Mercredi 9 janvier 2008

- Présidence de M. Robert del Picchia, vice-président.

Défense - Audition du Général Emmanuel Beth, directeur de la coopération militaire et de défense (DCMD) au ministère des Affaires étrangères

La commission a procédé à l'audition du Général Emmanuel Beth, directeur de la coopération militaire et de défense (DCMD) au ministère des Affaires étrangères.

Le Général Emmanuel Beth a tout d'abord indiqué qu'à la suite de l'insatisfaction exprimée par la Commission quant aux informations fournies par le ministère sur la coopération militaire, formulée par le rapport de M. Jean-Guy Branger sur l'action extérieure de l'Etat dans les termes suivants : « La très grande généralité des informations fournies conduit à s'interroger sur, d'une part, la capacité de la DCMD à rendre compte de ses actions, d'autre part, sur l'éventuelle nécessité d'en repenser entièrement le fonctionnement », il a souhaité exposer les actions menées par la direction de la coopération militaire et de défense.

Il a rappelé que la DCMD était issue de la fusion, en 1998, de la mission militaire de coopération de l'ancien ministère de la coopération, compétente pour l'Afrique sub-saharienne, et de la sous-direction de l'aide militaire, rattachée à la direction des affaires stratégiques du ministère des affaires étrangères, qui traitait, quant à elle, de l'ensemble du monde hors Afrique sub-saharienne. La fusion de ces deux entités s'est, par ailleurs, accompagnée d'une plus grande prise en compte des Etats d'Europe centrale et orientale, alors candidats à l'adhésion à l'Union européenne. La DCMD a été rattachée dès sa création à la direction des affaires politiques du ministère des affaires étrangères. Les difficultés originelles de cette insertion, liées notamment à la diminution des crédits, ont progressivement été surmontées et, depuis 2002, l'intégration est satisfaisante. La DCMD est la seule direction du ministère des affaires étrangères dont le directeur est un militaire et le Général Beth a estimé que ce positionnement convenait parfaitement à ses missions.

Il a indiqué que la DCMD comprenait deux sous-directions. Une sous-direction militaire, chargée de l'Afrique sub-saharienne, concentre, en application des directives d'un conseil de défense de 2003, 75 à 80 % des crédits de la direction et une sous-direction dite « de défense », traitant du reste du monde, les vrais besoins de coopération militaire restant aujourd'hui concentrés en Afrique. La DCMD est présente dans 141 pays et dispose de coopérants dans 45 pays. Elle est également dotée d'un département des moyens, d'un bureau des colloques et accords, d'un bureau des survols et escales et d'une cellule de réflexion et d'action multilatérales, cette dernière prenant de plus en plus d'importance.

Le Général Emmanuel Beth a ensuite distingué la coopération structurelle de la coopération opérationnelle, qui relève du ministère de la défense. La coopération structurelle touche à la fois l'amont et l'aval des crises en traitant de prévention des conflits et de sortie de crise. Si la DCMD reste présente au Tchad et au Liban, elle n'effectue pas d'intervention opérationnelle.

Il a rappelé que la mission de la DCMD consistait essentiellement dans la formation des cadres et des élites, dans des missions de conseil et d'audit et, plus marginalement, de soutien aux exportations. Hors d'Afrique, elle pratique davantage une politique d'influence.

Il a souligné l'importance de l'enseignement du français dans la formation, notant la demande de francophonie en matière de paix et de sécurité. Il a cité l'exemple de l'Ethiopie, qui a demandé à ce que tous ses jeunes cadres officiers soient formés en français. Ce champ d'action pourrait encore être développé, mais souffre d'un manque de crédits.

