Mardi 27 mai 2008

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Constitution - Réforme des institutions de la Ve République - Audition de M. Jean-Pierre Duprat, professeur de droit public à l'université Montesquieu-Bordeaux IV

La commission a procédé à des auditions ouvertes à l'ensemble des sénateurs sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République. Elle a tout d'abord entendu M. Jean-Pierre Duprat, professeur de droit public à l'université Montesquieu-Bordeaux IV.

A titre liminaire, M. Jean-Pierre Duprat a indiqué que le projet de loi constitutionnelle, texte dense et foisonnant, opérait la réforme la plus large qu'aient connue les institutions de la Ve République et amorçait une lente évolution vers un régime présidentiel.

Il a regretté que le choix de suivre l'ordre formel des articles de la Constitution nuise à l'intelligibilité de cette réforme.

Il a relevé quelques contradictions, comme le fait de permettre au Président de la République de prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès, suivant l'exemple américain, tout en maintenant son droit de dissolution de l'Assemblée nationale.

Il a estimé que le projet de loi constitutionnelle fragilisait l'institution du Premier ministre, déjà mise à mal par la réduction à cinq ans de la durée du mandat du Président de la République en 2000, en affaiblissant les instruments du parlementarisme rationalisé.

M. Jean-Pierre Duprat a ensuite centré son propos sur les dispositions du projet de loi constitutionnelle relatives au Parlement, en distinguant celles relatives à l'identité de chacune des deux assemblées de celles relatives à leurs compétences.

Abordant le premier volet des dispositions proposées, il a jugé nécessaire de maintenir une distinction nette entre l'Assemblée nationale et le Sénat, en faisant valoir que les exemples de la Belgique et de l'Italie illustraient les difficultés susceptibles de naître lorsque les deux chambres qui composent le Parlement présentent de trop fortes similitudes sur le plan institutionnel et ont des majorités discordantes sur le plan politique.

S'agissant de l'Assemblée nationale, il s'est félicité de ce que l'article 10 du projet de loi constitutionnelle impose un redécoupage périodique des circonscriptions, accompagné d'un réexamen de la répartition des sièges qui leur sont attribués, et de la soumission des projets ou propositions ayant cet objet à l'avis public d'une commission indépendante, dont la loi fixerait les règles d'organisation et de fonctionnement.

S'agissant du Sénat, il a relevé que l'article 9 du projet de loi constitutionnelle, en prévoyant que celui-ci assure la représentation des collectivités territoriales « en tenant compte de leur population », était en retrait par rapport aux conclusions du comité présidé par M. Edouard Balladur, aux termes desquelles cette représentation devait être assurée « en fonction de leur population ».

Il a jugé prématurées les dispositions de la proposition de loi socialiste relative aux conditions de l'élection des sénateurs prévoyant la création d'un collège des délégués des régions et d'un collège des délégués des départements, en sus du collège des délégués des communes, au motif que l'organisation territoriale de la République était en passe d'être restructurée.

Estimant que l'héritage de la IIIe République devait être pris en considération, il a relevé que la proposition de loi, en augmentant sensiblement le nombre des délégués des grandes villes, prenait l'exact contre-pied du souhait de Léon Gambetta, attaché au fédéralisme municipal, que chaque commune fût représentée par un délégué. La question du nombre et du mode de désignation des délégués des communes lui a toutefois semblé essentielle.

L'enjeu et la difficulté de la réforme du collège électoral sénatorial, a-t-il souligné, consistent à trouver un équilibre entre le principe de la représentation des collectivités territoriales et celui de l'égalité du suffrage, permettant d'éviter d'aligner la composition du Sénat sur celle de l'Assemblée nationale.

Il a estimé que l'institution de députés représentant les Français établis hors de France devrait conduire à prévoir que le Sénat n'assure plus que la représentation des collectivités territoriales.

Evoquant les dispositions du projet de loi constitutionnelle consacrées aux compétences du Parlement, M. Jean-Pierre Duprat a regretté que l'évaluation des politiques publiques, distincte de la mission traditionnelle de contrôle de l'action du gouvernement, ne fasse pas partie de ses nouvelles attributions. Il a appelé de ses voeux la création d'un office commun aux deux assemblées, auquel cette mission serait confiée, et qui serait un donneur d'ordres pour la Cour des comptes.

Il a également souhaité que la plus grande maîtrise de leur ordre du jour donnée aux assemblées ne les conduise pas à réduire la part de leur activité consacrée à leur mission de contrôle de l'action du gouvernement, dénonçant à cet égard les conséquences négatives de la révision constitutionnelle de 1995.

Il a souhaité que le Parlement, dans son ensemble, se préoccupe davantage, à l'instar du Sénat, de la qualité de la loi et procède régulièrement à une évaluation de la législation, la question étant posée de savoir si cette tâche devrait être menée conjointement avec l'évaluation des politiques publiques ou, au contraire, en être dissociée.

Evoquant la composition du collège électoral sénatorial, M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, a relevé une contradiction entre les dispositions de l'article 9 du projet de loi constitutionnelle, qui reprennent les termes exacts de la décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000 du Conseil constitutionnel pour prévoir que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales « en tenant compte de leur population », et la rédaction de l'exposé des motifs du projet, selon laquelle leur objet serait de surmonter les contraintes résultant de cette décision.

A propos de la mission d'évaluation qui pourrait être confiée au Parlement, il a rappelé que la création, en 1996, d'un office parlementaire d'évaluation des politiques publiques et d'un office parlementaire d'évaluation de la législation n'avait pas été couronnée de succès, le premier ayant été finalement supprimé faute d'avoir réellement fonctionné, le second n'ayant à ce jour produit que trois rapports, respectivement consacrés à l'exercice de l'action civile par les associations, à la législation applicable en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises et, plus récemment, aux autorités administratives indépendantes.

Ces expériences ayant montré que les offices bicaméraux pouvaient être difficiles à animer, il s'est demandé s'il ne serait pas préférable, comme aujourd'hui, de laisser aux commissions permanentes de chaque assemblée le soin de mener des travaux d'évaluation dans le cadre de groupes de travail ou de missions d'information, en faisant appel en tant que de besoin à des experts. L'apport du projet de loi constitutionnelle ne lui a donc pas semblé décisif sur ce point.

M. Patrice Gélard a rappelé que le mode de scrutin applicable à l'élection des sénateurs ne relevait pas du domaine de la Constitution.

Il s'est par ailleurs déclaré hostile à l'immixtion dans le travail parlementaire d'organismes, tels la Cour des comptes ou le Conseil d'Etat, ayant le désir de s'intégrer dans les institutions et de devenir les conseillers, les tuteurs, voire les censeurs du Parlement.

M. Jean-Pierre Duprat a précisé que, dans son esprit, d'une part le Parlement devait se garder de toute approche technocratique de l'évaluation des politiques publiques, d'autre part, la Cour des comptes devait demeurer une instance extérieure aux assemblées, celles-ci pouvant faire appel en tant que de besoin à son expertise sans être en aucun cas placées sous sa tutelle.

Il lui a semblé qu'un office bicaméral présenterait le double avantage d'être plus fort pour engager un dialogue avec la Cour des comptes et d'être plus économe des deniers publics.

Enfin, il a réaffirmé que la réforme de la composition du collège électoral sénatorial devrait reposer sur un compromis entre le principe de la représentation des collectivités territoriales, qui fonde la spécificité du Sénat par rapport à l'Assemblée nationale, et celui de l'égalité du suffrage, qui répond à un impératif démocratique. A cet égard il a relevé que la désignation de délégués supplémentaires parmi les électeurs des collectivités territoriales se heurtait actuellement à l'exigence constitutionnelle d'un collège électoral majoritairement composé d'élus locaux et que la désignation de délégués supplémentaires parmi les conseillers municipaux des communes dont tous les élus ne sont pas grands électeurs aurait pour conséquence de rompre le lien entre ces derniers et les territoires qu'ils représentent.

Citant les propos tenus par le général de Gaulle lors d'une conférence de presse organisée en 1964, M. Jean-René Lecerf a observé que l'affaiblissement du Premier ministre dans les institutions de la Ve République n'était pas récent. Il s'est demandé si le projet de loi constitutionnelle n'aurait pas pour effet de revaloriser son rôle, dans la mesure où la limitation des possibilités de recours au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, ou encore le partage de la maîtrise de l'ordre du jour entre les assemblées et le gouvernement, en rendant la négociation nécessaire, donneraient au chef du gouvernement de nouvelles marges de manoeuvre.

M. Jean-Pierre Duprat a estimé que l'influence du Premier ministre était et demeurerait tributaire des configurations politiques, mais que l'affaiblissement des instruments du parlementarisme rationalisé, notamment la limitation des possibilités de recours au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, lui rendrait plus difficile d'affirmer son autorité sur les parlementaires de sa majorité.

Constitution - Modernisation des institutions - Audition de M. Jean-Claude Colliard, professeur agrégé de droit public et de sciences politiques à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, ancien membre du Conseil constitutionnel

Puis elle a entendu M. Jean-Claude Colliard, professeur agrégé de droit public et de sciences politiques à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, ancien membre du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Claude Colliard s'est tout d'abord réjoui que le projet de loi de révision des institutions n'ait pas retenu les propositions du comité Balladur portant sur la redéfinition des rapports entre le Président de la République et le Premier ministre, jugeant peu utile de chercher à consacrer dans la Constitution la pratique politique.

Il s'est déclaré très favorable aux dispositions du projet de loi relatives, d'une part, aux garanties nouvelles accordées aux citoyens, en particulier à travers l'exception d'inconstitutionnalité, d'autre part, à la revalorisation du rôle des assemblées, notant que l'avènement du fait majoritaire à partir de 1962 rendait souhaitable l'assouplissement de la rationalisation du parlementarisme.

Il s'est ensuite montré sceptique sur l'apport de l'amendement, adopté par les députés, tendant à permettre au Président de la République de prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès, mais prévoyant que sa déclaration peut donner lieu à un simple débat hors sa présence qui, de surcroît, ne fait l'objet d'aucun vote. Il s'est en outre demandé si ce nouveau droit d'expression du chef de l'Etat, susceptible de traduire une forte impulsion politique, n'était pas contraire à son rôle d'arbitre, posé à l'article 5 de la Constitution.

Abordant la question de l'encadrement du pouvoir de nomination du Président de la République, il a indiqué que la seule perspective d'une audition par des commissions parlementaires pouvait faire reculer un candidat peu motivé ou peu compétent pour la fonction.

Il a ensuite souligné que le fait de modifier l'article 42 de la Constitution afin que la discussion des textes de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission constituait une évolution majeure de nature à renforcer considérablement le rôle de la majorité parlementaire. Il a jugé raisonnables les exceptions envisagées à ce principe pour les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Après avoir relevé que le partage de l'ordre du jour entre le gouvernement et le parlement donnerait également plus de poids à la majorité parlementaire, il s'est réjoui de la perspective de restreindre les possibilités de déclaration de l'urgence, notant que les lois adoptées selon cette procédure comportaient souvent des « malfaçons ».

Abordant les nouvelles modalités de saisine du Conseil constitutionnel par voie d'exception, il a indiqué que cette réforme permettrait de mettre fin au paradoxe qui veut qu'un citoyen est aujourd'hui mieux protégé devant une juridiction ordinaire par des textes internationaux que par la Constitution de son pays. Cette évolution lui a paru militer en faveur d'une juridictionnalisation du Conseil constitutionnel. Il s'est déclaré perplexe quant aux mécanismes de renvoi prévus par le projet de loi, estimant que le Conseil d'Etat et la Cour de cassation pourraient devenir les véritables juges de la constitutionnalité des lois et s'interrogeant ainsi sur l'opportunité de prévoir un « droit d'évocation » de certains dossiers par le Conseil constitutionnel.

S'agissant de l'évolution éventuelle du corps électoral du Sénat, M. Jean-Claude Colliard a indiqué que le Conseil constitutionnel ayant considéré, dans une décision du 6 juillet 2000, que le collège électoral devait être essentiellement composé de conseillers municipaux et non de délégués, seule une modification de la Constitution pouvait permettre de revenir sur cette jurisprudence.

