Mercredi 9 janvier 2008

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Droit d'auteur - Audition de M. Denis Olivennes, président de la mission sur la lutte contre le téléchargement illicite et le développement des offres légales d'oeuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Denis Olivennes, président de la mission sur la lutte contre le téléchargement illicite et le développement des offres légales d'oeuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques.

Après avoir salué la qualité des travaux du Sénat à l'occasion de l'examen de la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), M. Denis Olivennes a estimé que ce sujet devait bénéficier d'une certaine « extra-territorialité politique ».

Evoquant les enjeux liés à la lutte contre le « téléchargement pirate », il a souligné la spécificité de la France, qui est l'un des seuls pays au monde à disposer d'une industrie cinématographique, musicale et audiovisuelle puissante, et à enregistrer des niveaux élevés de consommation de biens culturels produits sur son territoire (les parts de marché sont de l'ordre de 50 % pour les films français et de 40 % pour les oeuvres musicales françaises).

M. Denis Olivennes s'est inquiété de la menace grave que fait planer la consommation gratuite des oeuvres sur le financement de la création culturelle. C'est pourquoi, après avoir évoqué la politique industrielle conduite par les Etats-Unis dans le domaine culturel, il a défendu la nécessité de se préoccuper de l'avenir de nos « champions nationaux », qui contribuent à forger notre identité culturelle. Or la France est devenue le « paradis » du piratage, le phénomène ayant concerné, en 2005, l'équivalent de 60 millions d'albums musicaux (provoquant une chute de 40 % du chiffre d'affaires du secteur en 5 ans) et concernant de plus en plus la filière cinématographique.

M. Denis Olivennes a indiqué que les sanctions très lourdes prévues par la loi DADVSI n'étaient pas adaptées au « petit piratage de masse ». Il a précisé qu'après avoir entendu tous les producteurs de contenus, les sociétés de perception et de répartition des droits, les fournisseurs d'accès à Internet (FAI), et avoir étudié les dispositifs mis en oeuvre aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, il avait souhaité qu'un accord soit conclu entre les différentes parties prenantes. Deux atouts - une industrie de l'Internet très innovante et une industrie des contenus très puissante - ont permis une convergence vers les trois mesures - l'une préventive, les autres tendant à stimuler l'offre légale - qui ont fait l'objet d'un accord unanime des producteurs de contenus et des FAI, signé à l'Elysée le 23 novembre dernier :

- la première mesure d'avertissement-sanction est préventive : les pirates repérés se verraient mis sous surveillance par les FAI, au moyen d'un premier avertissement par courriel, puis d'une lettre recommandée avec accusé de réception en cas de récidive. A l'étranger, 90 % des pirates ont cessé leurs pratiques à ce stade. En l'absence de résultat, l'abonnement du titulaire serait suspendu pendant 15 jours puis, le cas échéant, résilié ;

- la deuxième mesure tient à l'engagement des constructeurs de matériels de supprimer les verrous numériques qui limitent aujourd'hui l'usage légal des oeuvres achetées, ceci dans un délai d'un an à compter de la mise en oeuvre du mécanisme d'avertissement-sanction ;

- la dernière mesure concerne le raccourcissement, dans le même délai, des fenêtres d'exploitation prévues par la chronologie des médias (il est aujourd'hui de six mois après la sortie d'un film en salle pour les DVD et de sept mois et demi pour la vidéo à la demande), le rapport préconisant un délai de quatre mois.

M. Denis Olivennes a souligné que la mission avait souhaité s'inscrire dans le droit existant et limiter ainsi les modifications législatives nécessaires à la mise en oeuvre du nouveau dispositif. Afin d'assurer la protection des libertés publiques, elle a préconisé de confier ces nouveaux pouvoirs à une autorité indépendante. Il pourrait s'agir, le cas échéant, de l'Autorité de régulation des mesures techniques, créée par la loi DADVSI à l'initiative du Sénat, dont les compétences pourraient être élargies.

Il a avancé plusieurs solutions à cet égard :

- les ayants droit recherchant les infractions pourraient, après obtention de l'autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), apporter une présomption d'infraction à cette autorité indépendante, laquelle enjoindrait le FAI concerné à lancer l'avertissement ;

- l'autorité compétente pour délivrer les sanctions pourrait être soit le juge, soit l'autorité indépendante sous le contrôle du juge.

M. Denis Olivennes a relevé que la France reprendrait, sur le terrain culturel, une position fidèle à ses traditions si elle mettait en place un tel dispositif dans un délai raisonnable. Elle serait ainsi le premier pays à y procéder et serait suivie par d'autres Etats soucieux de protéger leur industrie culturelle.

Un large débat s'est ensuite engagé.

Après avoir rappelé le travail fourni par la commission en matière de protection de la propriété littéraire et artistique à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, M. Jacques Valade, président, a souligné la pertinence des propositions présentées par la mission présidée par M. Denis Olivennes et s'est félicité de ce qu'elles aient recueilli l'adhésion de l'unanimité des acteurs de la filière.

M. Ivan Renar a affirmé que le téléchargement illégal des oeuvres sur internet posait un problème éthique considérable et s'est prononcé pour la mise en oeuvre d'opérations de sensibilisation en direction des parents.

Souhaitant que le rôle du Parlement ne se limite pas à l'adoption des nouvelles sanctions applicables aux contrevenants proposées par la mission « Olivennes », il a appelé de ses voeux la création d'une instance de réflexion parlementaire comparable à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. Jacques Valade, président, a estimé que les propositions de la mission relatives au caractère progressif des sanctions applicables au téléchargement illégal de fichiers numériques et au rôle dévolu à une autorité administrative indépendante dans le processus de sanction constituaient deux avancées notoires.

