Mercredi 11 mars 2009

- Présidence de M. Nicolas About, président. -

Audition de M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances

La commission a procédé à l'audition de M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances.

M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, a expliqué que l'égalité des chances suppose de donner plus à ceux qui ont moins pour que chacun puisse partir sur la même ligne de départ. Les mesures à prendre en ce sens sont transversales. Elles relèvent notamment de plusieurs ministères (emploi, logement, éducation...) et concernent en particulier les jeunes de seize à vingt-cinq ans. Certaines d'entre elles ont été évoquées dans le discours fondateur prononcé par le Président de la République le 17 décembre dernier à l'école polytechnique. Dans le contexte actuel de crise économique et financière qui aura d'inévitables conséquences sociales, il est urgent d'engager les réformes nécessaires à la réalisation des objectifs ainsi fixés en faveur de l'égalité des chances afin de prévenir les tendances xénophobes que l'on observe déjà dans certains pays européens. La recherche d'un bouc-émissaire étranger est en effet une tentation fréquente en période de crise.

L'apparition d'une « France à deux vitesses », qui résulte d'une forme d'« apartheid à la française » non conforme aux principes de la République, est inquiétante.

Les inégalités, à la fois spatiales et sociales, se développent et sont à l'origine de tensions de plus en plus fréquentes, dans les quartiers les plus sensibles. Elles doivent d'autant plus inciter à la définition de règles de droit commun, de portée générale, dans le domaine de la formation et de l'emploi que l'on constate l'efficacité très relative des plans successifs mis en oeuvre dans les zones urbaines sensibles. Il faut également privilégier les mesures légales, sans incidence financière, visant à réduire les phénomènes de discrimination dans l'entreprise, les médias et les administrations publiques.

Il a ensuite présenté quatre séries de propositions relatives à l'éducation, à l'emploi et la formation professionnelle, au logement et, enfin, à la promotion et à la mesure de la diversité.

Dans le domaine de l'éducation, la sélection la plus radicale est opérée à la fin du collège et conduit à exclure du système scolaire classique les élèves jugés les moins performants. On constate que 80 % des élèves qui entrent en classe préparatoire étaient déjà situés dans le premier quartile des classements en sixième, ce qui témoigne de l'incapacité du système éducatif à faire progresser l'ensemble des élèves au cours de leur scolarité. Il convient donc d'augmenter les effectifs des grandes écoles et de favoriser l'accession des élèves boursiers à l'enseignement supérieur. Un effort particulier devra être engagé en faveur de l'enseignement scientifique, notamment pour mieux répondre aux besoins de formation en école d'ingénieur.

Parallèlement, la filière professionnelle doit être renforcée grâce à la mise en place d'un pacte pour l'emploi des jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans. L'objectif devrait être de porter le nombre de contrats de professionnalisation de 170 000 aujourd'hui à 600 000 d'ici à 2012 et de faire en sorte qu'ils débouchent automatiquement sur un CDI. A cette fin, on pourrait envisager que les entreprises de plus de cinquante salariés soient contraintes d'embaucher au moins 5 % de leurs effectifs en contrats de professionnalisation ou d'apprentissage, faute de quoi elles devraient s'acquitter du paiement d'une pénalité. Améliorer la formation professionnelle suppose que davantage de moyens soient consacrés aux jeunes, en particulier au travers du financement d'un plus grand nombre de ces contrats.

En matière de promotion de la diversité, de nombreuses mesures pourraient faire évoluer les pratiques de recrutement des entreprises et des administrations afin de lutter contre les discriminations à l'embauche.

M. Nicolas About, président, a regretté que la disposition, relative au CV anonyme, adoptée par le Sénat dans la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, n'ait toujours pas été mise en oeuvre, faute de décret d'application.

M. Yazid Sabeg a indiqué que de nombreuses entreprises se déclarent prêtes à l'expérimenter et donnent la possibilité aux candidats qui le souhaitent de postuler par voie de CV anonyme. Cette formule a pour avantage de rendre le premier regard du recruteur plus objectif puisqu'il porte uniquement sur les compétences et les motivations des candidats. Mais d'autres méthodes, telles que la notation ou la méthode des habiletés, peuvent également contribuer à une évaluation moins discriminante des candidats. Certaines entreprises se sont engagées dans cette voie, Axa par exemple où les méthodes de recrutement, plus objectives, ont conduit à une féminisation des emplois.

