à un autre.

M. Luc-Alain Vervisch, membre du comité d'experts, a évoqué le problème de la « CSG départementale ». Il a indiqué que le rapport de M. Philippe Valletoux traitait principalement du taux de cette cotisation, mais peu de l'assiette. Or, a-t-il souligné, l'assiette pose des problèmes de disparités entre départements, ainsi que des problèmes de critères. Par ailleurs, il a appelé de ses voeux l'ouverture d'un débat sur la création d'un impôt national lié aux télécommunications, car certains éléments d'un tel impôt doivent pouvoir être localisés.

M. Dominique Hoorens, membre du comité d'experts, a rappelé que le but des rapports n'était pas de fournir des solutions clef en main, mais de proposer des axes de réflexion. Il a ensuite souligné que toute réforme effectuée dans un but défini aurait forcément un résultat inverse pour telle ou telle collectivité en raison de la disparité des situations, même si l'Etat peut neutraliser en partie cet effet à l'aide des dotations. Un des principaux problèmes à résoudre est cependant celui de l'effet de toute réforme sur chaque contribuable, et non pas seulement sur chaque collectivité.

M. Yves Fréville a ensuite estimé qu'une des raisons de l'échec final de la commission Fouquet sur la taxe professionnelle était la concentration des services dans les grandes agglomérations, ce qui rendrait une nouvelle assiette sur la valeur ajoutée très concentrée dans celles-ci, et supposerait donc une péréquation massive.

M. Jean Arthuis a, pour sa part, récusé l'idée d'un nouvel impôt sur les entreprises assis sur la valeur ajouté. Outre les difficultés de calcul que celui-ci engendrerait, il serait préjudiciable aux entreprises dans un contexte d'hyper-concurrence internationale. Il a estimé que le « pacte républicain » devrait plutôt être refondé sur un nouvel impôt supporté par le citoyen.

Suivi du transfert de compétence du revenu minimum d'insertion aux départements - Examen du rapport

Puis l'Observatoire a procédé à l'examen du rapport de M. Michel Mercier sur le suivi du transfert du revenu minimum d'insertion (RMI) aux départements.

M. Michel Mercier, rapporteur, a déclaré en préambule que le RMI était devenu le point focal où se nouent les relations Etat /collectivités territoriales, et il a affirmé qu'alors que l'économie repartait, le nombre de bénéficiaires du RMI ne diminuait pas et qu'ainsi le problème restait entier.

Il a abordé, dans un premier temps, la question financière, et plus particulièrement la question de la compensation offerte par l'Etat ; il a signalé que les départements considéraient qu'il manquait un milliard d'euros et que l'Etat, de son côté, continuait à faire savoir qu'il avait fait plus que ce à quoi il était contraint par la loi ; il a reconnu que ces deux positions étaient justifiées et défendables, et qu'effectivement l'Etat était intervenu d'abord ponctuellement, mais aussi sur le moyen terme grâce au fonds d'indemnisation. Toutefois, M. Michel Mercier, rapporteur, a déploré que le problème ne soit pas encore résolu et il a souligné qu'il convenait d'envisager de nouvelles solutions.

Sur le plan financier, il a jugé que la théorie classique de la décentralisation, qui veut que l'Etat compense à hauteur de ce que la compétence transférée lui coûtait exactement au moment du transfert, ne pouvait plus jouer dans le cas du RMI, puisque chaque année l'Etat, unilatéralement, accroît la charge du RMI pour les départements en augmentant unilatéralement le niveau de l'indemnité servie (près de 7 % en quatre ans).

M. Michel Mercier, rapporteur, s'est alors interrogé sur le fait de savoir si le transfert du RMI, compétence sociale, pouvait être considéré comme un acte de décentralisation, dans la mesure où les marges de manoeuvre du département dans ce domaine sont nulles, ce qui ramène cette collectivité au rang de simple prestataire de service ; il a fait remarquer que c'est l'agent de la caisse des allocations familiales qui accorde le RMI et calcule l'indemnité, puisqu'il s'agit d'une indemnité différentielle. En outre, il a déploré que l'accès aux données essentielles nécessaires au calcul ne soit pas satisfaisant, ce qui entraîne des fraudes et des erreurs. Il a estimé qu'à partir du moment où la prestation était traitée de la même façon partout en France, il ne pouvait plus s'agir de décentralisation.

M. Michel Mercier, rapporteur, a appelé de ses voeux des marges de manoeuvre plus grandes pour le département, tout en reconnaissant qu'il y avait déjà eu des progrès sensibles et qu'entre autres choses, la collaboration avec l'ANPE était particulièrement efficace. Cependant, il a rappelé que l'un des enjeux essentiels était de faire en sorte que les bénéficiaires du RMI soient traités de la même façon que les autres demandeurs d'emploi, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui.

Il a conclu en rappelant que la situation financière restait déséquilibrée en dépit des efforts récents du gouvernement et qu'il fallait donner la responsabilité de la gestion complète du RMI au département. Il a demandé plus de pouvoirs et plus de responsabilités car, pour lui, le département doit avoir un rôle d'incitation et d'insertion.

M. Yves Fréville a souligné les disparités spatiales qui affectent la population bénéficiaire du RMI : certains départements ne voient pas augmenter le nombre de bénéficiaires et d'autres, au contraire, connaissent des croissances brutales (+ 48 % dans les départements de l'Est du pays).

M. Michel Mercier, rapporteur, a expliqué que le nombre de bénéficiaires du RMI avait augmenté essentiellement à cause de la réforme de l'assurance chômage, la diminution de la période indemnisée ayant entraîné un transfert vers le RMI.

M. Jean Arthuis a reconnu que, d'une manière générale, le nombre de bénéficiaires du RMI diminuait, mais qu'on assistait à une migration de RMIstes vers les contrats aidés encore plus coûteux pour le département que le RMI et il s'est interrogé sur l'existence de statistiques sur ce point problématique.

M. Michel Mercier, rapporteur, a regretté qu'il n'y ait pas de statistiques, mais il a reconnu que le problème se posait et qu'effectivement les contrats aidés étaient plus lourds à financer.

M. Jean Puech, président, a soumis le rapport à l'approbation de l'Observatoire, qui l'a adopté à l'unanimité.