Mercredi 4 mars 2009

- Présidence de M. Jacques Legendre, président -

Projet du musée Louvre Abou Dabi - Audition de M. Bruno Maquart, directeur général de l'Agence France-Muséums

La commission a procédé, tout d'abord, à l'audition de M. Bruno Maquart, directeur général de l'Agence France-Muséums en charge du projet Louvre Abou Dabi, accompagné de MM. Emmanuel Coquery, directeur scientifique adjoint de l'Agence et Ugo Bertoni, chargé de mission.

Rappelant que l'accord intergouvernemental entre la France et les Émirats arabes unis relatif au musée universel d'Abou Dabi avait été signé il y a deux ans, M. Bruno Maquart a indiqué que les polémiques suscitées par ce projet lors de son lancement tenaient d'abord à une méconnaissance de la région, qui est une terre de culture ancestrale. Cette fédération de sept émirats compte plus de six millions d'habitants dont cinq millions d'étrangers, en majorité des jeunes. Elle connaît une croissance très dynamique, portée par Abou Dabi qui représente 56 % du produit intérieur brut fédéral et 94 % des réserves pétrolières, et dont l'économie se diversifie. L'île naturelle de Saadiyat va accueillir un « district culturel » qui comprendra, outre le Louvre, plusieurs musées. La Sorbonne est déjà implantée à Abou Dabi depuis 2006.

Il a ajouté que l'Agence France-Muséums, créée en juillet 2007, a vocation à accompagner la définition du projet scientifique et culturel du musée, avant son ouverture prévue fin 2013, puis à apporter une aide au démarrage, pendant une période de trente ans. Les prêts des collections françaises s'organiseront par rotation et donneront lieu à des compensations financières ; le nombre d'oeuvres concernées sera décroissant et limité à 300 au départ. L'Agence organisera également quatre expositions temporaires par an pendant quinze ans. Constituée sous la forme d'une société par actions simplifiée, elle peut faire preuve d'une grande réactivité. Elle est financée par la partie émirienne et rassemble dans son capital douze établissements publics du ministère de la culture et de la communication. Son conseil d'administration est présidé par M. Marc Ladreit de Lacharrière et son conseil scientifique par M. Henri Loyrette, président directeur du Louvre.

M. Bruno Maquart a souligné que l'Agence offrait à ses partenaires émiriens une vitrine de l'expertise française. Elle fait pour cela appel à des consultants extérieurs.

M. Emmanuel Coquery a présenté ensuite le projet scientifique et culturel du musée, en indiquant qu'il s'agit d'un véritable projet d'éducation. L'institution sera originale et servira de laboratoire pour le futur : le musée universel rassemblera en un même lieu l'ensemble des cultures du monde afin de permettre leur confrontation, sur une période historique qui s'étendra, autour d'un parcours chronologique, de l'Antiquité à l'ère contemporaine. Les accrochages des oeuvres seront annuels, ce qui facilitera la gestion des prêts d'oeuvres pour les musées français. Ils seront thématisés et scénarisés, la médiation et l'accompagnement des visiteurs étant mis au premier plan. Une annexe sera créée pour initier les enfants au rapport avec les oeuvres d'art. Afin de veiller à la qualité des acquisitions faites par la partie émirienne, une commission bipartite a été mise en place.

M. Emmanuel Coquery a souhaité que le savoir-faire et l'innovation mis au service de ce projet profitent à l'ensemble des musées partenaires.

Enfin, M. Bruno Maquart a ajouté que la transmission des savoir-faire, par la formation des personnels, constituait également un enjeu important.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Yves Dauge a rappelé que les interrogations émises au moment des débats sur le projet de loi portant approbation de l'accord intergouvernemental, à l'automne 2007, étaient liées, notamment, au fait que le projet scientifique et culturel du musée n'avait pas encore été précisément défini, alors que le projet architectural était déjà rendu public. Il a souhaité connaître le nom du maître d'ouvrage du projet et la manière dont s'organisait la maîtrise d'oeuvre. Il s'est interrogé, enfin, sur la façon dont cet établissement sera géré à l'avenir.