Il a précisé que la DCMD dispensait chaque année 2 500 formations de longue durée, pour moitié en France, et que quelque 27 000 individus étaient concernés par des actions de formation de plus courte durée. Le budget de la DCMD était en 2007 de 106 millions d'euros (avant réserve légale) et de 401 équivalents temps plein. Elle finançait 342 coopérants, en 2007, et 337 en 2008. Il a souligné que si les effectifs en personnel de la coopération militaire avaient été relativement préservés, les crédits d'intervention de la direction enregistraient en revanche une baisse de 15 % entre 2007 et 2008. Il a estimé que la poursuite de cette tendance entraînerait nécessairement la révision du champ d'intervention de la direction. Il a toutefois ajouté que les modes d'action devaient évoluer, notamment par la recherche de partenariats.

Il a détaillé les interventions de la DCMD par zones géographiques et par domaine, l'Afrique en concentrant 78 % et les personnels et la formation, domaines très liés, respectivement 53 et 18 %.

Le Général Emmanuel Beth a considéré que la coopération militaire devait avant tout reposer sur un pilier bilatéral qu'il convenait de préserver, même s'il pouvait être allégé. L'objectif est de nouer une vraie relation de partenariat. Cette relation se prolonge à l'échelle régionale, ce qu'illustre le développement du concept des Ecoles Nationales à Vocation Régionale (ENVR), écoles pilotées par un pays, mais ouverte à un recrutement régional ou continental. La DCMD en finance 14 en Afrique sub-saharienne, principalement en Afrique centrale et en Afrique de l'ouest. Ces écoles couvrent trois domaines : la formation militaire, la formation de spécialité et la formation à la paix et à la sécurité. Dans le domaine de la santé, les Africains disposeront prochainement d'une chaîne de santé complète via les écoles du Niger, du Togo et du Gabon. Ces écoles connaissent un tel succès que 50 % des étudiants en médecine togolais sont aujourd'hui militaires. Il importe par conséquent de mettre ces militaires au service de la population civile dans le cadre d'un service civique par exemple. Dans le domaine de la sécurité intérieure et dans le domaine technique, des efforts importants ont été consentis. Le pôle « paix et sécurité » comprend l'ENVR de Bamako, ouverte à tout le continent africain et à laquelle se sont associés neuf partenaires dont l'Allemagne, le Canada, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Argentine, les Etats-Unis et la Suisse ou encore demain le Japon. L'école de Ouidah, au Bénin, forme, quant à elle, au déminage et à la dépollution, des militaires, mais également les membres d'organisations non gouvernementales, très présentes dans ce secteur. Dans le secteur du déminage, la France dispose d'un savoir-faire à valoriser, dans la mesure où les démineurs français ne font pas exploser les mines, mais les neutralisent. Par ailleurs, l'école d'Awaé au Cameroun qui forme les forces de sécurité devrait se transformer en centre international au profit de l'ensemble du continent africain, l'objectif étant de former 1 500 hommes par an, y compris des unités constituées.

Evoquant les projets de la direction, le Général Emmanuel Beth a indiqué que de nouvelles écoles pourraient s'ouvrir : un collège interarmées de défense, qui pourrait notamment intégrer des officiers français et allemands, une école du génie à Brazzaville, qui intéresse des entreprises privées, ainsi qu'un « IHEDN » africain, placé auprès de l'Union africaine.

Le Général Emmanuel Beth a souligné que des coopérants français étaient placés auprès de l'Union africaine, de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest), de la CEEAC (Communauté économique des Etats d'Afrique centrale) et prochainement auprès de l'IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement). Il a fait état des difficultés du développement du volet Paix et sécurité de la SADC (Communauté pour le développement de l'Afrique australe). La coopération française finance notamment le développement des outils de planification de ces organisations régionales.

Pour ce qui concerne la zone relevant de la sous-direction de la coopération de défense, les projets sont le développement de la coopération en Méditerranée et la poursuite d'une politique d'influence, comme le soutien aux exportations d'armement.

Evoquant en conclusion les perspectives de la DCMD, le Général Beth a indiqué qu'elles porteraient sur le développement du multilatéralisme, notamment sur les dossiers de sécurité et de protection, sur le renforcement de la coopération avec l'Union européenne, dont les outils et les procédures doivent évoluer, et sur la recherche de synergies avec d'autres acteurs.

