MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LE FONCTIONNEMENT DES DISPOSITIFS DE FORMATION PROFESSIONNELLE

Mercredi 7 mars 2007

- Présidence de M. Jean-Claude Carle, président. -

Audition de M. Jean-Claude Quentin, secrétaire confédéral chargé de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'assurance chômage de la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO)

La mission d'information a d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Claude Quentin, secrétaire confédéral chargé de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'assurance chômage de la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO), accompagné de MM. Christophe Couillard et Youcef Tayeb, assistants confédéraux.

M. Jean-Claude Quentin a rappelé, au préalable, la nécessité de distinguer les formations professionnelles initiale et continue, faisant observer que la formation continue relevait de l'incitation, et non pas de l'obligation. A cet égard, la notion de « salarié-acteur » est fondamentale, notamment en vue de réduire les inégalités d'accès à la formation.

Puis il a centré la réflexion sur la formation professionnelle autour de cinq mots-clés : anticipation, professionnalisation, personnalisation, mutualisation et contractualisation.

Il a d'abord relié la notion d'anticipation aux enjeux de l'orientation des jeunes et des adultes vers des formations qui soient en adéquation avec les besoins du marché du travail. Il a regretté que les travaux réalisés par le Centre d'analyse stratégique sur les métiers à l'horizon 2015, ainsi que par les observatoires prospectifs des métiers et qualifications créés dans le cadre de l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2003, ne soient pas plus largement diffusés.

Il a indiqué, ensuite, que la volonté de rééquilibrer la formation continue par rapport à la formation initiale, qui a le tort de spécialiser les jeunes de façon trop précoce, a conduit au développement de la notion de professionnalisation, matérialisée par la mise en place des contrats et des périodes de professionnalisation. Il a rappelé qu'une femme non qualifiée travaillant dans une entreprise de moins de dix salariés a 25 fois moins de chances d'accéder à une formation qu'un homme cadre travaillant dans une entreprise de plus de 500 salariés.

Puis il a insisté sur l'importance de la personnalisation des formations, à travers la mise en oeuvre du droit individuel à la formation (DIF), du bilan de compétences et de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Il a souhaité que la VAE ne reste pas seulement statique, en certifiant les compétences acquises, mais s'inscrive dans une dynamique de promotion sociale et professionnelle. Au sujet du DIF, M. Jean-Claude Quentin a considéré que l'idée de « consomm-acteur » conduirait les salariés faisant usage de leur droit, a fortiori en dehors du temps de travail, à se montrer plus exigeants à l'égard de la formation reçue.

Il a considéré, ensuite, que la logique de mutualisation sera essentielle pour que le DIF puisse devenir transférable. Cette possibilité pour le salarié de faire usage au-delà du contrat de travail en cours du droit attaché au DIF, acquis dans le cadre de ce contrat, pourra être envisagée si le DIF fonctionne.

Relevant, enfin, l'empilement des dispositifs actuels, M. Jean-Claude Quentin a insisté sur l'importance de la contractualisation. Il s'agit de faire travailler ensemble, au niveau d'un territoire et notamment de la région, les différents partenaires intervenant dans le domaine de l'insertion et de la formation professionnelles. Il a appelé de ses voeux la constitution d'un conseil paritaire, qui serait l'interlocuteur des conseils généraux pour la politique d'insertion, avant de noter qu'il revient aux régions de structurer l'offre de formation. Insistant sur la nécessité de garantir une certaine proximité des formations, il a suggéré de mieux valoriser le rôle des groupements d'établissements (Gréta) dans le système de formation professionnelle continue, en leur reconnaissant un véritable statut juridique et en prenant appui sur le réseau des établissements scolaires.

Soulignant, en outre, le nombre élevé et les problèmes de gestion des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), il a souhaité aller jusqu'au bout de la réflexion qui avait été engagée au moment de la loi quinquennale de 1993, en vue de favoriser les regroupements destinés à susciter des économies d'échelle, tout en conservant, néanmoins, une forme d'émulation contrôlée entre ces organismes et en veillant, dans le cadre de l'agrément, à ce qu'ils puissent fournir un service de proximité, par le biais de délégations régionales.

Enfin, il a regretté que les négociations entre les partenaires n'aient pu aboutir à rééquilibrer le poids des territoires par rapport à celui des branches, actuellement trop prégnantes dans le domaine de la formation professionnelle.

A l'issue de cette intervention, M. Jean-Claude Carle, président, s'est interrogé sur les moyens d'améliorer la prévision des besoins en formation, de façon à dépasser la logique d'offre prédominant en formation initiale comme continue.

Insistant sur la nécessité d'identifier, notamment au niveau de la région, les besoins de compétences transversales, c'est-à-dire transférables d'un emploi à un autre, M. Jean-Claude Quentin a suggéré de consolider, au niveau national, les travaux des observatoires des branches, estimant que le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq) pourrait être chargé de cette tâche.