M. Christian Demuynck s'est déclaré séduit par les idées avancées par M. Denis Olivennes, mais s'est interrogé sur leur faisabilité technique. Il s'est notamment demandé dans quelle mesure les opérateurs techniques pouvaient identifier les personnes téléchargeant illégalement des oeuvres protégées.

Mme Marie-Christine Blandin a rappelé que si la France se situait au premier rang mondial en matière de contrefaçon numérique, elle demeurait moins concernée que d'autres pays par le développement de la contrefaçon matérielle, véritable fléau pour les industries culturelles.

Elle a souhaité connaître les conséquences des modifications législatives envisagées sur le développement des modalités alternatives de distribution des oeuvres utilisées par des artistes tels que les Arctic Monkeys ou Radiohead.

Elle s'est interrogée sur les raisons ayant conduit les associations d'artistes interprètes à ne pas parapher l'accord interprofessionnel réunissant à la fois les secteurs de la musique, du cinéma et des fournisseurs d'accès à internet. Elle a également demandé si les mesures du rapport relatives à la chronologie des médias n'étaient pas susceptibles de mettre en péril une fenêtre d'exploitation des oeuvres aussi fragile que la diffusion en salle.

M. Jean-Marc Todeschini a souhaité connaître les modalités de mise en oeuvre de la suspension d'abonnement internet des contrevenants.

En réponse aux différents intervenants, M. Denis Olivennes a apporté les précisions suivantes :

- les nouvelles mesures législatives proposées tendent à compléter le dispositif répressif mis en place par la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information. Elles établissent un premier niveau dépénalisé visant à dissuader voire, le cas échéant, à sanctionner le piratage occasionnel, notamment des plus jeunes. Ce volet législatif consacré aux sanctions sera accompagné de mesures favorables aux consommateurs visant à développer l'offre légale d'oeuvres numériques ;

- techniquement, les ayants droit sont d'ores et déjà en mesure de rechercher les infractions sur les réseaux numériques eux-mêmes ou par l'intermédiaire de sociétés spécialisées dans ce genre de tâche. Cette recherche est aujourd'hui coûteuse, mais cette situation devrait évoluer, compte tenu de l'automatisation progressive du processus.

Bien que cette idée ait été rapidement écartée par la mission, l'une des principales revendications des ayants droit était de faire participer les pouvoirs publics au financement de ce processus de recherche. Les fournisseurs d'accès ont quant à eux contesté le principe de la suspension provisoire ou définitive de l'abonnement du contrevenant alors qu'ils suspendent régulièrement, de leur propre chef, le contrat de milliers de mauvais payeurs ;

- les artistes qui se sont récemment séparés de leur maison de disques pour utiliser des modalités alternatives de distribution de leurs oeuvres tels que Madonna, Prince ou Radiohead possédaient déjà une extraordinaire notoriété. La vente de disques ne constitue pour eux qu'un revenu accessoire. Il convient par ailleurs d'avoir à l'esprit que le marché du disque est un marché très concentré : alors que les magasins FNAC proposent près de 180 000 références de disques, 60 % du chiffre d'affaires « musique » est constitué par seulement 10 000 d'entre elles ;

- Internet constitue un espace culturel incontestable qui permet de faire connaître un certain nombre d'artistes, mais qui ne permet en aucun cas de rémunérer l'ensemble de la production musicale ;

- la technique de marquage utilisée pour repérer les oeuvres téléchargées illégalement permet de distinguer facilement les oeuvres proposées gratuitement par leurs auteurs et les oeuvres protégées ;

- les sociétés d'artistes-interprètes sont les seules à ne pas avoir signé cet accord. Le plus souvent rémunérés au cachet, les artistes-interprètes ne sont pas titulaires de droit d'auteur et marginalement titulaires de droits voisins. Dans la mesure où cette catégorie d'ayants droit ne touche pas de rémunération proportionnelle au produit de la vente de disques, elle soutient la mise en place d'une licence globale rejetée par l'ensemble du secteur ;

- la salle de cinéma n'est pas menacée par la modification de la chronologie des médias. D'une part, la durée d'exploitation des films en salles est de plus en plus courte et n'atteint jamais la durée de 4 mois proposée par le rapport pour le début de l'exploitation en DVD. D'autre part, il est envisageable de mettre en place un système souple permettant de moduler la date de commercialisation des DVD en fonction du succès rencontré en salles. Toutefois, si la chronologie des médias devait être modifiée, il conviendrait d'ouvrir une réflexion sur les règles de financement du Centre national de la cinématographie ;

- la suspension temporaire de l'abonnement ne devrait pas dépasser 10 jours afin d'éviter que les personnes ainsi sanctionnées puissent contracter un nouvel abonnement chez un autre fournisseur d'accès durant la durée de la sanction ;

- la mise en oeuvre des résiliations d'abonnements des contrevenants aux règles du code de la propriété intellectuelle devra, quant à elle, s'accompagner, pour les mêmes raisons et après accord de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, de la création d'un répertoire national des personnes sanctionnées.

Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion - Désignation de membres

Puis la commission a procédé à la désignation des membres appelés à représenter la commission au sein de la mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Elle a désigné M. André Vallet pour le groupe Union centriste-UDF (UC-UDF), M. Christian Demuynck, Mme Béatrice Descamps, M. Jean-François Humbert et Mme Colette Mélot pour le groupe Union pour un Mouvement Populaire (UMP) et MM. Yannick Bodin et Serge Lagauche pour le groupe socialiste.