Mardi 28 octobre 2008

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine -

Diffusion et protection de la création sur internet - Examen du rapport pour avis

La commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Bruno Retailleau sur le projet de loi n° 405 (2007-2008) favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a souligné la légitimité de la commission des affaires économiques à donner un avis sur ce projet de loi : ce dernier comprend en effet la modification d'un article important du Code des postes et communications électroniques, code dont la commission est familière, et de la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l'économie numérique, dont la commission fut saisie au fond.

Il a tout d'abord souligné l'enjeu économique et artistique du piratage : un milliard de fichiers sont piratés chaque année en France alors que, par ailleurs, depuis cinq ans, l'industrie du disque a vu chuter de moitié ses ventes de CD.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a ensuite exposé le caractère non satisfaisant de la situation juridique actuelle : du fait de la loi droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) de 2006, un pirate encourt une sanction pénale au titre du délit de contrefaçon, qui apparaît disproportionnée par rapport à la faute commise (300 000 euros d'amende et trois ans d'emprisonnement).

L'idée du projet de loi est donc de mettre en place une sanction administrative, plus légère et plus simple, en réponse à tout manquement à l'obligation de sécurisation de l'accès à internet.

Le texte prévoit à cette fin la création de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) se substituant à l'Autorité de régulation des mesures techniques et chargée de faire respecter le droit d'auteur par un mécanisme de « riposte graduée ». Au premier acte de téléchargement illégal, le pirate serait averti par courrier électronique, puis le deuxième acte conduirait à un avertissement par lettre recommandée avec accusé de réception et, enfin, au troisième acte commis dans un délai d'un an, l'abonnement à internet du pirate pourrait être suspendu.

Cependant, la personne considérée comme fautive n'étant pas forcément celle qui commet la faute, mais celle qui a l'obligation de surveiller et de sécuriser son accès à internet, le texte prévoit trois motifs d'exonération de la responsabilité de l'abonné : mise en oeuvre d'un moyen de sécurisation de l'accès, détournement frauduleux de son accès par un tiers, force majeure.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a souligné que son rapport avait cherché à trouver un équilibre, en s'inspirant des conclusions de la mission conduite par M. Denis Olivennes à l'automne 2007. Ces dernières avaient en effet souligné la nécessité d'encourager l'offre légale, parallèlement à la mise en place d'un système de sanction. Il a également appelé à une meilleure articulation de la protection du droit de la propriété intellectuelle avec la protection de la vie privée, notamment en matière de constitution de fichiers. Il a considéré qu'en tout état de cause, si on ne pouvait admettre une atteinte massive au droit de la propriété intellectuelle, la sanction du piratage à travers une riposte graduée ne suffirait pas à résoudre toutes les difficultés de la filière culturelle. Celle-ci doit définir de nouveaux modèles économiques et prendre en compte les contraintes et les opportunités du réseau internet.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a ensuite exposé les trois directions qui avaient orienté son travail.

Tout d'abord, il a exprimé son souhait de promouvoir la dissuasion du piratage, non seulement par la sanction, mais aussi par l'encouragement de l'offre légale, point sur lequel le projet de loi est muet. Cet encouragement pourrait se faire par exemple en conditionnant les aides publiques aux films à leur disponibilité en vidéo à la demande, en renforçant l'interopérabilité ou en réduisant le délai entre la sortie en salle d'un film et sa mise en ligne.

Ensuite, il a indiqué vouloir préserver le potentiel d'internet et du numérique en matière d'emplois et de productivité. Le projet de loi ne doit donc pas porter atteinte à l'essence d'internet, au risque de brider ce gisement de croissance, et ce seulement en France. Conformément aux accords de l'Elysée signés en novembre 2007, tout filtrage des réseaux, très difficile et coûteux à mettre en oeuvre, intrusif et d'une efficacité très discutable, doit donc être écarté.

Enfin il a insisté sur la nécessité d'une meilleure compatibilité entre le droit de propriété intellectuelle et la protection de la vie privée et a déclaré soutenir le principe d'une riposte graduée en trois étapes, proposé par le texte gouvernemental.

Cependant l'audition des responsables du Conseil général des technologies de l'information (CGTI) et de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a fait apparaître un risque de rupture d'égalité des Français devant la loi, induit par le troisième étage de la sanction. En effet, du fait de l'impossibilité de faire un tri entre les flux, la suspension de l'abonnement internet peut conduire, pour plus de 1,2 million de lignes, à la suspension de l'accès au téléphone ou à la télévision par ADSL. M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a donc souligné le risque d'inconstitutionnalité de cette mesure. Il a proposé de substituer à la suspension de l'abonnement, une amende. Ce type de sanction présente plusieurs avantages : elle frappe chacun de la même façon, évite d'avoir à constituer un fichier destiné à empêcher le réabonnement des internautes suspendus et induit des recettes qui pourraient être distribuées aux artistes lésés. En outre, le rapporteur pour avis a rappelé que le Président de la République avait assimilé l'accès au haut débit à une « commodité essentielle » et que la France plaidait pour l'inclusion du haut débit dans le service universel à l'échelon communautaire, ce qui paraît interdire sa suspension. L'amende est donc préférable, d'autant plus que la Chancellerie, dans une circulaire du 3 janvier 2007, a souligné que « les peines de nature exclusivement pécuniaires apparaissent parfaitement adaptées et proportionnées à la répression du téléchargement illicite qui est essentiellement motivé par un souci d'économie ».

