Mardi 26 mai 2009

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

Audition de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer

La mission a procédé à l'audition de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer.

M. Serge Larcher, président, a rappelé le contexte de crise qui agitait les départements d'outre-mer au début de l'année 2009 et qui avait conduit le Sénat à créer en mars dernier une mission d'information dont les déplacements d'une délégation dans chacun de ces départements ont permis de nourrir et d'éclairer les travaux.

En préambule, M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, a souligné la nécessité de concilier l'impératif constitutionnel d'unité de la République avec celle de prendre en compte la diversité des situations des territoires. Il a rappelé le combat de la départementalisation, après-guerre, pour imposer l'idée de l'application du droit commun à l'outre-mer, tout en estimant qu'il était désormais important, dans un environnement mondialisé, d'adapter les politiques publiques.

Il a rappelé les différentes actions engagées par le Gouvernement : l'adoption de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), qui contient des mesures de court terme et tend parallèlement à créer un nouveau modèle économique pour les DOM, et les Etats généraux de l'outre-mer dont il a précisé le calendrier : des débats et une consultation sur un site internet dédié jusqu'à la fin du mois de juillet, une synthèse en septembre pour prendre en compte l'ensemble des propositions qui auront émergé, puis un conseil interministériel de l'outre-mer en octobre.

Il a également énuméré une série d'études ou de rapports commandés pour éclairer la décision gouvernementale : l'Autorité de la concurrence est chargée de faire le point sur les conditions de concurrence dans les DOM, notamment en ce qui concerne l'établissement des prix des carburants et des produits de grande consommation, et l'Institut national des statistiques économiques (Insee) présentera à la mi-2010 des indicateurs comparatifs de coût de la vie reflétant davantage les modes de vie locaux.

Il a annoncé que cinq « matinales de la rue Oudinot » se tiendraient prochainement, ces réunions de travail devant traiter successivement des sujets suivants : la jeunesse ; les relations entre métropole et outre-mer ; la refonte du dialogue social ; le développement durable ; la culture et l'Histoire au service de l'avenir.

Puis il a évoqué plusieurs thèmes retenus comme sujets d'étude par la mission d'information du Sénat :

- après avoir rappelé que le dynamisme démographique français par rapport aux autres pays européens devait beaucoup à l'outre-mer, le ministre a estimé que la jeunesse des DOM constituait à la fois une promesse pour l'avenir et une charge immédiate pour des territoires aussi restreints. Le Gouvernement a d'ores et déjà mobilisé plusieurs outils en faveur de la jeunesse : le Président de la République a annoncé le doublement sur trois ans du nombre de bénéficiaires du service militaire adapté (SMA), qui passera de trois mille à six mille ; une réforme de l'agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer (ANT) a été engagée pour en faire une véritable agence de la formation en mobilité ; la LODEOM a dégagé des ressources en provenance des entreprises bénéficiant d'un allègement au titre de l'impôt sur les sociétés au profit du fonds d'appui aux expérimentations en faveur des jeunes, créé par la loi sur le revenu de solidarité active (RSA) ;

- il a salué la volonté de la mission sénatoriale de lier les questions de continuité territoriale et d'insertion des DOM dans leur environnement régional. Sur ces deux volets essentiels pour le développement endogène des territoires, il a présenté les deux axes de travail du Gouvernement : tout d'abord, un schéma de continuité territoriale régional doit être adopté pour améliorer les liaisons aériennes, maritimes ou terrestres, éventuellement en imposant des obligations de service public aux opérateurs ; ensuite, le développement et la sécurisation des échanges commerciaux doit passer par une certaine harmonisation des législations ;

- il a souhaité l'engagement d'une réforme des finances locales dans les DOM, de nombreuses collectivités se trouvant dans une situation critique, mais également une adaptation des moyens des services déconcentrés de l'Etat afin que ceux-ci puissent jouer leur rôle de régulation. Sur la question de la gouvernance de ces collectivités, thème qui suscite le plus d'intérêt sur le site internet des Etats généraux, il a souligné la volonté gouvernementale de laisser les débats locaux dégager des propositions et des consensus. Il a également relevé deux autres sujets : l'octroi de mer, dont la pérennisation appelle une position ferme du Gouvernement face à la Commission européenne, et la prise en compte des contraintes géographiques particulières des DOM dans l'évaluation des dotations de l'Etat.

