Mardi 27 mars 2007

- Présidence de M. Gérard Bailly, président du groupe d'études « Elevage ».-

Elevage ovin - Audition de M. François Prevost, administrateur principal à la commission européenne pour l'organisation du marché des produits animaux et analyses économiques à la direction générale « agriculture », accompagné de Mme Ave Schank, administrateur

La commission a procédé, dans le cadre du rapport d'information sur l'élevage ovin, à l'audition de M. François Prevost, administrateur principal à la commission européenne pour l'organisation du marché des produits animaux et analyses économiques à la direction générale « agriculture », accompagné de Mme Ave Schank, administrateur.

M. François Prevost a tout d'abord procédé à une présentation du marché européen de la viande ovine et du positionnement de la France en son sein. Cette dernière, a-t-il précisé, représente 10 % du cheptel communautaire, 11 % de la production, 19 % de la consommation, 17 % des exportations et 56 % des importations, la filière ovine française étant donc très largement dépendante des pays tiers. Depuis 1982, le cheptel ovin français ne cesse de s'effriter, tout comme celui du Royaume-Uni depuis quelques années. L'agneau est, sur le marché européen, le plus cher de tous les types de viandes, l'agneau lourd (supérieur à 13 kg) français ayant les prix les plus élevés. Un quart des exploitations ovines françaises compte moins de 200 têtes. La Nouvelle-Zélande représente 80 % des importations de l'Union européenne. 23 % des importations européennes de viande ovine sont constituées de frais, contre 72 % de surgelé.

L'organisation commune de marché (OCM) « Viandes ovine et caprines» est peu développée : elle comprend des mesures de paiement à la tête, de communication de prix, de standardisation des carcasses et de sécurisation sanitaire, mais aucun mécanisme de restitution ou d'intervention. Les paiements directs, c'est-à-dire les primes à la brebis et à la chèvre, ont été réformés par le règlement « Paiement unique », qui a autorisé -option choisie par la France- le maintien de leur couplage à la production à hauteur de 50 %. Il serait opportun d'étudier, a estimé M. François Prevost, si l'ensemble des fonds communautaires mis à disposition de notre pays est utilisé et si un découplage total ne serait pas plus avantageux.

MM. Gérard Bailly et François Fortassin, rapporteurs, ont souligné les effets négatifs du système des droits à paiement unique (DPU). Indépendants des productions réalisées comme des surfaces exploitées, ils risquent selon eux d'entraîner une réduction du cheptel et des territoires de pâture.

Après avoir rappelé l'importance financière du soutien européen aux filières ovine et caprine, une somme d'1,5 milliard d'euros, pas moins, ayant été dépensée à ce titre depuis 2000, M. François Prevost s'est demandé s'il ne faudrait pas soutenir davantage l'activité de berger et mobiliser de façon plus ferme les mesures proposées dans le cadre du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), relatif au développement rural.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a insisté sur l'importance des coûts de production pesant sur les éleveurs ovins, réduisant substantiellement la rentabilité de la viande ovine au regard d'autres productions, animales comme végétales.

Citant l'exemple de son département des Hautes-Pyrénées pour réfuter l'existence d'un manque de bergers, M. François Fortassin, rapporteur, a estimé que les difficultés de la filière provenaient du niveau élevé des frais de structure, pénalisant fortement les éleveurs. Il a également stigmatisé l'accroissement de l'écart entre des prix à la production stables depuis vingt ans et des prix à la consommation ne cessant d'augmenter, préconisant par ailleurs de valoriser davantage l'aspect environnemental de l'élevage ovin, qui permet d'éviter les friches.

M. François Prevost a fait observer le rôle capital de l'image pour le consommateur, regrettant que l'agneau soit souvent mal présenté et peu valorisé dans les étalages des distributeurs. Il a, par ailleurs, souligné que la Nouvelle-Zélande et l'Australie avaient utilisé 98 % de leurs contingents d'exportation à droits zéro vers l'Union européenne en 2006.

M. François Fortassin, rapporteur, s'est alarmé du différentiel de prix à la production entre agneaux français et néo-zélandais, les premiers étant au moins deux fois plus chers que les seconds. Il l'a attribué au caractère très fortement extensif de l'élevage néo-zélandais, où les exploitations comptent couramment plusieurs milliers de têtes.