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a fait valoir que, par cette modification, le texte se trouverait juridiquement sécurisé et serait moins attentatoire aux libertés.

En conclusion, il a noté que l'avis de la commission des affaires économiques permettait de garder le coeur de la « riposte graduée » tout en la rendant plus efficiente et plus juste. Par ailleurs, il a estimé nécessaire que, face à ce texte difficile et qui donne lieu à des débats ardus, le Sénat se positionne dans le contexte nouveau induit par la révolution numérique et cherche à adapter les réponses d'aujourd'hui et de demain à ce contexte en pleine évolution.

Un débat s'est alors ouvert.

M. Gérard Cornu a salué le travail du rapporteur et reconnu que le système d'amendes était beaucoup plus judicieux. Il a estimé qu'il était nécessaire que le législateur fixe le montant de l'amende, afin que celle-ci soit réellement dissuasive.

M. Daniel Raoul a rappelé son souhait d'une convergence entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et l'ARCEP sur le contrôle des contenus : selon lui, on ne peut séparer les « tuyaux » et ce qu'ils transmettent.

Il a ensuite estimé que le piratage constituait un préjudice majeur. Même si ce texte n'est pas parfait, il en a relevé la vertu pédagogique et annoncé que le groupe socialiste voterait le projet de loi.

En réponse, M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a indiqué que l'amende permettait d'éviter de traiter différemment deux internautes français, du fait de l'impossibilité de « prioriser » un flux par rapport à un autre au sein de la connexion internet. Par ailleurs l'amende pourrait être modulée et majorée si l'oeuvre piratée est par ailleurs présente sur une plate-forme d'offre légale, conformément à l'esprit des recommandations du rapport Olivennes. Enfin, il a exprimé sa certitude quant au caractère dissuasif de l'amende, dont le montant serait fixé par décret du ministre de la Culture.

Il a précisé que M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique avait lancé une réflexion sur le rapprochement entre l'ARCEP et le CSA. Il a par ailleurs craint que le projet de loi ne vienne trop tard et que les internautes n'apprennent à contourner le texte en quelques mois. Il a considéré que les modèles économiques étaient en évolution, le paiement à l'acte étant délaissé, mais ne permettaient pas encore de rémunérer la chaîne de valeur.

M. Francis Grignon s'est interrogé sur le caractère provisoire ou définitif de la suspension de l'accès à internet, proposée par le projet de loi.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a indiqué que la suspension pouvait s'appliquer sur une période de 3 mois à 1 an, une transaction pouvant permettre de ramener cette durée entre 1 et 3 mois.

M. Michel Magras a indiqué ne pas croire à l'efficacité de la suspension de l'abonnement internet, soulignant que les jeunes étaient la cible principale du texte. Il a jugé que l'amende présentait un caractère plus dissuasif. Il a fait valoir qu'aux Etats-Unis, certains chanteurs mettaient leurs albums à disposition en téléchargement légal avant de les vendre sous forme de CD, et qu'il avait été constaté une augmentation des ventes sur internet et une baisse du piratage.

M. Daniel Raoul a souligné que les systèmes de pay per view - paiement à l'acte - étaient une bonne solution à condition que leur prix reste accessible. Il a également suggéré qu'un pourcentage minimal des recettes provenant de ces plates-formes légales soit attribué aux auteurs.

Il a relevé que la consommation d'un bien culturel ne constituait pas un droit fondamental inscrit dans la Constitution et a par contre appelé à une action forte du Gouvernement pour bloquer l'amendement 138, déposé par le député européen M. Guy Bono sur le « paquet télécom » et avalisé par la Commission européenne.

M. Michel Magras a relevé que le montant des droits d'auteur représentait une part faible du montant total des recettes, mais que ce montant était souvent plus important s'agissant des ventes sur internet.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a fait valoir que le texte du Gouvernement faisait reposer le système de sanction sur l'obligation de sécurisation de l'accès internet : il s'est ainsi inquiété des difficultés de suspension des abonnements avec accès Wifi souscrits par les collectivités territoriales (ainsi Paris compte 400 points d'accès Wifi) ou dans le cadre des résidences universitaires.

Il a également souligné qu'internet constituait une révolution car il conduit à la dématérialisation des biens culturels ; ceux-ci peuvent être consommés par autant de consommateurs qu'il s'en présente, sans coût additionnel, ce qui bouleverse les principes de tarification de ces biens.

Il a exposé, en outre, qu'en matière de calcul de droits d'auteurs, les majors - grandes maisons de disques - étaient en train de mettre en place des formes de licences légales privées.

