Mercredi 21 février 2007

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Audition de M. Denis Mollat, président, et M. Jean-Louis Doublet, directeur général du Cercle de la Librairie

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Denis Mollat, président, et M. Jean-Marie Doublet, directeur général du Cercle de la Librairie.

M. Jacques Valade, président, a indiqué à titre liminaire que la commission avait décidé de mettre à profit la pause dans ses travaux législatifs pour lancer une réflexion sur les problèmes du livre et de l'édition, qui débouchera sur la publication d'un rapport d'information.

M. Denis Mollat a rappelé que le Cercle de la Librairie avait été fondé en 1847 par Antoine Firmin-Didot, sur le modèle des Cercles qui, au 19è siècle, permettaient de réunir les professionnels appartenant à une branche d'une profession.

Il a précisé qu'étaient aujourd'hui adossés au Cercle, d'une part, l'hebdomadaire de la profession, « Livre hebdo » ainsi qu'une société anonyme, « Electre », qui emploie plus de 60 personnes et qui a notamment pour vocation de tenir la base de données bibliographiques du même nom, utilisée par les bibliothèques et les éditeurs.

Il a ajouté qu'un investissement de 2,5 millions d'euros était actuellement consacré à une refonte de la base « Electre », qui sera achevée à la fin de l'année 2007, pour lui permettre d'optimiser ses coûts de production.

Il a estimé que l'arrivée du numérique apportait déjà un certain nombre d'outils favorables au développement du livre et que les menaces qu'elle faisait peser sur ce secteur n'étaient pas pour l'instant comparables à celles frappant d'autres domaines comme la musique, la presse ou le cinéma.

Il a considéré, en effet, que le piratage ou la copie de fichiers numériques ne présentait pas les mêmes avantages dans le domaine de la musique ou de la vidéo, et dans celui de l'écrit, et plus particulièrement de la littérature, où le livre conserve un fort avantage en termes de facilité d'emploi et d'agrément de lecture. Il a nuancé son propos en indiquant que les différents domaines de l'édition n'étaient, au demeurant, pas tous à l'abri de ces menaces. Si la littérature, la fiction et les essais sont dans l'ensemble épargnés, le segment des guides de voyages est en revanche déjà fortement touché par la concurrence des sites en ligne tenus par des voyageurs.

Il a ajouté que les ouvrages relatifs à l'informatique étaient également touchés, les utilisateurs confrontés à des difficultés ponctuelles ayant tendance à chercher les solutions à leurs problèmes sur des sites en ligne plutôt que dans d'épais manuels.

Le troisième secteur menacé est celui du droit, de nombreux juristes préférant recourir à des bases en ligne régulièrement réactualisées plutôt qu'à de gros ouvrages papier dans lesquels il faut insérer des mises à jour. Il a indiqué, qu'à contrario, la littérature pour la jeunesse, les bandes dessinées et les mangas se portaient très bien.

Un débat a suivi l'exposé de M. Denis Mollat.

M. Jacques Valade, président, a demandé des précisions sur la situation du livre d'art et Mme Monique Papon sur celle du livre scolaire. M. Jacques Valade, président, a rappelé, qu'en matière de livre scolaire, les communes, bientôt suivies par les départements et maintenant par les régions, tendaient de plus en plus à mettre les livres scolaires à la disposition des élèves, rappelant que ces pratiques suscitaient une certaine inquiétude au sein du Syndicat national de l'édition. Il a souhaité savoir quelle était la proportion du chiffre d'affaires de l'édition que représentait le livre scolaire.

M. Ivan Renar a rappelé que les cérémonies de distribution des prix auxquelles on procédait autrefois étaient souvent l'occasion, pour les milieux modestes, de se familiariser avec le livre. Il a demandé à M. Denis Mollat s'il serait favorable à la reprise de cette pratique.

M. Jack Ralite, faisant état d'une récente réunion organisée par « Livre hebdo », a relevé que le principal problème auquel était aujourd'hui confronté le secteur du livre tenait à l'irruption de nouveaux acteurs, comme « Amazon », et à de nouveaux modes de diffusion du livre, qui risquent de fragiliser les librairies indépendantes, déjà affectées par la hausse de l'immobilier, notamment à Paris. Il a estimé que, face au développement du numérique, les librairies devraient se regrouper pour proposer un site de commande de livres en ligne. Il a considéré, cependant, que rien ne pouvait remplacer le contact physique avec le livre en librairie et a craint que les circuits de distribution ne deviennent tout puissants au détriment des éditeurs et des libraires.

Il a évoqué, ensuite, les considérations qui ont conduit la mairie d'Aubervilliers à racheter un espace pour y créer la librairie « Les mots passants » qu'elle a ensuite confiée à deux libraires salariés : alors que les habitants de la commune ne disposaient jusqu'alors que de points de vente de journaux proposant un nombre très restreint de livres, la création de cette librairie leur avait permis d'accéder à la diversité.

