Mercredi 27 mai 2009

- Présidence de M. Claude Belot, président -

Examen par la mission de ses propositions relatives aux finances locales

La mission a procédé à l'examen des propositions qu'elle pourrait émettre concernant les finances locales. En préalable, M. Claude Belot, président, s'est interrogé sur la méthode à suivre, à savoir l'affichage de principes forts, auxquels la mission sénatoriale reste très attachée, ou, au contraire, l'élaboration de propositions détaillées en matière fiscale, pour chaque niveau de collectivité. M. Yves Krattinger, rapporteur, a souscrit à la première idée, tout en précisant que la mission devait aussi, sur certains points, avancer des propositions plus détaillées.

M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a ajouté que le temps imparti à la mission ne lui permettait pas de trop aller dans le détail des propositions, mais que les principes appelés à être débattus en séance publique devaient être suffisamment clairs et précis.

M. Charles Guené, tout en approuvant ces propos, a réaffirmé que les multiples travaux en cours représentaient une chance historique de réformer l'ensemble de la fiscalité locale, d'où l'importance de dégager des principes clairs laissant une certaine latitude à la mission et aux parlementaires lors de l'examen de la réforme.

M. Edmond Hervé a poursuivi en proposant aux membres de la mission de rappeler, dans un premier temps, les principes constitutionnels qui régissent les finances locales, à savoir les principes de l'imposition selon la capacité contributive, de la libre administration des collectivités territoriales, de l'autonomie financière et fiscale de ces dernières et, enfin, de la solidarité, entre l'Etat et les collectivités, d'une part, et des collectivités entre elles, d'autre part. Dans un second temps pourraient être abordés les principes relatifs à l'assiette fiscale et à la spécialisation. À cet égard, il a exprimé des réserves sur une trop grande spécialisation des impôts locaux et a rappelé son attachement au projet de réforme de 1990, qui intégrait le revenu dans l'assiette fiscale départementale.

Suite aux interrogations de M. Claude Belot, président, sur le principe de l'établissement des assiettes fiscales réelles et actualisées, M. Edmond Hervé a estimé qu'il existait deux possibilités pour appréhender la réalité des bases fiscales des ménages : soit en opérant la révision des valeurs locatives, soit en prenant en compte les revenus.

Au nom de la cohérence des travaux de la mission, M. Yves Krattinger, rapporteur, a approuvé la proposition de M. Edmond Hervé de rappeler les principes constitutionnels relatifs aux compétences fiscales des collectivités, mais a rappelé que six propositions avaient été faites dans le cadre du rapport d'étape et qu'elles devaient être reprises dans le rapport final, sous peine de contradictions qu'il conviendrait de justifier.

M. Charles Guené a assuré qu'il souscrivait à une grande majorité des principes présentés dans le rapport d'étape, mais a demandé que certains d'entre eux soient cependant nuancés et affinés, afin de ne pas bloquer toute possibilité d'évolution et de réforme de la fiscalité locale. Il a pris l'exemple de l'attribution d'un impôt économique à tous les niveaux de collectivités, qu'il n'approuve pas pour la région. Par ailleurs, une référence très large à la capacité des collectivités de fixer les taux d'imposition pourrait apparaître contraire à la loi organique de 2003 sur l'autonomie financière, qui inclut dans les ressources propres des collectivités territoriales des parts d'impôts dont elles n'ont pas la faculté de moduler le taux.

M. Bruno Retailleau a fait observer que les propositions actuelles de l'Etat conduisent à l'attribution aux collectivités territoriales de quasi-dotations. Or, la légitimité d'un élu réside dans sa capacité à voter le taux des impôts : en réaffirmant ce principe, il s'agit de renforcer l'autonomie fiscale des collectivités, quitte à aller au-delà des dispositions de la loi organique.

M. Charles Guené a indiqué que sa préférence allait au transfert d'une part d'impôts nationaux, tels que l'impôt sur le revenu ou la CSG, car, grâce à une assiette évolutive, il permet aux collectivités de disposer de ressources dynamiques.

M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a rappelé la nécessité de diminuer, au sein des ressources propres des collectivités territoriales, les dotations de l'Etat ou les « faux-impôts », sur lesquels elles n'ont aucun pouvoir fiscal, et de donner la possibilité aux élus de fixer les taux des impôts locaux, au besoin dans une fourchette définie au niveau national.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a rappelé la distinction existant entre les dotations et les compensations. Elle a admis le principe de l'attribution de transferts de l'Etat aux collectivités, tout en insistant sur la nécessité pour ces dernières de conserver une autonomie fiscale.