M. Bernard Seillier, rapporteur, a demandé si un premier bilan des nouveaux dispositifs de formation issus de l'accord national interprofessionnel de 2003 avait été établi par les partenaires sociaux, et si l'information sur ces dispositifs auprès des salariés était jugée suffisante et satisfaisante. Il a souhaité savoir, par ailleurs, si la mise en place du DIF avait contribué à relancer le dialogue social au sein de l'entreprise. Relevant les critiques de l'intervenant à l'égard de l'articulation entre les branches et les territoires, il a sollicité son avis, de façon plus générale, sur les relations entre l'Etat, les régions et les partenaires sociaux dans le pilotage du système de formation professionnelle. Puis il s'est interrogé sur les moyens, d'une part, d'améliorer l'accompagnement à la reconversion et à la mobilité professionnelles des salariés, d'autre part, d'infléchir la tendance selon laquelle la formation va aux plus qualifiés. Enfin, il a souhaité connaître la position de l'intervenant à l'égard du développement des formations en ligne.

M. Christophe Couillard, assistant confédéral, a répondu que l'accord national interprofessionnel de 2003 a prévu une évaluation à cinq ans et que la commission paritaire nationale de la formation professionnelle a mis en place, à cet effet, une instance de suivi de l'application de l'ANI. Par ailleurs, Force ouvrière (FO) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) animent un groupe de travail paritaire. S'il est encore trop tôt, dans cette phase de lancement des dispositifs, pour en établir un véritable bilan, l'objectif est d'aboutir d'ici à la fin de l'année 2007 à une évaluation du DIF et de son financement.

M. Youcef Tayeb, assistant confédéral, a ajouté que 200 sessions d'information sur l'accord national interprofessionnel ont été organisées pour les militants.

En complément, M. Jean-Claude Quentin a apporté les précisions suivantes :

- une brochure de présentation des nouveaux dispositifs de formation a été diffusée à 20 000 exemplaires par FO, de même que deux millions de dépliants sur le DIF ; les 100 unions départementales du syndicat ont organisé des sessions d'information ; de fait, le niveau d'information des salariés peut être jugé satisfaisant, à l'exception toutefois des salariés des plus petites entreprises ;

- l'un des objectifs du DIF était de permettre une relance du dialogue social au sein des entreprises, notamment dans le cadre de l'entretien professionnel annuel sur les besoins de formation des salariés ; toutefois, cet aspect n'est pas encore suffisamment valorisé ; un risque serait que le DIF dérive vers un substitut au plan de formation, ce qui n'est pas sa vocation ;

- les inégalités d'accès à la formation sont fortes, en effet, en fonction des catégories socioprofessionnelles ; le DIF devrait permettre d'inverser cette tendance ;

- il faut être prudent à l'égard du « e-learning », qui doit être proposé avec un accompagnement pour de pas susciter de nouvelles inégalités ; par ailleurs, celui-ci s'apparente plus souvent à de l'information commerciale qu'à de la véritable formation continue ;

- dans l'objectif de renforcer la sécurisation des parcours professionnels et l'aide à la reconversion des salariés, il convient d'abord de mieux coordonner les dispositifs existants et de combler les éventuelles carences avant d'inventer autre chose, comme une « sécurité sociale professionnelle » ; les enjeux d'avenir portent notamment sur la mise en place d'un système de mutualisation permettant de garantir collectivement des droits acquis dans le cadre du contrat de travail et attachés à la personne ; la transférabilité du DIF pourrait ainsi intéresser le nouvel employeur, au lieu de constituer un frein à l'embauche ; une autre idée pourrait consister à maintenir pendant un an, en cas de plan social, les contrats de travail des salariés de l'entreprise concernée et de ses sous-traitants, et de mettre cette durée à profit pour reclasser les salariés ; le coût de cette mesure serait d'environ 0,3 % de la masse salariale, en partie compensé par les économies réalisées sur l'assurance chômage.

Audition de M. Jean-Michel Roulet, président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)

La mission d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Michel Roulet, président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

M. Jean-Michel Roulet a indiqué que les observations de la Miviludes concernant le secteur de la formation professionnelle étaient essentiellement fondées sur les plaintes ou signalements faits généralement par les familles des victimes soit directement auprès de la mission interministérielle, soit auprès des associations de défense des victimes, soit encore par l'intermédiaire d'élus locaux. Au niveau des entreprises, les signalements proviennent aussi des syndicats, car le sujet fait l'objet d'un parfait consensus entre les partenaires sociaux, dans la mesure où il s'agit de la défense des individus, de leur liberté et de leur dignité. Ceci justifie d'ailleurs pleinement l'intervention de l'Etat et du Parlement.