Mme Catherine Morin-Desailly a voulu savoir quelle était la place des musées en région dans ce projet de coopération.

Enfin, M. Jacques Legendre, président, a demandé des précisions sur le programme de formation en direction des Emiriens, notamment en vue de les sensibiliser à l'approche française en matière de gestion muséale.

En réponse, M. Bruno Maquart a apporté les précisions suivantes :

- l'architecte Jean Nouvel avait déjà été sélectionné au moment de la signature de l'accord, le 6 mars 2007 ; une première version du projet scientifique a été établie fin 2007 et une autre, plus conséquente, a été présentée en décembre 2008 ; il s'agit donc désormais d'adapter le projet architectural aux exigences ainsi fixées ;

- la maîtrise d'ouvrage est assurée par les autorités publiques d'Abou Dabi, notamment l'agence gouvernementale TDIC (Tourism Development and Investment Company), en charge des grands projets ; l'Agence France-Muséums y est étroitement associée, par un mécanisme de codécision qui fonctionne bien ; le maître d'oeuvre principal, les Ateliers Jean Nouvel, est assisté par un maître d'oeuvre secondaire réunissant plusieurs entreprises ;

- il faudra du temps pour former des professionnels ; l'Agence est actuellement dans une phase de recherche de partenaires et d'élaboration de contenus de programmes de formation.

M. Emmanuel Coquery a ajouté que tous les musées, y compris ceux situés en région, sont les bienvenus dans le projet. Ils pourront prêter certaines de leurs oeuvres, sur la base du volontariat, et recevront alors des contreparties financières.

Diversité linguistique - Audition de M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, sur la proposition de résolution européenne n° 204 (2008-2009) sur le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes.

M. Jacques Legendre, président, a tout d'abord rappelé que la proposition de résolution européenne partait du constat d'une tendance lourde à l'unilinguisme anglophone et d'un recul significatif des positions du français et de l'allemand dans l'Union européenne. L'utilisation de la seule langue anglaise dans les négociations d'adhésion menées par la Commission européenne ou encore l'absence de traduction de certains documents communautaires intéressant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) constituent autant d'entorses inacceptables au multilinguisme qui ont convaincu la commission des affaires européennes du Sénat de la nécessité d'enjoindre au Gouvernement de faire respecter la diversité linguistique au sein des institutions de l'Union européenne. M. Jacques Legendre, président, a dès lors souhaité faire le point sur les efforts déployés par les autorités françaises pour non seulement défendre la place du français mais également garantir le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions communautaires.

M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a souligné, en préambule, l'extrême sensibilité politique de la question des langues dans l'Union européenne. En témoignent le principe d'égalité entre les langues officielles de la Communauté posé sans ambiguïté par le règlement n° 1/1958 du 15 avril 1958 portant fixation du régime linguistique de l'Union européenne, ou encore la consécration du respect de la « diversité culturelle, religieuse et linguistique » comme principe essentiel dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Il s'est attaché, ensuite, à dresser un bilan de la pratique du multilinguisme, tant à l'écrit qu'à l'oral, dans le fonctionnement des différentes institutions communautaires.

En ce qui concerne les pratiques linguistiques à l'écrit, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a rappelé qu'à la Commission européenne tout document juridiquement contraignant est impérativement traduit dans les vingt-trois langues officielles de l'Union. Ce principe vaut pour tout document adopté par le collège des commissaires.

Néanmoins, s'agissant des documents intermédiaires, la Commission fonctionne selon un système de trois langues de travail (anglais, français et allemand) dans lesquelles sont traduits tous les documents préparatoires soumis au collège. Cette pratique continuant d'être fortement contestée par certains États membres tels que l'Espagne, l'Italie, le Portugal, les Pays-Bas ou la Pologne, la Commission se montre réticente à généraliser l'usage de ces trois langues de travail.