M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, s'est interrogé sur l'opportunité de limiter le recours à l'article 49-3 de la Constitution, notant que cet outil constituait une arme de dissuasion très utile pour faire adopter des textes lorsque les majorités à l'Assemblée nationale sont étroites.

M. Jean-Claude Colliard, rappelant que le comité Vedel avait renoncé, en 1993, à proposer une tel encadrement du recours à l'article 49-3, a jugé peu satisfaisant le critère retenu pour le mettre en oeuvre, à savoir une limitation aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale ainsi qu'à un autre projet ou une proposition de loi par session.

En réponse à M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, M. Jean-Claude Colliard s'est félicité de la perspective d'introduction dans la Constitution d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception ainsi que de la possibilité, pour le Conseil constitutionnel, de moduler dans le temps les effets de ses décisions de non-conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution.

M. Patrice Gélard a rappelé qu'il avait déposé le 16 mars 2000 une proposition de loi tendant à permettre à soixante parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel a posteriori et s'est demandé si le projet de loi de révision des institutions n'offrait pas l'opportunité d'instituer cette nouvelle voie de recours.

M. Jean-Claude Colliard a craint, d'une part, que cette voie de recours ne fasse double d'emploi avec le contrôle par voie d'exception prévu par le projet de loi, d'autre part, qu'elle ne soit dévoyée par certains parlementaires.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la proposition de loi du groupe socialiste relative aux conditions de l'élection des sénateurs devant être examinée par la commission le lendemain, s'est demandé s'il n'était pas possible de modifier le collège électoral des sénateurs sans réviser l'article 24 de la Constitution, par exemple en faisant appel à d'autres élus non membres du collège.

M. Jean-Claude Colliard a indiqué que cette solution présentait l'inconvénient de faire entrer, dans certains cas, des élus locaux dans le collège électoral d'un département voisin.

Après avoir relevé que le comité Balladur avait proposé de modifier l'article 24 de la Constitution afin de prévoir que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République « en fonction de la population », alors que le projet de loi retenait l'expression « en tenant compte de leur population », M. Bernard Frimat a souhaité connaître la position de M. Jean-Claude Colliard sur ces différences de rédaction. Il a par ailleurs déclaré que le renforcement du rôle du Parlement devait avoir comme corollaire de permettre l'alternance politique au Sénat.

M. Jean-Claude Colliard a jugé lui aussi souhaitable la possibilité d'alternance au Sénat et indiqué que le corps électoral de ce dernier, et donc sa composition, ne pourrait évoluer significativement sans une modification de l'article 24 de la Constitution, jugeant que l'expression « en fonction de la population » paraissait plus favorable à une modification profonde du collège électoral que la formule « en tenant compte » reprise de la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2000.

Constitution - Réforme des institutions de la Ve République - Audition de M. Michel Verpeaux, directeur du centre de recherche en droit constitutionnel à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne

Puis elle a entendu M. Michel Verpeaux, directeur du centre de recherche en droit constitutionnel à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, qui a proposé de répondre directement aux questions des sénateurs, M. Jean-Claude Colliard ayant été invité à assister à cette audition.

En réponse à M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, qui l'interrogeait sur la détermination de la notion d'opposition pour l'application des articles 1er et 24 du projet de révision constitutionnelle, M. Michel Verpeaux a tout d'abord indiqué que la formule retenue pour reconnaître des droits particuliers aux partis et groupements politiques de l'opposition (art. 1er), était tellement large qu'elle lui semblait valoir pour l'ensemble des organes politiques, y compris locaux. L'intérêt de cette disposition, ainsi que de celle proposée par l'article 24 du projet pour les droits respectifs des groupes parlementaires de la majorité et de l'opposition, dépendait de l'objectif poursuivi : utiles, selon lui, dans le cadre d'un système bipartisan, dangereuses et sclérosantes dans un système plus ouvert.

Répondant à l'interrogation du rapporteur sur les conséquences de la substitution, pour l'examen en séance plénière, du texte adopté par la commission à celui du projet du gouvernement ou du texte transmis par l'autre assemblée (article 16 du projet), M. Michel Verpeaux a considéré que si le débat avait réellement lieu en commission, si le gouvernement devait y défendre son texte, l'intérêt du travail en séance plénière diminuerait, tout en reliant cette disposition nouvelle à l'augmentation du nombre de commissions permanentes également proposée par le projet.

Abordant l'institution du défenseur des droits des citoyens introduite par l'article 31 du projet, M. Michel Verpeaux, après avoir replacé l'origine de cette création dans la constitutionnalisation voulue, à juste titre selon lui, du Médiateur de la République, s'est interrogé sur le périmètre d'intervention de cette nouvelle institution et a estimé que le constituant devait clairement en fixer les missions.

Il a ensuite salué la mise en place, par l'article 26 du projet, de l'exception d'inconstitutionnalité, qui lui paraissait de nature à endiguer, au profit de la Constitution, le contrôle juridictionnel aujourd'hui opéré au regard des conventions internationales. Pour lui, cependant, restait le problème de la saisine, dans ce cadre, du Conseil constitutionnel, réservée -par le projet- aux deux seules juridictions suprêmes : il a exprimé sa crainte d'un filtrage sévère du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, qui minorerait le rôle du Conseil constitutionnel. Il a suggéré d'attribuer aux collectivités territoriales la faculté d'activer l'exception pour certains textes.

En réponse à M. Bernard Frimat qui avait, en outre, exprimé sa crainte du délitement du rôle plénier des assemblées en matière législative, M. Michel Verpeaux est convenu avec M. Jean-Claude Colliard que le Sénat devrait disposer du temps nécessaire pour examiner le projet de révision constitutionnelle, tout en regrettant la longueur du délai écoulé entre la remise du rapport du comité présidé par l'ancien Premier ministre, M. Edouard Balladur, et le dépôt du projet de loi constitutionnelle sur le bureau de l'Assemblée nationale.

A M. Robert Badinter qui, après un rappel du projet inabouti de 1990, avait estimé que l'exception d'inconstitutionnalité lui paraissait alors de nature à favoriser l'imprégnation de la culture du respect des droits fondamentaux au sein des juridictions, M. Michel Verpeaux a considéré que, depuis, cette préoccupation avait pénétré les juridictions inférieures, au moins de l'ordre administratif. Plus qu'une exception d'inconstitutionnalité, la proposition soumise au Parlement lui apparaissait comme une question préjudicielle. Il a poursuivi en relevant que le contrôle de conventionnalité était opéré spontanément par le juge, à tous les niveaux, alors que le contrôle de constitutionnalité par exception, tel que proposé par le projet, constituait un système, par filtrage, beaucoup plus rigide, de nature à en décourager l'exercice. M. Jean-Claude Colliard a ajouté qu'il comprenait parfaitement l'instauration d'un filtre, mais qu'il s'interrogeait sur son exercice futur par le Conseil d'Etat qui tendait à s'ériger en gardien naturel des lois et qui, dans sa mission de conseiller du gouvernement, aurait déjà examiné les lois en cause, préalablement à leur dépôt sur le bureau des assemblées.

Enfin, M. Michel Verpeaux a qualifié la présence du ministre de la justice aux séances non disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature, de bizarrerie dénuée de sens au regard de la suppression -proposée par l'article 28 du projet- de la présidence dudit Conseil par le Président de la République.

Il a, en outre, observé que les conditions de saisine du Défenseur des droits des citoyens n'étaient pas réglées par le projet.

Constitution - Réforme des institutions - Audition de Mme Elisabeth Zoller, professeur à l'université de Paris II, directrice du centre de droit américain

La commission a conclu cette série d'auditions en entendant Mme Elisabeth Zoller, professeur à l'université de Paris II, directrice du centre de droit américain.

Après l'intervention de M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, qui avait souligné l'intérêt d'un éclairage du droit américain au regard des multiples références à la Constitution d'outre-Atlantique mentionnées dans le débat constitutionnel en cours, Mme Elisabeth Zoller, a centré son propos liminaire sur deux dispositions du projet inspirées directement, selon elle, des Etats-Unis -le droit de message du président de la République et l'exception d'inconstitutionnalité- tout en soulignant qu'elles n'étaient pas les seules. Elle a, ainsi, cité la limitation à deux du nombre de mandats consécutifs du président de la République (tout en rappelant qu'elle avait été adoptée aux Etats-Unis contre Franklin Roosevelt, « coupable », en étant réélu pour un quatrième mandat, d'avoir rompu avec la tradition inaugurée par George Washington), l'intervention des commissions parlementaires dans l'exercice du pouvoir de nomination du président de la République, la limitation de la durée des pouvoirs exceptionnels de l'article 16 par l'intervention du Conseil constitutionnel (le Congrès américain devant reconduire les pouvoirs de guerre du président 60 jours après le début des hostilités), le droit de grâce du président de la République (comparable à celui de son homologue américain), la suppression de la responsabilité du Premier ministre en matière de défense nationale (qui élève le président de la République au rang de commandant en chef dans le droit fil de la Constitution américaine).

Abordant l'article 7 du projet relatif au droit de message présidentiel, le professeur Elisabeth Zoller a précisé la substance du message américain qui se décompose en deux clauses portant respectivement sur l'état de l'Union puis les recommandations. Pour la première, elle a rappelé que le président américain est tenu d'informer le Congrès (dans l'esprit de ses concepteurs, pour écarter le risque de dislocation de la Nation), selon une périodicité minimale annuelle (plusieurs présidents ayant recouru au message à un autre moment de l'année). Cette pratique, abandonnée par crainte de « dérive monarchique », avait été relancée par Woodrow Wilson, en 1913, et respectait, dans sa première partie, une règle de neutralité, par l'énoncé de seuls faits objectifs, réservant la seconde partie du message aux recommandations que le président estimait nécessaires et opportunes d'exposer. Cette seconde clause obéissait elle-même à deux principes : anti-monarchique, tout d'abord, (le juge Douglas avait défini, en 1952, le rôle du président comme un pouvoir de recommander, celui de légiférer revenant au Congrès ; par ailleurs, le président, pour les constituants, ne devait être qu'un conseiller du Congrès). Mme Elisabeth Zoller a indiqué que les recommandations ne revêtaient, en théorie, qu'un caractère exhortatif mais qu'elles avaient, en pratique, une portée considérable.

Elle a, ensuite, abordé le second principe, de réalité, en soulignant que la clause de recommandation avait modifié en profondeur la présidence américaine, et en relevant qu'aujourd'hui les membres du Congrès, eux-mêmes, admettaient que les projets de loi étaient rédigés par l'exécutif et transmis, de manière informelle, au Congrès : le président était, donc, devenu un législateur en chef. Toutefois, Mme Elisabeth Zoller a précisé que, s'il participait de façon prépondérante à la préparation des textes législatifs, le Congrès en était totalement maître lors de leur examen, ce qui générait des négociations incessantes entre les parlementaires et le président.

Revenant à la réforme soumise à l'examen du Parlement, elle a considéré que la modification du droit de message opérée par le projet, entrainait un profond changement institutionnel qu'elle a qualifié de changement de régime, par l'érection du président français en législateur en chef et chef de parti, et la disparition, de ce fait, de sa fonction d'arbitrage. Mme Elisabeth Zoller a noté, à cet égard, que le système américain échappait à ce dilemme, notamment par l'absence, au bénéfice du président, de fonction d'arbitrage et de droit de dissolution du Congrès.

Rappelant que le mérite attribué au quinquennat résidait dans la garantie supposée de concordance des mandats exécutif et législatif, Mme Elisabeth Zoller a affirmé que la modification de l'institution présidentielle ainsi proposée par le projet de révision sans diminuer ses pouvoirs actuels d'arbitrage et de direction du travail du Parlement, par gouvernement et Premier ministre interposés, basculerait le régime de la Ve République dans un système consulaire. Elle a confirmé ce retour, en l'état, à la Constitution de l'An VIII, en réponse à M. Pierre-Yves Collombat. Elle a ajouté, qu'à supposer son affirmation fausse, la cohabitation d'un président législateur en chef et d'une assemblée politiquement hostile conduirait à une crise de régime. Elle a conclu, sur ce point, à la probabilité que le droit de message « rénové » du président français produise les mêmes conséquences qu'aux Etats-Unis et donc appelé à la mise en place des poids et contrepoids du système américain, notamment pour encadrer le pouvoir de nomination du président afin d'éviter les excès partisans.