Celle-ci est, en outre, devenue un commerce-pilote qui crée une véritable animation en centre-ville et dont le succès est prouvé par l'augmentation régulière de son chiffre d'affaires depuis cinq ans.

M. Jacques Legendre a souhaité savoir comment évoluaient les rapports entre les librairies, d'une part, et les bibliothèques et médiathèques municipales de l'autre.

Il a déploré, ensuite, la raréfaction des librairies familiales au profit des librairies à succursales multiples qui vendent également d'autres produits culturels au risque d'une certaine banalisation et d'une pénalisation du livre.

M. Jacques Valade, président, a demandé si la vente de livres constituait une activité rentable pour les grandes surfaces ou si celle-ci ne constituait, en quelque sorte, pour elles, qu'un produit d'appel.

M. Ivan Renar a rappelé l'impact positif qu'avaient eu les campagnes de presse lancées il y a quelques années en faveur du développement de la lecture. Estimant qu'il fallait exalter le plaisir du livre et du texte, il a cité également une initiative tendant à apprendre à des jeunes gens à écrire des poèmes d'amour, et qui avait fait évoluer dans un sens très positif les rapports entre les jeunes garçons et filles. Il a souhaité également des précisions sur le succès de la bande dessinée.

M. Louis Duvernois a rappelé que le livre, produit culturel, était aussi un produit industriel. Il a demandé si le numérique avait des conséquences sur l'économie de production du livre, et souhaité des précisions sur l'importance des invendus dans ce secteur.

M. Jacques Valade, président, a souhaité savoir si certains auteurs arrivaient encore à vivre de leur plume. Il a demandé si les nouvelles technologies ne facilitaient pas le recours à de petits tirages supplémentaires. Il a également cité en exemple une initiative lancée par plusieurs municipalités, tendant à attribuer aux écoliers des bons d'achat leur permettant d'acheter les livres de leur choix.

En réponse aux différents intervenants, M. Denis Mollat et M. Jean-Marie Doublet ont apporté les précisions suivantes :

- la situation du livre d'art est bonne et le support papier a toujours les préférences à la fois du monde de l'architecture et des amateurs de photographies et d'arts plastiques, qui lui restent fidèles ;

- le livre scolaire a un statut particulier par rapport à l'ensemble du secteur du livre qui est encadré à la fois par la loi sur le prix unique du livre de 1981 et par la loi qui a institué le prêt payant en bibliothèque ;

- le monde de l'édition scolaire porte actuellement une attention assez inquiète à certaines expériences qui conduisent à remplacer le livre par des ordinateurs et des logiciels et où l'appel d'offre se fait non plus auprès de l'éditeur, mais auprès du concepteur du logiciel ; le secteur de l'édition scolaire représente une forte proportion -de l'ordre de 30%- du chiffre d'affaires de l'ensemble du secteur de l'édition ;

- les cérémonies de distribution des prix, comme toutes les initiatives qui peuvent contribuer à la diffusion du livre, sont positives et doivent être encouragées ; malgré les efforts qui ont été entrepris pour renforcer l'attrait du livre chez les jeunes, ceux-ci ont cependant tendance à lire moins de livres qu'avant ; mais on note un essor de la lecture des journaux gratuits ;

- les librairies, pas plus qu'aucun autre commerce, ne peuvent échapper à leur compte d'exploitation ; la hausse des prix de l'immobilier les pénalise en effet en France comme dans d'autres pays d'Europe et cette situation a conduit les collectivités locales, en Allemagne, à racheter des locaux pour y installer des librairies dans des conditions économiques plus favorables, car elles considèrent que les librairies permettent de créer du lien social ; celles-ci constituent bien souvent des « agora » en centre-ville, dont il faut refuser la disparition ; la loi de 1981 sur le prix unique du livre prévoyait de réglementer les marges autorisées aux librairies à partir d'un volet quantitatif facile à appliquer et d'un volet qualitatif qui n'a jamais été véritablement pris en compte ; la masse salariale représente un poste d'exploitation important dans le budget d'une librairie : environ 12 % en moyenne du chiffre d'affaires hors taxe, voire 22 % pour certaines librairies de qualité, alors qu'elle n'est que de 9 % dans un magasin comme la FNAC ;

- les villes, qui ont de grandes bibliothèques municipales, sont également des villes riches en librairies, car il y a des synergies entre ces deux types d'établissements, les chaînes de librairie définissant en toute liberté leur stratégie ; quant aux bibliothèques indépendantes, on peut se réjouir qu'elles n'aient pas disparu, contrairement aux disquaires ; la vente de livres est une activité rentable pour les grandes surfaces et ces grands magasins se sont taillé une part importante du marché ;