En outre, les documents provisoires faisant l'objet de négociations entre les services de la Commission sont très majoritairement produits en anglais pour des raisons essentiellement pratiques tenant au nombre croissant de responsables hiérarchiques maîtrisant mieux l'anglais que le français, en particulier depuis l'élargissement de 1995 et avec une situation aggravée avec l'arrivée de dix puis douze nouveaux Etats membres. En effet, l'anglais est de rigueur dès lors qu'un document est destiné à un directeur général de la Commission ou à un commissaire non francophone.

Se pose ainsi l'enjeu fondamental de la formation au français des fonctionnaires et responsables européens. À cet égard, l'action conjointe de la France et de l'Allemagne en faveur de l'introduction de l'exigence de maîtrise d'une deuxième langue étrangère pour l'accès aux postes de responsabilité a constitué une avancée majeure.

Par ailleurs, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a reconnu que la Commission européenne n'était pas exempte d'un certain nombre de mauvaises habitudes de fonctionnement en matière de respect de la diversité linguistique européenne, par exemple au niveau de sa direction générale de l'élargissement. Si les documents stratégiques relatifs à l'élargissement sont naturellement traduits dans toutes les langues officielles, il est regrettable, en revanche, que les négociations d'adhésion se déroulent presque exclusivement en anglais. Même si l'on peut comprendre que l'usage d'une seule langue de négociation soit souvent inévitable et que le recours très majoritaire à l'anglais dans ce domaine s'explique par le fait que la plupart des fonctionnaires des nouveaux États membres avaient une meilleure connaissance de cette langue, le recours systématique à l'anglais ne se justifie pas. Il était incompréhensible, notamment, lors de la négociation d'adhésion de la Roumanie.

Le retard pris dans la traduction de certains documents préparatoires comme les avant-projets budgétaires ou le document consacré aux agences communautaires visé dans la proposition de résolution européenne, constitue une fâcheuse tendance qui pénalise les parlements nationaux dans l'exercice effectif de leur mission de contrôle des affaires européennes.

Les entorses au multilinguisme institutionnel concernent également la publication par la Commission d'appels d'offre dans la seule langue anglaise, qui vont même jusqu'à requérir une réponse dans cette langue. Face à ces pratiques inacceptables, la vigilance tant des pouvoirs publics français que des nombreuses associations de défense du plurilinguisme est indispensable.

M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a indiqué que la situation du multilinguisme à l'écrit était comparable au Conseil. La place du français y dépend en grande partie de la langue de travail choisie par la présidence.

Les documents relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune et aux questions de défense, dits documents « COREU-PESC », et les simples déclarations européennes dans ces matières obéissent à un régime bilingue dérogatoire anglais/français ; en revanche, chaque décision juridique adoptée par le Conseil, et notamment ses conclusions, font l'objet d'une traduction systématique dans toutes les langues officielles.

L'enjeu du respect du multilinguisme porte principalement sur les documents préparatoires transmis par la présidence et le secrétariat général du Conseil, qui servent de base de travail aux différents groupes de travail. Ces documents sont très majoritairement produits en anglais, mais le français est, par ailleurs, clairement la seconde langue qui compte.

M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a relevé que, dans la pratique, un mélange des deux langues, anglais et français, était envisageable comme l'ont démontré très récemment les négociations sur le paquet énergie-climat : à partir d'un texte de base préparé en anglais sous présidence slovène a pu être dégagé un compromis final mêlant parfois anglais et français à l'issue de négociations menées sous présidence française.

En ce qui concerne le Parlement européen, tous les documents utilisés en session plénière sont traduits dans les vingt-trois langues officielles. Cependant, une approche plus pragmatique est privilégiée dans le cas des réunions préparatoires, notamment les réunions de commissions et de groupes politiques, en se fondant sur des besoins de traduction communiqués à l'avance. Le fonctionnement multilingue original du Parlement européen capte jusqu'à 33 % du budget de l'institution.

En ce qui concerne les pratiques linguistiques à l'oral, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a indiqué que les réunions de travail de la Commission européenne se déroulaient très majoritairement en anglais, pour les mêmes raisons hiérarchiques évoquées précédemment, à l'exception des réunions du collège des commissaires qui, elles, font l'objet d'un recours à l'interprétation dans les trois langues de travail de la Commission. La présence d'interlocuteurs non francophones au sein des réunions de travail pénalise très fortement l'usage du français, alors même que la connaissance passive de notre langue reste assez bonne chez beaucoup d'agents publics communautaires.