Par ailleurs, il s'est prononcé en faveur de la mise en oeuvre de politiques de lutte contre les ségrégations sociales ou territoriales, qui devront s'appuyer sur des études statistiques relatives aux inégalités provenant de discriminations diverses. La réalisation de ces études, dont le principe devra être approuvé par le Parlement, nécessite la définition d'un cadre philosophique et éthique.

Dans le domaine de la rénovation urbaine, M. Yazid Sabeg a souhaité que les politiques menées par l'agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ne soient pas interrompues en dépit des contraintes budgétaires de l'Etat, afin que les espoirs que le plan national de rénovation urbaine (PNRU) a suscités ne soient pas déçus. Les programmes de construction devraient être achevés d'ici cinq à sept ans ; leur impact social ne devrait donc être perceptible que dans quinze ou vingt ans. Il a plaidé en faveur de la conception d'un second PNRU destiné à couvrir les quelque 1 400 quartiers prioritaires de la politique de la ville. L'objectif est de lutter contre l'ethnicisation et la ghettoïsation de certaines banlieues, où les tensions et les phénomènes de délinquance et de criminalité sont de plus en plus fréquents. La situation de l'Ile-de-France justifie que les politiques soient envisagées à l'échelle régionale ou intercommunale pour permettre une solidarité interurbaine.

Mme Isabelle Debré a souhaité obtenir des précisions sur les objectifs retenus pour les contrats de professionnalisation et la nature des sanctions susceptibles d'être infligées aux entreprises en cas de manquement, ainsi que sur les moyens de rendre les recrutements plus équitables.

M. Guy Fischer a dit partager le constat d'un apartheid social et territorial à la française, le phénomène de ghettoïsation n'ayant pas été contenu par des mesures adaptées. Il a souhaité que l'éducation joue à nouveau son rôle de promotion sociale en donnant plus à ceux qui en ont le plus besoin.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle a demandé comment les missions du commissariat à la diversité et à l'égalité des chances s'articulent avec celles des autres ministères (ville, jeunesse, emploi). Elle a souhaité qu'un bilan des différentes mesures prises en faveur des jeunes - trajet d'accès à l'emploi (Trace), contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis) - et des quartiers - zones franches urbaines (ZFU), contrats urbains de cohésion sociale (Cucs)... - puisse être établi avant de travailler à la mise en oeuvre de nouveaux dispositifs.

A cet égard, elle a estimé préférable de parler de « projets », envisageables sur le long terme, plutôt que de « dispositifs », dont l'application est souvent de trop courte durée pour donner de bons résultats.

Enfin, elle a suggéré la mobilisation des missions locales et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO), et a regretté le moindre soutien aux associations de quartiers et la suppression de la police de proximité, qui avaient fait la preuve de leur efficacité.

A son tour, Mme Raymonde Le Texier a confirmé avoir constaté la réalité de l'apartheid social et de la ghettoïsation dans le département du Val d'Oise, certaines villes étant majoritairement peuplées de Français d'origine étrangère. Il en résulte des difficultés d'intégration qui se traduisent à la fois par un taux d'échec avoisinant 60 % au brevet des collèges et, pour ceux qui ont obtenu des diplômes, par l'incapacité à franchir le cap de l'entretien d'embauche du fait de leur méconnaissance des codes sociaux.

Elle a enfin souhaité que la politique d'implantation des logements sociaux soit désormais envisagée à l'échelle du département, certaines agglomérations ayant déjà largement satisfait aux obligations légales.

Mme Annie David a souhaité savoir de quelle façon le commissaire à la diversité et à l'égalité des chances entend mobiliser les autres ministères pour mettre en oeuvre les mesures transversales qu'il a annoncées. A l'expression « égalité des chances », elle a dit préférer celle d'« égalité des droits » dans tous les domaines (logement, santé, travail, loisirs...).

Elle s'est étonnée que la solution retenue pour favoriser l'accès des boursiers aux formations diplômantes soit celle du développement des contrats d'apprentissage et des contrats de professionnalisation, s'inquiétant que seules certaines catégories de la population ne soient orientées vers ces filières.

Elle a fait observer que le fait de rendre optionnel le CV anonyme ne constitue pas une solution car les services de recrutement pourront aisément conclure que le choix de cette formule émane précisément des catégories les plus souvent discriminées.