- les librairies peuvent envisager, avec succès, une certaine diversification de leur activité, par exemple en vendant des disques classiques, qui s'apparentent aux rayons « Beaux arts » ;

- les ventes de bandes dessinées augmentent actuellement de 15 % par an ;

- les actions en faveur du public scolaire sont très positives et la pratique des bons d'achat distribués aux écoliers par les communes devrait être développée, car elle contribue à créer des liens entre les enfants et les livres ;

- depuis plusieurs années, les tirages moyens ont tendance à baisser, et pour compenser cette tendance, les éditeurs augmentent le nombre de livres qu'ils proposent au public ; l'augmentation du nombre de romans publiés, qui a atteint 650 titres en 2006, témoigne certes de la vitalité de la création, mais se traduit par d'incontestables difficultés sur le plan économique, certains livres ne parvenant pas à se vendre ;

- une dizaine d'auteurs seulement vivent en France de leur plume ;

- le taux de retour des invendus s'établit autour de 25 % ; contrairement à la Grande-Bretagne, où les éditeurs se sont dotés, avec le système « book scan », d'un procédé qui leur permet de savoir précisément, au jour le jour, combien d'exemplaires de leurs livres ont été vendus, les éditeurs français connaissent uniquement le nombre de livres qui ont été fournis aux librairies, mais non ceux qui ont été effectivement vendus au consommateur final ; le système britannique a permis de réduire de 12 points les taux de retour ;

- les tirages offset en noir et blanc deviennent rentables à partir de 5 ou 600 exemplaires et le tirage en plus petit nombre d'unités ne peut présenter un intérêt que pour des livres anciens ou très rares ; pour les tirages à l'unité, la consultation payante en ligne est une meilleure solution.

Audition de M. Bertrand Cousin, membre du bureau du Syndicat national de l'édition (SNE), auteur d'un mémorandum sur la présence du livre français dans les pays francophones du Sud

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Bertrand Cousin, membre du bureau du Syndicat national de l'édition (SNE), auteur d'un mémorandum sur la présence du livre français dans les pays francophones du Sud.

M. Bertrand Cousin a rappelé qu'il avait été chargé par le Syndicat national de l'édition de la réalisation d'un mémorandum sur la présence du livre français dans les pays francophones du Sud, cette réflexion s'inscrivant dans un contexte marqué par la publication de plusieurs rapports - le rapport sur la stratégie d'action culturelle de la France à l'étranger de M. Louis Duvernois, qui avait pointé un certain nombre de carences dans le système culturel français de l'étranger, puis celui présenté par M. Hubert Astier en juin 2005 - et, en 2006, par les débats relatifs à la convention sur la diversité culturelle et ceux tenus dans le cadre de l'« Année de la francophonie ».

M. Bertrand Cousin a précisé que le mémorandum répondait à l'inquiétude qu'inspire au Syndicat national de l'édition la diminution des exportations de livres français dans les pays francophones du Sud.

Il a indiqué que les exportations de livres français en direction de l'Afrique francophone ne s'élevaient qu'à une trentaine de millions d'euros par an, tout comme les exportations en direction du Maghreb, chiffres qu'il convenait de mettre en regard des 300 millions d'euros d'exportations en direction des pays du Nord. Il a estimé que les raisons de ce déclin étaient tout d'abord d'ordre politique et tenaient à la situation de ces pays, dont les économies sont désorganisées et les circuits commerciaux peu fiables. Il a rappelé que l'Afrique noire était principalement concernée par le marché du livre scolaire, qui constitue un paramètre essentiel dans le maintien et le développement de la francophonie. Il a observé que ce marché était très largement tributaire des appels d'offres qui sont lancés par la Banque mondiale, déplorant que celle-ci fasse preuve d'une attitude d'incompréhension et de défiance à l'égard de la France. Il a regretté que la Banque mondiale ait tendance à considérer la diffusion du livre français en Afrique francophone comme une forme de prolongement de l'ancienne influence coloniale et tende à favoriser les éditeurs canadiens ou belges au détriment des éditeurs français. Il a estimé, en revanche, que la compagnie française d'assurances pour le commerce extérieur (COFACE) jouait pleinement son rôle et allait parfois au-delà de sa gestion prudentielle pour soutenir les exportations de livres français.

Tout en souscrivant aux grands axes de la politique d'éducation pour tous, tracée par la Banque mondiale, il a cependant regretté que le dialogue avec cette institution soit aussi difficile. Il a indiqué qu'il avait pris contact avec l'administrateur français de la Banque mondiale pour organiser des ateliers de travail destinés à sensibiliser cette institution à ces problèmes.