M. François Prevost a fait état de perspectives inquiétantes pour la filière ovine européenne à l'horizon 2013, un fléchissement de la production et de la consommation s'opposant à une augmentation des exportations. Il a suggéré de davantage mettre en avant la qualité des productions européennes, en utilisant notamment les signes de valorisation communautaires, tels que l'appellation d'origine protégée (AOP), l'indication géographique protégée (STG), la spécialité traditionnelle garantie (STG) et l'agriculture biologique.

M. François Fortassin, rapporteur, a objecté le manque de connaissance de ces signes, tant par les commerçants détaillants que par les consommateurs, ainsi que la faiblesse quantitative de la production ainsi valorisée.

Partageant ce constat, M. François Prévost a appelé à mieux utiliser le soutien communautaire à la promotion, faisant l'objet d'un cofinancement entre l'Union européenne, les Etats membres et les professionnels. Précisant que la France était le troisième pays membre à faire appel à ces fonds, tant en termes budgétaires qu'en nombre de programmes, il a rappelé que la filière ovine serait concernée par le bilan de la PAC prévu pour 2008 et a conseillé de mieux utiliser les financements disponibles plutôt que de revendiquer leur revalorisation.

M. Gérard Bailly, rapporteur, a déploré de voir des éleveurs abandonner leur profession en raison de son manque de rentabilité, en dépit de leur haute technicité et du niveau élevé des prix. Il voit dans la réduction des charges des éleveurs la principale solution à la crise de la filière.

Notant que les consommateurs cherchaient à acheter au moindre prix et rappelant la cherté de la viande d'agneau, M. Gérard Le Cam a appelé à baisser son prix de vente. Préconisant l'utilisation des surfaces en jachère, il a, par ailleurs, suggéré l'obtention d'une compensation européenne pour la filière ovine.

M. François Prevost a exprimé son pessimisme à cet égard, tout en convenant de la nécessité de mieux exploiter les espaces naturels qu'offre notre pays pour l'élevage.

M. François Fortassin, rapporteur, a estimé que la disparition des marchés forains avait préjudicié aux éleveurs et profité aux intermédiaires, entraînant une baisse des prix à la production, et non à la consommation.

Mme Adeline Gousseau a regretté le manque de soutien à la promotion et à la consommation de viande ovine, ce dont a convenu M. François Prevost.

Elevage ovin - Audition de M. Jean-Paul Bigard, président de la société Bigard, et de M. Philippe Alazard, directeur du site de Bigard Castres

La commission a ensuite entendu M. Jean-Paul Bigard, président de la société Bigard, et M. Philippe Alazard, directeur du site de Bigard Castres.

M. Jean-Paul Bigard a indiqué que la société Bigard avait été le dernier grand opérateur industriel à avoir réalisé des investissements importants dans la filière ovine, en restaurant, à Castres, un abattoir capable de traiter 300.000 à 400.000 bêtes par an. Il a précisé que son groupe ne traitait que des animaux français, et qu'il travaillait avec les grandes zones de production au niveau régional, même si 80 % de l'approvisionnement provenait des Pyrénées. Estimant la variable « prix » essentielle dans l'acte d'achat, il a indiqué que si certains distributeurs se plaçaient sur des marchés de niche et commercialisaient des produits de qualité supérieure, l'essentiel de la viande ovine vendue en France provenait aujourd'hui de pays tiers. La Nouvelle-Zélande, notamment, dispose d'avantages comparatifs substantiels, en exportant des agneaux préparés, c'est-à-dire sans selle ni crosse, au prix de l'agneau carcasse français.

M. Philippe Alazard a souligné l'accélération des mouvements de restructuration sur les petites exploitations ovines.

A M. Gérard Bailly, rapporteur, qui lui demandait comment améliorer la compétitivité de l'agneau français, M. Jean-Paul Bigard a répondu que les écarts étaient trop importants avec l'agneau néo-zélandais pour chercher à le concurrencer, notamment durant les périodes de fête (Pâques, Noël ...), où il est exporté en très grande quantité. Il a en revanche vu dans les délais de transport -jusqu'à 30 jours- et de consommation -jusqu'à 90 jours- des viandes fraîches de pays tiers des éléments de fragilisation.

M. François Fortassin, rapporteur, a préconisé une meilleure information du consommateur sur l'origine et la date d'abattage des marchandises commercialisées, ajoutant que l'obligation portant sur le premier élément n'était souvent pas respectée et devait être appliquée systématiquement.