Abordant l'exception d'inconstitutionnalité, Mme Elisabeth Zoller a remarqué que le projet de révision intégrait le système américain au prix de deux aménagements, inexistants, sous cette forme, aux Etats-Unis : l'institution d'un filtre, tout d'abord, qui lui apparaissait indispensable sauf à noyer le système. Elle a rappelé la particularité du système américain : en cas de rejet d'une requête par la Cour suprême, l'affaire a déjà été jugée au fond une fois au moins, de sorte que le refus de la Cour signifie son accord avec la solution retenue par la juridiction inférieure ; une réponse a donc déjà été apportée au plaignant. En revanche, selon le projet soumis au Parlement, la question étant préjudicielle, le juge saisi au fond ne pourrait pas la trancher lui-même. La crainte de multiples mécontentements lui a paru probable, le plaideur s'estimant victime d'un déni de justice et d'un procès inéquitable.

Mme Elisabeth Zoller a ensuite considéré que les effets assignés par le texte à la déclaration d'inconstitutionnalité, c'est-à-dire l'abrogation de la disposition litigieuse, créeraient une difficulté en imposant la solution du tout au rien (contrairement au système américain qui annule, en principe, la loi en cause, pour le cas d'espèce). Elle a estimé que, ce faisant, le projet plaçait très haut la barre d'inconstitutionnalité dans la mesure où le plaignant ne triompherait que s'il démontrait qu'il n'existait pas une seule circonstance dans laquelle la loi serait valable. Elle a, en conséquence, affirmé que la réforme proposée serait rapidement perçue comme un artifice juridique, voire un marché de dupes.

En réponse à M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, Mme Elisabeth Zoller a indiqué qu'aucun débat ne suivait le message sur l'Etat de l'Union aux Etat-Unis mais qu'une réponse était généralement apportée par un membre de l'opposition par médias interposés comme lors de l'intervention traditionnelle du président, à la télévision, chaque fin de semaine.

En ce qui concerne les effets de l'exception d'inconstitutionnalité, Mme Elisabeth Zoller a indiqué que la Cour suprême, lorsqu'il s'agissait de dispositions constitutionnelles, pour elle, fondamentales, notamment celles du premier amendement consacré aux libertés religieuse et d'expression, décidait l'invalidation totale de la loi contestée. Elle a ajouté que des règles précises commandaient la saisine de la Cour.

A M. Robert Badinter qui contestait la référence américaine à l'introduction, en France, de l'exception d'inconstitutionnalité, laquelle complétait seulement, selon lui, la spécificité française du contrôle a priori et abstrait, Mme Elisabeth Zoller a répliqué que le système européen était adapté mais inspiré des institutions américaines, convenant que le processus français était propre au génie français.

Mercredi 28 mai 2008

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Droit électoral - Election des sénateurs - Examen du rapport

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Jean-René Lecerf sur la proposition de loi n° 322 (2007-2008) présentée par M. Jean-Pierre Bel, Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste et apparentés, relative aux conditions de l'élection des sénateurs.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a constaté que la proposition de loi avait pour objet, à la fois d'étendre l'élection des sénateurs à la représentation proportionnelle aux départements où sont élus trois sénateurs, d'augmenter le nombre des délégués supplémentaires des conseils municipaux en attribuant un délégué pour 300 habitants, de créer des délégués supplémentaires pour les conseils généraux et les conseils régionaux et d'élargir le collège électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France.

Indiquant que la proposition de loi soumise à l'examen de la commission était identique à une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale sur laquelle les députés avaient choisi de ne pas se prononcer le 20 mai, M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a précisé que, lors des débats, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, avait alors rappelé que la tradition républicaine impliquait qu'on laisse les sénateurs s'exprimer en premier sur un texte ayant pour objet de modifier les conditions de leur élection.

Précisant que le régime électoral du Sénat était une composante importante du bicamérisme différencié, il a rappelé que ce régime électoral était régulièrement actualisé, ajoutant qu'en 2002, un groupe de réflexion pluraliste sur l'institution sénatoriale, présidé par M. Daniel Hoeffel, avait analysé ses caractéristiques et émis plusieurs propositions pour améliorer la manière dont le Sénat remplit son rôle de représentant constitutionnel des collectivités territoriales et des Français établis hors de France.

Il a constaté que deux lois d'initiative sénatoriale avaient modernisé le régime électoral sénatorial en juillet 2003, en particulier en réduisant la durée du mandat sénatorial à six ans et en instaurant un renouvellement du Sénat par moitié, en actualisant la répartition des sièges de sénateurs pour prendre en considération les évolutions démographiques récentes des collectivités territoriales et en instituant un équilibre entre les modes de scrutin du Sénat.

Pour illustrer son propos, il a rappelé, qu'avant 2000, plus de 65% des sénateurs étaient élus au scrutin majoritaire, que la loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000 avait au contraire prévu l'élection d'environ 69 % des sénateurs à la représentation proportionnelle et que la réforme de 2003 garantissait l'élection de 52 % des sénateurs à la représentation proportionnelle et de 48 % au scrutin majoritaire.

Il a noté que la disposition de la proposition de loi augmentant les délégués supplémentaires des conseils municipaux, en attribuant un délégué pour 300 habitants était semblable à une disposition de la loi du 10 juillet 2000 jugée non conforme à l'article 24 de la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet 2000, car le nombre de délégués supplémentaires non élus des collectivités territoriales allait au-delà de la simple correction démographique et remettait en cause le principe selon lequel le corps électoral du Sénat doit être essentiellement composé des membres des assemblées délibérantes de ces collectivités.

Il a noté que le Conseil constitutionnel avait alors élaboré un vrai statut de la représentativité sénatoriale, prévoyant à la fois que la répartition par département des sièges, tout comme la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes au sein du collège électoral du Sénat, devaient tenir compte de la population de ces collectivités territoriales, que le Sénat devait être élu par un corps électoral essentiellement composé d'élus locaux, que toutes les catégories de collectivités devaient y être représentées et que la représentation des communes devait refléter leur diversité.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a précisé que l'article 9 du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Cinquième République, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, prévoyait de modifier l'article 24 de la Constitution pour organiser la représentation des collectivités territoriales de la République par le Sénat en tenant compte de leur population et que cette modification constituait un préalable à une éventuelle adaptation du collège électoral sénatorial conforme aux voeux des auteurs de la proposition de loi.

Souhaitant répondre à quelques inexactitudes entendues lors du débat sur le dispositif examiné à l'Assemblée nationale, il a noté que l'affirmation du rapporteur, M. Bernard Roman, qui avait indiqué que le Sénat était un non-sens démocratique, ne tenait pas compte de la réalité du bicamérisme différencié.

Il a déclaré que les deux assemblées ne pouvaient être des clones et que la représentativité du Sénat, reposant sur son élection indirecte qui en fait une émanation de la démocratie locale, était complémentaire de celle de l'Assemblée nationale.

A cet égard, il a constaté que le mode de scrutin des députés, comme celui des élections municipales dans les communes de 3.500 habitants et plus, créaient également des distorsions entre les suffrages exprimés par les électeurs et leur représentation.

Jugeant hâtive l'affirmation selon laquelle le Sénat aurait toujours eu la même majorité politique, il a rappelé que sous la Troisième République, des gouvernements tels que celui de M. André Tardieu avaient été renversés par le Sénat et que sous la cinquième République, de 1958 à 1968, le Sénat avait sans doute constitué le premier opposant à la politique menée par le général de Gaulle.

Il a enfin réfuté les déclarations de M. Bruno Leroux, député, selon lequel le Sénat serait « servile » avec le Gouvernement quand sa majorité le soutient, en constatant que les prises de position récentes du Sénat sur les tests ADN destinés à prouver une filiation à l'occasion d'une demande de regroupement familial ou sur la rétention de sûreté montraient son indépendance et son souci d'améliorer la législation.

Il a marqué son désaccord avec le groupe socialiste concernant l'extension de la représentation proportionnelle aux départements élisant trois sénateurs, estimant que l'équilibre actuel des modes de scrutin était satisfaisant, que la féminisation du Sénat se poursuivrait en raison de la part croissante des femmes au sein des assemblées locales, ajoutant que le législateur ne devait pas en permanence modifier ces règles au risque de donner l'impression de bégayer.

Soulignant que la proposition de loi ne pouvait être adoptée immédiatement en raison de son inconstitutionnalité et de l'absence de consensus sur son dispositif, il a estimé que ce dernier mettait en revanche en lumière la faible représentation des départements et des régions au sein du collège électoral sénatorial, ainsi que le caractère restreint du corps électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France.

Il s'est interrogé sur la possibilité, induite par le texte examiné, de prendre en compte trois fois de suite une même population pour l'attribution des délégués des conseils municipaux, des conseils généraux et des conseils régionaux.

Il a souligné que l'augmentation à 4.735 membres du corps électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France poserait le problème matériel de l'organisation du vote et de la prise en charge financière des déplacements de ces électeurs, ces électeurs étant en pratique amenés à se rendre au ministère des affaires étrangères pour voter le jour du scrutin, ajoutant que le vote par correspondance ne pouvait constituer une alternative satisfaisante dans le cadre d'un scrutin politique national.

Il a considéré que, si le dispositif suggéré par le groupe socialiste n'était aujourd'hui pas conforme à la Constitution, la réflexion sur la définition du collège électoral du Sénat devait se poursuivre.

Il a constaté que cette réflexion devrait prendre en considération la résolution de certains déséquilibres électoraux actuels tels que les incohérences liées à la prise en compte de la population des communes associées pour la désignation des délégués des conseils municipaux en cas de fusion-association de communes, les distorsions de la représentation des électeurs dans le scrutin municipal appliqué à Paris, Lyon et Marseille, ou encore la délimitation actuelle des cantons, qui ne respecte plus le principe d'égalité du suffrage.

A cet égard, il a précisé que les représentants du ministère de l'intérieur entendus avaient confirmé que les écarts de population entre cantons seraient prochainement réduits par une redéfinition des limites cantonales.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a déclaré que cette réflexion devrait aussi prendre en considération à la fois la montée en puissance des établissements publics de coopération intercommunale, qui, en pratique, exercent aujourd'hui de nombreuses prérogatives à la place des communes et dont les délégués communautaires pourraient être à l'avenir désignés au suffrage universel direct, mais aussi les discussions actuelles sur la pertinence des différents niveaux de collectivités territoriales.

Il a enfin précisé que ses auditions avaient permis de dégager des pistes de travail supplémentaires telles que l'intégration dans le collège électoral sénatorial des représentants des communes qui ne sont pas aujourd'hui électeurs sénatoriaux et qui pourraient être désignés délégués au titre des conseils généraux et régionaux, la désignation des sénateurs par plusieurs collèges électoraux correspondant chacun à un niveau de collectivité territoriale, ou encore l'élection simultanée par les électeurs des conseils municipaux et de leurs délégués au collège électoral sénatorial.

Il a estimé que pour toutes ces raisons, la réflexion sur la définition du collège électoral du Sénat devait se poursuivre.

Après s'être étonné de l'absence de position du rapporteur à l'issue de son exposé, M. Bernard Frimat a estimé que ses propos constituaient un plaidoyer talentueux pour l'immobilisme.

Précisant que la démarche du groupe socialiste ne visait pas à remettre en cause la réforme électorale de 2003, il a cependant indiqué que la question de l'extension de la représentation proportionnelle aux départements élisant trois sénateurs se posait de nouveau.

Il a rappelé qu'aux élections sénatoriales de 2001, l'application de la représentation proportionnelle dans ces départements avait permis, par exemple dans le Puy-de-Dôme ou dans le Loiret, l'élection de sénateurs appartenant à plusieurs formations politiques.

Il a constaté que le nombre restreint des électeurs sénatoriaux désignant les sénateurs de certaines collectivités d'outre-mer ou ceux représentant les Français établis hors de France garantissait aux candidats de connaître personnellement leurs électeurs et pouvait apparaître comme peu satisfaisant au regard des principes démocratiques.