Enfin, elle s'est montrée plus que réservée sur la réalisation de statistiques ethniques faisant apparaître les origines des personnes recensées.

M. Nicolas About, président, a fait observer que chaque individu est le résultat d'un métissage. Il a suggéré de retenir la notion canadienne « de minorités visibles », qui paraît incontestable et plus appropriée que celle de races ou d'ethnies.

Mme Christiane Demontès a estimé nécessaire que les enseignants et les surveillants des établissements installés dans les quartiers sensibles soient mieux préparés aux difficultés qu'ils vont rencontrer dans l'exercice de leurs fonctions. A cet égard, elle s'est élevée contre le projet de suppression des IUFM et la réforme de la formation des enseignants. Elle a par ailleurs souligné l'effet pervers de l'implantation des lycées dans les quartiers sensibles qui, contrairement au but recherché de rapprochement des lieux d'habitation, a parfois conduit à une concentration des difficultés.

Elle s'est montrée favorable à une réforme de l'orientation scolaire et a estimé nécessaire de revaloriser, auprès des enseignants et des élèves, la voie professionnelle scolaire, dont l'image de marque est mauvaise aujourd'hui et qui a été progressivement abandonnée, depuis le plan de cohésion sociale, au profit de l'apprentissage et des formations en alternance. Or, on observe que l'augmentation du nombre d'apprentis s'effectue, proportionnellement, au détriment des populations les plus discriminées.

M. Jacky Le Menn s'est déclaré hostile à la réalisation de mesures ethniques dont le principe même est contesté par le président du Haut Conseil de l'intégration parce qu'il risque de renforcer les tentations communautaristes.

Considérant, pour sa part, que les difficultés d'accès à l'université ou aux classes préparatoires résultent d'une sélection qui intervient en réalité bien avant la fin du collège, M. Nicolas About, président, a préconisé des mesures plus précoces pour y remédier. Il a également rappelé que, à l'initiative du Sénat, des dispositions légales ont été adoptées dans la loi relative à l'égalité des chances pour permettre un accès plus large des élèves des zones défavorisées aux classes préparatoires mais qu'elles ne sont toujours pas en vigueur, faute de décret d'application.

En réponse à Annie Jarraud-Vergnolle et Annie David, M. Yazid Sabeg a fait valoir que seule une action interministérielle déterminée et massive viendra à bout des phénomènes aussi graves d'exclusion et de discrimination actuels. Les plans précédemment mis en oeuvre constituent, à son sens, un manquement à la parole donnée et n'ont pas porté les fruits escomptés. Des mesures simples, consensuelles, visibles en faveur de la formation, de l'emploi, de la rénovation urbaine ou de l'action contre les discriminations sont susceptibles d'avoir plus d'efficacité. Il a indiqué qu'avec l'accord du président Gérard Larcher, il confiera à plusieurs sénateurs des missions parlementaires visant à rechercher les moyens de rendre effectif l'accès de tous à l'éducation, à l'emploi, à la santé et au logement.

Concernant les statistiques ethniques, il a considéré leur réalisation indispensable pour établir un diagnostic rigoureux, clair et honnête de la situation en France. Il s'est dit convaincu que ces études feront apparaître des inégalités fondamentales selon l'origine des personnes considérées. En effet, il ne suffit pas de proclamer l'égalité des droits pour la rendre effective. Ceux qui prétendent qu'en affirmant, dans la constitution, qu'il n'existe pas de races et donc que le racisme n'existe pas, sont des tartuffes. Une fois ce constat posé, on pourra alors débattre des moyens d'atteindre l'égalité réelle pour tous demandée par le Président de la République. Ceci étant, il n'est pas question d'établir une cartographie de la France par origines en fonction des déclarations de chacun. Mais on ne peut contester le fait que, selon les phénotypes, les traitements sont différents, ne serait-ce que dans le monde de l'entreprise. Or, il faut mesurer ces phénomènes.

M. Nicolas About, président, a rappelé qu'un débat a déjà eu lieu au Sénat sur cette question et que, soutenant lui-même cette position, il s'est heurté à des réticences à la réalisation de statistiques ethniques. Il a plaidé à nouveau pour que soit retenue la notion de minorités visibles, qui renvoie à l'idée de phénotype.