M. Jean-Claude Peyronnet a approuvé ces propos, tout en affirmant qu'il fallait absolument garantir de véritables ressources propres aux collectivités.

M. Charles Guené a considéré qu'on ne devait pas interdire la possibilité, pour les collectivités territoriales, de bénéficier du transfert d'impôts nationaux.

M. Claude Belot, président, a clairement distingué les parts d'impôts nationaux, comme la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou la taxe sur les contrats d'assurance, et les impôts locaux, qui se différencient par la possibilité de fixer ou non le taux d'imposition.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a relevé qu'un impôt peut être considéré comme localisable, si la collectivité dispose d'un levier d'action, soit sur le taux, soit sur l'assiette. Dans ce cas, l'impôt peut être considéré comme une ressource autonome de la collectivité.

M. Philippe Dallier s'est interrogé sur la justification du remplacement d'un impôt local par un impôt national si les assiettes restent les mêmes. Il a fait valoir que ce remplacement n'entraîne aucun changement aux yeux du contribuable et ne permet plus de faire le lien avec la politique menée par les élus.

M. Charles Guené a rappelé les travaux actuels du ministère de l'économie sur la réattribution de la fiscalité locale à ses différents bénéficiaires : la taxe d'habitation, les taxes sur le foncier bâti et non bâti et la part de la taxe professionnelle assise sur le foncier seraient exclusivement attribuées aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), tandis que les départements et les régions bénéficieraient d'une part d'impôts nationaux.

M. Claude Belot, président, a confirmé qu'il était important de conserver à l'esprit les réflexions du ministère de l'économie, bien que ses simulations n'en soient encore qu'à l'état de projet. Il a souligné néanmoins que la mission devait défendre le principe de l'autonomie fiscale des collectivités. Même s'il est difficile de prévoir le vote d'un taux sur des impôts non localisables, la réforme doit trouver un point d'équilibre entre un niveau minimal de dotations, représentant la compensation de charges transférées, et l'absence de dépendance vis-à-vis de l'Etat. Il a également admis le principe de dotations de l'Etat pour régler les problématiques de péréquation.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a rappelé l'opposition des associations d'élus locaux aux projets actuels de Bercy, dont le but semble être la suppression de l'autonomie fiscale des collectivités. Il a cependant admis le transfert d'impôts nationaux, dans la mesure où les collectivités disposeraient d'un pouvoir d'action sur l'assiette. En revanche, si les collectivités ne disposent plus de marges de manoeuvre sur l'un des deux leviers, l'assiette ou le taux, elles deviendront de simples services déconcentrés de l'Etat.

M. Charles Guené a estimé que la substitution d'impôts nationaux à des dotations de l'Etat pouvait être profitable et que le rapport de la mission ne devait pas s'opposer aux préconisations de Bercy.

M. Edmond Hervé a estimé que l'objet de la mission sénatoriale n'était pas de rédiger un texte opposé à celui de Bercy et que ses bases de travail n'étaient de toute façon pas connues. Il a ensuite souligné la différence fondamentale qui existe entre l'autonomie fiscale et l'autonomie de gestion. Bien qu'il ne soit pas hostile à l'attribution de dotations de l'Etat aux collectivités, celles-ci doivent bénéficier d'impôts diversifiés, sûrs, efficaces et justes.

M. Rémy Pointereau, deuxième vice-président, a souligné qu'il fallait restaurer la responsabilité des collectivités en matière fiscale et que l'attribution de parts d'impôts nationaux aurait la même rigidité qu'une dotation de l'Etat. En outre, il a souhaité que tous les habitants contribuent, même à un niveau minimum, contrairement à la situation actuelle où nombre d'entre eux bénéficient d'exonérations.

Revenant aux propositions liées à la question de l'actualisation des bases, M. Yves Krattinger, rapporteur, a rappelé les hypothèses envisagées, dont celle faisant appel à la base des revenus et celle consistant à confier aux collectivités, sur délégation de l'Etat, la mise à jour des bases.