Au Conseil, les réunions ministérielles bénéficient d'un système d'interprétation intégrale qui s'appuie sur le travail remarquable du Service commun interprétation-conférences (SCIC). Le SCIC doit à tout moment être en mesure d'interpréter les négociations susceptibles d'avoir des effets juridiques pour l'Union européenne. Le passage de onze à vingt-trois langues officielles et l'impossibilité technique d'assurer certaines combinaisons linguistiques bilatérales ont conduit à l'utilisation d'interprètes extérieurs au SCIC et au recours à plusieurs langues pivots, entraînant ainsi un risque de déperdition de l'information.

Le Comité des représentants permanents des États membres auprès de l'Union européenne (COREPER) obéit à un régime linguistique original, fondé sur trois langues de travail (anglais, français et allemand), en vertu d'un usage consacré par un arrangement agréé en décembre 2003.

Enfin, en ce qui concerne les réunions des groupes de travail du Conseil, celles portant sur des sujets techniques font en général l'objet d'une interprétation intégrale alors que les autres fonctionnent selon un système d'interprétation à la demande.

M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a insisté sur le fait que nombreux sont les délégués des États membres maîtrisant le français mais réticents à s'exprimer dans cette langue car ils ont parfois l'impression que les Français refusent à Bruxelles de s'intéresser à toute autre langue que le français. Il est néanmoins désormais reconnu que la France s'investit beaucoup en faveur de la diversité linguistique au bénéfice de toutes les langues officielles dans le fonctionnement des institutions de l'Union européenne.

Il a indiqué qu'il reviendrait à la présidence espagnole du Conseil au premier semestre 2010 de se pencher sur la révision du régime linguistique des enceintes préparatoires du Conseil.

S'agissant du régime linguistique en vigueur à la Cour de justice des Communautés européennes, le principe d'égalité entre les langues officielles est rigoureusement appliqué dès lors que la langue de procédure est déterminée par la langue du plaignant. En revanche, la Cour nécessitant une langue commune pour délibérer, cette langue est traditionnellement, mais non statutairement, le français.

Enfin, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a rappelé que c'est essentiellement depuis l'élargissement intervenu en 1995 que le français a commencé à accuser un recul significatif dans le fonctionnement des institutions communautaires. À la suite de cet élargissement, l'anglais s'est rapidement imposé comme le plus petit dénominateur linguistique commun et ses positions n'ont eu de cesse de se renforcer à la suite de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale.

Il convient, néanmoins, de ne pas noircir excessivement le tableau, en gardant à l'esprit que le français demeure la seule langue, certes loin derrière l'anglais, à constituer une langue véhiculaire au sein du Conseil. Il importe d'investir massivement dans l'offre de formation au français en direction des fonctionnaires des différents États membres et des institutions. La France le fait déjà beaucoup en abondant, plus que ses partenaires européens francophones, le plan pluriannuel pour le français dans les institutions européennes que coordonne l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), plan qui a été un très grand succès. Mais il serait souhaitable de renforcer notre coopération bilatérale en augmentant fortement notre offre linguistique. D'autres stratégies peuvent également être mises en place : l'accord de coopération administrative que le SGAE va signer avec la Roumanie en est un exemple. Par ailleurs il faut être conscient que, au-delà de la formation linguistique, la France doit être attractive sur le fond. Rien ne remplacera en effet l'attractivité et l'influence de la politique européenne de la France comme motivation pour l'apprentissage et l'usage du français. Le succès indiscuté de la Présidence française de l'UE a été à cet égard un élément qui peut compter pour la suite.

Un large débat s'est ensuite engagé.