M. Yazid Sabeg a affirmé la nécessité d'apprendre, dès l'école primaire, l'évolution des caractéristiques du peuplement de la France. Les différences d'origines sont en effet davantage perçues par les citoyens qui subissent les discriminations que par les autres. Comparant l'appréhension historique du peuplement de la France à celle qui prévaut aux Etats-Unis, il a souhaité que l'on puisse désormais aborder ces questions de façon claire et objective. Il a rappelé l'existence de textes protecteurs dans ce domaine des origines, la France ayant légiféré dès 1978 en la matière. Il faut se garder d'utiliser des euphémismes qui ne permettent pas de mesurer la réalité des discriminations qui subsistent en France. Pour autant, il s'est déclaré résolument hostile à l'utilisation, inacceptable à son sens, du patronyme des individus pour les classifier. Avoir recours à l'origine des parents est tout aussi scandaleux et contraire aux règles républicaines, dès lors qu'on n'est plus étranger dès la seconde génération. En outre, appartenir à une communauté ne signifie pas que l'on n'adhère pas aux principes républicains, l'exemple américain et la récente élection de Barak Obama en témoignent. Ce débat doit impérativement être abordé avec rigueur et tempérance.

En réponse à M. Nicolas About et Mme Christiane Demontès, M. Yazid Sabeg est convenu de la nécessité absolue de maintenir les écoles maternelles et d'identifier dès que possible les difficultés d'apprentissage des élèves les plus fragiles, par exemple en repérant les cas de dyslexie. Il a souligné l'intérêt des projets de réussite éducative, mis en oeuvre dans le cadre du plan de cohésion sociale par Jean-Louis Borloo, et qui permettent de suivre des cohortes d'élèves sur plusieurs années en veillant à l'acquisition des savoirs fondamentaux.

En ce qui concerne la formation des personnels enseignants et d'encadrement des lycées et des collèges, il a évoqué l'expérience menée à L'Haÿ-les-Roses et à Créteil de recrutements sur profil d'expérience. Il a également plaidé en faveur du développement, autour de chaque établissement, d'associations parascolaires, ayant constaté qu'elles favorisent la réussite des élèves (parrainage par les anciens élèves, activités culturelles, voyages extrascolaires, mobilisation des parents d'élèves, ...). Enfin, il a jugé préférable que les professeurs débutants ne soient pas nommés d'emblée dans les quartiers sensibles.

En ce qui concerne le renforcement de la voie professionnelle scolaire, M. Yazid Sabeg est convenu de la nécessité de créer des passerelles entre le monde de la formation en alternance et les lycées professionnels. Dès lors que seuls 20 % des élèves titulaires d'un bac professionnel poursuivent des études supérieures, il a proposé le développement de classes préparatoires réservées aux élèves des filières professionnelles et techniques. Il a ainsi évoqué l'ouverture prochaine, au lycée Louis-le-Grand, d'une classe préparatoire technique pour les élèves titulaires d'un bac STI (sciences et technologies industrielles).

En réponse à Isabelle Debré, il a précisé que l'obligation de recrutement d'au moins 5 % de salariés en alternance serait assortie d'un système de bonus-malus : en cas de respect de cette obligation, l'Etat assurera la prise en charge financière des tutorats ; à l'inverse, l'entreprise sera tenue de verser à un fonds de solidarité une pénalité calculée au prorata des effectifs manquants sur la base d'une somme correspondant à 2 % de la masse salariale.

Droits des patients - Soins de santé transfrontaliers - Audition de M. Roland Ries, sénateur

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Roland Ries, rapporteur de la proposition de résolution européenne n° 234 (2008-2009), présentée au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (E 3903).

M. Roland Ries, rapporteur pour la commission des affaires européennes, a indiqué que la Commission européenne a présenté, le 2 juillet dernier, une proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, dont a été saisi le Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Ce texte est consécutif à l'exclusion, exigée par le Parlement européen et le Conseil, des soins de santé du champ d'application de la « directive services ».

La mobilité des patients en Europe demeure un phénomène très limité, même si chacun s'accorde à prévoir son augmentation sensible dans les années à venir. La Commission estime que les soins délivrés à des patients européens en dehors de leur Etat membre d'affiliation ne représentent que 1 % de l'ensemble des dépenses publiques de santé et ne concernent que 3 % à 4 % des citoyens de l'Union. Cette situation résulte en grande partie de facteurs structurels : préférence pour des soins reçus à proximité du lieu de résidence, coût du déplacement à l'étranger, barrière de la langue, manque d'information... L'évolution des flux financiers engendrés en France par cette mobilité montre toutefois que ce phénomène se développe puisque le montant des remboursements effectués pour des soins dispensés dans d'autres Etats membres a augmenté de 50 % entre 1998 et 2007.