Affirmant qu'il n'avait pas une vocation d'historien pour chasser les idées fausses sur le Sénat, il a souligné que le collège électoral du Sénat n'avait pas évolué depuis cinquante ans et que 96 % des membres de ce collège électoral étaient des délégués des conseils municipaux.

Il a déclaré que la proposition de loi présentée par le groupe socialiste constituait le signe d'une volonté de dialogue avec la majorité sénatoriale sur l'évolution du collège électoral du Sénat et qu'elle était nécessaire pour assurer la légitimité du Sénat.

Il a affirmé que la position de la majorité sénatoriale sur cette proposition de loi influencerait la position du groupe socialiste sur le vote du projet de loi constitutionnelle et a rappelé que la majorité sénatoriale, d'abord avec une proposition de loi en 1999, puis au sein du groupe de réflexion présidé par M. Daniel Hoeffel, s'était autrefois engagée à faire évoluer le collège électoral sénatorial pour limiter les inégalités de représentation actuelles.

Estimant que la proposition selon laquelle il pourrait être demandé à des élus des petites communes n'appartenant pas aujourd'hui au collège électoral sénatorial d'y représenter à l'avenir les départements ou les régions n'était pas réaliste, M. Simon Sutour s'est interrogé sur le maintien des députés parmi les électeurs sénatoriaux.

Il a noté que cette proposition de loi constituait un compromis entre les membres du groupe socialiste et devait rééquilibrer la représentation des divers territoires au sein du collège électoral sénatorial.

Réagissant aux propos du rapporteur sur les évolutions institutionnelles en cours, il s'est déclaré défavorable à toute fusion des départements dans les régions.

M. François Zocchetto a estimé nécessaire de ne pas aligner le mode d'élection du Sénat sur celui de l'Assemblée nationale, mais de maintenir la représentativité spécifique du Sénat, complémentaire de celle de l'Assemblée, élue sur des bases essentiellement démographiques.

Il a indiqué que l'Italie était confrontée à de nombreuses difficultés en raison de l'existence de deux chambres aux compétences et au mode de désignation quasi identiques, ajoutant qu'elle tentait aujourd'hui de faire évoluer ce système bicaméral.

Rejoignant les propos du rapporteur sur les évolutions institutionnelles en cours et sur les inégalités de représentation dans les cantons, il a rappelé qu'un conseiller général dans le département de la Mayenne était élu dans des cantons allant de 2000 à 15000 habitants.

Il a constaté que le mode de scrutin pour les élections municipales dans les communes de 3500 habitants et plus amplifiait de manière exponentielle les résultats du scrutin pour former une majorité municipale.

Dans la même logique, il a rappelé qu'en tant que tête de liste dans son département lors des dernières élections régionales, il avait obtenu 55 % des suffrages exprimés, mais que sa formation n'avait obtenu que 40 % des sièges.

Il a souligné qu'en prenant en compte la même population à plusieurs reprises pour attribuer un nombre de délégués aux conseils municipaux, aux conseils généraux et aux conseils régionaux, le dispositif de la proposition de loi était aberrant.

Saluant la fougue du rapporteur pour défendre ses arguments, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a considéré que le refus de discuter la proposition de loi constituait une occasion manquée qui n'arrangerait pas l'image du Sénat dans l'opinion publique.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a précisé que cette mauvaise image supposée, véhiculée par certains médias, ne correspondait pas à l'opinion des citoyens.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a estimé que l'argument de l'inconstitutionnalité de la proposition de loi ne tenait pas dès lors qu'une révision constitutionnelle était en cours au Parlement.

Elle a précisé que le groupe communiste républicain et citoyen n'était pas favorable à la proposition de loi, car elle tendait à conforter le fait majoritaire au Sénat, mais que la réforme du collège électoral sénatorial était nécessaire. Elle a estimé que, seule, l'extension de la représentation proportionnelle aux départements élisant trois sénateurs avait permis la féminisation du Sénat.

Après avoir salué l'exposé du rapporteur, M. Christian Cointat a estimé que, contrairement aux affirmations de M. Bernard Frimat, il constituait un plaidoyer contre l'immobilisme sur la question de la définition du collège électoral des sénateurs.

Notant que la proposition de loi permettait au Sénat de s'arrêter sur les questions légitimes que pose sa composition actuelle, à l'exemple de la sur-représentation des communes en son sein, il a indiqué qu'il lui paraissait pertinent d'analyser comment la part des départements et des régions pourrait y être plus importante.

Il a souligné que la réflexion et le dialogue devaient se poursuivre sur ce sujet et a insisté sur l'importance de la modification de l'article 24 de la Constitution par l'article 9 du projet de loi constitutionnelle, tout en rappelant que le professeur Jean-Pierre Duprat avait signalé, lors de son audition de la veille, que la rédaction du projet de loi était sans doute moins contraignante que celle suggérée par le comité Balladur prévoyant que le Sénat assure la représentation de collectivités territoriales de la République en fonction de leur population.

Il a rappelé que la tradition républicaine s'opposait à toute modification d'un mode de scrutin quelques mois avant l'élection concernée.

M. Bernard Frimat a précisé que le groupe socialiste du Sénat avait saisi le Conseil constitutionnel en février à propos de cette tradition républicaine lors de l'examen de la loi facilitant l'égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général étendant les hypothèses de remplacement automatique des conseillers généraux par leurs suppléants, mais que ce dernier avait refusé de rattacher cette tradition à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, autorisant de facto le Parlement à modifier la loi électorale à n'importe quel moment.

M. Christian Cointat a estimé que le collège électoral actuel des sénateurs représentant les Français établis hors de France, composé de 155 électeurs, était trop restreint et a rappelé que depuis 1982, les sénateurs concernés demandaient en vain son extension. Il a souligné qu'en l'état du droit, et malgré la définition de la représentativité sénatoriale posée en 2000 par le juge constitutionnel, le collège électoral des sénateurs parisiens, composé d'environ 2000 personnes, comprenait une très faible part d'élus locaux et a souhaité que le Sénat prenne le temps de poursuivre sa réflexion afin de dégager un consensus sur des pistes de réforme éventuelle du collège électoral.

M. Hugues Portelli a précisé que la proposition de loi posait un problème de constitutionnalité et que, même en l'absence de la décision du 6 juillet 2000, le Conseil serait amené à la déclarer non conforme à la Constitution afin de faire respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales imposant, selon lui, que le Sénat doit être élu par des élus.

Rappelant que dans la plupart des systèmes bicaméraux, les assemblées avaient des modes de scrutin et des compétences distinctes, il a estimé que pour conforter son rôle de représentant des collectivités territoriales, le Sénat pourrait être constitué de deux sénateurs par département élus à la représentation proportionnelle ou de sénateurs élus dans des circonscriptions régionales.

Après avoir noté que le système envisagé par M. Hugues Portelli s'inspirait du Bundesrat allemand, mais que la transposition des spécificités de cette chambre en droit français ne paraissait pas pertinente, M. Richard Yung a rappelé que l'objet de la proposition de loi était de conforter la légitimité du Sénat par l'augmentation du nombre de délégués supplémentaires et a regretté que son dispositif ne soit pas examiné plus avant par la commission.

Il a déploré le nombre limité d'électeurs pour les sénateurs représentant les Français établis hors de France, ajoutant que cette caractéristique entraînait un climat détestable lors des élections sénatoriales et rendait possibles les dérives.

Rappelant qu'il avait déposé par le passé une proposition de loi prévoyant une augmentation plus mesurée de ce collège électoral sénatorial que le texte soumis à l'examen de la commission, il a indiqué que pourrait être étudiée la possibilité de régionaliser le scrutin, par exemple en instituant quelques bureaux de vote de par le monde pour faciliter le vote des électeurs.

Rejoignant les propos de M. François Zocchetto, M. Patrice Gélard a refusé d'accepter toute réforme qui se proposerait d'aligner la représentation sénatoriale sur celle des députés et a estimé que les règles en vigueur étaient satisfaisantes.

Il a précisé que l'importance des communes dans le collège électoral sénatorial était une caractéristique essentielle de ce dernier et a souligné que dans les Etats où la seconde chambre était la copie de la première, les difficultés procédurales et démocratiques se multipliaient.

Il a jugé que la proposition de loi du groupe socialiste était à la fois inconstitutionnelle et inopportune, et qu'elle ne devait pas perturber le débat à venir sur la révision constitutionnelle.

M. Pierre-Yves Collombat a rappelé que dans la plupart des démocraties européennes, la seconde chambre avait souvent des difficultés à prouver sa légitimité et que le Sénat français ne représentait pas les seuls territoires, mais les collectivités territoriales en tant qu'entités démocratiques.

Il a précisé que la représentation sénatoriale devait concilier à la fois la représentation des collectivités territoriales et celle de leur population, ajoutant que l'extension de la représentation proportionnelle dans les départements où sont élus trois sénateurs était plus satisfaisante que le droit en vigueur.

Il a souligné que l'absence d'alternance démocratique à la tête du Sénat, depuis quarante ans, fragilisait l'institution.

Rejoignant les propos de MM. François Zocchetto et Patrice Gélard, M. Pierre Fauchon a déploré que la proposition de loi du groupe socialiste tende à transformer le Sénat en assemblée politique.

Il a constaté que les règles électorales en vigueur pour les scrutins locaux créaient des déséquilibres dans la représentation et que les établissements publics de coopération intercommunale assumaient en pratique toutes les responsabilités des petites communes à l'heure actuelle.

Insistant sur l'utilité de deux chambres aux légitimités et à la composition complémentaires, il a remarqué que le dialogue entre les deux assemblées avait prouvé son efficacité lors des débats législatifs.

Rejetant une définition restrictive du Sénat tendant à en faire seulement le représentant des collectivités territoriales, il a souligné que l'ancrage local des sénateurs et leur expérience des responsabilités publiques constituaient cependant un atout, de même que leur connaissance personnelle des électeurs.

Dans l'hypothèse où l'article 9 du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, pourrait permettre une réforme du collège électoral sénatorial, M. Robert Badinter a estimé que l'argument selon lequel la proposition de loi examinée par la commission n'était aujourd'hui pas conforme à la Constitution, n'était pas recevable.

Il a considéré que si la majorité sénatoriale était vraiment ouverte à une discussion sur l'adaptation de son collège électoral, ce texte pourrait en effet être discuté par le Sénat dès le lendemain de l'adoption éventuelle du projet de loi constitutionnelle par le Congrès le 7 juillet.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur, a indiqué qu'une nouvelle modification de l'équilibre des modes de scrutin ne lui paraissait pas nécessaire et qu'elle pourrait, après celles de 2000 et de 2003, donner l'impression que le législateur ne sait pas ce qu'il veut.

Il a rappelé que, comme le professeur Jean-Claude Colliard l'avait laissé entendre lors de son audition de la veille par la commission, des marges d'adaptation du collège électoral sénatorial dans le respect de la jurisprudence constitutionnelle actuelle existaient et que le groupe socialiste avait sans doute péché par « excès de gourmandise » en proposant un dispositif censuré par le Conseil constitutionnel en 2000.

Il a indiqué que le groupe socialiste semblait divisé sur certaines perspectives d'évolution du collège électoral sénatorial et que lors de son audition, le président Jean-Pierre Bel avait déclaré ne pas être hostile à une réflexion sur un dispositif consistant à choisir des élus locaux n'appartenant pas aujourd'hui au collège électoral sénatorial pour y représenter les conseils généraux et les conseils régionaux.

Il a constaté que la position du groupe socialiste précisant qu'un rejet de la proposition de loi pourrait entraîner un vote négatif de ce groupe sur le projet de loi constitutionnelle ne permettait pas dans l'immédiat une réflexion constructive sur le collège électoral sénatorial.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a alors demandé une suspension de séance.

A l'issue de cette suspension de séance, la commission a décidé de déposer une motion présentée par le rapporteur tendant à opposer une question préalable sur la proposition de loi n° 322 relative aux conditions de l'élection des sénateurs.