Abordant ensuite les systèmes d'aide européens, il a estimé qu'ils étaient largement inopérants du fait de la complexité des procédures et a déploré que les sommes importantes qui sont consacrées par l'Union à son action en faveur du développement négligent le secteur du livre et de l'édition, car ils ne répondent pas aux critères actuels. Il a souhaité que le Gouvernement français fasse évoluer ces critères pour leur permettre de prendre en compte les actions d'alphabétisation et d'éducation.

Tout en se réjouissant de la réforme des institutions de la francophonie autour de l'organisation internationale de la francophonie (OIF), il a cependant déploré que cette politique ne se dote pas des moyens appropriés aux objectifs qu'elle se propose. Sans sous-estimer le succès géopolitique qu'a constitué la signature de la convention de l'Unesco sur la diversité culturelle, il a regretté les reculs qu'enregistre cette politique dans beaucoup de domaines, qu'il a attribués à un certain éparpillement des actions et à l'éclatement des institutions administratives. Il a indiqué que le mémorandum reprenait un certain nombre de propositions formulées par le rapport Astier et le rapport Duvernois, qu'il avait complétées par un certain nombre de préconisations relatives aux contraintes et aux perspectives propres au monde de l'édition.

Un débat a suivi l'exposé de M. Bertrand Cousin.

M. Jacques Valade, président, s'est alarmé de l'excès d'autonomie dont jouissent souvent les services culturels à l'étranger, souhaitant que l'autorité des ambassadeurs sur ces derniers soit clairement réaffirmée.

M. Jacques Legendre a estimé que les propos tenus par M. Bertrand Cousin fournissaient une nouvelle illustration de l'incapacité de la France à avoir un bon pilotage de sa politique en faveur de la francophonie. Il a constaté, en effet, que la défense internationale de la langue française n'était en pratique au coeur des préoccupations ni du ministère des affaires étrangères, ni du ministère délégué chargé des affaires européennes, ni du ministère délégué chargé de la coopération, qui est d'abord tourné vers l'Afrique. Il a estimé, en conséquence, qu'il convenait de confier à une autorité politique unique tous les éléments de cette politique de la francophonie, qui est actuellement éclatée entre plusieurs ministères.

M. Jacques Valade, président, a relevé, à cet égard, que la francophonie en tant que telle avait disparu de l'architecture de la loi organique relative à la loi de finances (LOLF).

M. Louis Duvernois a observé que les problèmes dénoncés par M. Bertrand Cousin dans le domaine du livre et de l'édition se retrouvaient à l'échelle de l'ensemble de la politique en faveur de la francophonie qui ne dispose pas d'une stratégie conséquente.

M. Jacques Valade, président, a estimé que la France ne devait pas se mettre à la remorque d'autres pays dans la conduite d'une politique de défense de la langue française, où elle a une responsabilité éminente.

En réponse aux différents intervenants, M. Bertrand Cousin et M. Jean-Guy Boin, directeur général du bureau international de l'édition française, ont apporté les précisions suivantes :

- il existe une centaine de libraires qui vendent des livres français dans les pays du Sud francophone ; ils jouent un rôle essentiel dans le maintien de la francophonie ; il convient, en conséquence, de les aider à remédier aux difficultés qu'ils rencontrent, en contribuant notamment à leur formation et à leur équipement informatique ;

- la bonification à l'exportation accordée par les pouvoirs publics français a malheureusement été neutralisée par les droits de douane imposés par certains pays ;

- des efforts doivent être également engagés par le monde de l'édition, les professionnels du livre ayant trop tendance à se constituer en organismes jaloux de leur autonomie ; à cette fin, un comité de pilotage a été récemment mis en place pour améliorer la coordination entre un certain nombre d'organismes : le bureau national de l'édition française, le centre d'exportation du livre français, la centrale de l'édition et la commission internationale du syndicat national de l'édition ; des représentants des différentes administrations concernées (affaires étrangères, culture, Agence française de développement), auxquels s'ajoute l'organisation internationale de la francophonie, y participent également ;

- les pouvoirs publics n'ont pour l'instant pas encore réagi à la publication du mémorandum et il conviendra de mettre à profit la nomination d'un nouveau Gouvernement pour lancer un vrai programme de travail débouchant sur l'adoption de mesures sans lesquelles la présence de la langue française dans les pays francophones du Sud risquerait à l'avenir d'être fortement compromise ;

- le français est la deuxième langue traduite dans le monde ; 480 titres sont ainsi chaque année traduits en chinois ;

- il convient de respecter la pluralité du monde du livre et de l'édition, qui comporte des segments aussi variés que le livre scolaire, le livre d'érudition, la philosophie, la cuisine et l'art de vivre.