M. Jean-Paul Bigard a approuvé, tout en indiquant qu'il était difficile de valoriser les signes de qualité, malgré la survenance récente de crises sanitaires, et que les distributeurs cherchaient à substituer, à un étiquetage précisant le pays ou le territoire d'origine, un étiquetage mentionnant la simple origine européenne du produit. Il a rapporté la récente décision de l'interprofession ovine de soutenir le marché de l'agneau de façon globale, quelle que soit son origine (y compris non française), tout en réalisant un effort particulier pour les produits de niche.

M. Philippe Alazard a vu dans le développement de marchés restreints en volume, mais de qualité supérieure et tout au long de l'année, la seule solution pour l'agneau français.

M. Gérard Bailly, rapporteur, s'est étonné de ce que la production ovine soit beaucoup moins rentable que toutes les autres productions agricoles, et que la viande ovine française soit parmi les plus chères de l'Union européenne.

M. Jean-Paul Bigard a fait état de l'abandon progressif par nombre de producteurs mixtes, bovins et ovins, de leur production ovine. Soulignant le coût élevé de l'abattage des ovins et la dévalorisation des peaux, il a jugé que l'agneau relevait d'une tradition française qu'il faudrait sauvegarder.

M. René Beaumont s'étant interrogé sur la rentabilité respective des productions viande et lait, M. Philippe Alazard a répondu que la filière laitière se valorisait beaucoup mieux que la filière viande, les éleveurs laitiers étant plus jeunes et mieux formés. M. Jean-Paul Bigard a approuvé, ajoutant que la viande ovine était peu rémunératrice si elle n'était pas valorisée en tant que telle après l'avoir été pour son lait, et que l'Espagne, comme la France, réduisait très fortement sa production.

A M. Gérard Bailly, rapporteur, qui l'interrogeait sur le système de traçabilité, M. Jean-Paul Bigard a indiqué que la réglementation en matière ovine était calquée sur celle existant pour la filière bovine, bien que l'amortissement des coûts qu'elle engendrait était beaucoup plus difficile sur les moutons, du fait du poids très inférieur des carcasses valorisables.

A M. François Fortassin, rapporteur, qui se demandait dans quelle mesure la réglementation concernant le mouton ne pourrait pas être calquée sur celle du poulet, M. Jean-Paul Bigard a indiqué qu'il ne lui semblait pas opportun de certifier l'origine de chaque animal, dès lors que celle du troupeau était renseignée. Il a, par ailleurs, déploré que la réglementation nationale interdise de traiter les têtes de mouton françaises, alors que celles provenant d'autres pays pouvaient l'être.

M. Philippe Alazard a fait mention de la création de groupements d'intérêt économique (GIE) associant la société Bigard à des groupements de producteurs ovins afin de sécuriser l'approvisionnement en viande ovine française.

A M. Gérard Bailly, rapporteur, qui l'interrogeait sur une éventuelle stabilisation des cours, M. Philippe Alazard a précisé que la baisse de concert de la production et de la consommation y contribuait effectivement.

M. Gérard Bailly, rapporteur, ayant exprimé son inquiétude vis-à-vis des conséquences d'un possible découplage total, et du soutien que semblaient y apporter certains fonctionnaires français dans les instances européennes, M. Jean-Paul Bigard a souscrit à ses propos, ajoutant qu'une telle évolution de l'organisation commune de marché (OCM) réduirait la production et augmenterait le niveau des prix. Il a fait observer que les éleveurs américains bénéficiaient de soutiens bien supérieurs à leurs homologues européens, et s'est dit choqué de ce que certains producteurs français aient profité de primes communautaires avant d'arrêter leur activité. Il a estimé que des productions animales à 5 ou 6 euros le kilo, telles que l'agneau ou le veau, étaient extrêmement difficiles à valoriser.

M. Gérard Bailly, rapporteur, ayant fait état d'un paradoxe associant une diminution de la production nationale à une augmentation massive des importations, M. Jean-Paul Bigard l'a expliqué par le manque de compétitivité des productions françaises.

M. François Fortassin, rapporteur, a pointé un autre paradoxe opposant une viande ovine très chère à la consommation, mais dont le prix à la production n'avait pas évolué depuis vingt ans.