Règlement du Sénat - Sénateurs de Saint-Barthélemy et Saint-Martin - Examen du rapport

La commission a d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Patrice Gélard sur la proposition de résolution n° 345 (2007-2008) présentée par M. Jean-Jacques Hyest, tendant à actualiser le Règlement du Sénat afin d'intégrer les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin dans les effectifs des commissions permanentes.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a rappelé que la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer avait donné à Saint-Barthélemy et Saint-Martin le statut de collectivités d'outre-mer, régies par l'article 74 de la Constitution. Il a indiqué que chacune de ces deux nouvelles collectivités d'outre-mer devait élire un sénateur lors du renouvellement du Sénat en septembre 2008.

Il a relevé que ces deux nouveaux sénateurs devaient pouvoir siéger dès octobre 2008 dans l'une des commissions permanentes, dont les effectifs ont été modifiés pour la dernière fois en mai 2004 avant la création des collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Jugeant que la prochaine intégration des deux nouveaux sièges au sein des commissions permanentes devait être organisée dès maintenant, il a expliqué que la proposition de résolution tendait à ajouter, à compter d'octobre 2008, un siège à l'effectif des deux commissions comprenant actuellement le moins de membres. La commission des finances et la commission des lois, qui comptent actuellement chacune 45 membres, en rassembleraient donc 48 à partir du prochain renouvellement, puis 49 en octobre 2011. L'effectif des autres commissions connaîtra l'évolution prévue par la loi organique du 30 juillet 2003 et atteindra donc, en 2011, 57 sièges pour la commission des affaires culturelles, la commission des affaires étrangères et la commission des affaires sociales, et 78 sièges pour la commission des affaires économiques.

Il a proposé l'adoption sans modification de la proposition de résolution.

M. Bernard Frimat s'est fait préciser qu'il s'agissait bien d'assurer la répartition au sein des commissions d'une augmentation des effectifs liée à la création de nouveaux sièges de sénateurs, et non d'affecter les futurs sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin à des commissions définies.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a confirmé qu'il s'agissait d'une répartition globale, qui devait être réalisée dès maintenant afin de permettre à tous les nouveaux sénateurs de participer dès leur élection au Sénat aux travaux des commissions.

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution sans modification.

Droit civil - Réforme de la prescription - Examen du rapport en deuxième lecture

Enfin, la commission a procédé à l'examen du rapport en deuxième lecture de M. Laurent Béteille, sur la proposition de loi n° 323 (2007-2008), modifiée par l'Assemblée nationale, portant réforme de la prescription en matière civile.

M. Laurent Béteille, rapporteur, a rappelé que cette proposition de loi, déposée par M. Jean-Jacques Hyest au mois d'août 2007 et adoptée par le Sénat en première lecture le 21 novembre 2007, traduisait une partie des travaux de la mission d'information de la commission des lois du Sénat sur le régime des prescriptions civiles et pénales, conduite par MM. Jean-Jacques Hyest, Richard Yung et Hugues Portelli, de février à juin 2007.

Il a exposé que les dispositions proposées avaient pour objet de moderniser les règles foisonnantes, complexes et éparses de la prescription en matière civile, afin de simplifier la vie des particuliers et des entreprises, en réduisant le nombre et la durée des délais de la prescription extinctive, en simplifiant leur décompte et en autorisant, sous certaines conditions, leur aménagement contractuel.

M. Laurent Béteille, rapporteur, a retracé les principaux apports du Sénat en première lecture, en mettant tout particulièrement en exergue :

- la réduction de trente ans à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive, y compris en matière commerciale, avec pour point de départ « le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » ;

- l'harmonisation à cinq ans de la durée des multiples délais particuliers de la prescription extinctive, sous réserve du maintien de délais plus courts, comme le délai biennal de prescription de l'action des professionnels contre les consommateurs pour les biens ou services qu'ils leur fournissent, mais aussi de délais plus longs, comme le délai décennal de prescription de l'action en responsabilité pour dommage corporel ;

- la création, sous réserve de nombreuses dérogations concernant notamment les actions en responsabilité pour dommage corporel ou encore les actions relatives à l'état des personnes, d'un délai butoir de vingt ans courant à compter des faits ayant donné naissance au droit et non à compter de leur connaissance par son titulaire ;

- l'octroi aux parties à un acte juridique de la faculté, d'une part, d'allonger, dans la limite de dix ans, ou de réduire, dans la limite d'un an, la durée de la prescription, d'autre part, d'ajouter aux causes d'interruption ou de suspension de la prescription fixées par le code civil, de tels aménagements ayant toutefois été prohibés dans le cadre des contrats d'assurance et des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel ainsi que, sur proposition de M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour les actions en paiement ou en répétition de certaines créances périodiques comme les salaires ou les loyers et les charges locatives afférents à des baux d'habitation ;

- l'unification des règles de prescription relatives aux actions en responsabilité engagées à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel ;

- la soumission de l'action civile aux règles de prescription de l'action publique lorsqu'elle est exercée devant une juridiction répressive, et aux règles du code civil lorsqu'elle est exercée devant une juridiction civile ;

- l'institution d'un délai de trente ans à compter du fait générateur du dommage pour la prescription des obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le code de l'environnement ;

- l'extension aux personnes liées par un pacte civil de solidarité des règles relatives au report du point de départ ou à la suspension de la prescription entre époux pendant la durée du mariage.

M. Laurent Béteille, rapporteur, a ensuite présenté les travaux de l'Assemblée nationale.

Il a relevé que les députés n'avaient apporté que quelques modifications de fond au texte qui leur était soumis, sans remettre en cause ni sa philosophie, ni ses principales dispositions. Ces modifications, a-t-il expliqué, ont consisté à :

- préciser le point de départ du délai décennal de prescription de l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, en spécifiant qu'il s'agit de la consolidation du dommage « initial ou aggravé » ;

- écarter l'application du délai butoir pour la prescription entre époux ou partenaires d'un pacte civil de solidarité ;

- interdire l'aménagement conventionnel des règles de prescription des actions en paiement ou en restitution de l'ensemble des créances périodiques ;

- consacrer la jurisprudence selon laquelle les dommages trouvant leur origine dans la construction d'un ouvrage doivent être dénoncés dans les dix ans qui suivent la réception des travaux, que ces ouvrages relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun ou de la responsabilité décennale du constructeur ou de ses sous-traitants ;

- réduire de dix à cinq ans, à compter de l'adjudication ou de la prisée, le délai de prescription des actions en responsabilité civile engagées à l'occasion des prisées et des ventes volontaires et judiciaires de meubles aux enchères publiques ;

- soumettre les experts judiciaires au délai de droit commun de la prescription extinctive.

Enfin, M. Laurent Béteille, rapporteur, a indiqué que l'Assemblée nationale avait intégralement repris le contenu de deux amendements identiques au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, adoptés par le Sénat au mois d'avril 2008 et tendant à prévoir des règles spécifiques pour la prescription des actions en réparation de préjudices résultant de discriminations au travail.

Il a rappelé que ces dispositions réduisaient de trente ans à cinq ans la durée du délai pour agir en justice, cette durée étant jugée suffisante pour rassembler les preuves, mais prévoyaient :

- en premier lieu, que ce délai ne courrait qu'à compter de la révélation de la discrimination, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation ;

- en deuxième lieu, que ce délai ne serait pas susceptible d'aménagement conventionnel ;

- en dernier lieu, que les dommages et intérêts devraient réparer l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.

Aussi M. Laurent Béteille, rapporteur, a-t-il proposé à la commission d'adopter sans modification la proposition de loi.

Après avoir constaté que l'Assemblée nationale n'avait effectivement guère modifié le texte adopté par le Sénat, M. Richard Yung s'est demandé s'il ne conviendrait pas de préciser la notion de révélation, retenue comme point de départ de la prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination au travail, en faisant également référence à la découverte des faits par la victime.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que le choix de ce point de départ était conforme à la fois à la jurisprudence de la Cour de cassation et au souhait des représentants de diverses organisations regroupées dans un collectif de défense des victimes de discrimination, qu'il avait reçus, à leur demande, au mois de mars, avec MM. Laurent Béteille et Richard Yung.

M. Laurent Béteille, rapporteur, a ajouté que les représentants de ce collectif avait exprimé la crainte, lors de cette réunion, que le point de départ retenu pour le délai de droit commun de la prescription extinctive ne fût préjudiciable aux victimes de discrimination : un salarié qui aurait eu le sentiment de faire l'objet de mesures de discrimination et qui s'en serait simplement ouvert à son employeur, sans toutefois agir en justice faute d'éléments suffisants pour étayer un recours, aurait risqué de se voir opposer la prescription de son action s'il n'était parvenu à réunir ces éléments que plus de cinq ans après, son employeur ayant été en effet fondé à lui objecter qu'il avait eu connaissance des faits invoqués.

Le rapporteur a précisé que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la révélation de la discrimination correspondait au moment où la victime avait pu en « prendre la mesure », par exemple grâce à la communication, par son employeur, des éléments de comparaison nécessaires.

En conséquence, il a estimé que la précision suggérée par M. Richard Yung risquait d'affaiblir les droits des victimes de discrimination.

M. François Pillet a souhaité savoir si la proposition de loi modifiait le régime de la prescription acquisitive.

M. Jean-Jacques Hyest, président, lui a répondu qu'il avait veillé au maintien du délai trentenaire actuel de la prescription acquisitive en matière immobilière, particulièrement nécessaire en milieu rural.

M. Laurent Béteille, rapporteur, a rappelé que ce délai était abrégé à dix ou vingt ans, selon que le vrai propriétaire était domicilié dans ou hors du ressort de la Cour d'appel où l'immeuble était situé, en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur. Cette distinction fondée sur le lieu de domiciliation du propriétaire n'ayant plus de sens, il a précisé que la proposition de loi la supprimait et retenait une durée de prescription abrégée de dix ans en cas de bonne foi et de juste titre du possesseur.

La commission a adopté sans modification la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, en deuxième lecture.

Etrangers - Gestion concertée de l'immigration et développement solidaire - Audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire

Présidence conjointe de M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères et de la défense.

Au cours d'une deuxième réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé conjointement avec la commission des affaires étrangères à l'audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, a rappelé que l'immigration figurait au premier rang des priorités annoncées de la présidence française de l'Union européenne. Il a également indiqué que la nouvelle politique d'immigration de la France trouvait désormais des prolongements importants dans notre politique étrangère. Evoquant plusieurs sujets, notamment la conclusion d'accords bilatéraux de gestion concertée de l'immigration, il a souhaité que M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, définisse plus précisément cette notion de « développement solidaire », substituée récemment à celle de « codéveloppement » dans l'intitulé du nouveau ministère.

M. Jean Jacques Hyest, président de la commission des lois, a remercié M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, d'avoir pris l'initiative de cette audition et d'avoir souhaité y associer la commission des lois. Il a expliqué que ces accords de gestion concertée de l'immigration s'inscrivaient dans une approche globale incarnée précisément par la création de ce nouveau ministère.

Il a indiqué que la dimension bilatérale ou internationale de l'immigration était également au coeur des travaux de la commission des lois, la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile ayant à cet égard donné l'occasion d'appréhender cette dimension essentielle.

Enfin, il a rappelé que les questions européennes étaient également très prégnantes, les trois corapporteurs européens de la commission des lois ayant consacré une partie de leur récent rapport d'information à l'immigration et à l'asile.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, a déclaré que la maîtrise des flux migratoires constituait un enjeu fondamental pour la France et que de nombreux défis ne pouvaient trouver une réponse qu'à l'échelon européen en raison de l'extrême mobilité des flux dans un espace ouvert.

Il a rappelé que la politique de maîtrise des flux reposait sur quelques principes clairs.

En premier lieu, il a réaffirmé que la France était libre, comme tout Etat souverain, de déterminer les personnes étrangères qu'elle souhaitait admettre sur son territoire, notamment en fonction de ses capacités d'accueil. Il a ajouté que les étrangers en situation irrégulière avaient vocation à retourner dans leur pays, soit volontairement, soit de force si nécessaire. A cet égard, il a souligné que depuis le début de l'année les mécanismes d'aide au retour volontaire étaient sollicités dans des proportions sans précédent. Tout en restant prudent, il s'est félicité de cette inversion de tendance.