Il a précisé que le risque constitutionnel qu'il soulevait concernait la privation de l'accès aux numéros d'urgence par téléphone en cas de coupure de l'abonnement internet pour plus d'un million de lignes. L'amende évite cette discrimination.

La commission a ensuite procédé à l'examen des amendements et sous-amendements présentés par le rapporteur.

A l'article 2 (article L. 331-13 du code de la propriété intellectuelle - Organisation et missions de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet- HADOPI), la commission a adopté un sous-amendement à l'amendement n° 5 de la commission des affaires culturelles tendant à préciser les missions de la Haute autorité, s'agissant de l'encouragement au développement de l'offre légale.

A l'article 2 (article L. 331-15 du code de la propriété intellectuelle - Composition du collège), elle a adopté deux amendements, l'un pour assurer une meilleure représentativité du collège de l'HADOPI, l'autre pour associer le Parlement à la nomination du président de cette autorité.

A l'article 2 (article L. 331-24 du code de la propriété intellectuelle - Envoi des recommandations), elle a adopté quatre amendements respectivement destinés à sécuriser le déclenchement d'une procédure par l'HADOPI, faire mentionner dans la recommandation de l'HADOPI la liste des oeuvres illicites motivant cette dernière, assurer la gradation de la riposte et ouvrir la possibilité de contester une recommandation de l'HADOPI.

A l'article 2 (article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle - Définition des sanctions), elle a adopté quatre amendements tendant respectivement à faire précéder toute sanction d'une lettre recommandée, substituer une amende à la coupure d'accès à internet comme sanction ultime de la riposte graduée, informer les personnes sanctionnées du traitement de données personnelles les concernant et rendre suspensif le recours contre les décisions de l'HADOPI.

A l'article 2 (article L. 331-28 du code de la propriété intellectuelle - Modalités d'application de la suspension de l'accès à internet), elle a adopté deux amendements, l'un pour assurer la compatibilité du texte avec l'article L. 121-84 du code de la consommation, le second pour empêcher toute suspension d'accès internet dans les cas où cette suspension entraînerait aussi celle des autres services associés, dont le téléphone fixe.

A l'article 2 (article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle - Mise en service de la mesure de suspension), elle a adopté un amendement de simplification.

A l'article 2 (article L. 331-30 du code de la propriété intellectuelle - Liste des moyens de sécurisation de l'accès à internet), elle a adopté un amendement destiné à mieux caractériser les moyens de sécurisation du poste dont la mise en oeuvre exonère l'abonné de toute responsabilité.

A l'article 2 (article L. 331-31 du code de la propriété intellectuelle - Répertoire national des personnes faisant l'objet d'une suspension de leur accès à internet), elle a adopté, outre un amendement de précision, un amendement permettant aux abonnés de consulter le répertoire des noms de ceux interdits de réabonnement durant la suspension de leur accès internet.

A l'article 2 (article L. 331-34 du code de la propriété intellectuelle - Traitement automatisé de données à caractère personnel), elle a adopté un sous-amendement à l'amendement n° 35 de la commission des affaires culturelles, encadrant les modalités de consultation du répertoire des abonnés suspendus par les fournisseurs d'accès internet, ainsi qu'un amendement prévoyant que c'est à l'HADOPI que devront être adressées les réclamations des internautes.

A l'article 2 (article L. 331-35 du code de la propriété intellectuelle - Définition des règles applicables à la procédure et à l'instruction des dossiers), elle a adopté un amendement prévoyant de compenser les charges financières que ce projet de loi entraînera pour les fournisseurs d'accès.

A l'article 5 (Procédure devant le juge pour faire cesser les atteintes aux droits d'auteur et aux droits voisins sur les services de communication en ligne), la commission a adopté un amendement visant à renforcer l'orthodoxie juridique et sémantique de cet article relatif aux pouvoirs du juge, notamment en termes de filtrage et de restriction de l'accès à ces contenus.

A l'article 6 (Obligation de surveillance de l'accès à internet par le titulaire de l'abonnement), elle a adopté trois amendements : le premier visant à exonérer les personnes morales du système de riposte graduée, le deuxième pour éviter à l'abonné de devoir prouver le caractère frauduleux d'une intrusion subie sur son accès internet, le dernier pour assurer l'information du consommateur sur les conditions d'utilisation des oeuvres qui lui sont proposées en offre légale.

Après l'article 9, elle a adopté un sous-amendement à l'amendement n° 50 de la commission des affaires culturelles pour imposer que les négociations interprofessionnelles sur la chronologie des médias aboutissent au plus tard à l'entrée en vigueur du projet de loi.

Avant l'article 10, elle a adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel pour conditionner l'octroi d'aides publiques aux oeuvres cinématographiques à l'engagement d'exploitation du film sur un service de vidéo à la demande (VOD) dans les meilleurs délais.

Après l'article 11, elle a adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel prévoyant l'entrée en vigueur de la loi six mois après sa publication.

La commission a enfin donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi ainsi modifié.