M. Philippe Dallier s'est déclaré hostile à un transfert complet de cette mission aux collectivités, car l'Etat doit rester le garant de l'équité républicaine. De plus, cela interdirait de faire des comparaisons valables d'une commune à l'autre. Toutefois, il a considéré possible que des collectivités volontaires puissent le faire à condition que cela se fasse à produit constant.

M. Bruno Retailleau a estimé que l'actualisation des valeurs locatives devrait s'appuyer sur trois principes : un Etat garant de l'équité ; une progressivité dans l'application des nouvelles données ; enfin, une obligation de révision périodique et quasi automatique fixée par la loi. M. Yves Krattinger, rapporteur, a ajouté à ces principes la nécessité d'associer les collectivités territoriales au processus, comme cela avait été fait en 1990. En outre, il a appelé à ce que la mise en oeuvre soit étalée dans le temps.

Pour sa part, M. Jean-Pierre Vial s'est inquiété de ce que, dans le cadre de la réforme des autorisations d'urbanisme, les données permettant de calculer la valeur locative ne soient plus obligatoirement jointes au dossier présenté par le demandeur.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a ensuite soumis à la discussion la suppression des dégrèvements et exonérations décidés par l'Etat, en rappelant qu'ils obéissent en général à des considérations purement politiques et nuisent à l'équilibre des finances publiques. Il a cité l'exemple des exonérations dont bénéficient les logements sociaux, qui légitiment les réticences des communes à en construire davantage.

A ce sujet, MM. Philippe Dallier, Claude Bérit-Débat et Bruno Retailleau ont souligné qu'il convenait d'agir avec précaution : d'une part, les ressources des collectivités doivent rester constantes, d'autre part, les contribuables ne doivent pas subir une augmentation trop importante de leurs impôts. Ils ont ensuite admis que les dégrèvements et exonérations unilatéralement décidés par l'Etat devraient cesser à l'avenir car ils avaient fragilisé la situation financière des collectivités. M. Philippe Dallier a cependant nuancé ce propos en considérant que ces dégrèvements et exonérations ne posaient problème que s'ils n'étaient pas strictement compensés.

M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a proposé que les compensations d'exonérations et les dégrèvements soient supprimés en tant que tels et remplacés par une part d'impôt national transférée plutôt que par des dotations. M. Charles Guené a estimé que des exonérations à visée sociale décidées par les collectivités resteraient nécessaires et devraient être compensées par des mécanismes de péréquation entre collectivités.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, et M. François Patriat ont ensuite souhaité faire porter la discussion sur la nature de l'assiette foncière du nouvel impôt économique envisagé pour remplacer la taxe professionnelle.

MM. Claude Belot, président, et Edmond Hervé ont souligné que la valeur foncière telle qu'elle résulte du bilan des entreprises était peu fiable : la valeur locative de marché apparaît plus juste. M. Claude Bérit-Débat a confirmé que la part foncière du nouvel impôt économique devait présenter une certaine stabilité, puisque la part valeur ajoutée serait nécessairement fluctuante. Cependant, M. Bruno Retailleau a estimé que la valeur locative de marché était difficile à définir, par exemple pour les bâtiments industriels.

M. Philippe Dallier a estimé que le renforcement de la part foncière de l'impôt économique local et la suppression définitive de la taxation des investissements auraient pour conséquence des transferts importants entre collectivités.

A l'issue de cet échange, M. Yves Krattinger, rapporteur, a proposé de faire référence à une « modernisation » de l'assiette foncière, ce qui permettrait d'ouvrir plusieurs options sur la nature exacte de cette assiette.

M. Bruno Retailleau s'est ensuite interrogé sur le choix de la valeur ajoutée comme seconde assiette du nouvel impôt économique, qui risquait d'aboutir à un transfert de charge des grandes entreprises vers les petites et moyennes, alors que ces dernières constituent la richesse du tissu économique local. Il a donc suggéré de prévoir des mécanismes permettant de limiter ce transfert de charges.

M. Rémy Pointereau, deuxième vice-président, et M. Yves Krattinger, rapporteur, ont souhaité, quant à eux, que les collectivités locales puissent voter un taux sur cette assiette « valeur ajoutée ».

M. Claude Belot, président, a ensuite évoqué l'idée de prendre en compte la T.V.A. facturée pour ne pas peser sur les exportations.