La mission a constaté, au cours des dernières années, selon son président, la présence d'une dérive sectaire dans le secteur de la formation professionnelle, liée notamment à la manne financière drainée et à l'évolution de la demande de formations qui, initialement d'ordre technique, s'est déployée vers le « développement personnel » et « l'adéquation des personnes à l'évolution de l'emploi ». Sont ainsi apparus des formateurs « du troisième type », avec des méthodes issues de la psychologie, de la psychanalyse, de l'ésotérisme, des soins curatifs « new age ».

En ce qui concerne les techniques permettant à ces formateurs d'entrer sur le marché, M. Jean-Michel Roulet a détaillé le scénario consistant à répondre, dans un premier temps, à un appel d'offres lancé par une grande entreprise pour une formation relative au « développement personnel » des collaborateurs. Au départ, la réponse du fournisseur de formation est à la fois de qualité et d'un coût peu élevé. La société fait alors état de sa satisfaction auprès du formateur, qui utilise cette première étape comme « carte de visite » pour prospecter de plus petites entreprises ne disposant pas des mêmes moyens de contrôle, et auxquelles il propose d'autres formations, accompagnées, le cas échéant, de « modules » pour les week-ends ou le soir, avec des méthodes plus « douteuses ». Le but est de soumettre les personnes formées à l'emprise mentale du formateur et de leur soutirer des financements pour la secte. Le nombre des « méthodes » ainsi utilisées, recensées par les renseignements généraux (RG), est passé en quelques années de 80 à 200 et aucune zone du territoire ne semble épargnée.

M. Jean-Michel Roulet a indiqué qu'actuellement une simple déclaration suffisait pour se faire enregistrer en tant que formateur. Sur l'ampleur du phénomène, s'il y a peu de plaintes, les signalements se comptent par dizaines.

Il a relevé également le cas d'entreprises entièrement contrôlées par des adeptes de sectes et qui reversent une partie importante de leurs revenus, obtenus par des formations très chères, à leurs « gourous ».

Pour les alerter sur ce problème, la mission a envoyé un millier de courriers aux chambres consulaires et aux chambres économiques, en leur demandant de signaler les cas et d'évaluer le risque. Un bilan des réponses sera dressé dans les dix prochains mois.

M. Jean-Michel Roulet a enfin insisté sur le fait que le développement de la dérive sectaire a réellement eu lieu avec le passage de formations techniques à des formations axées sur le développement personnel, formations qui ont été sous-traitées hors de l'entreprise, avec des résultats qui ne sont pas mesurables.

M. Jean-Claude Carle a demandé quelles étaient les préconisations de la mission pour lutter contre cette dérive sectaire.

M. Jean-Michel Roulet a indiqué plusieurs axes :

- la sensibilisation, au niveau régional, des entreprises grâce à la multiplication des réunions ;

- un rapprochement avec le ministère compétent, qui travaille à la mise en place de moyens de contrôle accrus, notamment au niveau de la procédure de déclaration des formateurs ;

- l'information des entreprises sur le fait qu'elles ont intérêt à consulter la Miviludes dès qu'il y a doute (offres de formation assorties de mots très « savants » et de références internationales extravagantes)...

En revanche, M. Jean-Michel Roulet s'est montré sceptique sur l'opportunité d'une nouvelle loi, en suggérant plutôt l'adaptation du dispositif réglementaire.

Il a également précisé que, pour l'instant, une seule condamnation a été prononcée, malgré les nombreuses plaintes déposées, notamment pour abus de confiance dans le cadre de la loi du 12 juin 2001, dite loi About-Picard.

Mme Isabelle Debré a noté l'importance du rôle des associations de défense des victimes et de leurs familles.

M. Jean-Michel Roulet a précisé qu'il existe dans chaque préfecture un correspondant « sectes » et qu'une réunion annuelle est organisée sur le sujet.

M. Bernard Seillier, rapporteur, l'a ensuite interrogé sur l'existence éventuelle d'un lien entre le stress des cadres et le développement sectaire, ainsi que sur l'impact financier de ce phénomène.

M. Jean-Michel Roulet a noté que la manipulation mentale, identifiable en fonction d'une douzaine de critères, est au fondement de la dérive sectaire. La recherche de performances conduit à « toucher » au plus profond de l'identité des personnes, et des conséquences très graves peuvent en résulter. Tout ceci justifie pleinement l'action de l'Etat. Il a également estimé qu'environ 10 % des dépenses de formation professionnelle sont détournés au profit de sectes.

Mme Annie David a demandé s'il était possible d'améliorer le fichage de ces sectes pour les empêcher de nuire.

M. Jean-Michel Roulet a mentionné l'évolution juridique très importante engagée depuis 1995, date de l'affaire de l'Ordre du temple solaire, tout en notant la difficulté de suivre un paysage sectaire en constante évolution.