Deux cadres juridiques distincts, permettant aux patients de bénéficier du remboursement des soins reçus dans un autre Etat membre, coexistent actuellement. Le premier a été établi par le règlement de coordination des régimes de sécurité sociale du 14 juin 1971. Pour les soins inopinés, le patient doit fournir aux autorités de l'Etat où est dispensé le traitement la carte européenne d'assurance maladie, qui fait office d'attestation de son droit aux prestations en nature de l'assurance maladie dans son Etat d'affiliation. Si la personne ne présente pas cette carte, les frais sont à sa charge mais elle peut ensuite en demander le remboursement. Pour les soins de santé programmés, le patient doit préalablement avoir reçu de son organisme d'affiliation un accord de remboursement.

Les dispositions du règlement de 1971 ont été contestées par certains citoyens devant la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), qui a alors construit un second cadre juridique de remboursement, dont le détail figure dans un rapport d'information précédemment établi par la délégation pour l'Union européenne du Sénat.

La coexistence de deux régimes distincts, et parfois divergents, pour le remboursement des soins pose des problèmes de sécurité juridique et remet en cause la possibilité pour les Etats membres d'organiser correctement leur offre de soins.

La proposition de directive vise donc à adapter le cadre juridique progressivement élaboré pour accompagner le développement de la mobilité des patients dans l'Union, en levant les incertitudes sur le droit applicable. Son champ est volontairement limité à la mobilité des patients : celle des professionnels de santé a fait l'objet d'un livre vert spécifique présenté en décembre dernier.

Le texte de la Commission repose sur trois séries de dispositions :

- la création d'un cadre européen visant à garantir la qualité et la sécurité des soins pour les patients qui se déplacent au sein de l'Union. Les Etats membres sont chargés de définir des normes claires de qualité et de sécurité et doivent veiller à les faire appliquer ;

- l'organisation du remboursement des soins transfrontaliers. La proposition de directive codifie les grands principes de la jurisprudence de la CJCE en matière de remboursement des soins dispensés dans un autre Etat membre. Elle reprend la distinction entre soins non hospitaliers, qui ne sont pas soumis à une autorisation préalable, et soins hospitaliers, pour le remboursement desquels les Etats membres d'affiliation peuvent prévoir une autorisation préalable dans certaines conditions, notamment pour éviter de porter une atteinte grave à l'équilibre de leur système de sécurité sociale et à la planification hospitalière mise en place ;

- la promotion d'une coopération structurée entre les Etats membres, grâce à la reconnaissance mutuelle des prescriptions, à la création de réseaux européens de référence de prestataires, au développement de la santé en ligne, aux nouvelles technologies et à la collecte de données.

M. Roland Ries, rapporteur pour la commission des affaires européennes, s'est ensuite interrogé sur l'appréciation à porter sur cette proposition de directive. Selon lui, de nombreuses dispositions de ce texte ne sont pas acceptables en l'état, ce qui explique d'ailleurs l'hostilité de plusieurs Etats membres au projet et les doutes qui planent sur le respect du calendrier fixé par le Parlement européen, soit un examen en commission le 12 mars et un vote en séance plénière le 23 avril.

Si les objectifs poursuivis par la proposition de directive sont légitimes, le texte soulève plusieurs difficultés. En premier lieu, sa base juridique est limitée à l'article 95 du traité, qui concerne l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur, et ne renvoie ni à l'article 137, relatif à la sécurité sociale et à la protection sociale des travailleurs, ni à l'article 152 relatif à la santé publique.

Il pose également des problèmes d'équité : alors que le règlement de 1971 prévoit que les organismes de sécurité sociale assurent le paiement des frais, la proposition de directive, qui reprend sur ce point la solution jurisprudentielle, oblige le patient à avancer les fonds, avec un remboursement ultérieur. Le texte est donc davantage conçu pour répondre aux choix individuels de patients plutôt aisés que pour tenir compte de besoins médicaux avérés.