Après avoir salué la détermination et l'optimisme du secrétaire général, Mme Monique Papon a, néanmoins, déploré la régression significative de la place du français au sein des institutions européennes qu'illustrent, en particulier, trois exemples inquiétants rapportés par M. Alex Türk, président de la CNIL, devant la commission des affaires européennes :

- la prochaine conférence européenne sur la protection des données personnelles à Edimbourg pourrait se dérouler dans la seule langue anglaise sans qu'aucune traduction ne soit assurée ;

- il est demandé à la France d'assumer le coût des traductions nécessaires dans le cadre de la procédure d'évaluation « Schengen » qui sollicite à la fois le ministère de l'intérieur et la CNIL ;

- de plus en plus de hauts fonctionnaires français s'expriment désormais en anglais.

Elle s'est émue du fait que, au sein même de la CNIL, dont le quart des activités a un caractère international, les documents juridiques sur lesquels elle est appelée à se prononcer sont désormais rédigés en anglais, ce qui confère potentiellement à ses homologues anglais un pouvoir exorbitant d'arbitrage juridique par le biais de la langue. Au-delà de la proposition de résolution européenne adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes, Mme Monique Papon s'est donc interrogée sur les actions à mettre en oeuvre pour redonner au français la place qu'il mérite au sein des institutions communautaires.

Se réjouissant de l'absence de tout fatalisme dans l'exposé du secrétaire général, M. Yves Dauge a invité les pouvoirs publics à la plus grande vigilance devant la multiplication des discriminations fondées sur la langue, en soulignant à ce titre l'importance des règles de droit dans la défense des causes minoritaires. Il a exhorté le Gouvernement à investir massivement dans le développement de l'offre de formation au français en direction non seulement des élites bruxelloises, mais également de tous ceux qui, de par le monde, aspirent de façon croissante à apprendre le français. Il s'agit là d'un enjeu au coeur de la politique d'attractivité de la France qui nécessite d'inscrire la question linguistique dans une démarche plus large de promotion de la diversité culturelle entendue dans sa globalité, en s'appuyant sur les outils de notre action culturelle extérieure que sont l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et CulturesFrance. À cet égard, il a regretté la fermeture de plusieurs centres et instituts culturels français en Europe.

M. Jean-Pierre Leleux a estimé que, face à l'usage systématique de l'anglais encouragé par certains responsables hiérarchiques, il était impératif de développer de façon significative l'offre de formation au français au bénéfice des fonctionnaires européens. Il a ajouté que les critères de compétences linguistiques devraient probablement être renforcés en ce qui concerne les procédures de recrutement dans la fonction publique communautaire. Afin de ne pas s'aliéner le soutien de certains de nos alliés traditionnels, en particulier les pays de langue latine, il a suggéré de développer des partenariats avec d'autres États membres en faveur de la promotion de la diversité linguistique. Enfin, il s'est interrogé sur les moyens pour le Parlement, et notamment le Sénat, de mettre un terme aux entorses au multilinguisme au sein des institutions communautaires.

M. Jean-Pierre Plancade a souligné que le combat en faveur de la diversité linguistique ne pouvait raisonnablement se fonder sur un antagonisme systématique et naïf avec l'anglais. À ce titre, il s'est réjoui du succès considérable rencontré par un partenariat entre une université chinoise et une université lyonnaise qui consiste à proposer aux étudiants chinois, à Lyon, un enseignement en anglais pendant la première année accompagné de trois heures obligatoires d'apprentissage du français par semaine, suivi d'une deuxième année entièrement dispensée en français.

Après avoir remercié le secrétaire général pour son remarquable exposé centré sur la question des pratiques linguistiques, Mme Maryvonne Blondin s'est réjouie de l'introduction de l'exigence de maîtrise d'une troisième langue pour les fonctionnaires communautaires comme critère de promotion interne, même si elle s'est étonnée que cette obligation ait été inscrite aussi tardivement dans le statut de la fonction publique européenne. Elle s'est interrogée, en outre, sur la manière de répondre au mieux à la pression qui naîtra, dans les prochaines années, des départs à la retraite des interprètes les plus expérimentés du SCIC.