Il a conclu son propos liminaire en mentionnant le chantier majeur que constitue la réorganisation des services de l'Etat, tant au niveau local qu'au niveau central : l'Etat doit être à la fois un stratège, un régulateur et un garant de l'équité républicaine et de la bonne mise en oeuvre des politiques publiques. Il a précisé qu'il n'était d'ailleurs ni justifié ni souhaitable de plaquer sur l'outre-mer les modèles d'organisation en vigueur en métropole.

M. Eric Doligé, rapporteur, a déclaré que les déplacements effectués par la mission avaient fait évoluer sa vision de l'outre-mer, un des principaux constats dressés étant le manque d'évaluation des politiques publiques par les services de l'Etat et l'absence de vision transversale des problèmes, tant au niveau national qu'au niveau local, ce qui rendait plus difficile la prise de décisions.

Il est ensuite revenu sur une série de questions ayant émergé au cours des déplacements :

- le grave problème de financement des collectivités territoriales, notamment des communes, qui doit être « pris à bras le corps » ;

- une incapacité à appréhender le processus de formation des prix ;

- le déphasage entre les réalités hexagonales et la situation des départements d'outre-mer qui appelle une adaptation des réglementations applicables ;

- la clarification de la position de la France en ce qui concerne l'octroi de mer et la mobilisation des moyens nécessaires pour défendre la pérennisation de cette taxe auprès de la Commission européenne ;

- l'organisation de filières professionnelles dans les départements d'outre-mer, nécessaire pour parvenir à un développement endogène des territoires ;

- un schéma minier en Guyane qui permette à ce département de tirer profit des richesses de son sous-sol pour assurer son développement ;

- la question de la pertinence du rattachement du secrétariat d'Etat à l'outre-mer au ministère de l'intérieur ;

- l'adaptation à l'outre-mer des règles en matière d'immigration ;

- le renforcement des moyens consacrés à la scolarisation des élèves.

Enfin, il a salué le très lourd travail effectué par la mission lors de ses déplacements dans les départements d'outre-mer et le rythme qui avait été le sien pour étudier sur le terrain le maximum de questions en un minimum de temps.

En réponse au rapporteur, M. Yves Jégo a apporté plusieurs précisions :

- la réforme de l'administration du secrétariat d'Etat à l'outre-mer tend à créer une administration de mission, une structure dédiée au renforcement de l'évaluation des politiques publiques ;

- l'adaptation des normes législatives et réglementaires est nécessaire et les collectivités territoriales ont la possibilité de saisir le législateur d'une demande d'habilitation, en application de l'article 73 de la Constitution, pour procéder elles-mêmes à des adaptations, ce qui pourrait être le cas en matière de définition du schéma minier guyanais ;

- dans le domaine scolaire, il a proposé la création d'une Agence de la vie scolaire et rappelé l'effort de l'Etat en matière de construction d'équipements scolaires ;

- il a souscrit à la position du rapporteur en ce qui concerne l'octroi de mer ;

- il a proposé la création d'un commissaire au développement et à la production locale, en soutien au préfet, qui aurait notamment en charge l'organisation des filières professionnelles, comme la filière bois en Guyane ;

- il a souligné que la nécessaire adaptation de la réglementation aux spécificités de l'outre-mer devait s'accompagner d'actions pédagogiques pour expliquer que l'égalité de traitement entre métropole et outre-mer devait s'entendre comme une recherche d'équité, l'égalité stricte ignorant les spécificités locales et pouvant engendrer des aberrations.

Enfin, en réponse à M. Serge Larcher, président, il a confirmé que seule la région Guadeloupe avait, à ce jour, formellement demandé et obtenu des habilitations à adapter la législation nationale à la situation spécifique du territoire.

M. Serge Larcher, président, a en outre souligné la nécessité de produire aux autorités européennes un rapport sur l'impact de l'octroi de mer en matière de développement économique et de créations d'emplois.

M. David Assouline a indiqué avoir été interpellé, en Guadeloupe comme en Martinique, par le décalage entre le dynamisme des différents interlocuteurs rencontrés et la situation économique et sociale particulièrement dégradée. Il a déclaré que le responsable d'un service de l'Etat martiniquais lui avait indiqué que le seuil de 50 000 chômeurs serait probablement atteint prochainement et que près de 10 000 entreprises risquaient de fermer au cours des prochains mois. Il a estimé nécessaire de mettre en place un plan d'urgence exceptionnel et massif sans attendre la fin des États généraux pour se prémunir contre les effets dévastateurs de la crise et ménager les potentialités ultérieures d'un rebond économique.