En deuxième lieu, il a indiqué qu'à la différence de certains Etats membres, la France souhaitait rester ouverte à l'immigration, celle-ci étant une composante essentielle de notre identité nationale. Il a ajouté que l'immigration zéro était ni possible, ni souhaitable.

En troisième lieu, M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, a mis en avant le souci permanent de concertation avec les pays à l'origine de l'immigration. Il a jugé que dans le monde actuel une politique migratoire ne pouvait plus se décider et se gérer unilatéralement. Il a ajouté que la concertation était d'autant plus efficace qu'elle rencontrait un écho favorable dans les opinions publiques de ces pays.

Par ailleurs, il a estimé que la France était probablement le pays d'accueil ayant affiché le plus clairement sa préoccupation de ne pas piller les élites des pays source, considérant que la question migratoire ne pouvait être dissociée des politiques de solidarité. A cet égard, il a salué le travail du Sénat sur ces sujets, en particulier le rapport d'information de Mme Catherine Tasca et MM. Jacques Pelletier et Bernard Barraux, fait au nom de la commission des affaires étrangères, sur le codéveloppement.

Il a observé que la politique d'immigration de la France était progressivement soutenue par un nombre croissant de pays européens ainsi que de pays africains.

Concernant le recours à des régularisations massives, s'il a reconnu que cette idée pouvait être intellectuellement séduisante pour purger une situation à un instant donné, il a constaté que l'expérience en avait démontré l'échec et que ce type de mesure avait pour principal effet de créer un appel d'air puissant. Il a indiqué que ce constat était désormais partagé par tous, en particulier l'Espagne, en dépit des situations très diverses où se trouvent les Etats membres au regard des besoins de main d'oeuvre ou de la démographie.

Concernant la création d'un ministère dédié à l'immigration, il s'est félicité de ce que l'Espagne et la Suède s'inspirent de l'exemple français, démontrant ainsi la pertinence de ce ministère dans le contexte migratoire et européen actuel.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, a ensuite présenté les différents accords de gestion concertée de l'immigration signés par la France.

Il a tout d'abord replacé cette politique dans son contexte, en rappelant que sur 900 millions d'africains, 50 % avaient moins de 17 ans et un tiers vivait avec moins d'un dollar par jour et qu'en 2030 la population sur le continent africain devrait s'élever à 1,5 milliard de personnes. Il a déclaré que si l'Europe, et en particulier la France, ne se préparaient pas à relever ce défi immense, de nombreux africains seraient naturellement tentés, voire contraints, d'émigrer.

Concernant les accords de gestion concertée proprement dit, il a indiqué qu'ils poursuivaient plusieurs objectifs :

- la promotion des intérêts de notre pays ;

- la préservation de notre tradition d'accueil ;

- la lutte contre l'immigration illégale.

Il a expliqué que le dispositif montait progressivement en puissance après une nécessaire phase d'apprentissage, cinq accords ayant déjà été conclus avec des Etats de taille moyenne (le Gabon, la République du Congo, le Bénin, le Sénégal et la Tunisie) et des pourparlers étant engagés avec d'autres pays (le Mali, le Cap-Vert, l'Egypte, Haïti et le Tchad), parfois même à leur demande.

Il a déclaré préférer à l'expression impropre d' « immigration choisie » celle d' « immigration choisie et concertée », cette formule recueillant l'assentiment de plusieurs chefs d'Etat africains.

Soulignant que ces accords étaient novateurs en raison de leur approche globale des questions de migration, il a indiqué que chacun d'entre eux comportait un socle commun de stipulations, décliné et complété en fonction des particularités de chaque pays.

Concernant le socle commun de ces accords, il a précisé qu'ils s'articulaient autour de trois volets :

- l'organisation de la migration légale ;

- la lutte contre l'immigration irrégulière, avec en particulier la conclusion d'un accord de réadmission ;

- la mise en place d'actions de développement solidaire.

Sur ce dernier volet, il a expliqué que la notion de codéveloppement lui était apparue inadaptée en raison des écarts très importants de niveau de développement entre la France et ces pays. Le terme de développement solidaire a semblé plus exact. Il a reconnu que cette politique était très difficile à mettre en place, mais qu'elle était très attendue par nos partenaires, chaque pays ayant des besoins spécifiques. Il a cité les exemples du Bénin, demandeur d'actions en matière de santé, ou de la Tunisie, intéressée par le développement d'actions de formation professionnelle sur place.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, a enfin présenté les grandes lignes du futur pacte européen sur les migrations et l'asile.

Il a déclaré avoir été surpris de constater que tous les Etats membres de l'Union européenne étaient mobilisés sur les questions de migration et d'asile, quand bien même les problèmes pouvaient y être très différents. Il a cité l'exemple de la République tchèque, qui connaît une immigration d'origine vietnamienne plus importante que la France. Il a par ailleurs souligné les disparités énormes dans le traitement des demandes d'asile.

Concernant le pacte proprement dit, il a indiqué qu'il tendrait :

- à renforcer l'agence Frontex ;

- à instaurer une discipline collective en matière de régularisation massive. Sur ce point, il a précisé que les Etats membres étaient unanimes ;

- à promouvoir l'intégration par l'insertion professionnelle ;

- à contenir l'immigration familiale en fonction des capacités d'accueil réelles de chaque pays. A cet égard, il s'est interrogé sur l'opportunité d'élever le niveau de connaissance de la langue française exigée, compte tenu du niveau requis en Allemagne ;

- à organiser l'éloignement des étrangers en situation irrégulière ;

- à créer un bureau d'appui commun en matière d'asile. Il a jugé qu'il n'était pas réaliste d'espérer progresser davantage vers la mise en place d'un système d'asile commun ;

- à promouvoir un développement solidaire.

Il a conclu en déclarant que l'immigration n'était ni un problème, ni une chance a priori pour nos sociétés, mais un défi à relever impérativement.

M. Louis Mermaz a souligné la contradiction entre les propos du ministre qui semblaient ouvrir des perspectives raisonnables et les objectifs chiffrés assignés à la politique d'immigration. Il a insisté sur le caractère parcimonieux des régularisations de travailleurs clandestins présents sur le territoire français depuis de nombreuses années et sur les conditions de la rétention administrative. Évoquant l'accord avec le Gabon, il a souhaité savoir si le ministre était prêt à aller aussi loin pour d'autres pays, notamment pour ce qui concerne les visas de circulation. Il s'est ensuite élevé contre les dispositions du projet de directive européenne « retours » qui permettraient de retenir les étrangers en situation irrégulière pendant 18 mois et de les frapper d'une interdiction de retour sur le sol européen pendant une durée de cinq ans, considérant que la France devrait s'opposer à ce texte.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'Immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, a estimé que les objectifs chiffrés, qui peuvent gêner de prime abord, avaient néanmoins la double vertu d'adresser un signal aux personnes en situation irrégulière ainsi que dans les pays d'immigration. De fait, pour la première fois depuis une génération, le nombre de clandestins est en diminution comme en atteste la baisse de 4 % de l'aide médicale d'Etat. Il a rappelé que les centres de rétention avaient été créés en 1982 et qu'ils devaient à l'actuelle majorité un effort très important de rénovation. Il a noté que l'alternative aux centres de rétention administrative était l'incarcération ou l'assignation à résidence qui présentait des dangers. Il a déclaré partager l'appréciation de M. Mermaz sur la directive « retours », indiquant qu'elle aurait pour effet de plafonner à 18 mois la durée de rétention dans les sept pays européens où cette dernière est actuellement illimitée, tout en laissant les autres Etats libres de fixer une limite inférieure. Il a rappelé qu'une commission, présidée par M. Pierre Mazeaud travaillait actuellement sur la question des quotas que certains pays, comme la Tunisie, réclament. Il a confirmé que l'augmentation du nombre des visas de circulation figurait bien dans les accords de gestion concertée des flux migratoires.

Mme Monique Cerisier ben Guiga a contesté le fait de limiter l'immigration familiale aux capacités d'accueil soulignant que les Français, qui s'expatrient en famille, supporteraient difficilement de se voir imposer de telles conditions. Elle a relevé que des Etats comme la Suisse ou le Canada, qui avaient tenté de bloquer l'immigration familiale, avaient dû ensuite faire face à une croissance très importante de ce type d'immigration. Elle a enfin estimé que l'on ne pouvait se prévaloir du fait que la Grèce n'accordait jamais le statut de réfugié pour restreindre la politique française de l'asile.

M. Brice Hortefeux a souligné que le nombre de bénéficiaires du statut de réfugié avait progressé en France. Il a estimé que dans un pays qui souffre d'une pénurie d'un million de logements, une politique d'accueil sans conditions ne pouvait être qualifiée de généreuse. Le regroupement familial doit s'effectuer sous des conditions de ressources suffisantes et d'un logement décent, faute de quoi, elle alimente le développement des squats.

M Robert del Picchia a déploré que le regroupement familial s'opère trop souvent à la faveur de faux papiers ou de mariages fictifs. Il s'est interrogé sur les moyens de donner de la substance aux missions de l'agence Frontex, sur l'accès au marché du travail des travailleurs des nouveaux États membres de l'Union européenne et sur l'évolution des services des visas.

M. Brice Hortefeux a rappelé que les travailleurs des nouveaux Etats membres avaient accès à 80 métiers, nombre porté à 152 le 1er avril avant l'ouverture complète du marché du travail, annoncée par le président de la République pour le 1er juillet 2008. Pour ce qui concerne les ressortissants des Etats tiers, le nombre des métiers accessibles a été porté de 15 à 32, cette question faisant l'objet d'une remise à plat complète. De  facto, les accords de gestion concertée des flux migratoires réintroduisent une catégorie de pays avec lesquels la France entretient des liens privilégiés. Ainsi, une centaine de métiers ont été ouverts pour le Sénégal et soixante dix-sept pour la Tunisie. Évoquant les services des visas, il a indiqué qu'un accord avait été trouvé le matin même avec le ministère des Affaires étrangères dans le sens d'une plus grande cohérence : un ministère ne pouvait pas être compétent sur les questions d'immigration sans avoir autorité sur les services des visas.

M. Jean-René Lecerf, corapporteur de la commission des lois sur les questions européennes, a souhaité savoir si les organisations non gouvernementales (ONG) et le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) pourraient trouver leur place dans le bureau d'appui envisagé à Bruxelles pour l'asile. Soulignant les disparités entre les Etats membres dans l'octroi du statut de réfugié, il s'est interrogé sur l'opportunité de revoir les mécanismes prévus par les conventions de Dublin au profit de compensations financières entre Etats membres.

M. Brice Hortefeux a indiqué qu'une conférence sur l'asile, à laquelle les ONG étaient conviées, se tiendrait à Paris les 7 et 8 juillet 2008. Il a rappelé que la Pologne accordait le statut de réfugié dans 5 % des cas, contre 52 % pour la France, illustrant ainsi la difficulté du rapprochement des points de vue.

A Mme Eliane Assassi, qui l'interrogeait sur les quotas, M. Brice Hortefeux a répondu qu'il ne souhaitait pas s'exprimer sur ce sujet avant la remise des conclusions des travaux de la commission présidée par M. Pierre Mazeaud.

M. Pierre Fauchon, corapporteur de la commission des lois sur les questions européennes, a évoqué la politique d'intégration et s'est interrogé sur le refus du communautarisme, alors que ce phénomène semble inévitable compte tenu de l'évolution des sociétés modernes.

M. Brice Hortefeux a rappelé que le communautarisme n'était pas le modèle choisi par la France. Il s'est interrogé sur l'intérêt manifesté par le Royaume-Uni, qui a un temps suivi cette voie, pour les propositions françaises dans le cadre du pacte européen pour les migrations. Il a toutefois souligné le risque que représentait, pour la cohésion de la société française et l'intégration des étrangers, le fait qu'un tiers des migrants installés sur le territoire français ne parle pas notre langue. Il a aussi noté le fait que la grande majorité des élèves en situation d'échec absolu étaient issus de l'immigration et ne pouvaient pas suivre une scolarité normale par méconnaissance de la langue française qu'il faudrait pouvoir leur enseigner comme une langue étrangère.