A la suite de cet exposé, M. Jean-Guy Branger a exprimé sa satisfaction quant aux informations fournies par le Général Beth et a souhaité des précisions sur la coordination avec les actions menées par les armées dans le domaine de la formation.

M. André Dulait s'est interrogé sur le rôle de la DCMD dans le soutien aux exportations et sur son intervention dans le processus de formation des délégués de défense.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, soulignant l'importance de l'enseignement du français, a regretté que la baisse des crédits conduise à réduire les efforts dans ce domaine, comme cela semble être notamment le cas en Albanie. Elle s'est interrogée sur les relations de la DCMD avec la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), en soulignant la relation étroite entre les questions de sécurité et les questions de développement.

Elle a sollicité un bilan des actions menées dans le domaine de la formation des armées africaines.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam a souligné l'importance de la francophonie et a souhaité que l'organisation internationale de la francophonie soit davantage associée aux actions de la DCMD, dont elle a salué les résultats en matière de formation au déminage.

M. Josselin de Rohan a souhaité des précisions sur le contenu des actions de prévention des conflits.

Le Général Emmanuel Beth a apporté les éléments de réponse suivants :

- la coordination avec les armées est institutionnalisée par un comité d'orientation stratégique au niveau ministériel. Ce comité ne s'est réuni qu'à deux reprises depuis 2003, mais devrait se réunir à nouveau en juin 2008. Un comité de pilotage sur la mise en oeuvre de la coopération opérationnelle réunit, quant à lui, à un rythme trimestriel, la DCMD et les armées. Enfin, il faut souligner que la DCMD étant composée à 90 % de militaires, la coordination avec leurs collègues du ministère de la défense est quotidienne. Au niveau local, l'attaché de défense, correspondant de l'état-major des armées, est également le chef de la mission de coopération ;

- la DCMD n'est pas pilote en matière de soutien à l'export. Elle n'effectue pas de recherche de prospects, mais assure, par l'envoi de coopérants, l'accompagnement et la visibilité étatique des contrats signés, comme en Malaisie, pour les sous-marins, ou en Bulgarie, pour les hélicoptères. Toutefois, les actions de formation et les séminaires internationaux jouent un rôle pour la promotion des exportations. Il existe un vrai besoin d'amélioration de la coordination entre la délégation générale pour l'armement, le ministère de la défense, la DCMD et la DCI dans ce domaine ;

- la DCMD n'est pas encore associée, à ce stade, aux travaux de la cellule dirigée par M. Fromion :

- l'enseignement du français subit les effets des restrictions budgétaires. En raison de son caractère annuel, il est en effet plus simple à ajuster que les autres actions. Toutefois, une réduction très limitée sera opérée en Albanie. Les ENVR supportent également un effort, compensé par l'arrivée d'autres partenaires. L'ouverture de certaines de ces écoles doit cependant être décalée ;

- le bilan des actions de formation en direction des armées africaines est largement positif, même s'il comporte certains échecs. En particulier, il faut souligner ce que doit au comportement des forces armées, formées par la coopération française, le déroulement satisfaisant des élections au Bénin, ou encore au Togo. De même, tous les acteurs internationaux ont salué le comportement de la police d'intervention rapide, formée en République démocratique du Congo. Dans ce domaine, on assiste plutôt à une dynamique positive ;

- les relations de la DCMD avec l'organisation internationale de la francophonie sont récentes en raison du cloisonnement historique des domaines de la défense et du développement, mais l'OIF fait montre d'une véritable sensibilisation à ces questions ;

- en matière de prévention des conflits, la formation participe à la prévention, véritablement insérée dans les cours. L'ouverture plus large aux questions de sécurité participe de la même logique. Un module d'exercice de l'autorité du commandement vise également à ce que les troupes soient mieux commandées. En outre, les organisations sous-régionales développent, de façon encore embryonnaire, des mécanismes d'alerte rapide sur les crises.