Rappelant qu'il avait jugé nécessaire, compte tenu de l'urgence de la situation dans les départements d'outre-mer, de ne pas attendre la conclusion des États généraux pour adopter la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), M. Yves Jégo a estimé que différentes mesures visaient à soutenir l'économie de ces départements :

- le plan CO.RAIL, qui constitue un plan massif de soutien aux petites entreprises, notamment par le biais d'un moratoire des dettes sociales ;

- le plan de relance de l'activité touristique ;

- certaines mesures de la LODEOM : le dispositif d'exonération des charges sociales qui entrera en vigueur le 1er juillet, les exonérations de taxe professionnelle, de taxe foncière sur les propriétés bâties et d'impôt sur les sociétés prévues dans le cadre des zones franches d'activité ;

- l'investissement massif dans le cadre du plan de relance ;

- la mise en place anticipée du revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA), qui constitue un soutien de l'Etat à la consommation : 233 millions d'euros sont ainsi injectés par l'Etat outre-mer.

Démentant les chiffres avancés par M. David Assouline, le ministre a regretté les dysfonctionnements de certains services déconcentrés de l'Etat.

En réponse au ministre qui soulignait que certains éléments étaient encourageants, comme le faible nombre de dossiers déposés par les entreprises auprès du médiateur du crédit de Guadeloupe, M. Serge Larcher, président, a estimé que cet exemple illustrait plus les difficultés des petites entreprises à compléter ce type de document qu'une réelle amélioration de leur situation.

M. Henri de Raincourt a souligné l'importance de maintenir l'octroi de mer pour les collectivités territoriales des départements d'outre-mer, ses recettes représentant près de 40 % des ressources des communes. En conséquence, il est nécessaire d'être extrêmement vigilant dans le cadre des négociations à venir avec Bruxelles. Par ailleurs, s'agissant de la question du coût de la vie, au centre des préoccupations des populations ultramarines, il s'est réjoui que le ministre ait commandé à l'INSEE une étude sur le différentiel de coût de la vie entre la métropole et les départements d'outre-mer. Il a cependant regretté l'absence d'outils statistiques permanents sur ce sujet.

M. Yves Jégo a souligné que le travail demandé à l'INSEE était particulièrement lourd, puisqu'il s'agissait notamment de travailler sur des indicateurs complets prenant en compte les habitudes de consommation.

Après avoir indiqué que le rapport à venir de l'Autorité de la concurrence fournirait certaines pistes d'évolution en matière de formation des prix, il a souligné qu'il n'existait plus de contrôle des prix, ceux-ci résultant du jeu du marché. La véritable exigence pour l'Etat porte donc aujourd'hui sur la transparence des mécanismes de formation des prix, meilleur gage que la concurrence pour parvenir à une baisse des prix. Il a enfin déclaré ne pas disposer de données chiffrées comparatives avec la métropole sur le nombre de mètres carrés de grande surface par habitant.

Mme Anne-Marie Payet s'est réjouie de l'annonce d'un doublement des bénéficiaires du Service militaire adapté (SMA), espérant que ce dispositif pourrait garder la même efficacité. Elle s'est également interrogée sur la possibilité de favoriser le téléenseignement dans les départements d'outre-mer, à la manière de ce qui existe à Mayotte.

M. Yves Jégo a confirmé que les effectifs du SMA doubleraient pour passer à 6 000. Il a annoncé que les moyens financiers seraient augmentés à due proportion et qu'était envisagée l'ouverture d'une implantation à Wallis-Et-Futuna et à Saint-Martin. Il a approuvé l'idée d'un développement du téléenseignement.

M. Jean-Etienne Antoinette a estimé que, face à la situation critique des départements d'outre-mer, aggravée par les conséquences de la crise économique, avec un taux de chômage de 25 % en moyenne, les réponses apportées par le Gouvernement n'étaient pas à la hauteur des enjeux.

Il a notamment douté de l'efficacité des dispositions de la loi d'orientation pour le développement économique des outre-mer en matière de défiscalisation et de mesures du plan de relance, en considérant que les collectivités locales d'outre-mer n'auraient pas les moyens financiers pour mettre en oeuvre ces mesures, compte tenu de leur situation financière déficitaire, en raison du faible niveau de la dotation globale de fonctionnement de l'Etat et du poids de la sur-rémunération des fonctionnaires dans leurs dépenses.