M. André Ferrand, rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la mission « Immigration », s'est interrogé sur la valeur ajoutée de la disposition insérée dans le projet de loi de modernisation de l'économie permettant l'attribution d'une carte de résident de 10 ans aux étrangers apportant une contribution exceptionnelle à l'économie. Il a considéré que cette nouvelle disposition, qui s'ajoute à la carte « compétences et talents », ne serait pas très lisible pour les personnes que la France souhaite attirer.

M. Brice Hortefeux a précisé que le dispositif proposait la délivrance d'une carte de 10 ans à des investisseurs sans que s'applique la condition de résidence de cinq ans. La carte « compétences et talents » prévoit, quant à elle, l'accueil, l'octroi d'un titre de séjour et le regroupement familial de droit mais comporte également l'encouragement à repartir après six ans. Cette carte n'est délivrée que depuis janvier 2008, et son succès dépendra aussi de la mobilisation des ambassadeurs qui seront reçus prochainement à son propos.

Mme Catherine Tasca a souligné que les accords de gestion concertée des flux migratoires avaient pour objectif de traiter de façon globale la question des migrations. Ils sont effectivement novateurs par la place faite au développement qui est cependant très modeste dans l'accord avec le Gabon. Elle a souhaité savoir quelle était la dimension « développement » prise en compte dans les autres accords et comment elle s'articulerait avec la baisse programmée des crédits d'aide au développement. Elle s'est interrogée sur le caractère additionnel du financement de la coopération policière.

M. Brice Hortefeux a indiqué que la dimension de développement était plus importante dans les autres accords et il a déploré la lenteur de la ratification française qui contraste avec la célérité de ses partenaires. Il a précisé que les financements destinés à la coopération policière étaient additionnels mais qu'ils n'étaient pas gérés, contrairement à son souhait, par son ministère.

Constitution - Réforme des institutions de la Ve République - Audition de M. Edouard Balladur, ancien premier ministre, président du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République

Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Dans une troisième réunion qui s'est tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition, ouverte à l'ensemble des sénateurs, de M. Edouard Balladur, ancien premier ministre, président du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

M. Edouard Balladur a, tout d'abord, traité la question de la répartition des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre.

Il a rappelé que le Comité de réflexion avait proposé d'attribuer au Président la définition de la politique de la Nation, en en réservant la conduite au Premier ministre. Il a précisé que cette disposition n'avait pas été retenue par le gouvernement au motif curieusement invoqué de difficultés supplémentaires en période de cohabitation.

Il a énoncé la proposition du Comité pour la répartition des responsabilités entre les deux têtes de l'exécutif en matière de défense. Rappelant qu'actuellement, le Président de la République est le chef des armées et le Premier ministre, le responsable de la défense nationale, M. Edouard Balladur a évoqué l'usage constitutionnel établi, sous la Ve République, à l'instigation du général de Gaulle, en fortifiant la notion de chef des armées. Il a noté que le régime de Vichy, en organisant le procès des responsabilités politiques de la défaite de 1940, avait fait comparaître, devant la Cour de Riom, les anciens présidents du conseil, les anciens ministres de la défense, mais aucun Président de la République. Le Comité avait, donc, proposé de confier au Premier ministre la seule mise en oeuvre des décisions prises en matière de défense nationale : reprise dans le texte du projet, cette idée avait été rejetée par l'Assemblée nationale en raison de l'irresponsabilité, devant elle, du Président. Il s'agissait là, selon l'ancien Premier ministre, du point essentiel sur lequel le comité n'a pas été suivi.

Il a souligné que le rapport avait été adopté à l'unanimité des membres du Comité, y compris ceux ayant exprimé des opinions particulières.

Abordant les limitations proposées à l'usage du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution (engagement de la responsabilité du gouvernement sur le vote d'un texte), M. Edouard Balladur a remarqué que le projet de loi constitutionnelle le limitait en fait à trois usages annuels (projet de loi de finances, projet de loi de financement de la sécurité sociale plus un autre texte dans l'année). Il a constaté qu'en 50 ans, cet article avait été invoqué un peu plus de 80 fois alors que sur la même période, les critères du projet de révision en aurait permis 150 applications. Il a considéré que cette disposition n'avait pas été excessivement utilisée, notant qu'elle l'avait été pour dix projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Il a conclu que le projet ne privait donc pas le gouvernement des moyens de gouverner.

Evoquant le parlementarisme rationalisé mis en place sous la Ve République, M. Edouard Balladur a remarqué que le Président de la République était d'autant plus fort que le régime, lui attribuant le droit de dissolution, dérivait vers un système bipartisan.

Il a rappelé que le souci du Comité -et l'inspiration générale de son rapport- était de parvenir à un système politique équilibré, réservant plus de place au Parlement.

L'ancien Premier ministre a ensuite estimé que le non-décompte du temps de parole du Président de la République dans les médias audiovisuels, constituait un problème dans la mesure où le Président, quel qu'il soit, chef suprême, pouvait intervenir sans droit de réponse organisé. Cependant, il lui semblait difficile de l'agréger à l'un des trois tiers existant en la matière (gouvernement, majorité, opposition), observant que si ses interventions étaient imputées à la part gouvernementale, elle diminuerait d'autant la parole du Premier ministre. Il a donc proposé que l'intervention du Président de la République ouvre un droit de réponse aux forces politiques de la majorité et de l'opposition. Il lui a semblé que, dans ces conditions, le système serait parfaitement acceptable. S'interrogeant sur la possibilité de distinguer les interventions régaliennes du Président des autres, il a conclu sur la place majeure occupée par lui sur la scène politique et, en conséquence, à la nécessité de permettre la réponse des autres acteurs.

Evoquant la question des modes de scrutin, M. Edouard Balladur a remarqué que le Sénat avait constitué une force d'opposition, de centre gauche, au cours des quinze premières années de la Ve République puis, les forces politiques imprégnant le paysage local, elles avaient progressivement envahi le Sénat, d'abord au profit de l'UDF, puis de celui du RPR. Il a noté que la réduction du mandat sénatorial à 6 ans raccourcissait le délai d'impact des élections locales sur la composition de la Haute assemblée.

Il a rappelé que le Comité avait, dans son rapport, préconisé d'établir la représentation des collectivités territoriales par le Sénat en fonction de leur population alors que le projet présenté par le gouvernement proposait qu'elle s'exerce en en tenant compte.

M. Edouard Balladur a souligné que la détermination des droits de l'opposition et de la majorité impliquait la recherche d'un critère les définissant. Il a approuvé le principe sénatorial basé sur l'effectif de chacun des groupes parlementaires.

A M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, qui observait que le véritable contrôle de l'action du gouvernement résidait dans l'évaluation, dans le temps, des résultats ou des difficultés d'application des lois votées, l'ancien Premier ministre en est convenu, laissant aux assemblées la responsabilité du choix des moyens, qu'ils leur soient internes ou qu'elles s'adjoignent des organismes extérieurs. Il a affirmé qu'il n'était pas dans l'intention du Comité d'opérer leur dessaisissement au profit de la Cour des comptes.

A M. Jean-René Lecerf, qui l'interrogeait sur la présidentialisation pouvant résulter du projet de révision, M. Edouard Balladur a affirmé que le renforcement des droits du Parlement affaiblissait le Premier ministre, mais également le Président de la République, citant à ce propos les procédures de nomination et l'intervention des forces armées à l'étranger qui, jusqu'à présent, relevaient, selon l'usage, de la décision du Président en dernier ressort, sauf en période de cohabitation.

Pour l'ancien Premier ministre, il était indispensable de rééquilibrer au profit du législatif, des institutions -établies par réaction à celles de la IVe République-, qui assuraient une prédominance excessive de l'exécutif.

M. Pierre Fauchon a estimé que la séparation des pouvoirs n'était plus assurée pour des motifs qui tenaient autant aux moeurs qu'aux textes comme l'élection du Président de la République au suffrage universel. Il a approuvé la révision tout en se déclarant sceptique sur l'efficacité de ses résultats. Il a conclu à l'instauration d'un régime présidentiel, seul apte, selon lui, à revitaliser les institutions.

M. Edouard Balladur, partisan du même choix, a noté que le régime actuel, hybride, était d'un maniement très délicat. Il ne voyait pas, cependant, en quoi le projet de révision constituerait un pas vers un régime présidentiel, même s'il convenait que le Parlement détiendrait des pouvoirs plus importants que dans celui du parlementarisme rationalisé. A titre d'exemple, il a indiqué qu'au cours de ses cinq années à la présidence de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, il n'avait jamais obtenu l'organisation d'un débat sur le maintien des troupes françaises en Côte d'Ivoire.

Il a constaté que si le non-cumul des mandats constituait une question, il n'était pas certain qu'il existât une majorité pour le voter.

M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, a alors observé que la réussite de la révision constitutionnelle commandait un changement substantiel dans les moeurs parlementaires, rappelant les effets limités de la réforme de 1995.

M. Edouard Balladur a évoqué le pouvoir décisif du Président de la République qui décide librement du mode de ratification des révisions de la Constitution -référendum ou Congrès. Evoquant la réforme inaboutie de 1973 sur le quinquennat, il a noté que la volonté du Parlement était restée inaccomplie par l'inaction du Président. Ce qui l'avait conduit à proposer vainement de fixer un délai de six mois au Président pour décider de la procédure retenue.

Répondant à M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, sur la valeur de l'avis rendu par les commissions parlementaires en matière de nomination, l'ancien Premier ministre a considéré que si l'avis rendu était défavorable, il serait difficile de nommer le candidat ainsi désavoué.

Abordant le droit de résolution accordé par le projet aux assemblées, M. Edouard Balladur a considéré qu'il ne touchait pas à l'équilibre des pouvoirs puisqu'il s'agissait de voeux dénués de contenu juridique qui s'avèreraient notamment utiles pour l'adoption de textes mémoriaux.

Il a ensuite évoqué les longues discussions nées, d'abord au sein du comité, puis du gouvernement, à propos de la mise en place de l'exception d'inconstitutionnalité, sur la proscription du régime des juges. Il a constaté qu'un tel contrôle existait dans toutes les démocraties occidentales et que l'instauration d'un filtre par les deux plus hautes juridictions était sage puisque le Conseil d'Etat comme la Cour de cassation étaient déjà familiers de la constitutionnalité des lois. En revanche, la limitation du contrôle aux textes postérieurs à 1958 lui semblait plus discutable.

Notant que le référendum d'initiative populaire figurait dans les propositions du Comité, il a approuvé l'interdiction d'abroger une disposition législative promulguée depuis moins d'un an par cette voie, laquelle ne doit pas se transformer en appel des décisions du Parlement.

Sur la composition du Conseil constitutionnel, il a rappelé la proposition du Comité d'en exclure pour l'avenir les anciens Présidents de la République qui en sont actuellement membres de droit. Il l'a motivée par l'allongement de l'espérance de vie et donc par l'éventualité d'une augmentation notable dans les vingt prochaines années du nombre de membres à vie, qui risquerait de déséquilibrer la composition du Conseil.

M. Edouard Balladur a alors, affirmé que le Défenseur des droits des citoyens, proposé par le projet, devrait intégrer de nombreux organismes existants, se prononçant contre la prolifération d'organismes extra-juridictionnels qui peuvent entraîner des atteintes à la liberté des citoyens et à la stabilité des lois. M. Jean-Jacques Hyest, président et rapporteur, a regretté l'incertitude pesant sur le périmètre d'intervention du Défenseur, en précisant que le Sénat avait fait le choix d'un contrôle permanent des prisons autonome lors de l'institution du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Poursuivant ce débat, M. Alex Türk a avancé trois arguments au maintien de la CNIL : l'existence d'un organe de contrôle indépendant, dans ce domaine, préalable à l'entrée dans l'Union européenne, la reconnaissance par le Conseil d'Etat de pouvoirs juridictionnels de fait à la CNIL et la labellisation des technologies que lui a confiée le législateur en 1995.

M. Edouard Balladur a répondu qu'il reviendrait au législateur de préciser les attributions du Défenseur et qu'il se déclarait défavorable, de manière générale, à la multiplication des organes.

M. Robert Badinter a souhaité connaître la position du Comité sur les autres attributions du Défenseur mentionnées par le projet de révision.