M. Jean-Pierre Vial a souscrit à ces propos et s'est même dit réticent à l'utilisation d'une assiette « valeur ajoutée ». Mettre celle-ci en oeuvre aboutit en dernière analyse à créer un impôt semblable à la taxe sur la valeur ajoutée : par conséquent, il vaudrait mieux, selon lui, augmenter cette dernière en exonérant les exportations.

M. Claude Bérit-Débat a cependant considéré que cette mesure revenait à imposer davantage les ménages, ce qu'il a jugé inacceptable.

M. Bruno Retailleau a en outre estimé que cette problématique plus large ne pouvait être traitée dans le cadre des travaux de la mission.

Enfin, M. Edmond Hervé a affirmé que la valeur ajoutée était la seule valeur comptable possible pour l'assiette du nouvel impôt économique, l'utilisation des autres soldes intermédiaires de gestion se révélant peu pertinente.

Concernant les deux parts du nouvel impôt économique, MM. Jacques Mézard et Bruno Retailleau se sont prononcés contre leur affectation explicite à des niveaux de collectivité. M. Yves Krattinger, rapporteur, a exprimé son accord sur ce principe.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a ensuite évoqué la possibilité de prévoir un « toilettage » des autres impôts locaux, qui représentaient 24 milliards d'euros au total en 2005.

M. Bruno Retailleau a exprimé sa crainte qu'une telle formulation ne prête à confusion et soit interprétée comme une volonté de remettre en cause les quatre taxes directes locales, alors qu'elle ne vise que les taxes d'importance secondaire.

M. Charles Guené a également signalé que le ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durable travaillait actuellement au recensement et à l'évaluation de toutes les taxes locales mineures dans son champ de compétence et en préparait une réforme, en particulier la fusion de toutes les taxes d'équipement en une seule.

A l'initiative de M. Yves Krattinger, rapporteur, la mission a ensuite proposé de limiter l'importance de l'attribution de parts d'impôts nationaux, pour maintenir un niveau suffisant d'autonomie fiscale.

MM. Bruno Retailleau et Jean-Pierre Vial ayant estimé qu'il était indispensable, pour pouvoir émettre des propositions, de disposer de simulations, notamment sur le rendement prévisionnel de l'assiette « valeur ajoutée », M. Claude Belot, président, a considéré que la mission ne pouvait aborder les aspects purement techniques de la réforme fiscale et de la péréquation et devait poser des principes.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a en outre rappelé que le choix de la valeur ajoutée comme assiette figurait déjà dans le rapport Valletoux, qui raisonnait à ressources globales constantes pour chaque niveau de collectivité. En revanche, l'évaluation de l'impact de la réforme sur chaque collectivité n'était pas de la compétence de la mission et présentait des difficultés techniques très élevées.

M. Jean-Pierre Vial a souhaité que soit clairement posé le principe d'une réforme à produit constant pour les collectivités.

Concernant la péréquation, M. Philippe Dallier a considéré que le caractère stratifié et inéquitable des dotations forfaitaires de l'Etat impliquait avant toute chose leur remise à plat. Il a suggéré de fixer, pour la péréquation, des obligations de résultats afin qu'elle limite les écarts de richesse entre collectivités. De plus, elle doit tenir compte des problématiques sociales propres à chaque collectivité. Enfin, il a estimé que le législateur devait jouer pleinement son rôle, en fixant lui-même le cadre de la péréquation, sans s'en remettre à une instance extérieure.

Pour M. Claude Belot, président, le rapport de la mission doit se limiter à poser le principe de la responsabilité de l'Etat pour mettre en oeuvre la péréquation, sans en préciser les outils.

M. Yves Krattinger, rapporteur, et M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, ont affirmé qu'il convenait à tout le moins de poser des principes clairs concernant le choix des contributeurs et des bénéficiaires de la péréquation, afin que celle-ci ne demeure pas, comme à l'accoutumée, un voeu pieux.

M. Charles Guené a, par ailleurs, proposé que les dégrèvements et exonérations soient, comme la péréquation verticale, gérés au niveau national par un comité de gestion indépendant. Sous cette réserve, il a souscrit à l'ensemble des propositions du projet de rapport concernant la péréquation.

Enfin, M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a mis en avant le caractère global de la réforme proposée de la péréquation, qui met en place des outils à la fois au niveau national et au niveau régional, puisqu'il est notamment proposé de généraliser à la métropole entière le système du fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France.