Il a également fait part de sa préoccupation au sujet de l'absence d'organisation des filières, notamment en matière d'agriculture, de pêche et de bois.

Enfin, s'agissant du schéma minier en Guyane, il a regretté que, en dépit du potentiel exceptionnel dont dispose ce territoire, avec des gisements importants d'or, de diamants, d'uranium et même peut-être de pétrole, les collectivités locales guyanaises ne puissent pas bénéficier de ces ressources en raison de la mainmise de l'Etat sur la propriété du sol.

En réponse, M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, a apporté les précisions suivantes :

- toutes les sommes prévues par le fonds exceptionnel d'investissement seront engagées cette année, aucun secteur ne sera privilégié par rapport à un autre et la liste de tous les projets présentés par les collectivités d'outre-mer ayant bénéficié de ces financements sera rendue publique ;

- l'organisation des filières, comme le bois ou l'agriculture, constitue une priorité pour le gouvernement ;

- si la Guyane souhaite élaborer elle-même son schéma minier, elle peut demander pour cela une habilitation législative ; il ne s'agit pas de mettre la Guyane « sous cloche », mais de trouver un équilibre pour une gestion durable de ses ressources dans le respect de l'environnement.

M. Jacques Gillot a souhaité avoir des précisions sur l'application outre-mer du revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA), du revenu de solidarité active (RSA) et du contrat d'autonomie pour les jeunes ; il s'est inquiété d'une éventuelle ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie, en estimant que cela pourrait fragiliser les entreprises guadeloupéennes de ce secteur.

M. Georges Patient a, à son tour, fait part de ses préoccupations au sujet du schéma minier en Guyane, en rappelant qu'il n'avait toujours pas été adopté alors qu'il devait l'être en décembre 2008, ce qui avait entraîné une réduction drastique d'une centaine à quatre seulement du nombre d'artisans locaux dans le secteur de l'exploitation de l'or. Estimant que l'habilitation législative était un processus complexe et chronophage, il a souhaité que les services de l'Etat accordent davantage d'autorisations d'exploitation de travail aux artisans locaux.

Il s'est également interrogé sur l'application de l'offre « OSEO » outre-mer par l'Agence française de développement et du plan CO.RAIL en Guyane et à La Réunion.

En réponse, M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, a apporté les précisions suivantes :

- sur l'application du revenu supplémentaire temporaire d'activé (RSTA) et du revenu de solidarité active (RSA), le député René-Paul Victoria vient de remettre son rapport au Premier ministre, qui contient un certain nombre de préconisations ; à ce stade, toutes les options restent ouvertes, comme une coexistence des deux dispositifs, une substitution du RSA au RSTA ou encore des solutions intermédiaires ; quelle que soit la formule qui sera retenue, le dispositif du RSA s'appliquera bien outre-mer à partir de 2011 ;

- le contrat d'autonomie pour les jeunes s'applique outre-mer ;

- il en va de même pour le plan CO.RAIL en Guyane et à La Réunion ou pour la distribution de la totalité des produits OSEO outre-mer, même s'il est vrai que l'Agence française de développement a quelque peu tardé et que les services compétents guyanais et réunionnais ont mis davantage de temps que leurs homologues antillais pour diffuser l'information ;

- s'agissant du prix du carburant, un système spécifique propre à l'outre-mer sera maintenu : en liaison avec le comité de suivi des prix du carburant, le Gouvernement étudie les pistes d'évolution, afin de garantir un système plus transparent et bénéfique pour les consommateurs.

Enfin, M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, a indiqué qu'il retiendrait la suggestion émise par M. Georges Patient et que, dans l'attente de l'adoption du schéma minier en Guyane, il demanderait aux services de l'Etat d'être plus diligents et de délivrer davantage d'autorisations de travail aux artisans locaux.

M. Adrien Giraud ayant regretté que la mission commune d'information ne se soit pas rendue à Mayotte, en dépit de la transformation prochaine de cette collectivité en département d'outre-mer, M. Serge Larcher, président, a rappelé que la mission commune d'information avait été constituée par le Sénat le 5 mars dernier, soit avant la consultation organisée à Mayotte, et que son objet était strictement circonscrit à la situation des quatre départements d'outre-mer, à la suite de la crise récente aux Antilles.