Se référant à son rapport qui avait renvoyé à la loi organique la faculté de confier au Défenseur des pouvoirs de décision, de médiation ou de transaction, M. Edouard Balladur a conclu que le législateur devrait intervenir, pour fixer ces dispositions sur la base des textes en vigueur régissant les organismes regroupés.

Jeudi 29 mai 2008

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Libertés publiques - Contrôleur général des lieux de privation - Audition de M. Jean-Marie Delarue, candidat proposé à la nomination de cette fonction

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Marie Delarue, candidat proposé à la nomination à la fonction de contrôleur général des lieux de privation de liberté.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que le Sénat avait largement contribué à ouvrir la voie d'un contrôle indépendant, d'abord à travers la commission d'enquête qu'il avait créée en 2000 sur les conditions de détention dans les prisons, suivie, l'année suivante, de l'adoption d'une proposition de loi, premier jalon du processus dont la loi du 30 octobre 2007 constituait le point d'aboutissement. Il a rappelé que la commission était, également, à l'origine de la consultation pour avis des commissions parlementaires compétentes dans le processus de nomination du contrôleur général, attendue depuis plusieurs mois.

Il a marqué qu'en conséquence la présente audition avait été organisée sans délai d'autant plus que la révision constitutionnelle en cours faisait planer quelques incertitudes sur la mise en place effective du contrôleur général au regard de la proposition d'instaurer un défenseur des droits des citoyens.

Après avoir retracé la carrière de M. Jean-Marie Delarue, le président Jean-Jacques Hyest a rappelé son audition par la commission, le 2 avril dernier, en sa qualité de président de la Commission de suivi de la détention provisoire, qui lui assurait donc une connaissance du monde pénitentiaire.

M. Jean-Marie Delarue a marqué le caractère inédit d'un exercice destiné à cerner les pouvoirs de la nouvelle autorité et à recueillir l'avis de la commission parlementaire.

Centrant son exposé sur les trois éléments-clé de la loi du 30 octobre 2007 (périmètre, pouvoirs et procédures), le candidat proposé a, sur le premier point, noté que les gestionnaires des prisons, zones d'attente et établissements psychiatriques ne maîtrisaient les flux, ni à l'entrée, ni à la sortie. Il a souligné la nature privative de liberté de ces lieux, laquelle impliquait, pour tous leurs pensionnaires, présentant des caractéristiques socio-professionnelles communes, une rupture très forte avec leur milieu d'origine.

Il a remarqué qu'après une période de grande déshérence entre 1945 et 1970, s'était fait jour, depuis, une prise de conscience de la condition pénitentiaire, dont il était souhaitable d'assurer la pérennité. Il voyait là la première mission du contrôleur général.

En énonçant différentes mesures positives intervenues ces dernières années (conditions d'incarcération, santé, accueil des familles, évolution de l'administration pénitentiaire), il a regretté que la situation actuelle des prisons françaises les classe dans les derniers rangs européens.

Déplorant les résultats décevants de la politique de réinsertion des prisonniers qui constituait un échec tant pour la sécurité de la population que pour les détenus, il a par ailleurs affirmé qu'une tradition d'opacité pesait encore fortement sur les personnels. Bien que compréhensible, la crainte paralysante du changement par la peur du chaos s'avérait sclérosante.

Abordant la question du surpeuplement des prisons, il l'a illustrée tout d'abord par la question des indigents : ceux-ci sont traditionnellement affectés au service général en contrepartie d'un pécule ; ces postes n'augmentant pas à proportion de la surpopulation, l'indigence croît.

Par ailleurs, le nombre des parloirs accordés à des familles aujourd'hui plus nombreuses ne peut que diminuer mécaniquement pour chaque détenu.

Il a, ensuite, évoqué la variété des situations des locaux de rétention, notant qu'en 2006, 530.000 personnes avaient été placées en garde à vue dans des locaux parfois préoccupants. Il a conclu cet état des lieux en mentionnant les établissements psychiatriques qu'il a indiqué n'avoir pas eu à connaître.

Abordant la question des missions du contrôleur général, fixées par la loi, il a déduit trois principes du caractère « général » de son rôle : tout d'abord, les lieux visités doivent intégrer les locaux « interstitiels », parfois oubliés comme les dépôts des palais de justice ; la charge du contrôleur général est, non de régler tous les cas particuliers, mais d'en tirer des enseignements généraux ; ce contrôle se distingue de la médiation -résolution des cas individuels- ; en conséquence, les délégués du médiateur, installés dans les prisons depuis 2005, continueraient leur travail.

Le contrôleur général devrait discerner les situations posant un problème de nature générale, veiller à la cohérence des institutions intervenant dans son domaine, auxquelles il ne se substituerait pas, et devrait enrichir leur action.

Evoquant les droits fondamentaux et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme depuis 1962, il a considéré que ces droits revêtaient deux aspects : le premier, qui échappait au contrôleur général, concernait le traitement judiciaire des personnes incarcérées ; en revanche, la situation des détenus dans les lieux privatifs de liberté relevait bien de sa compétence (santé, transfèrement, menottage, traitement médical...).

Il a considéré que la mission du contrôleur général serait de dénoncer les abus, les prévenir, remonter aux causes qui les induisent, aiguillonner.

M. Jean-Marie Delarue a regretté deux insuffisances de la loi de 2007, la première tenant à l'information du contrôleur général qui devrait pouvoir demander à l'administration la communication préalable des informations sur l'établissement visité, la seconde étant son incompétence en matière de conditions de travail du personnel. Il a redouté, à cet égard, le « syndrome du frère de l'enfant prodigue » chez les personnels de l'administration pénitentiaire et des autres établissements privatifs si l'institution du contrôleur général était comprise par eux comme une déconsidération de leur travail.

Enfin, le candidat proposé a considéré que les méthodes de travail du contrôleur général devaient reposer sur l'établissement de relations de confiance avec l'administration et l'ensemble de ses personnels, les autres corps de contrôle, les associations, les détenus et leur famille. Il a affirmé que le contrôleur général ne devrait pas être un élément de confusion supplémentaire.

Son activité devrait donc atteindre un équilibre difficile entre les exhortations inutiles et l'écho bavard.

Il a rappelé que les crédits alloués au contrôleur général lui permettraient de s'entourer d'une équipe réduite d'une vingtaine de personnes. Il en a approuvé le format en la souhaitant diverse et non spécialisée par catégorie de locaux de détention. Il a souligné la vertu des rassemblements de cultures professionnelles variées, en particulier pour la compréhension des faits.

M. Jean-Marie Delarue a affirmé qu'il ne souhaitait pas l'institution de contrôleurs régionaux, le contrôleur général devant disposer d'une vision d'ensemble du domaine.

Abordant la mise en oeuvre de la mission du contrôleur général, il a avancé la diversité des visites qu'il devrait effectuer (programmées, spontanées à partir de signalements, inopinées même s'il ne fallait pas en abuser). Il lui paraissait évident que, dans certaines circonstances, le contrôleur général n'aurait pas sa place (mutineries, déménagements à la suite d'inondation ...).

Evoquant, enfin, le rapport annuel que devrait élaborer le contrôleur général, il a marqué l'importance du document destiné au Parlement fondateur de cette institution sur laquelle les parlementaires porteraient un regard critique. Il a noté que le contrôleur acquerrait une magistrature d'influence par ses écrits.

En conclusion, M. Jean-Marie Delarue a indiqué mesurer l'enjeu de la mise en place de cette nouvelle institution sur le long terme et a considéré que la future loi pénitentiaire devrait faciliter sa tâche.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a déclaré que le premier contrôleur général déterminerait le développement futur de l'institution et insisté sur l'urgence d'une loi pénitentiaire à condition qu'elle soit ambitieuse.

M. Jean-Pierre Sueur s'est interrogé sur la création par le projet de révision constitutionnelle d'un Défenseur des droits des citoyens qu'il ne souhaitait pas voir absorber l'institution du contrôleur général. M. Jean-Jacques Hyest, président, a alors rappelé que le Sénat avait marqué sa volonté de créer un contrôleur général autonome. M. Jean-Pierre Sueur a poursuivi en notant que les dernières modifications de la loi pénale provoquaient l'augmentation de la population pénitentiaire et donc une situation qui resterait insoluble malgré l'achèvement futur du programme de construction en cours. Il a interrogé le candidat proposé sur la question de la sortie de prison.

Après lui avoir fait part de toute sa confiance, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a interrogé M. Jean-Marie Delarue sur les rapports du contrôleur général avec le futur Défenseur des droits des citoyens. Elle a également douté de l'adéquation des moyens alloués au contrôleur général à la mission qui lui était dévolue. Elle a demandé, en conséquence, au candidat proposé s'il distinguait des priorités urgentes.

M. Jean-René Lecerf a posé la question de l'attribution au contrôleur général d'une mission d'expertise ainsi que d'un rôle de liaison entre les différentes catégories de personnels qui travaillent ensemble mais se parlent peu (comme les personnels pénitentiaires et médicaux).

M. Pierre Fauchon a déclaré souscrire à toutes les indications exprimées par le candidat proposé pour la mission de contrôleur général. Il lui a demandé des éclaircissements sur le modèle anglais.

Mme Alima Boumediene-Thiery a interrogé M. Jean-Marie Delarue sur la conclusion d'un éventuel partenariat avec les diverses associations intervenant dans ce secteur.

M. Jean-Marie Delarue a apporté les réponses suivantes :

- il est convenu que plusieurs motifs militaient en faveur de la création d'un défenseur des droits des citoyens, comme le foisonnement des organismes administratifs qui posait la question de leur utilité ou la symbolique forte qui s'attacherait à l'extension de ses compétences aux prisonniers. Toutefois, pour le présent, ils ne lui paraissaient pas convaincants. En effet, le contrôleur général avait été institué en 2007 à l'issue d'un débat approfondi, les engagements internationaux de la France militaient en faveur d'un mécanisme de contrôle autonome et la mise en place d'un organisme susceptible de couvrir l'ensemble des Droits de l'Homme, de nature très variée, apparaissait impossible ; enfin, l'état de délabrement des prisons françaises, notamment décrit par le Sénat, requérait un traitement particulier ;

- l'achèvement du programme de construction en cours laisserait un déficit de 6.000 places. Pour lui, le renforcement de la répression pénale devait s'accompagner des moyens correspondants. De même, le renoncement annoncé aux grâces collectives et aux lois d'amnistie conduisait à réexaminer le système d'aménagement des peines ;

- une de ses priorités visait au rapprochement de la vie des prisonniers au plus près de celle des citoyens ordinaires ;

- le rôle d'expertise du contrôleur général, qui devrait centraliser l'ensemble des rapports d'inspection, découlerait du sérieux de ses comptes rendus d'activité ;

- sans se prononcer sur l'ensemble du système anglais, il a toutefois précisé, que, dans ce pays qui connaît un taux d'incarcération très élevé, le contrôleur général s'y distinguait de l'ombudsman ;

- l'établissement, par le contrôleur général, de relations de confiance avec les associations lui paraissait normal, mais en raison de la spécificité de sa mission, il ne devrait pas s'agir de partenariat.

Sécurité - Chiens dangereux - Désignation des candidats à la commission mixte paritaire

La commission a procédé à la désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux.

Elle a désigné MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-Patrick Courtois, Dominique Braye, René Garrec, Yves Détraigne, Jean-Claude Peyronnet et Mme Eliane Assassi comme membres titulaires et MM. Nicolas Alfonsi, François-Noël Buffet, Jacques Gautier, Jacques Mahéas, François Pillet, Jean-Pierre Sueur et François Zocchetto, comme membres suppléants.

Libertés publiques - Contrôleur général des lieux de privation - Examen de l'avis de la commission sur la candidature de M. Jean-Marie Delarue

Après l'audition, la commission a débattu de la candidature proposée. Elle a décidé, à l'unanimité, d'émettre un avis favorable à la nomination aux fonctions de contrôleur général des lieux de privation de liberté de M. Jean-Marie Delarue.

La commission a, en outre, exprimé sa volonté unanime de maintenir l'autonomie du contrôleur général et donc de ne pas souscrire, lors du prochain débat sur le projet de révision constitutionnelle, à sa fusion avec le Défenseur des droits des citoyens.