Par ailleurs, le dispositif d'autorisation préalable au remboursement des soins hospitaliers mis en place est particulièrement complexe, voire inopérant : la Commission propose en effet que l'Etat membre soit dans l'obligation de démontrer au cas par cas en quoi l'absence d'une autorisation préalable mettrait en péril le financement et la planification des soins. Mais comment apprécier ex ante la gravité de l'atteinte potentiellement portée ex post à l'équilibre financier ou à la planification du système ?

Il faut en outre souligner que la proposition de directive accroît sensiblement les compétences de la Commission dans un domaine marqué par le caractère subsidiaire de l'intervention communautaire. Au-delà de la question de principe, un tel renforcement des pouvoirs de la Commission n'est pas toujours opportun, à l'exemple de la question des normes de qualité et de sécurité des soins. La Commission pourrait-elle aller jusqu'à établir des standards en la matière ?

Enfin, plusieurs dispositions de la proposition de directive comportent un risque d'insécurité juridique et donc de multiplication des contentieux. Son champ d'application, trop limité, conduirait à instaurer une « troisième voie » de remboursement, en plus des deux actuelles. De même, la définition des soins hospitaliers retenue est très restrictive et ne tient pas compte de l'hétérogénéité des situations nationales : ce qui relève du secteur hospitalier dans un État membre n'en relève pas nécessairement dans un autre.

Ces difficultés sont suffisamment importantes pour conduire à remettre en question certaines des propositions de la Commission. La présidence française de l'Union européenne a été l'occasion de réécrire largement ce texte, mais la nouvelle version a suscité de grandes réserves de la part de la Commission. La présidence tchèque a fait de ce texte une priorité mais se montre toutefois assez prudente sur les résultats susceptibles d'être obtenus au Conseil de juin prochain.

M. Nicolas About, président, a souligné la difficulté de trouver un régime applicable à trois catégories de soins transfrontaliers : ceux qui bénéficient aux étudiants, qui relèvent habituellement d'une mutuelle spécifique, ceux qui sont apportés aux patients vivant à proximité d'une frontière, qui nécessitent un aménagement particulier en raison de leur fréquence, et ceux auxquels ont droit tous les ressortissants de l'Union européenne qui peuvent, lors d'un voyage dans un Etat membre, tomber malades et recevoir les soins adéquats.

Mme Catherine Procaccia s'est interrogée sur le risque de tourisme médical que comporte la proposition de directive : les soins prodigués dans un Etat membre devront-ils être pris en charge par l'Etat membre d'affiliation ?

Mme Sylvie Desmarescaux a indiqué que les habitants de certains cantons du département du Nord fortement sous-médicalisés sont amenés à se rendre, parfois systématiquement, en Belgique pour être soignés. La proposition de directive prend-elle en compte ces situations frontalières spécifiques ?

M. Alain Milon a vivement regretté que la proposition de directive ne comporte aucune disposition concernant la mobilité des professionnels de santé. La situation de certains territoires, que l'on peut qualifier de déserts médicaux, rend pourtant urgent l'organisation de la libre circulation des médecins en Europe.

M. Jacky Le Menn a considéré qu'une libre circulation régulée des patients sur le territoire européen pourrait permettre d'accélérer le traitement de certaines pathologies. Parfois, la possibilité d'être soigné à l'étranger est susceptible de sauver des vies.

M. Roland Ries, rapporteur pour la commission des affaires européennes, a répondu que l'Etat membre d'affiliation ne sera pas contraint de rembourser les soins prodigués dans un autre Etat membre si sa propre réglementation ne prévoit pas la prise en charge du traitement concerné. En ce sens, la directive ne risque pas d'accroître le tourisme médical. En revanche, reste problématique, en l'état actuel de la proposition de directive, la possibilité pour un Etat membre de réguler l'afflux éventuel de ressortissants d'autres Etats membres qui viennent se faire soigner sur son territoire : comment construire un système d'offre de soins correspondant aux besoins de la population si celle-ci n'est pas clairement délimitée ? Le régime très restrictif de l'autorisation préalable prévue par la proposition de directive doit donc être révisé.

Nomination d'un rapporteur

A l'issue de ce débat, la commission a considéré que l'ampleur des sujets évoqués et le calendrier envisagé pour l'adoption du projet de directive justifiaient la nomination immédiate d'un rapporteur de la proposition de résolution européenne n° 234 (2008-2009). Elle a donc désigné M. Jacky Le Menn et émis le souhait qu'il puisse être en mesure de présenter ses conclusions d'ici la fin du mois de mars.