M. Philippe Alazard a souligné la nécessité d'un rééquilibrage entre les aides aux filières bovine et ovine.

Elevage ovin - Audition de M. Jean-Marc Bournigal, directeur général de l'alimentation, et de M. Olivier Mary, chef de division d'administration des services de contrôle sanitaire au ministère de l'agriculture et de la pêche

Enfin, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Marc Bournigal, directeur général de l'alimentation, et de M. Olivier Mary, chef de division d'administration des services de contrôle sanitaire au ministère de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean-Marc Bournigal a tout d'abord précisé qu'il était responsable, au sein du ministère de l'agriculture, d'une direction de nature régalienne gérant des problématiques sanitaires et de traçabilité, plus que de développement économique. Il a ensuite souligné le problème de spécialisation territoriale existant, dans la filière ovine, entre naisseurs, engraisseurs et abatteurs, et donnant lieu à près de 10 millions de déplacements annuels d'animaux, soit quatre fois plus que dans la filière bovine. Il a expliqué cette situation par l'absence de centres d'abattage dans certaines zones territoriales, et précisé qu'elle entraînait un renchérissement des coûts.

Estimant que l'état sanitaire du cheptel français était globalement bon, même si la tremblante faisait encore l'objet d'un programme de lutte, il a souligné l'importance des petites exploitations -50 000 sur 130 000- rendant délicate l'identification des animaux et leur intégration dans des plans sanitaires. Notant que le régime d'indentification des caprins était souvent rapproché de celui des ovins, il a indiqué que l'identification électronique, prévue pour 2008 pour tous les animaux en mesure de se mouvoir, permettrait une identification individuelle des bêtes.

M. René Beaumont s'étant alarmé des complications et des coûts qu'un tel système entraînerait pour les éleveurs, notamment les plus petits, sans que son utilité soit acquise, M. Jean-Marc Bournigal a fait valoir qu'il s'agissait d'une obligation communautaire, que les coûts par tête était faibles, que les unités mixtes pratiquaient déjà l'identification et que l'administration opterait pour le système d'identification ayant les préférences des professionnels, dès lors qu'il permettrait le respect de la réglementation. Ainsi, a-t-il poursuivi, la Fédération nationale ovine (FNO) a souhaité l'élaboration d'une base de données professionnelle et exprimé le désir de commander elle-même les boucles d'identification.

Rappelant que la France produisait les agneaux les plus chers et les moins rentables de l'Union européenne, M. Gérard Bailly, rapporteur, a mis en garde contre un alourdissement de la réglementation pesant sur les éleveurs.

M. Jean-Marc Bournigal a appelé à ne pas sous-estimer la dynamique mise en oeuvre par les professionnels eux-mêmes, qui souhaitent que les données soient collectées et mises à disposition au niveau de l'interprofession. Il a estimé que les trois-quarts des exploitations, qui se sont structurées, seraient intéressés par un tel système d'identification leur permettant d'avoir un suivi statistique précis de la filière.

M. François Fortassin, rapporteur, a suggéré l'inscription obligatoire de la date d'abattage de la viande sur les produits commercialisés, afin que les consommateurs soient informés du fait qu'une viande pouvait être vendue comme fraîche pendant un délai de 90 jours.

L'application d'une telle réglementation à la viande ovine impliquerait son extension à l'ensemble des filières, à l'importation comme à l'exportation, ce qui pourrait porter préjudice à certains producteurs, a prévenu M. Jean-Marc Bournigal. D'autre part, a-t-il souligné, il est déjà possible aujourd'hui de préciser lors de l'étiquetage des viandes leur date d'abattage ; rendre cette prescription obligatoire requerrait une modification des textes communautaires, qui ne serait pas sans soulever de difficultés politiques.

M. François Fortassin, rapporteur, a cité l'exemple de son département des Hautes-Pyrénées, où sont vendus, dans les boucheries, des agneaux de Nouvelle-Zélande, sans que leur provenance soit précisée.

Reconnaissant que la valorisation des productions nationales à des prix plus élevés était un véritable enjeu, M. Jean-Marc Bournigal a jugé qu'une meilleure structuration de la filière serait un moyen indirect d'y contribuer, notamment en renseignant, par des processus d'identification, l'origine, la date, la qualité ou les modes d'élevage. Il a également convenu que la mise en avant des produits frais nationaux et le développement de démarches de certification territoriale pourrait jouer en ce sens. Il a toutefois rappelé que la Commission européenne, et certains Etats membres, avaient une vision très libérale des échanges et ne souhaiteraient sans doute pas qu'une quantité excessive d'informations figure sur les produits. Notant que les aspects « santé » et « fraîcheur » faisaient l'objet d'une considération croissante chez les consommateurs, il a néanmoins souligné que leur faible degré de culture s'agissant de la maturation des viandes, mais également l'inflation d'informations leur étant délivrées, pouvaient faire de la mention de la date d'abattage une mesure à double tranchant.