M. Jack Ralite a relevé la présence croissante des agents des groupes de pression auprès des institutions communautaires et a estimé, à ce titre, que cette tendance favorisait la prédominance, dans les réunions portant sur les thèmes industriels et financiers, d'un anglais d'une qualité relativement médiocre, assimilable à un  « espéranto qui aurait réussi ». Il s'est également ému du recul des centres culturels français en Europe.

Si elle a salué la très grande qualité des services de traduction et d'interprétation du Parlement européen, Mme Bernadette Bourzai a cependant regretté que les textes et les amendements dont sont saisis les députés européens soient d'abord disponibles en anglais et que leurs traductions n'interviennent que bien plus tard. Elle a rappelé qu'il appartenait aussi bien aux Français qu'aux Britanniques de montrer l'exemple en développant leurs compétences dans d'autres langues.

M. Jacques Legendre, président, a exhorté les pouvoirs publics français à la plus grande prudence dans leurs démarches en faveur du français au sein des institutions européennes, en soulignant notamment la nécessité de ménager la susceptibilité d'autres langues sensiblement négligées dans le processus décisionnel européen. Il a, en outre, formulé les observations suivantes :

- le régime linguistique spécifique du Conseil de l'Europe pourrait servir à nourrir la réflexion sur la conciliation entre le respect d'une très grande diversité linguistique et un fonctionnement commode des institutions ; disposant de deux langues officielles, l'anglais et le français, mais aussi de cinq langues de travail, le Conseil de l'Europe parvient ainsi à faire travailler ensemble, de façon harmonieuse, quarante-trois pays ;

- il importe de rester particulièrement vigilant face à l'offensive de l'anglais au sein des systèmes juridiques européens, étant donné les conséquences qu'emporte une telle progression de l'influence de la tradition juridique anglo-saxonne en termes économiques, financiers et d'emploi ;

- il est impératif de réagir vigoureusement contre le recul du multilinguisme au sein des agences communautaires dont les régimes linguistiques ne font l'objet d'aucune harmonisation ;

- devant l'inquiétante pénurie de traducteurs et d'interprètes qui menace à terme le fonctionnement institutionnel communautaire, l'Union européenne doit multiplier ses efforts pour stimuler un secteur d'activité prometteur en termes de créations d'emplois. À ce titre, le développement des compétences linguistiques des citoyens européens doit clairement constituer une priorité à travers la mise en place effective, dans tous les systèmes éducatifs européens, de l'apprentissage d'au moins deux langues étrangères.

En réponse aux intervenants, M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, a apporté les précisions suivantes :

- malgré une tendance lourde à l'unilinguisme anglophone, il est exclu que la France baisse les bras. L'exemple cité par la CNIL démontre la nécessité pour notre pays, sur un sujet aussi capital que la protection des données personnelles, de défendre non seulement la place du français mais également la pluralité des approches nationales dans ce domaine ;

- la qualité remarquable du travail des interprètes du SCIC risque d'être mise à mal par la perspective d'une rupture de l'offre et le recours croissant à plusieurs langues pivots ;

- les fonctionnaires français sont régulièrement sensibilisés à la nécessité de défendre l'usage du français dans les institutions européennes, à travers diverses instructions interministérielles ;

- la France dispose, par le biais des ministères, des établissements publics qui répondent aux appels d'offres, de sa représentation permanente à Bruxelles et de ses nombreux postes diplomatiques, d'un vaste système de signalement des entorses au multilinguisme institutionnel commises par les institutions européennes. Le Parlement fournit, en amont, un excellent travail d'alerte dans ce domaine. Le SGAE et la Représentation permanente vont renforcer leur coopération sur ce sujet, en étroite liaison avec le Parlement. ;

- afin de surmonter la pression à l'usage systématique de l'anglais exercée par la hiérarchie communautaire, il est impératif de disposer de plus de personnalités francophones à des postes de responsabilité, ce qui implique en particulier une action démultipliée en matière de formation linguistique ;

- si la position actuelle du français au sein de la Cour de justice est un usage et ne répond pas à une obligation juridique, on peut néanmoins constater que l'élargissement ne l'a pas remise en cause.